La Reine Sanglante

Chapitre 40LES PARCHEMINS DE STRAGILDO

Nous ramènerons, à présent, le lecteur à laCourtille-aux-Roses où nous retrouvons Buridan, Lancelot Bigorne,Guillaume Bourrasque et Riquet Haudryot. On n’a peut-être pasoublié comment Bigorne était devenu, comme il disait, l’héritier deMalingre et de Gillonne, c’est-à-dire comment, en réalité, ils’était emparé du trésor de ces deux sacripants. On se souvientpeut-être aussi que Buridan, à la vue de ce trésor, avait conçu ledessein d’employer cette masse d’or à séduire Stragildo, enfermédans les caves de la Courtille ; et, qu’au grand désespoir deBigorne, il s’était élancé vers lesdites caves.

Buridan n’avait plus trouvé Stragildo.

Stragildo s’était évadé !

Remettant donc au lendemain les décisionsnouvelles qu’il y aurait à prendre, les quatre compagnonss’occupèrent aussitôt de la situation que leur créait la fuite deStragildo.

Le plus urgent était de quitter séance tenantela Courtille-aux-Roses.

Bigorne montra une masure qui se dressaitjuste en face de la Courtille-aux-Roses :

« Nous irons là, pas plus loin. Vous nesavez rien voir, rien regarder. Moi, je regarde et je vois !Et j’ai vu que ce logis n’est pas habité par âme qui vive et qu’ilfera très bien notre affaire pour le moment. »

Ils se hissèrent dans ladite grange, s’ycherchèrent chacun un coin pour dormir, et, bientôt, roulés dansleurs manteaux, se mirent à ronfler, à l’exception de Bigorne quine dormait que d’un œil et s’était installé près d’une lucarne d’oùil pourrait au besoin surveiller la route et la Courtille.

Vers le matin, Bigorne fut réveillé par unbruit étrange qui se faisait sur la route. Il allongea le nez à lalucarne, et, aux premières lueurs du jour, il vit une troupenombreuse de cavaliers qui mettaient pied à terre devant laCourtille.

Bigorne rampa sans bruit jusqu’à Buridan, leréveilla, et lui montra la lucarne vers laquelle se dirigeaaussitôt le jeune homme.

Les gens de Valois n’ayant rien trouvé dans laCourtille-aux-Roses s’en retournèrent et Stragildo conseilla aucomte de faire immédiatement fermer les portes de Paris jusqu’ausoir.

Lorsque le jour fut tout à fait venu, lorsqueBuridan fut certain que les sbires de Valois étaient bien partis,il comprit que la Courtille-aux-Roses cesserait sans aucun douted’être surveillée.

Il descendit donc de la grange et rentra dansl’ancien logis de Myrtille.

Sans faire d’observations, les compagnons deBuridan le suivirent dans la Courtille-aux-Roses, déclarantd’ailleurs que le grenier de ladite Courtille leur semblait unparadis en comparaison de la grange ouverte à tous les vents etdont le plancher menaçait de s’écrouler sous eux.

« Quelle heure peut-il être ?demanda Bigorne en remettant les pieds dans le grenier.

– L’heure de dîner, sans nul doute !répondirent d’une seule voix Guillaume et Riquet.

– Lancelot ! dit à ce moment Buridanqui semblait réfléchir à on ne savait quoi.

– Monseigneur ? dit Bigorne, ens’avançant.

– Tu vas te rendre à Montmartre, tout dece pas, tu verras à l’entrée du hameau une grosse roche qui lesurplombe, et là, tu verras sans doute, soit Myrtille, soit… mamère.

– À Montmartre ! Saint Barnabé mesoit en aide. C’est une bonne heure pour y aller, une autre heurepour revenir.

– Eh bien ?…

– Et dîner ? fit Bigorne.

– Tu dîneras tout en marchant.

– Tiens, au fait, cela peut s’arrangerainsi !

– Et nous ! protesta Guillaume, enouvrant des yeux terribles et en montrant les dents d’une doublemâchoire qui eût fait honneur à un dogue.

– Nous dînerons, sois sans crainte, fitBuridan. Tu vas donc te rendre à Montmartre, Bigorne, et tu leurdiras que tout va bien, que je suis rentré dans Paris sans encombreet que j’espère les rejoindre sous peu de jours.

