La Reine Sanglante

Chapitre 21LANCELOT BIGORNE À L’ŒUVRE

Ces personnages qu’avait entrevus SimonMalingre et dont Gillonne avait pu surprendre l’entretien,c’étaient Buridan, Gautier, Bourrasque et Haudryot.

Lancelot Bigorne ayant disparu, Gautierinsistait auprès de ses compagnons pour qu’on se mît aussitôt encampagne pour connaître la vérité sur Philippe, dût-il apprendre lamort de son frère. Mais sans doute Bigorne avait dit à Buridanquelques mots de son projet, car le jeune homme s’efforçait decalmer Gautier et remettait toute décision jusqu’au retour deLancelot.

« Mais s’il ne revient pas !grondait Gautier.

– Laissons faire Lancelot, mon cherGautier, répondait Buridan avec douceur, c’est un fin et rusématois et c’est de plus un ami fidèle et dévoué. Un peu depatience.

– Écoutez ! dit Guillaume Bourrasquequi assistait, ainsi que Riquet Haudryot en témoin muet à cetentretien, écoutez ! on vient chez nous… N’avez-vous pasentendu le signal annonçant l’approche d’un ami ? »

Guillaume avait ouvert la porte, avecprécaution toutefois, et, reconnaissant les arrivants, s’étaittourné vers l’intérieur en disant :

« J’avais bien entendu… ce sont des amis…Cornes du diable ! je crois bien que c’est Lancelot qui lesconduit !…

– Lancelot ! s’exclamèrent à la foisGautier, Buridan et Riquet, qui se précipitèrent vers la portegrande ouverte.

– Mais oui, c’est bienlui ! »

Pendant ce temps, Lancelot Bigorne, à la têted’une dizaine de solides gaillards, était arrivé devant la porte.Se tournant alors vers son escorte, Lancelot dit, sur un ton decommandement :

« Qu’on aille m’attendre où j’ai dit… etsurtout soyons sages ! »

Les hommes saluèrent et firent demi-tour.

« Un instant, fit Lancelot, paraissant seraviser ; que deux d’entre vous préviennent tous les postes,toutes les sentinelles de la cour qu’à partir de cet instant le motde passe est changé… que nul ne sorte ou ne pénètre dans l’enceintede la Cour des Miracles s’il ne donne le mot nouveau :d’Aulnay, Valois !… Allez et faites vivement.

– Maintenant, parle ! ditBuridan.

– Philippe ?… d’abord… dit Gautier,en même temps.

– Vivant ! » réponditlaconiquement Lancelot.

Il y eut un soupir de soulagement général.

« Bon ! grogna Gautier, dèsl’instant qu’il vit, c’est le principal… nous le tirerons bien desgriffes qui le tiennent.

– Sans doute ! fit Buridan avecassurance.

– Où est-il ?

– Au Temple ! confié à la garde ducomte de Valois ! »

Alors, Lancelot Bigorne fit mot pour mot lerécit de tout ce qui lui était arrivé depuis son départ de la Courdes Miracles et retraça l’entretien qu’il avait eu avec le roi,sans omettre le moindre détail. Il ajouta qu’il avait profité de saprésence au Louvre pour fouiller un peu partout et faire main bassesur quelques parchemins en blanc, mais porteurs du sceau royal, etqu’il avait remplis à sa guise.

Il ajouta des détails circonstanciés etexpliqua de quelle manière il espérait délivrer Philippe avant lejour.

Lorsqu’il eut terminé, il reçut l’approbationunanime des assistants, de même que les congratulations et lesfélicitations ne lui furent pas épargnées.

« Mais, fit Lancelot qui, par une ententetacite, paraissait avoir pris la direction effective de cetteaffaire, mais nous n’avons pas de temps à perdre. Suivez-moi,messieurs.

– Où cela ? fit Gautier.

– Vous le verrez. »

Et Lancelot conduisit tout son monde dans uneautre maison et le fit entrer dans une pièce où se trouvaientplusieurs équipements complets portant les armes du roi.

