Le Bataillon de la Croix-Rousse

Plan de défense des jacobins

Lorsque Saint-Giles arriva au comité, celui-ciétait en séance.

Châlier fulminait à la tribune devant lesreprésentants que les Girondins avaient reçus avecenthousiasme.

Il dénonçait.

Qui ?

Les royalistes !

Non ! C’était fait depuis longtemps.

Mais avec le sombre génie et l’étroitessed’idées des fanatiques, il fulminait un réquisitoire contre leshommes de son parti qu’il n’aimait point.

C’est la manie des hommes de cette trempe devoir la trahison partout et de semer le soupçon.

Un dissentiment, une critique, un jour detiédeur, une observation ou un silence, tout était interprété etnoté.

Et il lisait ses notes d’une voix aigre,attribuant les insuccès précédents à d’autres, tandis que seul ilen était responsable.

Mais la blessure la plus récente qu’il eûtreçue, était la double désobéissance à ses ordres commise parSaint-Giles.

Il croyait qu’avec l’aide des représentants etde leurs troupes, il tenait la victoire et il menaçait déjà ceux deses propres partisans qui lui déplaisaient.

– Nous mettrons, s’écria-t-il, le ferrouge à nos propres plaies ; nous ferons une épuration dansnos rangs, sanglante s’il faut.

Et il lança cet anathème contreSaint-Giles :

– J’ai à signaler, dit-il, la plusdouloureuse désertion.

L’un de nous, Saint-Giles, a terni la gloirede son passé.

Hier, malgré mes prières et mes supplications,il allait dans un lieu infâme se livrer à la débauche.

Aujourd’hui, il a osé offrir son bras souillépar le contact des courtisanes à la pupille du peuple deLyon : il la promenait dans la ville comme une conquête et lacompromettait.

Ce soir, il n’est pas au rendez-vous.

Une voix puissante cria :

– Tu mens !

Et Saint-Giles fendit la foule, monta à latribune et en chassa Châlier.

Les uns murmurèrent.

D’autres semblaient approuver.

Les représentants du peuple attendaient muetsle dénouement de cette scène violente.

Saint-Giles secoua sa tête léonine, rejeta enarrière sa splendide chevelure crinière fauve et s’écria :

– Un fou m’accuse ! C’est l’hommeinsensé qui n’a jamais su mesurer ses forces, combiner un plan,assurer la victoire. C’est un étourdi qui est arrivé avec un canonsans gargousses devant la maison Leroyer. C’est l’orgueilleux qui,ayant subi le plus épouvantable des affronts, ne l’a pas lavé dansson sang, se croyant indispensable quand il n’est que gênant pourle parti qu’il a toujours perdu. Cet homme vomit l’insulte surmoi.

« Voici ma réponse :

– Hier, j’ai réglé mes affaires de cœuret j’ai dit adieu à la vie de garçon. J’ai vingt-deux ans et jeréclame le droit de la jeunesse aux folles amours. Aujourd’hui,prêt à partir pour l’armée, je me suis fiancé à la pupille dupeuple ; mais s’il en est un plus digne qu’elle agrée, jem’incline devant sa volonté. Ce soir, je prends place dans lesrangs. Demain, je combats.

« Mais avant de marcher à l’ennemi, jeproteste contre tous les tyrans et, parmi ceux-là, je mets Châlierqui n’a jamais cessé de commander en maître à ceux qui vont mourirpour la liberté.

« Il n’a jamais pu courber mon front. Delà sa haine. Je la brave ! Que peut craindre l’homme qui serademain au premier rang de vos soldats.

Il se tût.

Châlier était écrasé.

Il avait froissé, fatigué, ulcéré bien descœurs.

Saint-Giles était aimé, adoré.

Il y eut une explosion de sympathie pour luiet ce fut une leçon cruelle pour Châlier.

Décidément, sa popularité s’envolait ;son noir génie lui aliénait les cœurs, il le sentit.

Peut-être est-ce pour cela qu’il ne voulutpoint fuir la mort après la terrible journée du 20 mai.

