La Reine Sanglante

Chapitre 27LA TOUR DE NESLE

En sortant de la rue Froidmantel, Buridans’était remis en route à pas rapides, suivi de ses compagnons.Guillaume, Riquet et Lancelot ne laissaient pas d’être fortinquiets. Certes, ces dignes compagnons ne redoutaient aucuneaventure qui pouvait survenir. Où les entraînait Buridan ?Vers quelles batailles ? Vers quelle lutte suprême où ilslaisseraient leurs os ? Tout cela ne faisait pas question poureux. Ils avaient dans le jeune homme une confiance illimitée.

Buridan n’allait pas au Temple, mais près duTemple. Ce fut, en effet, devant la Courtille-aux-Roses qu’ils’arrêta.

« Allons, murmura Bigorne, l’idée n’estpas mauvaise, et je m’étonne qu’elle ne me soit pas venue. Pour unâne bachelier, le sire Buridan ne raisonne pas trop mal, vu qu’ilraisonne presque aussi bien que moi. Du diable si jamais personnesongera à venir nous dénicher ici ! »

Buridan avait essayé de pousser la porte, maiselle était fermée.

Il franchit donc lestement le mur de clôtureet ses compagnons l’imitèrent.

La porte de la maison n’était que fermée auloquet. Ils purent donc entrer aisément sans avoir recours àl’effraction.

Le cœur de Buridan lui battit bien fortlorsqu’il pénétra dans cette pièce si gaie, si jolie, où il avaitfait de si beaux rêves.

Sa pensée, à ce moment, fut toute pourMyrtille. Mais la jeune fille était en sûreté dans le village deMontmartre, sous la garde et la protection de la mère du jeunehomme. Ce fut donc sans inquiétude et seulement avec de l’amourqu’il reporta vers elle sa pensée.

Le jour, à ce moment, commençait àpoindre.

Buridan ne connaissait bien de ce logis quecette pièce où il se trouvait et où si souvent Gillonne l’avaitintroduit. Mais aux lueurs de l’aube. Bigorne, sans perdre detemps, avait commencé à explorer la maison. Non seulement elleétait complètement inhabitée, mais encore il était évident que nuln’y était venu depuis longtemps.

Bigorne monta jusqu’en haut et força ladernière porte à laquelle il aboutit.

Elle ouvrait sur un grenier.

Le grenier avait deux ouvertures : unelucarne sur la route et une autre sur le jardin de derrière.C’était un admirable poste d’observation et Bigorne, d’autorité,décida qu’on s’installerait dans ce grenier, où, en cas d’alerte,on pouvait, au besoin, se défendre et soutenir un siège. Ildescendit donc dans les chambres du premier, retira quatre matelasdes lits qu’il y trouva, les monta et les disposa dans legrenier.

Puis il monta des sièges, puis enfin unepetite table, et le grenier se trouva ainsi transformé en une piècehabitable.

Quant à Buridan, il avait tiré de dessous sonvêtement les papiers que Tristan lui avait remis et les lisaitavidement.

Il songeait à cette tentative qu’il allaitfaire pour sauver le père de Myrtille.

Il songeait à ce rendez-vous qu’il avait donnéà la reine et se demandait :

« Viendra-t-elle ?… Si elle vient,armé de ces parchemins, je puis tout sur elle, et le sire deMarigny est sauvé. Mais viendra-t-elle ? »

Le jour s’était tout à fait levé.

À ce moment, Guillaume et Riquet revenaient deleur exploration. Bigorne, de son côté, apparaissait endisant :

« J’ai préparé un superbe logement pournous quatre : des matelas dans le grenier.

– Bah ! fit Guillaume, pourquoicoucher sur des matelas, alors qu’il y a des lits ? »

Bigorne haussa les épaules et s’apprêtait àdémontrer la nécessité de s’installer dans le grenier refuge etposte d’observation, lorsque Riquet poussa un cri.

Il venait d’ouvrir un bahut et d’y découvrirun grand pâté, du pain et quelques flacons, enfin des provisionsqui, de toute évidence, étaient là depuis peu de temps, depuisquelques heures à peine.

« Ah ! ah ! fit Guillaume, lesyeux écarquillés.

– Oui ! dit Buridan, mais celaprouve que de temps à autre il vient ici quelqu’un. Nous devonsdonc nous tenir sur nos gardes. Au grenier, au grenier !

