Le Bataillon de la Croix-Rousse

Le Cincinnatus de Lyon

Depuis le commencement du mois d’août, Lyondéveloppait une activité inouïe dans ses travaux de défense.

Lorsque, le 18 août 1793, l’avant-garde del’armée républicaine d’observation se détacha en avant et vint semettre en position devant la ville rebelle qui ne fut cernéecomplètement que plus tard, cette avant-garde trouva la placecouverte par des ouvrages redoutables et qui avaient surgi de terreavec une prodigieuse rapidité.

Cette défense improvisée était due à l’hommequi fut le héros de ce siège, à de Précy, dont la caractère n’a pasété compris par les républicains qui l’ont accablé d’opprobre.

De Précy était un de ces gentilshommes quivoulaient la monarchie constitutionnelle comme Lafayette, lequel nefut jamais républicain et ne le prouva que trop en nous donnant lamonarchie bâtarde des d’Orléans après les journées de 1830 et enaffirmant à la France que c’était la meilleure des républiques.

Lafayette, plus connu, plus célèbre que dePrécy, semble avoir été le modèle de celui-ci. Étudier Lafayette,c’est faire comprendre de Précy.

Lafayette était ce que l’on a si justementappelé un marquis libéral, dévoué à la fois aux idées de réforme età son roi.

On sait comment il vint protester contre le 10août, comment il menaça de marcher sur la Convention avec sonarmée, comment cette armée refusa de le suivre et le força àémigrer.

On cria à la trahison.

Lafayette était si peu traître, si haï desnobles, que les émigrés obtinrent qu’il fut jeté par l’Autrichedans un cachot où pendant de longues années il subît d’indignestraitements.

Lafayette et nombre de gentilshommes avec luiavaient voulu 89 ; ils répudiaient 92 et maudissaient 93.

Ils se trompèrent en croyant possible à cetteépoque, d’abord la Royauté Constitutionnelle, puis la Républiquemodérée des Girondins, le roi étant mort.

Ils se trompèrent car leur rêve était d’uneréalisation impossible et les royalistes constitutionnels comme lesrépublicains et les Girondins auraient perdu la France.

Mais du moins étaient-ils sincères etcroyaient-ils assurer le bonheur du pays.

Lafayette explique de Précy, c’était le mêmetype de gentilhomme dans le même courant d’idées.

Le malheur de de Précy fut d’avoir étéentraîné à prendre le commandement de Lyon : le tourbillonl’enveloppa et il fut emporté par les nécessités de la situation, àtolérer les intrigues des hommes comme Roubiès qu’il sentit plusfort que lui ; il déplora peut-être cette fatalité quil’associa à des hommes pactisant avec l’étranger et la fatalitéplus terrible encore qui l’obligeait à faire plus tard entrer cesecours de l’ennemi dans ses calculs : ainsi, un jour dedésespoir, quand il voyait son armée réduite, dix mille hommesvoués à une mort expiatoire si la Convention triomphait, ils’écria, comme on lui parlait d’une marche en avant desAnglais :

« Que le diable lui-même nous sauve etj’accepterai son concours. »

C’est le mot d’un soldat qui ne veut pas serendre.

Mais il valait mieux que le rôle qui lui futimposé par le machiavélisme des Roubiès et des Martinville, parl’enchaînement irrésistible des faits, par les nécessitésinéluctables de sa position.

Toutefois, il eut cet honneur d’être entré àLyon avec la cocarde révolutionnaire tricolore et d’en sortir avecelle, ne la reniant point, ce qui lui valut l’ingratitude et ladéfiance de la Restauration.

De Précy tient à Lyon maintenant comme lamoelle aux os.

Le courage indomptable de cette ville fut sigrand, quoique pour une mauvaise cause, que, malgré cette erreurqui mit la patrie en péril, il faut saluer j’héroïsme de ce peuplequi fait honneur à la nation.

Or, ce fut Précy qui incarna pendant le siègemémorable l’âme même de Lyon.

