La Reine Sanglante

Chapitre 7OÙ CHACUN SE PRÉPARE À FRAPPER

Enguerrand de Marigny fit occuper fortementtoutes les voies qui aboutissaient à la Cour des Miracles. Il étaitpeut-être le seul dans cette affaire qui agît avec sincérité. Ilvoulait la mort de Buridan. Il se disait que du père de Myrtille etdu chef des rebelles aimé par elle, l’un des deux devait rester surle carreau.

Une fois certain que nul ne pouvait plussortir de la Cour des Miracles, Marigny, malgré l’impatience duroi, voulut prendre des mesures telles que pas un truand ne pûtéchapper au massacre.

Cela posé, nous reviendrons maintenant à deuxpersonnages qui, à ce point de notre récit, nous intéressentparticulièrement : Mabel d’une part, Marguerite de Bourgogned’autre part.

Lorsqu’elle fut convaincue que Myrtillen’était plus au pouvoir de Valois, Mabel, revenue au Louvre, eutdes heures d’angoisse et de doute déchirant. Puis, tout à coup, lesrumeurs guerrières lui apprirent que des événements nouveaux sepréparaient. Elle écouta, épia, interrogea et apprit seulement quele roi préparait la destruction de la Cour des Miracles.

Après la conférence qui eut lieu, entreMarguerite, le roi et Valois, après l’arrivée de Marigny, qu’ondisait arrêté et qui ne le fut pas, Marguerite était rentrée chezelle, la rage au cœur. Mabel la voyait aller et venir, puis sejeter dans son grand fauteuil ; elle l’étudiait, mais elleconnaissait le caractère de Marguerite, se gardait bien del’interroger…

Comme sa suivante faisait mine de seretirer :

« Reste, dit-elle. Reste près de moi.J’ai l’âme inquiète, Mabel, je me ronge…

– Que craignez-vous ? Le roi n’a etne peut avoir aucun soupçon…

– Il ne s’agit plus du roi ! fitMarguerite. C’est Buridan, Mabel, c’est cet homme qui m’a bafouée…c’est lui qui occupe tous les instants de ma misérable pensée… plusmisérable que jamais depuis que je sais…

– Que savez-vous, madame ?

– Rien… Ou plutôt, tiens ! peut-êtreme donneras-tu un conseil… Buridan est à la Cour des Miracles…

– Auriez-vous maintenant l’intention dele sauver ?

– Moi ! moi ! si je pouvais… sij’étais un de ces archers qui vont assiéger la Cour desMiracles !… je voudrais entrer la première et le poignarder demes mains, quitte à mourir de douleur sur son corps !… Non,vois-tu, ce qui me tue, c’est de savoir qu’elle est avec lui !c’est que, s’il meurt, il mourra dans ses bras, à elle ! c’estque, jusqu’à la fin, il l’aura aimée, adorée… tandis que moi…

– Myrtille est à la Cour desMiracles ?… haleta Mabel.

– Elle y est !

– Avec Buridan ?

– Oui ! Et c’est le père même deMyrtille, c’est Enguerrand de Marigny qui m’a appris le malheur quime trappe. »

Marguerite de Bourgogne se leva et, toutedroite, pâle, les yeux flamboyants, murmura :

« J’aurai du moins une consolation. C’estde savoir que tous deux ont péri ! »

Il y eut un long silence pendant lequel cesdeux femmes demeurèrent plongées chacune de son côté dans unesombre rêverie.

« Oui, dit enfin Mabel, ce sera uneterrible consolation pour vous. Car rien ne peut lessauver ?

– Rien ! Rien au monde ! Je lesai condamnés tous deux.

– Tous deux ! Buridan etMyrtille ? Et rien, pas même un retour d’amour, un éclair depitié, rien ne peut faire que Buridan et Myrtille ne meurentensemble ?

– Sois tranquille : ils mourronttous deux !… »

*

**

Mabel sortit de l’appartement de la reine, nes’arrêta pas, descendit par l’escalier familier qui lui était pourainsi dire réservé, franchit diverses cours et se trouva enfin horsdu Louvre.

« Ils mourront tous deux ! Pas unretour d’amour ! Pas un éclair de pitié ! Rien !Rien au monde ne peut les sauver… Eh bien, qu’elle meure, elleaussi ! »

Elle courut au Logis hanté.

Roller attendait avec la patience que donne lahaine.

« Le moment est venu ? demandal’archer.

– Pas encore, mais bientôt, dit Mabel.Écoute, il y a ici, dans cette pièce, un rouleau de parchemins. Sile roi lit ces papiers, Marguerite sera déchue, condamnée,exécutée ; ta vengeance sera aussi terrible que tu as pul’imaginer. Je vais m’absenter quelques heures ou quelques jours…Lorsque je reviendrai, je te dirai ce qu’il y a à faire. Si je nereviens pas d’ici trois jours, tu agiras seul…

– C’est bien, dit Roller. Où sont lesparchemins ?