– Je vais ! » répéta Bigornequi, en effet, descendit aussitôt, et, s’étant assuré que nul neguettait aux environs, s’élança dans la direction de la porte auxPeintres.

Puis ce fut au tour de Riquet de sortir ;mais lui allait simplement aux provisions, mission qu’il jugeaittrès grave et dont il s’acquitta avec l’intelligence qu’on peutsupposer.

Les trois compagnons attaquèrent doncjoyeusement les victuailles rapportées par Haudryot et se mirent àfaire des projets d’avenir qui, le bon vin aidant, leurapparaissait nuancé des plus belles couleurs de l’arc-en-ciel.

Comme ils finissaient. Bigorne rentra.

« Déjà ! s’écria Buridan. Tu as étéà Montmartre ?

– Mon digne maître, je n’ai pas été àMontmartre pour la raison bien simple que je ne suis pas sorti deParis – et je ne suis pas sorti de Paris pour cette autre raisonnon moins simple que la porte aux Peintres est fermée !

« L’ordre ne vient pas du roi !

« Mon digne capitaine, l’ordre est signéValois.

– Valois ! s’exclamèrent à la foisBuridan et les deux compères qui, cette fois, comprirent que lachose était grave.

– Charles, comte de Valois ! affirmade nouveau Bigorne. La chose est claire. Valois veut nous empêcherde sortir le jour, mais il nous invite à sortir ce soir, àla nuit close.

– Il nous invite ? glapit Riquet. Ehbien, nous n’avons qu’à refuser l’invitation ; nous sommesbien ici, je ne vois pas pourquoi nous franchirions les portes deParis à l’heure où les honnêtes gens se dirigent vers les tavernesdu Val d’Amour ou vers le tripot de maître Thibaut. »

Buridan frémissait. Sa pensée s’exaspérait àchercher les causes de cet ordre bizarre donné par Valois.

« Il nous invite, gronda-t-il, c’estévident, il nous invite à sortir… tout cela est arrangé pour nous,pour nous seuls !

– À sortir ce soir, à la nuitclose ! ponctua Bigorne.

– Mes amis, dit Buridan, nous sortironsde Paris, non pas ce soir, à la nuit close, mais en plein jour,mais tout de suite, si nous pouvons. »

Il était si pâle que Guillaume et Riquetfrissonnèrent.

« Voyons, dit Bourrasque, explique-nousta logique. Tu me damnes avec tes airs de t’affaiblir deterreur.

– Voici, dit Buridan, je ne sais quelpressentiment me mord au cœur, mais il me semble que Valois veutnous attirer sur la route de Montmartre…

– Hi han ! approuva Bigorne.

– Or, reprit Buridan, les portes de Parisseront fermées tout le jour ! C’est donc que, pendant lajournée, il ne faut pas que je puisse sortir de Paris ?… C’estdonc que… »

Un geste terrible échappa à Buridan.

« Eh bien, s’écria Guillaume, qui avaitcompris, si tu crois que ta Myrtille est menacée, courons-y àl’instant !… »

Sans plus de paroles, les quatre compagnonss’apprêtèrent, s’armèrent et marchèrent droit aux remparts sansprendre la moindre précaution pour se cacher. Buridan étaitdésespéré. Guillaume et Riquet étaient résolus. Bigorne étaitsoucieux.

Il s’agissait de trouver un moyen de franchirles remparts, de descendre dans le fossé sans se rompre les os,sans qu’ils fussent aperçus des archers qui veillaient sur laplate-forme des tours élevées de distance en distance.

Quant à passer par une des portes de Paris,c’eût été une tentative folle : il eût fallu, pour cela,maîtriser tout un poste de gens d’armes, puis manœuvrer les chaînesdu pont-levis, le tout en plein jour, c’est-à-dire que le premiercri poussé par un soldat du poste eût attiré une foule sur lesfugitifs.

« Suivez-moi », dit Bigorne, tout àcoup.

Sans observation, ils se mirent à marcherderrière lui.

Bigorne traversa rapidement Paris, s’écartantdes remparts vers lesquels ils s’étaient d’abord dirigés ;puis, ces remparts, il s’en approcha et les atteignit entre laporte de Bahaigne et la porte Saint-Honoré. Il y avait là un recoindésert où ils s’arrêtèrent.

