Chapitre 31LE GÉNIE DE SIMON MALINGRE
Le lendemain dans la matinée, Simon, aussicalme, aussi tranquille que si rien ne l’eût menacé, pénétrait delui-même dans la chambre du comte de Valois, avec la belleassurance de la plus parfaite innocence, et cette quiétude absolueque donne, dit-on, une conscience sans reproches.
« Victoire, monseigneur, victoire !…j’apporte une heureuse nouvelle ! »
Simon Malingre comprit parfaitement ce qui sepassait dans l’esprit de Valois et jouant le tout pour letout :
« Allons ! dit-il avec un soupir, lemoment fatal et douloureux est venu… je vois que mon maître doutede moi… je dois tout dire. »
Sur ces mots, il se mit humblement à genoux etbaissant la tête avec une contrition admirablement jouée :
« Monseigneur, j’implore votrepardon ! »
Le comte tressaillit violemment et se penchantvers lui, le dévorant du regard :
« Mon pardon ? dit-il. Et dequoi ?
– Monseigneur, larmoya Simon ens’écrasant sur le parquet, je vous ai trompé…
– Ah ! misérable traître !hurla le comte qui bondit en envoyant rouler derrière lui lefauteuil sur lequel il était assis, tu avoues enfin ?…
– J’ai dit, monseigneur, que je vousavais trompé. Je n’ai pas dit que je vous avais trahi. »
Alors Simon Malingre, à son tour, et enarrangeant à sa manière, mais en prenant un par un tous les faitsque la vieille Gillonne avait présentés à sa charge et en lesretournant à son profit, fit le récit complet de la manière dont ilavait livré Myrtille à Buridan.
Cette fois, le comte était parfaitementconvaincu de l’innocence de Simon. Il saisit une bourse pleine depièces d’or et la lui donna en disant :
« Tiens ! prends ceci… c’est pour tefaire oublier ma brusquerie de tout à l’heure, ajouta-t-il ensouriant… mais si tu réussis, c’est dix bourses pareilles que je tedonnerai. »
Avec une dextérité qui dénotait une grandehabitude, Simon fit prestement disparaître la bourse, non sansl’avoir préalablement soupesée, ce qui amena chez lui une grimacede satisfaction.
« Maintenant, monseigneur, je vaisrepartir tout de suite en campagne ; comme je vous l’aiexpliqué, je dois agir seul ; cependant, j’aurais besoin d’unaide ; je vous prierai de m’accorder votre femme de charge,Gillonne. »
Le comte fit appeler Gillonne.
On doit juger de sa stupeur en apercevantMalingre dans la chambre du comte et paraissant être plus en faveurque jamais.
« Dame Gillonne, je vous confie àMalingre pour quelques jours… obéissez-lui en tout ce qu’il vouscommandera comme vous m’obéiriez à moi-même et songez que, suivantvotre conduite en cette affaire, j’oublierai ou je châtierai lafaute que vous avez commise hier soir.
– Là, fit Malingre gravement, j’avaisbien dit qu’elle avait dû mécontenter monseigneur. Vous ne serezdonc jamais sérieuse, Gillonne ? Vous pouvez lui pardonner,monseigneur, car je vous réponds qu’elle obéira et marchera audoigt et à l’œil. N’est-ce pas, Gillonne ?
– Sans doute, répondit Gillonne, mondevoir est d’obéir à monseigneur… Quant à ma faute, je tâcherai dela réparer. »
Sur ces mots, Valois les congédia tous deuxaprès avoir conféré un instant à voix basse avec Malingre, ce dontGillonne se montra très inquiète.