Les représentants, comprenant que Saint-Gilesétait la force du moment, l’homme d’action, lui donnèrent lecommandement des forces insurrectionnelles.

Nouveau soufflet à Châlier.

Saint-Giles monta à la tribune et dit avec lasimplicité d’un Spartiate :

– Je vais occuper l’Hôtel-de-Ville et,tant que je serai debout, l’ennemi n’y entrera pas.

Il étendit la main et le jura.

Châlier, incapable de supporter la vue del’enthousiasme qui accueillit ce serment, sortit de la salle, levisage convulsé.

Saint-Giles aussitôt convoqua les chefs degroupes et il exposa devant les représentants son plan dedéfense.

On l’approuva.

Une heure après, il occupait l’Hôtel-de-Villeavec les troupes de ligne et les Carmagnoles.

Il ne quitta plus ce poste jusqu’au moment ducombat.

L’abbé Roubiès était de ces hommes qui neremettent jamais au lendemain ce qu’ils peuvent faire le jourmême.

Or, pour lui, vaincre, c’était urgent, maisprofiter de la victoire, c’était plus urgent encore.

Car, à quoi bon être vainqueur pour ne pas enprofiter ?

Il était de ces hommes forts qui n’ont pas laniaiserie de travailler pour l’honneur seul : il lui fallaitle profit.

Au besoin, il se serait passé desapplaudissements de la galerie qu’il n’estimait que comme moyend’influence.

Il avait parfaitement compris que la baronnetiendrait toutes ses promesses car, une fois cardinal, il pouvaitlui être très utile à son tour.

Une femme aussi intelligente savait très bienqu’un cardinal dispose de trop d’influence pour ne point pouvoirdistribuer mille petites faveurs et quelques gros bénéficesecclésiastiques. Avec cela, on récompense des dévouements.

Elle lui avait donné à comprendre que sauverSaint-Giles pendant la bataille, la regardait.

L’incarcérer « agréablement »ensuite, cela lui coûterait une signature.

Donc, le salut de Saint-Giles ne le préoccupapoint.

Mais sœur Adrienne, oh ! sœur Adrienne,celle-là lui tenait à cœur.

Il avait eu comme une idée de l’enterrer vivedans un in-pace de Fourvière.

Mais livrer cette fille à dom Saluste, unsinge humain qui l’enlèverait à Saint-Giles, un demi-dieu, luiparut un raffinement de cruauté.

Il avait deviné le moine espagnol et il lejugeait capable de bien remplir ses vues.

Il le manda.

Dom Saluste, sans nouvelles d’Adrienne, eutcomme un vague pressentiment que l’abbé allait lui parlerd’elle.

Il accourut.

– Je vous ai prié de venir, mon cher domSaluste, dit d’un air aimable l’abbé Roubiès, pour vous parler desœur Adrienne.

L’Espagnol tressaillit.

– Cette malheureuse fille, continual’abbé, est un scandale vivant pour l’Église il faudrait empêcherce mariage avec Saint-Giles. Est-ce votre avis ?

– Je donnerais mon sang pour que cettevierge ne fût point la femme d’un pareil sans-culotte, dit domSaluste.

– Mon cher dom Saluste, dit-il, je croisque, nous vainqueurs, vous pourriez gagner la Savoie en une seulenuit avec de bons chevaux.

– Vous… me… renvoyez…

– Pas seul ! je vous prieraisd’emmener sœur Adrienne. De la Savoie vous gagnerez facilementl’Espagne.

– Avec elle ?

– Avec elle, sans doute. Vous joueriez lerôle de sauveur jusqu’au premier couvent espagnol. Et là…

– Là ? demanda dom Saluste.

– Mais il me semble que là votre devoirest tout tracé. Vous ferez rentrer de gré ou de force la brebisdans le sein de l’Église.

– Vous avez parlé d’un rôle de sauveur.Comment l’entendez-vous ?