Ils remarquèrent alors que Bigorne les avaitconduits non loin de l’un de ces escaliers disposés de distance endistance pour permettre aux archers de monter sur les murailles encas d’attaque.

Buridan se pencha par-dessus le parapet et vitqu’il n’y avait pas d’eau dans le fossé, ou plutôt que cette partiedu fossé, par suite sans doute de quelque éboulement, était à peuprès comblée, tandis que partout ailleurs un homme eût eu de l’eaujusqu’aux épaules.

Pendant ce temps, Bigorne déroulait unecorde ; il en attachait une extrémité à un gros bâton, il leplaçait en travers de l’embrasure du créneau.

Il n’y avait plus qu’à descendre.

Bigorne passa le premier, franchit le fossésur cette sorte d’isthme boueux qui s’était formé, et, s’aidant desmains et des pieds, grimpa l’autre bord du fossé.

À ce moment, des deux tours voisines, lesflèches commencèrent à pleuvoir : on venait d’apercevoir lesfugitifs.

Guillaume, puis Riquet, descendirent à leurtour. Et enfin, Buridan, s’accrochant à la corde, descendit aussi,à la force du poignet tandis qu’autour de lui volaient lesflèches.

Les quatre compagnons se retrouvèrent sur lehaut du fossé, sains et saufs ; aussitôt, ilsdétalèrent ; en quelques bonds, ils se mirent à l’abri desflèches que l’on continuait à leur envoyer.

« À Montmartre ! » fit alorsBuridan.

Ils s’élancèrent, contournèrent Paris, etbientôt se trouvèrent au pied de la montagne. Ils commencèrent àgrimper. Bigorne, à haute voix, comptait l’argent qu’il avait déjàperdu par la faute de Buridan. Riquet, entre les dents, mais defaçon à être entendu du jeune homme, grognait toutes lesmalédictions, toutes les imprécations que son fertile cerveaupouvait lui fournir. Guillaume sifflait une fanfare. Buridan nedisait rien. Il était pâle et le cœur lui battait fort.

Tout à coup, un sourire illumina son visageruisselant de sueur.

Là-haut, près de la roche, deux silhouettes sedétachaient en vigueur sur le fond du ciel… c’était Mabel, c’étaitMyrtille !…

Alors Buridan s’assit sur un tronc dechâtaignier abattu par quelque ouragan, et il se mit à rirenerveusement, tandis qu’il s’essuyait le front.

« Hi han ! fit joyeusement Bigornequi, de son côté, avait très bien reconnu les deux femmes.

– Mes enfants, dit Buridan, il estévident que nous nous sommes trompés. Toute cette histoire deportes fermées le jour et ouvertes ce soir, à la nuit, n’était paspour nous, puisque voici là-haut, saines et sauves, celles que nousvenions protéger. Nous profiterons donc du moment où on lesouvrira, ces portes, pour rentrer à Paris. Valois ne viendra pasici. Et d’ailleurs, comment eût-il appris que Myrtille et ma mèresont à Montmartre ? »

Lancelot multipliait les signes dedésapprobation.

« Explique-toi, fit Buridan assombri.

– C’est limpide, par saint Barnabé !Valois a fait fermer les portes. Donc, il a tout le temps d’agir,puisqu’il est sûr que nous ne pouvons quitter Paris. Donc, il agiradans la journée. Son coup fait, il nous ouvre les portes et noustombons dans le traquenard qu’il nous a tendu. Voilà son plan. Ensorte que, cette nuit, le fiancé couche au Temple, et lafiancée…

– Eh bien, la fiancée…

– Eh bien, elle couche aussi auTemple ! Seulement, pas dans la même chambre que lefiancé.

– Mais qui aurait pu prévenirValois ?

– Eh ! qui donc l’a prévenu que nousétions à la Courtille-aux-Roses où il nous a expédié assez d’hommesd’armes pour arrêter dix Buridan !

– Stragildo !… Comment aurait-il sului-même ?