– Soit ! fit Riquet, mais non sansemporter ces provisions. Nous sommes tout au moins assurés de nepas mourir aujourd’hui. »

Quelques instants plus tard, les quatrecompagnons étaient installés dans le grenier, et la marche leurayant aiguisé l’appétit, les provisions que Bigorne traita demiraculeuses ne tardèrent pas à disparaître. Puis, comme ilsvenaient de passer une nuit blanche, comme le soir de cette journéeleur ménageait sans doute des fatigues, ils s’étendirent chacun surun matelas et s’endormirent.

Ces provisions que Riquet venait de trouverdans le bahut n’étaient nullement miraculeuses.

Quelqu’un venait à la Courtille-aux-Roses. Etqui était ce quelqu’un, nos lecteurs le sauront bientôt.

Vers le soir, les quatre compagnons seréveillèrent l’un après l’autre, bien reposés, bien dispos.

L’heure du départ arriva enfin.

Il fut convenu, malgré toutes les objectionsqu’on pût faire à ce plan émis par Buridan, il fut entendu,disons-nous, que Buridan pénétrerait seul dans la Tour deNesle.

Guillaume, Riquet et Bigorne devaient attendreau-dehors, sur les bords du fleuve, et n’intervenir qu’en casd’appel.

On se mit en route par une nuit noire. Onfranchit la Seine. On aborda au pied de la Tour de Nesle. Buridanentra. Bourrasque, Riquet et Lancelot s’étaient dissimulés dans unrenfoncement.

Bientôt, du haut de la plate-forme, un signeconvenu leur annonça que tout allait bien et que Buridan n’avaittrouvé personne dans la tour.

Les trois compères se mirent donc à surveillerle fleuve.

« Si elle vient seule, dit Bigorne, toutva bien.

– Elle ne viendra pas », grognaGuillaume.

Leur attention était donc tout entièreconcentrée sur le fleuve, et près d’une heure passa ainsi. À cemoment, une dizaine d’hommes à pied et marchant sans bruitdébouchaient du pont, longeaient l’hôtel de Nesle et venaient seranger dans une profonde encoignure qui était invisible pour lestrois compagnons postés au bord du fleuve, non seulement à cause dela nuit profonde, mais aussi parce que la tour était placée entreeux et cette encoignure.

L’un de ces hommes se plaça un peu en avantdes autres, qui demeurèrent cachés.

Celui qui s’était mis en avant, c’était leroi.

Lui aussi regardait et guettait. Son cœurpalpitait. Ses yeux ardents demeuraient fixés sur le point où ilentrevoyait vaguement la porte de la tour. Lui aussi sedemandait :

« Viendra-t-elle ? »

Et lui aussi, peut-être, en se posant cettequestion, songeait à la reine !…

« La voici ! » murmura tout àcoup Bigorne.

Ils ne voyaient rien encore, mais ilsentendaient le bruit des rames plongeant dans l’eau. Bientôt labarque leur apparut comme un mystérieux oiseau de nuit rasant leseaux ; le silence était profond ; les trois hommeséprouvèrent une impression de crainte indéfinissable…

La barque toucha au sable.

Marguerite sauta… Un instant plus tard, elleentrait dans la tour.

À ce moment, un homme sauta à son tour de labarque et se mit à marcher vivement.

« Stragildo ! murmura Bigorne àl’oreille de Bourrasque. Restez là. Je vais surveiller cesacripant… »

Et Bigorne se glissa à la suite deStragildo.

Il le vit s’approcher de l’encoignure. Etlui-même, glissant, souple et léger, s’approcha assez près pourentendre Stragildo prononcer ces mots :

« Maintenant, Sire, vous pouvez entrer àla Tour de Nesle !… »

« Le roi ! pensa Bigorne enfrémissant. Il a prévenu le roi !… Oh ! lemisérable ! »

Un instant plus tard, une ombre passa près deBigorne. C’était Louis.

Le roi avait donné l’ordre à ses hommes del’attendre et seul il pénétrait dans la Tour.

Stragildo avait disparu dans la direction dupont.

« Bon ! songea Bigorne. Le roi estseul. Buridan est de taille à lui tenir tête. Et puis, il y aBourrasque et Haudryot. Tâchons de rejoindre ce scélérat. Il fautque d’un seul coup il paie tous ses crimes. »

Et à son tour, passant près de l’encoignuresans y voir les gens du roi, il se prit à courir vers le pont…

*

**

Marguerite de Bourgogne était montéelentement, comprimant d’une main son sein violemment soulevé parl’émotion. La passion la transportait. Elle avait cette convictionindéracinable que Buridan l’attendait pour se jeter à ses pieds…Elle frissonnait et avec la rapidité de l’imagination elle sevoyait présentant Buridan à la cour, après avoir persuadé à Louisque le capitaine Buridan, redoutable chef de rebelles, pouvait etdevait devenir le plus ferme soutien de son trône…

Comme elle songeait ainsi, échafaudant desrêves impossibles, elle entra et vit Buridan qui, profondément,s’inclinait devant elle.