– C’est bien simple. On jette cettepetite fille coupable dans un in-pace. Vous allez la confesser etla convertir. Elle vous explique comment elle est devenuerépublicaine. Vous paraissez frappé de ses sentiments, et vousdevenez un adepte ardent de la Révolution. Mentir en cetteoccurrence n’est pas pécher.

– Vous lui proposez le salut, et vous…l’enlevez.

– Mais comment traverser laFrance ?

– Vous aurez des passeports comme attachéà l’ambassade des États-unis d’Amérique, pays ami ; on nevisitera même pas votre carrosse.

Et, au fond d’un compartiment secret de cecarrosse admirablement construit, vous emmènerez votre infante.

– Mon infante ?

– Eh oui votre infante.

Puis, d’un air singulier :

– Est-ce que vous oubliez l’escalade dece balcon où vous vous êtes montré si hardi galant : il mesemble que vous devriez vous en souvenir. Une fiancéerévolutionnaire. Cela ne vous inspire donc pas… Si vous ne larendez pas à l’Église, du moins, qu’elle ne soit pas à ceSaint-Giles.

Et saluant dom Saluste étourdi, il luidit :

– Au revoir ! je vous ferai prévenirquand tout sera prêt.

L’Espagnol s’en alla stupéfait de cetteétonnante conversation avec un prêtre français qu’il avait eu lanaïveté de croire austère.

La lutte commençait donc sérieusement ets’engageait à fond.

Les forces étaient disproportionnées.

D’un côté, d’après le témoignage de Lamartine,vingt mille gardes nationaux.

« Les sectionnaires, dit-il, rassemblésau nombre de plus de vingt mille sur la place Bellecour choisissentpour commandant un apprêteur de drap nommé Madinier, homme au cœurde feu et au bras de fer. Madinier enlève l’arsenal et marche àl’Hôtel-de-Ville. »

Et ces vingt mille hommes avaient huit piècesde canon.

Les Jacobins disposaient de quatre millehommes à peine, tant de troupes de ligne que de Carmagnoles.

Cette faiblesse est constatée par Louis Blancet elle est la condamnation de Châlier comme organisateur.

La municipalité, dit-il, disposait de forcesmoins considérables, auxquelles du reste avait été donné l’ordreformel de se borner à la défensive, ce qui fut exécuté, ainsi quele prouve le lieu de l’engagement.

Parmi les défenseurs de l’Hôtel-de-Ville de laplace des Terreaux, les Jacobins comptaient beaucoup sur un corpssuperbe comme force physique, comme belle apparence et commearmement.

C’était une troupe de trois cents Auvergnats,charbonniers pour la plupart, mains et figures noires de charbon,commandés par un certain capitaine Pierre.

Ces volontaires s’offrirent à Saint-Gilescomme ses gardes du corps « pour les grands coups decollier » ; il les accepta.

La défense s’improvisa rapidement.

Sur les conseils des officiers de la trouperégulière, Saint-Giles avait organisé ses batteries de façon àfoudroyer les colonnes insurgées : il se tint prêt à chargercelle des quais du Rhône avec les Carmagnoles de Monte-à-Rebours etles Auvergnats volontaires dont la mine résolue lui donnaitconfiance.

Gauthier, le second représentant, devaittomber avec la troupe de ligne sur la colonne des quais de laSaône.

Le canon décida partout d’un premier et grandsuccès des Jacobins.

L’échec des royalistes fut complet au début,surtout pour la colonne du Rhône.

« Du côté du Rhône, dit Louis Blanc,l’attaque ne réussit point : là, les assaillants furentrepoussés et perdirent leurs canons. »

Lamartine, plus complet explique le rôle jouépar l’artillerie des Jacobins.

« La tête de la colonne du quai du Rhône,dit-il, est foudroyée, en approchant, par une batterie placée surla culée du pont Morand, et qui balaye le quai dans sa longueur.Des centaines de sectionnaires expirent. Dans le nombre, quelquesofficiers royalistes et plusieurs fils des principales familles dela noblesse et du commerce de Lyon ».