Lancelot désigna à chacun le costume qui luirevenait et, pendant que lui-même endossait un costume spécial,désignant un costume d’officier à Buridan, il lui dit :

« Vous êtes naturellement chef d’escorte.N’oubliez pas surtout qu’il ne faut pas lever la visière de votrecasque, sous quelque prétexte que ce soit.

– Sois tranquille », réponditBuridan.

Lorsque tout le monde fut équipé de pied encap, il se trouva que Buridan avait tout à fait l’apparence d’unofficier du roi, en service à la tête d’une troupe d’hommes d’armesen mission.

Seul, Lancelot, avait un costume entièrementcaché par un immense manteau qui l’enveloppait des pieds à latête.

Lancelot reprit la tête de cette troupe et laconduisit vers une autre masure de la Cour des Miracles dont ilouvrit délibérément la porte.

Dix hommes d’armes, équipés irréprochablement,se trouvaient là autour d’une table sur laquelle étaient quelquesflacons et gobelets.

Ces dix hommes d’armes, en tout pointsemblables à ceux que Bigorne amenait avec lui, se levèrent à leurvue comme un seul homme et attendirent les ordres.

« Mes gaillards de tout à l’heure, fittout bas Lancelot à Buridan. Par saint Barnabé, voilà une escortemilitaire de premier ordre ou je ne m’y connais pas ! Je lesai eus grâce à l’un des parchemins que j’ai remplis. Ce sont desarchers du roi, rien que cela ! Ils étaient en prison, et moi,moi fou, moi armé des ordres du roi, je les en aitirés !… »

Puis, s’adressant à un de ces hommes quiparaissait être leur chef :

« Le mot de passe ?

– C’est fait, donné partout.

– Les chevaux ?

– Ici près.

– C’est bien !… En route,messieurs. »

« Il est admirable ! » murmuraBuridan.

Pour la troisième fois, on se dirigea vers uneautre masure dans laquelle se trouvaient quinze superbes chevauxtout sellés et harnachés.

« Toujours par ordre du roi ! fitLancelot à Buridan. Le pauvre Hutin ne se doute guère qu’il a signél’ordre de mettre quinze chevaux de ses écuries au service de sonbouffon !… »

Et pendant que chacun sortait sa monture et semettait en selle, Lancelot s’approcha de l’homme à qui il avaitdéjà parlé et lui dit à mi-voix :

« N’oublie pas mes instructions.

– Je n’aurai garde.

– Veillez sur l’officier qui vouscommande… Vous me répondez de lui…

– On fera ce qui est convenu.

– Vous savez ce que je vous aipromis ?… votre grâce à tous à notre sortie du Temple… lesparchemins vous seront délivrés séance tenante… Si vous bronchez,au contraire, vous serez pendus sans rémission.

– Soyez tranquille. On gagnerahonnêtement sa grâce et la prime de cinquante écus promise…

– En route, donc ! »

Gautier ouvrait des yeux énormes. Buridansouriait. Guillaume et Riquet étaient soucieux, ayant biendîné.

Vingt minutes plus tard, on arrivait auTemple. Bigorne sonna du cor.

De la tour, le cor répondit.

« Ordre du roi ! cria Buridan.

– Message du roi ! » criaBigorne en exhibant un parchemin.

Le pont-levis s’abaissa.

Un officier s’approcha avec un archer porteurd’un falot, reconnut les armes du roi et s’inclina devant le sceauroyal qui s’étalait au bas du parchemin.

L’instant d’après, toute la troupe mettaitpied à terre dans la cour intérieure.

« Combien avez-vous d’hommes avec vouspréposés à la garde du pont-levis ? demanda rudementBuridan.

– Trois ! répondit l’officier, quireconnaissait un supérieur en celui qui lui parlait.

– C’est bien ! »

Puis, se tournant vers sa troupe, Buridancommanda :

« Quatre hommes ici pour renforcer ceposte !