Une seconde, Marguerite s’arrêta.

Puis un soupir gonfla son sein, elle repoussalégèrement la porte derrière elle et s’avança. Elle s’arrêta à unpas de Buridan qui, s’étant redressé, la regardait fixement avecune sorte de tristesse.

« Eh bien, Buridan, dit-elle d’une voixbasse qui tremblait légèrement, mais qui était douce comme la plusdouce des mélodies, tu peux maintenant mesurer ta puissance, lemagique pouvoir que tu exerces sur Marguerite. Toi, qui m’asbafouée, insultée, toi qui as croisé le fer contre le roi, toirebelle, condamné à mort, la tête mise à prix, toi !… oui, ila suffi que tu écrives à la reine que tu l’attendais, et la reineest venue… La reine ?… Non, Buridan !… Marguerite !La femme qui a pu te dire ce qu’elle t’a dit ici un soir, et quiest prête à le répéter… Et toi, Buridan, qu’as-tu à me dire ?…Tu te tais ?… »

Oui, Buridan se taisait, déconcerté, affolépresque par cette attitude de la reine. Il était venu pour sebattre et vaincre.

« Madame, dit-il enfin avec effort, c’estsans doute un grand malheur dans ma vie que la reine ait puconcevoir les pensées que, pour la deuxième fois, elle m’exprime.Il est vrai que je vous ai écrit sur un ton qui pouvait laissersupposer que, revenu à d’autres idées, j’acceptais enfin leséblouissantes propositions dont vous m’avez honoré. C’était unsubterfuge, madame, indigne de moi. Mais il s’agissait de la vied’un homme, et pour sauver cet homme, j’étais décidé àtout… »

Un sourire amer crispa les lèvres deMarguerite.

Dévorant sa rage, elle demanda :

« Et que puis-je donc pour cet hommeauquel vous vous intéressez ?

– Un condamné, madame, ou plutôt unaccusé ! Vous pouvez obtenir sa grâce du roi. Il suffira quevotre générosité fasse appel à la justice de votre royal époux, etcet homme sera sauvé.

– Qui est cet homme ? demandaMarguerite.

– Le père de Myrtille, réponditsimplement Buridan.

– Enguerrand de Marigny ! Quoi,c’est pour me demander la grâce de Marigny que vous avez voulu mevoir ! Quoi ! c’est vous qui voulez sauver Marigny, quivous a poursuivi de sa haine, que vous avez insulté, frappé !Voilà du nouveau ! Buridan travaillant au salut deMarigny ! »

Quelque chose comme un soupir d’atroceamertume et de désespoir se fit entendre à quelques pas des acteursqui jouaient cette scène terrible.

Mais ni Buridan ni Marguerite ne recueillirentle faible bruit de ce gémissement.

« Misérable ! éclata la reinelivide. Ah ! le misérable, qui me reproche ma première fauteet s’en fait une arme contre moi ! Je ne sais comment tu metueras, démon, mais je prévois que je mourrai par toi ! Déjà,mes pressentiments me le disent !… Je suis la mère deMyrtille ? Eh bien, oui, j’ai aimé Marigny ! Eh bien,oui. Mais cette fille, je la déteste et c’est mon droit !Est-ce que je la connais, moi ?…

– C’est affreux, ce que vous dites là,murmura Buridan, qui recula. Je vous en supplie, reprenez vosesprits…

– Je ne la connais pas, te dis-je !Elle est ma rivale, voilà tout ! Rivale heureuse, mais que jesaurai atteindre, n’en doute pas !… Tu as tort, Buridan, de merappeler qu’Enguerrand de Marigny est le père de ma fille. Car celaseul suffirait à me forcer de le haïr, de demander au roi, non passa grâce, mais sa mort plus prompte ! Et c’est ce que je vaisfaire. Adieu, Buridan ! Cette fois, pour toujours, adieu…jusqu’à ce que je te tienne en mon pouvoir et que je te fasseexpier d’un coup tes dédains et tes insultes ! »

Buridan se redressa. Il saisit la reine par lepoignet, se pencha sur elle.