Voyant plier les royalistes, Saint-Giles jugeale moment venu de charger : à la tête des Carmagnoles et desAuvergnats, il tomba sur les gardes nationaux si rudement qu’il lesmit en déroute.

– Aux canons ! cria-t-il àMonte-à-Rebours, montrant l’artillerie royaliste que l’ennemicherchait à entraîner.

Et Monte-à-Rebours s’empara très brillammentdes pièces, pendant que la Ficelle, officier très avisé, tournaitles royalistes et coupait la retraite à leur artillerie.

Saint-Giles se laissa entraîner à unepoursuite imprudente par les Auvergnats qui continuaient às’enfoncer dans les rues à la chasse de l’ennemi, enlevant par leurélan Saint-Giles avec eux.

Celui-ci, se voyant bientôt loin del’Hôtel-de-Ville et près de la place Bellecour, quartier généraldes insurgés, jugea cette poursuite menée trop loin.

– Halte ! cria-t-il.

Mais le capitaine Pierre cria d’une voix detonnerre à ses hommes et en auvergnat :

– En avant, les enfants ! Et s’ilrecule, emportez-le !

Saint-Giles étonné, commençait à soupçonner latrahison, qui se confirma bientôt.

À l’entrée des rues, les Auvergnats criaientaux gardes :

– Ne tirez pas !

Et des officiers royalistes faisaient livrerpassage aux Auvergnats.

Saint-Giles, le sabre levé, courut sur lecapitaine Pierre.

– Canaille ! lui dit-il, tu m’astrahi !

Mais vingt hommes se jetèrent sur lui et legarrottèrent.

Il était prisonnier.

Pendant que ces faits se passaient du côté duRhône, la colonne de la Saône était, elle aussi, arrêtée net par lecanon.

Cet insuccès, Lamartine en convient, futcomplet et aboutit à une retraite.

La colonne du quai de la Saône, dit-il, estégalement mitraillée au débouché sur la place des Terreaux. Elle sereplie et vient prendre une position plus abritée sur la place desCarmes, en face de l’Hôtel de Ville, mais à demi couverte par uneaile d’édifice.

De là, cette colonne tire à boulets surl’Hôtel de Ville.

C’est ici que se place encore une dernière etsuprême trahison des royalistes.

Ils avaient pris Nioche, ils avaient prisSaint-Giles, ils avaient pris Sautemouche il leur fallait Gauthier,le second représentant.

C’était le dernier chef influent, le dernierhomme capable de commander.

L’abbé Roubiès profita des deux insuccès qu’ilvenait d’essuyer pour donner de la confiance à Gauthier etl’attirer, lui aussi, dans un guet-apens. De la défaite, il faisaitsortir la victoire.

Voici le récit que fait. Louis Blanc de cetépisode décisif :

« Rien n’était décidé encore, dit-il,lorsque, des postes avancés des royalistes arrivent despropositions d’accommodement. Gauthier s’avance sur la place ets’abouche avec les parlementaires.

« Malheureusement, on annonce auxassaillants qu’un renfort leur vient des campagnes circonvoisines.À cette nouvelle, un cri farouche retentit ; les pourparlerssont rompus, des forcenés s’élancent sur Gauthier qu’ils veulentmettre en pièces, et que, par un reste de pudeur, lesparlementaires protègent contre ce lâche comportement ».

La défense fut décapitée par la prise deGauthier.

Un homme aurait dû prendre en main ladirection des forces jacobines.

C’était Châlier.

Mais Châlier, par instants, était un petitesprit, une vanité blessée, un cœur plein de rancune.

Au lieu d’être à sa place de bataille, ilétait allé à son poste de chaque jour.

Furieux de n’avoir point de commandement, ilboudait.

Il ne voulut point obéir et se battre. LouisBlanc le constate dans un mot de blâme.

Châlier est son héros de prédilection et il nesait pas condamner ses fautes.