– Monsieur, reprit-il en se tournant versl’officier, momentanément vous êtes sous les ordres de monsieur (etil désignait Guillaume Bourrasque)… Voici l’ordre de SaMajesté », reprit-il en voyant que l’officier paraissaithésiter.

Ce disant, il lui mettait sous les yeux unpapier portant le sceau du roi.

L’homme s’inclina en signe d’obéissance,pendant que Guillaume et ses hommes, qui sans doute avait reçu desinstructions préalables, prenaient possession du poste.

Pendant ce temps, Lancelot Bigorneparlementait avec un autre officier venu de l’intérieur pours’informer.

« Message du roi ! disait Bigorne,qui se couvrait le visage de son chaperon… qu’on me conduiseimmédiatement auprès du capitaine des archers du Temple. Inutile deréveiller M. le gouverneur. »

Et, comme l’officier paraissait hésiter, luiaussi, devant ces mesures qui lui paraissaient suspectes :

« Ordre du roi ! » fit Buridan,qui les avait rejoints, en exhibant son parchemin.

Comme l’avait fait le gardien de la porte, dèsqu’il eut vu le sceau royal, l’officier ne songea plus à discuteret s’empressa d’obéir.

Toute la troupe de Bigorne était entrée dansune vaste salle, attendant que l’officier revînt. Au bout dequelques instants, celui-ci reparut annoncer que le capitaine desarchers du Temple attendait le messager du roi.

Comme il l’avait fait à la porte d’entrée,Buridan plaça quatre hommes à la porte de cette salle et, désignantRiquet Haudryot :

« Vous seul commandez ici jusqu’à nouvelordre. »

Et, pour la troisième fois, il exhiba sonparchemin royal en disant :

« Ordre du roi ! »

Ce qui restait de la troupe suivit LancelotBigorne et s’arrêta à la porte de la chambre où le capitaine desarchers s’habillait en toute hâte, fort étonné de cette visitefaite au nom du roi.

Lancelot, avant d’entrer, avait ouvert levaste manteau qui l’enveloppait et il apparut revêtu de son costumede fou ; tel qu’il était d’usage de le porter à la cour.

« Seigneur capitaine, fit Lancelot ens’inclinant profondément, je suis chargé par le roi de vousremettre cet ordre. »

Ce disant, il tendait au comte un parcheminque celui-ci parcourut en donnant toutes les marques de la plusprofonde stupeur.

« Vous avez ici un prisonnier du nom dePhilippe d’Aulnay.

– Cela se peut… il y a tant deprisonniers, ici.

– Eh bien, donc, s’il vous plaît,veuillez me remettre ce prisonnier.

– Que je vous remette ceprisonnier ?… Vous n’y pensez pas… Mgr de Valois m’a bienrecommandé…

– C’est l’ordre du roi ; Mgr deValois n’a rien à faire ici.

– C’est bien, vous pouvez vous retirerdans la pièce que vous désignez, on vous y amènera le prisonnierdans quelques instants… Je vais donner des ordres. »

Lancelot, sans répondre, s’inclinaprofondément, sortit et rejoignit ses acolytes dans la piècevoisine.

« Pourquoi ne sommes-nous pas descendusdans les cachots délivrer Philippe nous-mêmes ? fit alorsGautier à voix basse.

– Eh ! fit Lancelot sur le même ton,sait-on jamais ce qui peut arriver ?… Je me souciemédiocrement de descendre dans ces caves d’où, en cas d’alerte, ilnous serait impossible de nous tirer, tandis qu’ici nous voyonsvenir… En cas de danger, nous sommes d’un bond dans la salle d’àcôté, gardée par Riquet Haudryot et les nôtres… en un mot, nousavons notre retraite assurée… tandis que, en bas…diantre !…

– Pourtant, il me semble…

– Lancelot a raison, fit à son tourBuridan ; si les choses marchent normalement, on nous amèneraPhilippe ici sans qu’il soit besoin d’aller le chercher… »

Au même instant, la porte s’ouvrit et on vitPhilippe, pâle, défait, se tenant debout par on ne sait quelprodige, les bras et les jambes paralysés par les chaînes.