– Qu’importe ! Maître capitaine, sivous voulez sauver cette gentille demoiselle qui est assiselà-haut, sur la roche, et sauver votre vie, à vous, je ne parle pasde la vie de Guillaume et de Riquet, ni même de la mienne, eh bienil nous faut passer la nuit à Montmartre et voir venir. Puis,demain matin, conduire les deux femmes en quelque autre retraite,et nous prendrons une décision.

– Ainsi soit-il, dit Guillaume.

– Mes amis, fit Buridan, adoptons le plande Bigorne, et montons là-haut. Mais pas un mot auxfemmes. »

Les quatre compagnons achevèrent doncl’ascension de la colline, rejoignirent Myrtille et Mabel et, aprèsles premières effusions de joie, furent conduits à la chaumière oùla jeune fille improvisa un dîner.

Le reste de la journée s’écoula sans incidentsnotables.

Seulement, Buridan mit sa mère et sa fiancéeau courant des décisions prises : il y avait nécessité de setransporter plus loin. Le hameau du Roule fut choisi pour être lanouvelle demeure des deux femmes en attendant que Buridan pût lesrejoindre pour toujours.

Ce point réglé, il y eut entre Buridan etMyrtille radieuse, et Mabel rajeunie de vingt ans, force projetsd’avenir. Seulement, Buridan évita de parler de Marigny et nerépondit qu’évasivement aux questions que lui posa la jeunefille.

Pendant ce temps, Bigorne, Guillaume et Riquetorganisaient le départ du lendemain.

Le soir vint.

Mabel et Myrtille s’enfermèrent dans leurchaumière.

Les quatre compagnons s’installèrent dans unemauvaise cassine qu’un paysan mit à leur disposition moyennant unécu que lui octroya généreusement Buridan.

Il fut entendu que chacun, à tour de rôle,monterait la faction aux abords de la roche ; on tira au sortl’ordre dans lequel cette faction devait être montée : le sortdésigna Bigorne pour veiller jusqu’à dix heures du soir.

Buridan en sa qualité d’amoureux se tournaitet se retournait sur sa botte de paille sans parvenir à fermer lesyeux.

Au-dehors, le silence était profond.

Ces vagues rumeurs, que les vents du soirsoulèvent parmi les arbres d’une forêt, ne faisaient qu’accentuerle silence et berçaient les rêveries du jeune homme, en même tempsqu’elles accompagnaient en sourdine l’harmonieux ronflement deGuillaume et de Riquet.

Cela durait depuis quelque temps, lorsque laporte de la cassine s’ouvrit brusquement : une ombre parut etBigorne prononça tranquillement :

« Les voilà qui montent !

– Alerte ! » fit Buridan, quisecoua les deux dormeurs.

En un clin d’œil, tous furent dehors.

« Venir nous interrompre au plus beaumoment de notre somme, grogna Guillaume. Les sacripants me lepaieront cher.

– Oui, fit Riquet, insouciant, il s’agitde les envoyer dormir, à leur tour, du bon sommeil qui duretoujours, c’est même de la clémence de notre part, car… »

Riquet n’eut pas le temps de développer sadémonstration. Un hurlement de douleur venait d’éclater dans lanuit : dans la même seconde, des ombres s’agitèrent, des criséclatèrent, Riquet et Buridan étaient aux prises avec ceux quimontaient…

« Arrière, truands ! » vociférala voix de Valois.

En même temps, Valois faisait cabrer soncheval. Buridan recula, en effet, la sueur de l’angoisse au front.Mais il se retournait contre un autre cavalier…

Il y eut dans les ténèbres une mêlée terriblede chevaux et d’hommes, les poignards jetèrent de brusques éclairs,puis tout s’apaisa brusquement.

Cela avait duré une dizaine de minutes.

On put voir alors une ombre qui descendait àtoute vitesse les rampes de la montagne et s’évanouissait au fondde la nuit, tandis qu’un sanglot de rage et une imprécation dedouleur montaient jusqu’à Buridan.

Cette ombre, c’était Valois qui fuyait.