Il semble le louer d’avoir failli à la luttepar lui engagée ; il dit :

« Châlier, toujours très zélé dansl’accomplissement de ses devoirs, s’était rendu, à huit heures dumatin, le 20 mai à son tribunal, qu’il n’avait quitté que vers lemilieu de la journée et il était rentré chez lui, accompagné de laPie, sa gouvernante, et de Louis Bemascon, son meilleurami. »

Ainsi Châlier ne prit point part à lalutte.

Châlier laissa dévier le mouvement qu’il avaitcréé.

Châlier, sachant les défenseurs del’Hôtel-de-Ville sans chefs, Saint-Giles et les deux représentantsprisonniers, n’alla point, lui libre de sa personne, leur donner unnouveau chef, une direction, un appui moral.

Et cependant les officiers réguliers etirréguliers, les soldats et les Carmagnoles firent leur devoirjusqu’au moment où une lâcheté de Gauthier leur fit tomber lesarmes des mains.

Oui, les Jacobins, mitraillés après la prisedu représentant Gauthier, le dernier homme capable d’imprimer unedirection à la défense, firent une belle résistance jusqu’à cinqheures du matin.

Ils prolongèrent le combat plus longtempsqu’on aurait pu l’attendre d’hommes laissés à eux-mêmes.

« Les défenseurs de la Commune, dit LouisBlanc, s’étant repliés, l’Hôtel-de-Ville, attaqué à coups de canon,ne pouvait tenir longtemps : à cinq heures du matin, lesassaillants y entrèrent. »

Ainsi, du milieu du jour à l’aube nouvelle,les Jacobins se battirent.

Ils auraient lassé les royalistes et triomphés’ils avaient eu des chefs.

Mais une défaillance de Gauthier leur fittomber les armes des mains.

« Le représentant Gauthier, ditLamartine, se présente aux sectionnaires pour parlementer. On leretient en otage comme son collègue, il signe, sous la terreur dessections, la suspension de la municipalité. »

Honte sur cette lâcheté !

Dès que la victoire fut assurée, la baronnefit appeler ce sacristain qui l’avait si lâchement abandonnéependant l’affaire du quai de l’Archevêché.

Il n’était point brave, mais il avait d’autresqualités.

Il arriva tout tremblant, conduit parMme Adolphe qui le gourmandait et accompagné dedeux Auvergnats qui le soutenaient.

Il était minuit et l’on se battait encore, lescanons tiraient des deux côtés et la fusillade pétillait auxfenêtres.

Le sacristain avait entendu siffler desballes, ô terreur ! il avait senti le vent d’un boulet,horreur !

Quand les deux Auvergnats le lâchèrent devantla baronne, il s’affaissa comme un chiffon gelé qui sent lachaleur.

Plus d’homme.

Il se fondait.

– Madame Adolphe, dit la baronne, envoyant son sacristain en cet état, fustigez moi ça.

L’Auvergnate empoigna le sacristain, le secouadurement et lui administra une si belle volée de claques au bas desreins qu’il en résulta pour ce couard une poussée de sang à lafigure.

Il reprit ses forces en sentant la douleur ets’écria :

– Assez ! Assez ! madame labaronne, cette femme me tue : c’est un démon Assez ! Jeferai tout ce qu’on voudra.

– Maître Ravajot, dit la baronne ausacristain, vous avez reçu les instructions de l’abbé Roubièsconcernant sœur Adrienne, n’est-ce pas ?

– Oui !… Oui ! Madame labaronne, dit Ravajot en se tenant les deux fesses à pleines mains.Oui !… Je !… Je dois arrêter sœur Adrienne ! et… jedois la conduire à Fourvière dans… dans le souterrain.

– Dans l’in-pace ! c’est biencela ! Vous allez donc monter à la Croix-Rousse avec lacompagnie du capitaine Pierre et vous arrêterez cette Jeunefille.

– Mais si… si… le… peuple…

– Le peuple armé, le peuple qui se batest autour de l’Hôtel-de-Ville. Il ne reste à la Croix-Rousse queles femmes, les enfants et les lâches. Avec trois cents baïonnettesvous serez maître du quartier où il ne reste pas un fusil.