Lancelot fit deux pas en avant, et prenant sonair le plus digne, son ton le plus autoritaire :

« Drôles ! » fit-il, qu’ondélie le prisonnier et au plus vite… »

Au même instant, le son du cor se fitentendre. Lancelot s’arrêta net.

« C’est Guillaume Bourrasque qui sonne laretraite ! rugit Buridan. Enlevons Philippe etfuyons ! »

Il n’avait pas achevé que déjà Gautier était àl’autre bout de la salle, saisissant Philippe dans ses bras.

« Frère ! Frère ! c’estmoi ! Qu’as-tu ?… Parle… »

Philippe tourna vers son frère un visagelivide et un regard sans expression.

« Seigneur Dieu ! hurla Gautier… monfrère est dément !… Marguerite !Marguerite !… »

Au même instant, un tumulte effrayantéclata ; on vit surgir des hommes d’armes qui se ruèrent surBuridan et ses compagnons, tandis que Valois, sur le seuil de lachambre, l’épée à la main, criait d’une voix de tonnerre :

« Tue !… Tue !… saisissez-moile fou et l’autre, là-bas, l’officier !… prenez-lesvivants !… pour les autres, tue, tue !… pas dequartier. »

Et un être chétif, le visage animé par unejoie féroce, dissimulé prudemment derrière Valois, criait àtue-tête, en désignant Lancelot :

« Trahison !… arrêtez-le !… nele laissez pas fuir ! »

Et cet être hideux à voir, trépignant de joiesauvage, c’était Simon Malingre.

Cependant, en voyant la salle se remplird’hommes armés, Lancelot Bigorne avait tiré sa rapière et, faisantun signe à ses hommes, s’était rué en avant, disant àBuridan :

« Tirons au large, l’affaire estmanquée. »

Déjà, devant eux, une dizaine d’épées leurbarraient la route. Ils foncèrent, tête baissée. Au même instant,Riquet Haudryot et ses hommes apparaissaient et chargeaientpar-derrière.

Il y eut des cris, des plaintes, des râles,mais Buridan et les siens passèrent comme un tourbillon, bousculanttout sur leur passage, pendant que le cor précipitait ses appels etque derrière eux les clameurs grandissaient, les hurlementss’élevaient.

En quelques bonds, ils gagnèrent la salle queRiquet Haudryot venait de quitter momentanément et si fort àpropos.

En un clin d’œil, la porte fut poussée, leverrou tiré et ils repartirent, gagnant dans une course effrénée lacour intérieure.

Le pont-levis était baissé et une trouped’archers pénétrait à l’intérieur de la prison à l’instantmême.

Buridan et ses hommes foncèrent, frappantd’estoc et de taille, jetant le désordre dans les rangs dessoldats, surpris par cette attaque soudaine.

Aidés par Guillaume Bourrasque et ses hommes,ils franchirent le pont-levis et allaient s’élancer droit devanteux, lorsque Guillaume leur cria :

« Par ici !… À droite… »

Un homme vint à leur rencontre, tenant deuxchevaux par la bride et disant :

« Vite, tous les chevaux sont là… je lesgardais. »

L’instant d’après, ils fuyaient au galop,cependant qu’une troupe de cavaliers se lançait à leurpoursuite.

Heureusement, ils étaient bien montés etavaient une certaine avance, en sorte que bientôt ils furent horsd’atteinte de ceux qui les poursuivaient…

Deux heures plus tard, les compagnons deBuridan se trouvaient dans la Cour des Miracles… Alors, ils secomptèrent et Buridan poussa un cri terrible.

Non seulement il n’avait pas délivré Philippe,mais Gautier manquait à l’appel !…

Les deux frères étaient restés au Temple…

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