Valois avait tout à coup senti son chevalfléchir sous lui ; le cheval avait reçu un coup de dague dansle poitrail et tombait. Le comte se dégagea, l’épée au poing,livide, tremblant de fureur, et il se vit entouré de quatre hommes.Il était seul ! Ses compagnons avaient fui ou étaientmorts !…

Guillaume leva sa dague sur Valois qui, sevoyant perdu, ne fit pas un geste pour défendre sa vie. Une mainviolente arrêta le bras de Guillaume et une voix gronda :

« Fuyez, monsieur, fuyez !… c’esttout ce que votre fils peut faire pour vous !… »

Valois reconnut la voix de Buridan !… Et,alors, avec une malédiction, il se jeta en arrière et se mit àfuir…

Buridan et les siens se comptèrentalors ; aucun ne manquait à l’appel ; seulement GuillaumeBourrasque avait à l’épaule une forte estafilade, il saignait commeun bœuf et s’épongeait en grognant ; Buridan avait reçu uncoup de dague dans le bras gauche ; quant à Riquet, assis surune grosse pierre, il demeurait à demi stupide et tout étourdi d’uncoup de masse qu’il avait reçu sur le crâne. Et comme Guillaumes’approchait de lui, il vit que Riquet avait ses deux pieds poséstranquillement sur un homme d’armes qui portait dans le flanc,au-dessous de la cuirasse, une dague enfoncée jusqu’à la garde.

« C’est lui qui a voulum’assommer », expliqua Riquet.

Quant à Bigorne, il s’occupait à ficeler unhomme qui était sans doute évanoui, car il ne bougeait pas…

Buridan, sombre, la face ravagée, regardait auloin, dans la direction par où Valois avait disparu. Un soupirgonfla la poitrine du jeune homme ; il murmura :

« Je mourrai peut-être, mais je ne seraipoint parricide ! »

Chassant d’un effort ces funèbres pensées, ilse retourna vers ses compagnons : il vit alors Guillaume qui,ayant bandé son épaule tant bien que mal, s’occupait à rassemblerquatre chevaux dont les cavaliers gisaient à terre. Trois autresavaient fui, en y comprenant Valois.

« Là, mon brave, disait Lancelot Bigorne,de cette façon, tu ne remueras plus. Bonne prise, seigneurBuridan ! »

Buridan se pencha sur l’homme que Lancelotvenait de garrotter et, à la faible lueur des étoiles, il lereconnut.

« Stragildo ! gronda-t-il, d’unevoix qui eût fait frissonner le gardien des fauves si celui-ciavait pu entendre.

– En personne ! dit Bigorne.

– Est-il donc mort ?…

– Mort ? Non. Du moins je l’espère,par saint Barnabé !

Buridan examinait Stragildo avec une sorted’inquiétude.

– Il vit, dit-il. Bon. Tout vabien ! »

« Hum ! songea Bigorne, il me paraîtque maître Buridan réserve à notre ami Stragildo quelque agréablesurprise !… Je ne voudrais pas être dans sa peau. »

« Que comptez-vous en faire ?ajouta-t-il à haute voix.

– Je t’ai dit que j’avais une idée, quandje suis descendu dans les caves de la Courtille-aux-Roses et que jeme suis aperçu que cet homme avait fui.

– Une idée ? À quelsujet ?…

– Au sujet de Philippe et Gautier. Ehbien, cette idée, nous allons tâcher de la réaliser.

– Expliquez-la-moi, fit Bigorneinquiet.

– Plus tard. Il faut songer que Valois varassembler tout ce qu’il a de cavaliers disponibles et que, dansune heure, nous aurons une armée sur les bras. Enroute ! »

Aidé de Guillaume et de Riquet, Bigornesouleva Stragildo et le jeta comme un sac en travers de l’un deschevaux capturés. Puis, Buridan en tête, Bigorne tirant le chevalde Stragildo, Guillaume conduisant les trois autres par les brides,Riquet tout geignant fermant la marche, ils remontèrent. Buridanpénétra dans la chaumière.

Mabel et Myrtille, prêtes à tout événement, nes’étaient pas couchées.

« Nous partons, dit le jeune homme.

« Nous voici », répondirent les deuxfemmes.

Les quatre chevaux capturés et amenés parGuillaume furent ainsi distribués : un pour Mabel, un pourMyrtille, un pour la fortune de Mabel ; le quatrième portaitStragildo.

Devant deux ou trois paysans qui levaient lesbras au ciel, la troupe se mit en marche et s’éloigna en bon ordrevers Montfaucon, c’est-à-dire vers le point opposé à celui où ellevoulait se rendre.