« Vous m’y forcez ! dit-il d’unevoix sourde. Vous me forcez à menacer alors que je voulais prier,supplier. Oh ! vous êtes bien la mère sans cœur, l’amante sansamour, la femme capable de tous les crimes et de toutes lestrahisons, qui est dépeinte dans ces parchemins quevoici !… »

En même temps, il tira de son vêtement lerouleau de parchemins que lui avait remis Tristan.

« Ces papiers ?… » bégayaMarguerite, qui se sentit mordue au cœur par l’épouvante.

Buridan lâcha la reine.

Son attitude prit on ne sait quellesolennité.

Sa voix devint grave, lente et triste.

« Ces papiers, madame, racontentl’histoire de mon enfance. Ils disent comment, par un caprice dejalousie, vous avez poignardé ma mère et comment vous avez voulu mefaire jeter moi-même dans la Saône par Lancelot Bigorne. Cespapiers, madame, ont été écrits par ma mère elle-même, alors quedésespérée, le cœur ulcéré de vengeance, elle s’était faite votreconfidente et la servante de vos orgies pour arriver à se venger devous…

– Mabel ! prononça Marguerite dansun souffle.

– Anne de Dramans, madame !… Toutel’histoire de la Tour de Nesle est là ! Et si cette histoireparvient à la postérité, ce qui est raconté là est si terriblequ’on refusera de le croire ! Et qui voudrait croire queMarguerite de Bourgogne, faisant métier de ribaude, attirait encette tour ses amants d’une nuit, qu’au matin elle faisait jeter àla Seine cousus dans un sac !… Mais je le crois, moi qui aivu !… Moi qui ai sauvé Philippe et Gautier d’Aulnay attirésici par vous, jetés à la Seine par le hideux Stragildo, je crois,moi ! D’autres pourront croire, madame !…

– D’autres ?… bégaya la reine, ivrede terreur.

– Le roi, par exemple. Car cette histoirea été écrite pour lui et chacun des récits qu’elle contient estaccompagné de preuves ! Le roi pourra retrouver la trace et lapreuve de chacune de vos orgies, de chacun de vos meurtres… Un mot,madame, un seul ! Si, dans deux jours, Enguerrand de Marignyn’est pas libre, je vous jure, sur mon âme, que je me rends auLouvre et que moi-même je remets ces parchemins auroi !… »

Marguerite couvrit son visage de ses mainscrispées.

« Malheureuse ! oh !malheureuse ! »

Dans le même instant, Buridan laissa échapperune sorte de cri de détresse.

La reine se découvrit le visage et leregarda.

Elle le vit pâle, pétrifié, les yeux fixes surquelque chose qui devait être sans doute formidable.

Et elle vit le roi !…

*

**

Louis venait d’entrer.

Son regard était infiniment triste, son teintétait plombé, il souffrait atrocement.

Il marcha sur Buridan à petits pas vacillants,sans regarder la reine.

Et, comme il passait près d’elle, il fit undétour pour ne pas la frôler. Il marchait les yeux hagards, le brasallongé, la main agitée d’un tremblement convulsif, désignant lerouleau de parchemins.

Il voulait parler.

Il faisait un incroyable effort pour parler etne parvenait à proférer que quelques sons rauques.

Au moment où il atteignit Buridan, au momentoù il touchait les papiers, il tomba tout à coup sur les genoux,puis s’abattit sur le flanc, comme foudroyé.

*

**

Buridan était demeuré immobile, frappéd’horreur.

D’un geste machinal, il remit dans sonvêtement le rouleau de parchemins puis, son regard se reportant surla reine pétrifiée, il murmura :

« Fatalité !… »

La reine était effrayante à voir. C’était unemorte demeurée debout par quelque phénomène d’équilibre nerveux.Rien ne bougeait en elle. Sur son visage de cire, pas un frisson.Seulement ses yeux agrandis vivaient…

Ils vivaient de la terreur et del’horreur…

Buridan ramena son regard sur le roi et unfrisson de pitié l’agita.

À ce moment, cette effrayante statue qu’étaitla reine commença à s’animer. Son visage crispé se détendit.Marguerite recula lentement… elle recula jusqu’à la porte…

Cette porte, elle la franchit.

Et elle commença à descendre l’escalier.

Un vague espoir la maintenait debout. Si leroi était mort !… Mort foudroyé par ces révélations qu’ilavait surprises !… Elle pouvait vivre alors, vivre aussipuissante, plus heureuse, débarrassée du souci dedissimuler !