– Je te le dirai. Et si je ne suis pas làpour te le dire, tu chercheras : tu trouveras sûrement.Rappelle-toi seulement ceci : un rouleau de parchemins. Mieuxque le poison, mieux que le poignard, ces papiers tuerontMarguerite. »

À ces mots, elle s’éloigna, sortit du logis etse dirigea vers la Cour des Miracles.

Pendant deux jours, c’est à peine si ellemangea juste assez pour se soutenir. À mesure que le tempss’écoulait, sa fièvre et son désespoir augmentaient.

Le soir du deuxième jour, en écoutant lesarchers, elle comprit que l’assaut aurait lieu le lendemain.

Alors, elle s’en alla.

Près de l’église Saint-Eustache, elle s’assitsous un auvent, sur une marche de pierre, et demeura là deuxheures, l’esprit vide, s’acharnant à trouver un moyen de pénétrerjusqu’à son fils et ne trouvant rien… Deux cents toises à peine laséparaient de Buridan. Et Buridan, c’était son fils. Et ce fils,jamais depuis les temps lointains de Dijon, elle n’avait pu leserrer dans ses bras. Et ce fils, c’était elle qui avait cherché àl’attirer à la Tour de Nesle ! Quand elle songeait qu’elleavait parlé à Buridan sans le reconnaître, elle se mordait lespoings, une sorte de rage furieuse s’emparait d’elle.

« Comment faire pour lerevoir ?… »

Tout à coup, elle se leva et se mit à courirvers le Louvre.

Avait-elle trouvé le moyen ?…

Du moins, elle l’espérait ! Voici :elle irait se jeter aux pieds de la reine, lui avouerait tout,depuis la rencontre de Dijon, lui crierait que Buridan, c’était sonfils, le fils de Valois ; l’enfant que Bigorne devaitnoyer…

Et pour son fils, elle demanderaitgrâce !…

Au Louvre, toutes les portes étaient fermées,mais Mabel savait sans doute le moyen d’entrer, même quand personnene pouvait plus pénétrer dans le Louvre, car, peu de temps aprèsavoir quitté l’église Saint-Eustache, elle était dans l’appartementde la reine.

Juana seule était là qui attendait.

« Où est la reine ?demanda-t-elle.

– Sortie, dit Juana. Il se passe deschoses terribles…

– Oui… l’attaque de la Cour desMiracles…

– Non… non… pas cela… ici… chez leroi… »

Alors Mabel regarda plus attentivement Juana.Elle comprit que la petite avait quelque secret qui l’étouffait.Elle voulait parler et elle n’osait pas…

« Voyons, dit Mabel. Tu sais que je puisarranger bien des choses… est-ce que Louis a appris ?…

– Non, fit Juana avec un soupir. Le roin’a encore aucun soupçon sur la reine. Mais… c’est bien terrible…que faire ?

– Quoi, parle donc ! grondaMabel.

– Le sire d’Aulnay… ce pauvre jeunePhilippe… Enfin, je l’ai vu…

– Tu as vu Philippe d’Aulnay ?Toi ?

– Oui.

– Dans les oubliettes ?…

– Oui !… Et il m’a commandé deprévenir le roi qu’il était là !… Et j’ai prévenu leroi !

– Et la reine l’ignore ?…

– La reine le sait. Seulement, ce qu’ellene sait pas, c’est que c’est moi qui ai prévenu le roi. Alors…oh ! c’est affreux ! sauvez-le ! oh !sauvez-le !…

– Sauver qui ?… Parle donc,misérable !

– Philippe !… La reine a été chezStragildo. Et Stragildo va descendre dans les oubliettes… vouscomprenez ?… La reine ne veut pas que Philippeparle !… »

Déjà Mabel n’écoutait plus. Elle s’étaitélancée au-dehors. Elle prenait en toute hâte le chemin du fleuve.Tout à coup, elle se frappa le front. Et alors, changeant dedirection, elle marcha vers le cimetière des Innocents.

Elle trouva Roller qui, en prévision de toutévénement, ne s’était pas déshabillé et dormait, étendu sur ungrand coffre en bois.

« Suis-moi ! » lui ditMabel.

Roller frémit d’impatience et d’espoir, ettous deux se mirent en route. En chemin, Mabel, en quelques mots,expliqua au Suisse ce qu’elle attendait de lui…

Ils franchirent le fleuve et abordèrent prèsde la tour.

Roller alla se poster sous le saule où tant defois Philippe d’Aulnay avait fait le guet. Là, Mabel lui parla unedernière fois. Roller tira son poignard et ditsimplement :

« C’est bien !… »

Alors, Mabel entra dans la Tour de Nesle.

*

**

Pendant que Marigny se préparait à frapperBuridan, que Valois se préparait à frapper Marigny, que Rollerguettait la reine pour lui donner le coup de mort, Marguerite deBourgogne se préparait à assassiner Philippe d’Aulnay.

Ce fut dans ce moment que le roi entra chezelle.

