La Reine Sanglante

Chapitre 9LES OUBLIETTES DU LOUVRE

Philippe d’Aulnay, dans sa prison, avait euune vision, survenue au bout d’un temps inappréciable, c’est-à-direau bout d’une heure peut-être, ou peut-être au bout de longuesheures. D’abord, ce furent diverses images qui se présentèrent àlui dans le délire d’une soif intense. Puis, peu à peu, une sortede brouillard s’était étendu sur cet esprit en proie depuisplusieurs mois à l’idée fixe de l’amour. Et, toutes ces imagess’étant effacées l’une après l’autre, Philippe eut la sensation quece brouillard s’entrouvrait et qu’une femme d’une éclatante beautélui apparaissait, souriante. Philippe d’Aulnay était tombé à genouxen murmurant :

« Marguerite !… »

Les yeux extasiés se fixèrent surl’apparition.

Un bruit de pas et de verrous tirés… puis,tout à coup, le cachot s’emplit de lumières et deux hommesentrèrent, tandis que plusieurs archers se rangeaient dans l’étroitespace du couloir, prêts à sauter sur le prisonnier à la moindrealerte.

Les deux hommes, c’étaient le roi et le comtede Valois.

Philippe les regarda avec étonnement.

« Qui êtes-vous ? demanda-t-il.

– La question est plaisante ! grondaLouis Hutin. Voyons, es-tu décidé maintenant à me dire le nom decelle qui me trahit ? Le secret que contenaient ces papiersque tu as brûlés à la Tour de Nesle, vais-je le savoir ?Écoute, tu as osé faire rébellion contre ton roi… tu as osé porterla main sur moi… je te pardonne tout cela, si tuparles !… »

À ce moment, parmi les archers qui gardaientla porte, se glissa un homme qui, sans doute, avait ses entréespartout, car les soldats le laissèrent passer avec une sorte derespect craintif.

Il passa la tête dans le cachot et il écoutace qui se disait.

« Voyons ! reprit le roi. Qui t’aarrêté ? Qui t’a fait jeter dans ce cachot ?… Je te feraigrâce, entends-tu, je te ferai sortir si tu consens à parler, àdire toute la vérité à ton roi !… »

Philippe d’Aulnay le regardait étrangement. Unprodigieux travail s’accomplissait dans son esprit. Sa raisonn’était plus qu’un chaos. Et, dans ce chaos, un éclair, un seul,une lueur sinistre illuminait la nuit…

Philippe était fou… et, dans cette minute, ilse rendait compte de sa folie !…

Philippe venait de reconnaître leroi !

Philippe sentait, comprenait que, d’un instantà l’autre, il allait retomber dans la pleine démence, que sa raisonallait échapper à sa surveillance.

Oh ! alors… est-ce que chacune de sesparoles n’allait pas être une terrible accusation contreMarguerite ?…

« Parle ! gronda de nouveau Louis…parle donc, par Notre-Dame ! ou je te fais écorcher vif et jelivre ta carcasse aux chiens… »

« Le roi ! rugit au fond de lui-mêmePhilippe, épouvanté. Le mari de Marguerite ! »

Fou de fureur, Louis le secoua par lesépaules.

« Parle ! hurla-t-il. Le nom ?Ce nom que tu sais ! Le nom de celle qui me trahit et qui estta maîtresse ! Mort du diable ! Parle ou je tetue !… »

Le roi, soudain, recula avec un cri d’horreuret d’effroi…

Philippe d’Aulnay venait de se redresser…

Et, sur son visage livide, sa bouche apparutsanglante, toute rouge… et, en même temps, de cette bouche, unesorte de tronçon de chair rouge tomba.

Philippe d’Aulnay, d’un coup de dent, venaitde se trancher la langue pour ne pas dénoncer Marguerite deBourgogne !…

Presque aussitôt, il retomba tout d’une masse,sans connaissance.

*

**

« Sire, dit Valois à Louis, lorsqu’ilsfurent remontés dans l’appartement du roi, je me charge d’obtenirde cet homme les aveux nécessaires ; qu’il puisse parler ouqu’il écrive, je le forcerai, moi, à dire ce nom que vouscherchez ! Seulement, je vous demanderai la permission defaire transporter l’homme au Temple, où je l’aurai sous lamain.