Marguerite descendait l’escalier en se disantces choses. Ses dents claquaient. D’instant en instant, un frissonla secouait tout entière. Elle eût voulu courir, se hâter, et illui semblait que ses jambes étaient de plomb. Une force terriblel’arrêtait à chaque marche. Elle portait sur les épaules le poidsénorme de la catastrophe inouïe sous laquelle il fallait succomber,si le roi ne mourait pas !

Le roi était-il mort ?…

Buridan s’était agenouillé près de lui etavait posé la main sur son cœur.

Le cœur battait !

Faiblement, mais il battait !

« Pauvre roi, murmura Buridan qui ne putretenir quelques larmes. Pauvre jeune homme ! Dieu m’esttémoin que cette menace faite à Marguerite, je n’eusse pul’exécuter. Dieu m’est témoin que, si j’avais su le roi posté ici,je n’eusse pas parlé. Le mal est fait. Le roi sait tout. Il enmourra peut-être… L’aventure est affreuse… non pour Marguerite quimérite la mort mais pour ce malheureux sire. »

Il se releva et chercha autour de lui s’iltrouverait de l’eau.

Il en trouva dans une grande aiguière et semit à humecter le front du roi qui bientôt poussa un soupir etbientôt ouvrit les yeux.

Buridan, agenouillé près de lui, doucement,mouillait ses tempes.

Le roi leva ses yeux désespérés vers ce jeunehomme qui le soignait en pleurant :

« Courage, Sire, courage ! murmuraBuridan. Je vous ai fait un mal atroce en parlant comme je l’aifait, je le sais ! J’en suis désespéré, Sire ! Jedonnerais dix ans de ma propre vie pour que vous n’ayez pas assistéà cette horrible conversation que j’ai eue avec… avec celle… quevous aimez… Allons, courage, mon cher Sire ! Cette femme,voyez-vous, n’était pas digne de vous. Jeune, beau, noble commevous êtes, quelque belle et sage princesse vous consolera… Àdéfaut, l’affection de tant d’hommes qui sont vos sujets… votrepeuple, Sire !… Songez moins à celle qui sort d’ici et un peuplus à votre peuple… L’amour, l’amour, Sire, ce n’est pas tout dansla vie d’un homme. Et lorsque cet homme est un puissant roi, commevous, peut-être a-t-il le devoir d’oublier ses souffrances poursonger à celles des autres. L’amour, Sire ! Nous en souffronstous… Mais comment un fier chevalier comme vous, qui mérite d’êtreaimé par les plus belles, ne trouverait-il pas une consolation dansle monde ?… »

Le roi soupirait. Les sanglots s’amassaientdans sa poitrine, il s’abandonnait aux soins de Buridan. Il leregardait avec un étonnement qui déjà peut-être était uncommencement de consolation.

Brusquement ses larmes jaillirent.

Ses sanglots éclatèrent, déchirants, terriblesà entendre et Buridan murmura :

« Il pleure… Il estsauvé !… »

À ce moment, sept ou huit hommes entrèrentprécipitamment.

« Arrêtez le rebelle qui ose porter lesmains sur le roi ! » cria Hugues de Trencavel.

En un instant, Buridan fut entouré, saisi,poussé vers l’escalier…

Pendant ce temps, le capitaine des gardesrelevait le roi et le faisait asseoir sur un fauteuil.

Le premier mot de Louis fut :

« Marguerite ?…

– Arrêtée, Sire selon vos ordres.Conduite au Louvre où on l’enfermera dans sa chambre pour y êtregardée à vue. »

Le roi hocha la tête en signe que c’étaitbien.

Puis il retomba dans une sorte de stupeurmorbide. Cet homme qui menaçait de tout démolir pour la moindrecontrariété, qui avait des accès de fureur folle pour des riens,cet homme demeurait faible comme un enfant devant le malheur qui lefrappait.

Il n’y avait plus de colère en lui, mais uneinfinie tristesse.

Lorsque Louis revint à lui, il demanda àTrencavel :

« Ce jeune homme ?…

– Buridan, Sire ?

– Oui. Qu’est-il devenu ?… Je veuxqu’on le conduise au Temple… ou plutôt, non… qu’on me l’amène toutà l’heure au Louvre… mais qu’on ait bien soin de ne lui faire subiraucun mauvais traitement. Je veux lui parler. Allez…Trencavel… »

Le capitaine se précipita pour exécuter lesordres du roi.

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