« Par Notre-Dame, dit Louis, la nouvelleest incroyable mais elle est sûre : je viens d’envoyer auxcachots de la grosse Tour, et devinez qui s’y trouve ?

– Sire, comment pourrais-je lesavoir ?

– Le sire d’Aulnay ! fit le roi enéclatant de rire. Comment y est-il ? le diable le sait !Qui l’a arrêté ? Et où cela s’est-il fait ? Nul n’a pu ledire. Mais quel que soit celui qui m’a mis ce rebelle entre lesmains, je l’enrichirai, par tous les diables ! J’ai voulu vousen donner la nouvelle, chère amie, sachant toute l’inquiétude quevous aviez…

– En effet, Sire, c’est une heureusenouvelle. Un de vos ennemis acharnés…

– Non, non, Marguerite, dit le roi, ensecouant la tête. Le sire d’Aulnay n’a jamais été mon ennemi… Ilsait le nom de la femme qui me trahit. Et maintenant que je letiens, je l’obligerai bien à parler, fût-ce par la torture…

– Sire, dit-elle avec fermeté, il ne fautpas que vous continuiez à vivre dans ce doute qui vous fait un malaffreux. Il faut faire interroger cet homme…

– Faire interroger ? Non,Marguerite. Car fût-ce Dieu lui-même qui interroge ce Philippe, jesuis sûr que Dieu ne me rapporterait pas exactement ses paroles…puissé-je être foudroyé si je blasphème ! Non, je veuxmoi-même lui parler, moi-même entendre le nom de l’infâme créature…comprends-tu, Marguerite ?… Je veux savoir, enfin !

– Mon cher Sire, reprit Marguerite,allez-y au plus tôt. Plus vite vous saurez, plus vite l’infâme dontvous cherchez le nom sera châtiée… Que n’y allez-vous de cepas ?…

– Non, dit Louis, je dois maintenantm’occuper de ces drôles que nous allons faire un peu griller dansleur terrier de la Cour des Miracles, mais dès demain matin jedescendrai aux oubliettes… »

Louis serra tendrement sa femme dans ses braset sortit.

« Demain matin, murmura Marguerite, avecun sourire livide. J’ai toute la nuit devant moi ! Et que nefait-on pas en une nuit ?… Allons, cette fois encore, je suissauvée ! »

Elle s’enveloppa d’un manteau, rabattit lacapuche sur sa tête, dit quelques mots à Juana, afin qu’elle pûtêtre prévenue en cas d’alerte, puis sortit du Louvre par le cheminordinaire qu’elle avait pris si souvent pour aller à ses nocturneset terribles rendez-vous.

Quelques minutes plus tard, elle pénétraitdans la rue Froidmantel et arrivait à l’enclos aux lions dont laporte s’ouvrit sur un coup de sifflet qu’elle répéta troisfois.

Stragildo dormait profondément. Réveillé parle valet qui avait ouvert à Marguerite, le gardien en chef deslions arriva bientôt dans la pièce où l’attendait la reine.

« Sais-tu où se trouve Philipped’Aulnay ?

– Si je le savais, j’irais le trouver àl’instant.

– Pourquoi ? demanda Marguerite, entressaillant.

– Pour lui enfoncer six pouces de cettelame au défaut de l’épaule, dit Stragildo, en montrant sonpoignard. C’est le bon endroit. De tous ceux que j’ai frappés là,je n’en ai pas vu un seul qui soit revenu.

– Ainsi, tu frapperais cet homme d’uncoup mortel ? Tu lui en veux donc ?

– Je l’avoue, dit Stragildo en seredressant. Malheureusement, ajouta-t-il, j’ignore où letrouver.

– Je vais te le dire, moi ! »dit la reine.

Alors Marguerite, ayant fait signe à Stragildode se rapprocher d’elle, se mit à lui parler à voix basse. Et,quand elle eut fini, Stragildo reprit :

« Je suis prêt.

– C’est bien, dit la reine. Suis-moi.

– Allez-vous donc vous-même me faireentrer au Louvre et m’escorter jusqu’au cachot de Philipped’Aulnay ?…

– Non, Stragildo. Je vais à la Tour deNesle et tu vas m’y accompagner. Là, quand le moment d’agir seravenu pour toi, je te le dirai, tu iras au Louvre, tu descendras auxoubliettes et tu frapperas ! »

Stragildo ne fit aucune objection et suivitMarguerite.

Marguerite monta jusqu’à la plate-forme etStragildo l’y suivit. Elle s’accouda au parapet et regarda au loin,dans la nuit. Une sombre rêverie s’empara d’elle. Son regard oùbrillait une flamme intense, alla chercher dans le sombre Parisnocturne un point d’où montaient de sourdes rumeurs…

La Cour des Miracles !…

Et alors son sein s’oppressa, ses yeux segonflèrent.

Un sanglot râla dans sa gorge. Et ellemurmura :

« Buridan !… Buridan vamourir !… »

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