Arrivés au pied de la montagne, les fugitifsla contournèrent par-derrière, c’est-à-dire à peu près par cetteligne que suit la rue Caulaincourt.

Il n’y avait pas une heure qu’ils s’étaientéloignés, que selon les prévisions de Buridan, deux centscavaliers, conduits par Valois en personne, arrivèrent au hameau deMontmartre, réveillant les habitants et les menaçant de mort s’ilsne révélaient la route qu’avait prise Buridan.

Tout naturellement, les paysans désignèrentMontfaucon et Valois se lança dans cette direction. Au matin ilrentra au Temple, n’ayant rien trouvé, bien entendu, persuadé quela bande avait dû chercher un refuge dans Paris même.

Buridan et ses compagnons étaient arrivés auhameau du Roule ; pourvu d’une auberge qui, toute misérablequ’elle était, suffit pourtant à hospitaliser les fugitifs. Unefois Mabel et Myrtille installées, Buridan se rendit dans lachambre où Stragildo avait été déposé.

Stragildo était revenu à lui.

Bigorne se mit à fouiller le prisonnier. Sousla jaquette, dans une poche de cuir cousue à l’intérieur duvêtement, il trouva deux papiers qu’il déplia.

Stragildo écumait de rage.

« Oh ! oh ! s’écria Bigorne, lesceau royal ! Voyez donc, seigneur capitaine. »

Buridan saisit avidement les deux parchemins,s’approcha de la torche qui éclairait cette scène, et le lut d’unregard.

Ces parchemins ne portaient pas de date.

Mais ils étaient ornés de la signature deLouis et du sceau royal.

Le premier était ainsi libellé :

« Mandons et ordonnons par les présentesà nos prévôts, chevaliers du guet et archers ou sergents de semettre au service du porteur des présentes, et ce, sur saréquisition, et de lui obéir exactement en ce qu’il leurordonnera. »

Le deuxième était ainsi libellé :

« Mandons et ordonnons à tout chef deposte de l’une quelconque des portes de Paris d’avoir à laisserpasser à toute heure, à tout guichetier ou gouverneur de l’unequelconque de nos forteresses et prisons d’avoir à laisser entrer àtoute heure le porteur des présentes. »

Buridan avait tressailli de joie en lisant cesdeux parchemins. Ce qu’il pouvait en faire, il l’ignorait encore,mais à coup sûr, avec ces deux armes redoutables, il lui étaitpermis d’espérer bien des choses. Il les plia donc et les cachasous son buffle.

Stragildo gardait une indifférencefarouche.

Buridan lui posa la main sur l’épaule.

« Écoute bien ceci : si tu eschrétien, tâche de te réconcilier avec Dieu ; si tu as jamaissu quelque prière, tâche de te la rappeler. Car je suis décidé à tetuer. Oh ! tu as le temps, ce n’est ici ni le lieu ni l’heurede ton exécution…

– Ouf ! murmura Riquet.

– Pourquoi pas tout de suite ? ditBigorne.

– Parce que j’ai une idée… je te l’aidit. »

Bigorne eut un geste qui signifiait clairementqu’il se méfiait des idées de Buridan. Stragildo, de son côté, ens’entendant dire qu’il ne mourrait pas tout de suite, eut unsourire qui en disait long sur ses intentions.

Buridan ne fit attention ni au geste deBigorne, ni au sourire de Stragildo. Il sortit de la pièce occupéepar le sacripant et s’occupa de la nouvelle installation de Mabelet de Myrtille ; il eut avec elles un entretien où ilsconvinrent de leurs faits et gestes.

Au point du jour, les quatre compagnonsreprirent le chemin de Paris, Stragildo marchait au milieu d’eux.Il était solidement bâillonné. Ses mains étaient attachées. Pourqu’on ne vit pas que l’ex-gardien des fauves était bâillonné etgarrotté, Buridan lui jeta sur le dos son ample manteau et ramenale capuchon jusque sur le visage.

On franchit sans encombre la porteSaint-Honoré dont les deux tours se teintaient de rose au ciellevant. On traversa Paris et on arriva enfin à laCourtille-aux-Roses où Buridan avait résolu qu’on s’installerait denouveau.

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