– Fais, Valois ! » répondit leroi.

Quelques minutes plus tard, Philippe d’Aulnay,toujours évanoui, était jeté sur une charrette et transporté auTemple.

« Maintenant, murmura alors le comte deValois, tu ne peux plus rien dire contre moi, Marguerite, car j’aiune arme terrible contre toi !… »

Et Valois, ayant mis son prisonnier en lieusûr, se hâta vers la Cour des Miracles pour assister àl’assaut.

Louis Hutin, de son côté, se prépara à monterà cheval. Mais, avant de quitter le Louvre, il fit demander si lareine dormait, et comme on lui répondit queMme Marguerite, inquiète de toutes ces rumeursinsolites, se tenait dans son oratoire, il s’y rendit…

Marguerite venait de rentrer.

Le récit que Stragildo venait de lui fairel’avait fait frissonner, mais l’avait aussi rassurée.

Ce fut d’un front serein qu’elle reçut sonroyal époux.

Louis lui proposa de venir assister à la priseet au sac de la Cour des Miracles, ainsi qu’à la pendaison deBuridan et des autres rebelles qui devait s’ensuivre.

« Sire, pardonnez-moi, dit Marguerite enpâlissant. Je ne suis qu’une femme et ces spectacles de violence mefont mal. Je prierai pour vous, Sire…

– Oui, murmura Louis en la serrantpassionnément dans ses bras, vous êtes la plus douce desfemmes ! Et je suis bien heureux, Marguerite, d’être aimé d’unange tel que vous !… Adieu ! Dans quelques heures, jeviendrai vous annoncer que ces misérables rebelles ont vécu…

– Dieu vous garde, Sire ! »

Louis Hutin s’éloigna.

Quant à Marguerite, elle défaillait. Déjà,elle ne songeait plus ni au roi, ni à Philippe d’Aulnay, ni auxmenaces de Mabel.

« C’en est fait, râla-t-elle, éperdue.Buridan va succomber. Rien ne peut le sauver !… Rien !Oh ! si ! Encore un espoir ! Encore cettetentative !… »

Fiévreusement, Marguerite se mit àécrire :

« Buridan, une dernière fois, veux-tuêtre sauvé ? Veux-tu vivre dans la richesse, les honneurs etla puissance ? Rappelle-toi ce que je t’ai dit à la Tour deNesle !… Ce que je t’offrais alors, je te l’offre encore. Dansquelques heures, Buridan, tu vas mourir. L’instant est suprême. Situ veux… tu diras oui à celle que je t’envoie. Le reste meregarde !… »

Marguerite plia le papier sans le signer ni lecacheter.

Puis elle courut à son bahut, dont elle ouvritun tiroir. Dans ce tiroir, il y avait plusieurs parchemins en blancscellés du sceau royal et portant la signature du roi deFrance.

Elle saisit un de ces parchemins et, au-dessusde la signature, écrivit :

« Ordre de laisser passer le porteur desprésentes. »

Puis, elle frappa de son marteau d’argent.

Juana parut, pâle encore de ce qu’elle avaitosé faire, de sa visite au Louvre, suivie de la visite à Philipped’Aulnay, suivie de la visite du roi. Elle ignorait encore ce quis’était passé entre Philippe et le roi ; elle ignoraitégalement que le prisonnier avait été transporté au Temple.

« Juana, prends ce billet et cache-ledans ton sein. »

La jeune fille obéit.

« Maintenant, reprit Marguerite, voici unlaissez-passer signé du roi. Avec ce parchemin, tu franchiras lecordon des troupes placées autour de la Cour des Miracles. Dans laCour des Miracles, tu trouveras Jean Buridan. Tu lui remettras lebillet que tu portes dans ton sein et tu reviendras me dire cequ’il t’aura répondu. Si tu n’es pas rentrée avant le jour, Juana,je suis perdue. Va, ma fille. »

Juana s’élança, pleine d’ardeur.

Nous avons dit qu’elle aimait la reine d’uneaffection profonde et sincère.

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