Ravajot tremblait et hésitait ; mais labaronne avisa.

– Madame Adolphe, dit-elle, vousaccompagnerez et surveillerez maître Ravajot. S’il bronche,redressez-le, s’il hésite, poussez-le. Enfin, Madame Adolphe, jecompte sur vous. Recommandez au capitaine Pierre de s’emparerbrusquement de sœur Adrienne, de la jeter dans la voiture mise à sadisposition, de faire monter maître Ravajot près du cocher etd’escorter cette voiture jusqu’à Fourvière. Le capitaine et sacompagnie monteront la garde dans l’église jusqu’à ce que je lesfasse relever.

– Bien, dit Mme Adolpheen allongeant sa main velue vers le sacristain.

La baronne recommanda encore :

– Vous monterez dans la voiture près desœur Adrienne. Je vous défends de la brutaliser, mais vous pouvezla menacer un peu, lui faire peur, très peur…

– Je m’en charge, ditMme Adolphe qui, d’autre part, serrait déjà lecollet du sacristain.

– Mais, criait celui-ci, je ne veux passortir, moi. On tire dans les rues ! On va me tuer !C’est donc ma mort que l’on veut. Je… je…

– Enlevez ! dit la baronne.

Les deux Auvergnats allaient exécuter cetordre, mais Mme Adolphe les écarta d’un gesteénergique, et, à grands coups de sa large main faisant battoir,elle força le sacristain à courir devant elle.

La baronne entendit le malheureux crierjusqu’au bout de la rue.

Derrière lui, d’un pas cadencé, marchait lacompagnie d’Auvergnats.

Comme nous l’avons dit, à cinq heures dumatin, les défenseurs de l’Hôtel-de-Ville en étaient réduits àmettre bas les armes par le décret que Gauthier, le représentantprisonnier, eut la lâcheté de signer.

Madinier entrait à cheval dans la cour del’Hôtel-de-Ville.

La réaction était triomphante.

Ordre fut donné d’arrêter Châlier sur lechamp.

Celui-ci n’avait pas combattu.

Après avoir tenu séance à son tribunal, ilétait rentré chez lui.

Son ami Bemascon, qu’il avait envoyé auxnouvelles, avait appris que la victoire des Jacobins étaitimpossible : il voulut que Châlier prit la fuite. Il insistabeaucoup pour que Châlier se sauvât, quand le feu terrible de ladernière heure de bombardement retentit.

Mais si, par dépit, Châlier n’avait pas voulucombattre, du moins ne voulait-il pas avoir l’air de craindre lamort.

« Le bruit du canon s’étant faitentendre, dit Louis Blanc, on le pressait de se dérober aupéril : il refusa par conviction de son innocence et pardignité. À son ami inquiet, à sa gouvernante en pleurs, ildisait : « Ne pouvez-vous pas être aussi tranquilles queje le suis. »

Il fut arrêté le lendemain et traîné enprison. Sur la route, ses ennemis le frappaient, lui crachaient auvisage. Il y en avait qui, pour le punir d’avoir aimé le peuple,s’écriaient :

– Faisons-le massacrer par le peuple.

On l’incarcéra ainsi que Sautemouche.

C’étaient deux victimes vouées à la mort.

La réaction se déchaîna aussitôt sur la ville,et les gardes nationaux firent partout des perquisitions suivies denombreuses arrestations.

Bientôt presque tous les Jacobins connusfurent sous les verrous.

Trois hommes cependant échappèrent auxpatrouilles des royalistes après avoir réussi à ne point se laisserfaire prisonniers, quand l’Hôtel-de-Ville se rendit.

Ces trois hommes étaient trois Carmagnoles quieussent été fusillés sur-le-champ par le parti vainqueur, si l’onavait mis la main sur eux.

C’était Monte-à-Rebours, la Ficelle et lefameux Corbin, dit Pas-de-Quartier.

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