La Reine Sanglante

Chapitre 29C’ÉTAIT ÉCRIT

Nous revenons dans le grenier de laCourtille-aux-Roses.

La nuit était venue ; l’ombre et lesilence y régnaient souverainement au moment où nous prions lelecteur d’y pénétrer avec nous.

Ce grenier n’était point inhabité,cependant.

Trois êtres, trois fantômes, mornes etlugubres, l’occupaient en ce moment et gisaient, çà et là, en desposes variées, mais qui dénotaient un accablement intense et undétachement des choses d’ici-bas d’une profondeur insondable.

Ces trois fantômes étaient : LancelotBigorne, Guillaume Bourrasque et Riquet Haudryot, lesquelsparaissaient plongés dans des réflexions profondes, il est vrai,mais dénuées de toute gaieté, à en juger par les soupirslamentables et les grognements larmoyants qui s’échappaient detemps en temps de l’une ou l’autre poitrine des trois tristescompères.

« Lancelot, dit Bourrasque, quicommençait à connaître son compagnon, Lancelot, tu as une idée.

– Des idées, on en a toujours.

– Oui, mais j’entends une bonne idée.

– Ma foi, compère, je n’en sais encorerien. Mais ce que je sais, par exemple, c’est que j’ai faim…

– Et soif, ajouta Guillaume.

– Faim et soif, parfaitement, et que cen’est pas en restant ici à gémir que je trouverai quelque chose ànous mettre sous la dent. En conséquence, je vais sortir à montour, ne serait-ce que pour voir si je serai plus heureux que monmaître Buridan.

– Bien déduit ! fit Riquet. CeLancelot aurait pu faire un logicien d’assez bonne force. Qu’endis-tu, compère Guillaume ?

– Par les poils de la sainte barbe duChrist, je dis comme toi, compère Riquet. Mais il ne faudraitcependant pas oublier que nos têtes sont mises à prix.

– C’est vrai… Insigne honneur… dont nousnous serions bien passés.

– Cornes du diable ! messireBuridan, mon maître, s’est bien exposé en plein jour ; je puisbien, moi, Lancelot, son écuyer, me risquer la nuit !

– C’est juste !… car ainsi, tu nemanqueras en rien à la déférence qu’un bon serviteur doit à sonmaître. Va donc, Lancelot.

– Mais surtout, sois prudent !

– Fiez-vous à moi. Mais, vous autres, nebougez pas d’ici, ne dormez que d’un œil et tenez-vous prêts aupremier appel.

– Va, Lancelot, va ! et sois sansinquiétude, nous veillerons. »

Sur ces mots, Lancelot Bigorne se glissadoucement et à tâtons dans l’escalier, certain qu’il était que sesdeux compagnons resteraient, comme ils l’avaient promis, l’œil etl’oreille aux aguets.

À vrai dire, Lancelot Bigorne n’avait aucunplan d’arrêté ; il allait tout simplement à l’aventure, sefiant à son instinct et à sa bonne étoile.

Il parvint au rez-de-chaussée et s’apprêtait àsortir lorsqu’il lui sembla voir une lueur du côté de la fenêtredonnant sur le jardin.

« Ouais ! se dit Lancelot, serait-ceun éclair ? Pourtant nous ne sommes point en saison où lesorages sont communs. Serait-ce la faiblesse qui me donne deshallucinations ?… Mais non !… Par saint Barnabé, voici lamême lueur ! Oh ! oh ! voyons qu’estceci ! »

Sur ce monologue, au lieu de se diriger versla porte qu’il s’apprêtait à franchir, il s’approcha de la fenêtreet se mit à observer le jardin. Or, voici ce qu’il vit :

Dans le jardin, avec d’infinies précautions,une ombre allait et venait.

Cette ombre paraissait se livrer à ce jeu bienconnu qu’on appelle colin-maillard, car elle marchait à tâtons, lesbras étendu en avant.

Seulement, la main placée au bout d’un de cesbras tenait une lanterne. Cette lanterne était recouverte d’unmanteau et l’autre main soulevait, de temps en temps, un coin de cemanteau et éclairait ainsi, par intermittences, la route àsuivre.

C’était en découvrant ainsi sa lanterne quecette ombre avait produit des lueurs qui trahirent sa présence auxyeux exercés et sans cesse en arrêt de Lancelot Bigorne.

Cependant, un jet de lumière, mal dirigé sansdoute, vint éclairer l’ombre mystérieuse en plein visage et uneexclamation faillit s’échapper des lèvres de Bigorne :

« Simon !… Simon Malingre !…Tête et tripes ! que vient faire ici ce fruit depotence ? »

Cependant Simon Malingre avait déposé à terresa lanterne et, accroupi dans un coin du jardin, au pied d’unarbre, il creusait le sol avec une courte dague dont il paraissaits’être muni à cette intention et qu’il maniait avec une assuranceet une agilité qui dénotait une certaine habitude.

Il s’était agenouillé et retirait avec sesmains la terre qu’il déposait méthodiquement au bord du trou, quidevenait plus profond.

Enfin ses doigts rencontrèrent un corps dur,un coffre, sans doute ce qu’il cherchait, car il eut un de cesminces et pâles sourires qui le rendaient plus hideux, et tandisque sa poitrine se soulevait en un vaste soupir de soulagement, ilmurmura sur un ton de jubilation profonde :

« Il est là ! »

Et soudain, ne pouvant plus maîtriserl’angoisse terrible qui l’étreignait, il s’écroula sur le coffretqu’il ouvrit avec une précipitation rageuse.

Alors, certain que son trésor était aucomplet, et à l’abri de toute visite indiscrète, il ferma le coffrejoyeusement et remit proprement, méthodiquement, la terre dans sontrou jusqu’à ce que le trou fût comblé : puis il piétinasoigneusement la terre à cet endroit, et tranquille désormais, maisnon sans force soupirs de regret, il s’éloigna.

Lancelot Bigorne le vit partir sans faire ungeste ; il se contenta de murmurer ironiquement :

« Tu peux partir, ça m’est égal, je saisbien où te trouver à présent ! »

Puis il attendit un bon moment pour être biensûr que Simon ne reviendrait pas sur ses pas, et, quand il jugeaavoir suffisamment attendu, il sortit de sa cachette et se dirigeatranquillement vers l’endroit que venait de quitter Simon et nonmoins tranquillement, à son tour, il se mit à creuser la terre, cequi fut vite fait, Simon lui ayant facilité la besogne.

Lorsqu’il eut déterré le coffre, Lancelot lemit sous son bras, non sans une grimace de satisfaction, etréintégra l’intérieur de la maison en disant :

« Décidément, c’était écrit ! Jesuis né pour trouver des trésors !… »

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