Aussi, Lamartine, l’historien inspiré, a-t-ilburiné pour Lyon le portrait de ce grand général, portraitadmirable que nous mettons au rang d’honneur dans cette galerie dela Révolution lyonnaise.

Ce général, dit-il, dont le nom inconnujusque-là était de nature à rassurer les royalistes sans portertrop d’ombrage aux républicains était le comte de Précy.M. de Précy, gentilhomme du Charolais, ancien colonel durégiment des Vosges, appartenait à cette partie de la noblessemilitaire qui ne s’était point dénationalisée par l’émigration, quiconservait le patriotisme du citoyen uni à la fidélité dugentilhomme, monarchiste par honneur, patriote par l’esprit dusiècle, Français par le sang. Il avait servi en Corse, en Allemagneet dans la garde constitutionnelle de Louis XVI : ilconfondait dans un même culte la Constitution et le roi. Il avaitcombattu, au 10 août, avec les officiers dévoués qui voulaientcouvrir le trône de leur corps. Il avait pleuré la mort de son roi,mais il n’avait point maudit sa patrie.

Retiré dans sa terre de Semur en Brionnais, ily subissait en silence le sort de la noblesse persécutée. Les amisqu’il avait à Lyon le désignèrent à la commission républicainecomme le chef le plus propre à diriger et à modérer le mouvementmixte que Lyon osait tenter contre l’anarchie. Précy n’était pointun chef de parti, c’était, avant tout, un homme de guerre.Néanmoins, la modération de son caractère, l’habitude de manier lessoldats et cette habileté naturelle aux hommes de sa province, lerendaient capable de réunir en faisceau ces opinions confuses, deconserver leur confiance et de les conduire au but sans le leurdécouvrir d’avance.

Précy avait cinquante-et-un ans. Mais sonextérieur martial, sa physionomie ouverte, son œil bleu et serein,son sourire fin et ferme, le don naturel de commandement et depersuasion à la fois, son corps infatigable en faisaient un chefagréable à l’œil d’un peuple.

Tel fut l’homme qui dort aujourd’hui sous lemonument funèbre où le Lyon clérical se rend en pèlerinage.

Le jour où ce monument, arraché aux moines,sera rendu à la cité, je propose, pour de Précy, cetteépitaphe :

SON ERREUR EFFACE SA GLOIRE

L’histoire romaine renferme un des plus beauxtraits de l’antiquité.

Rome, se sentant en péril, voulut se donner undictateur armé de tous les pouvoirs et tenant en ses mains avec ledroit de vie et de mort le salut de la patrie.

La voix unanime du peuple désigna pour cesredoutables fonctions un vieux noble, un intrépide officier deslégions, à cette heure vétéran.

On lui envoya des députés qui le trouvèrent lamain sur le soc de sa charrue, cultivant lui-même les sept arpentsde terre qui formaient tout son bien.

Cette scène d’une simplicité si grande,Tite-Live nous l’a racontée avec la majesté de son style.

Que le lecteur lise la page suivante deLamartine et qu’il compare le Cincinnatus de Lyon à celui de Rome,l’écrivain français à l’écrivain romain :

« Les députés de Lyon, dit Lamartine(histoire des Girondins) partirent pour proposer le commandement àM. de Précy. Ils le trouvèrent comme les Romains avaientjadis trouvé le dictateur dans son champ, la bêche à la main etcultivant ses légumes et ses fleurs. Un dialogue antique s’établitdans le champ même, à l’ombre d’une haie, entre le militaire et lescitoyens. Précy déclara modestement qu’il se sentait au-dessous durôle qu’on venait lui offrir ; que la Révolution avait briséson épée et l’âge amorti son feu ; que la guerre civilerépugnait à son âme, que c’était un remède extrême qui perdraitplus de causes qu’il n’en sauverait ; qu’en s’y précipitant onne se réservait d’autre asile que la victoire ou la mort ; queles forces organisées de la Convention dirigées sur une seule villeécraseraient tôt ou tard Lyon ; qu’il ne fallait pas sedissimuler que les combats et les disettes d’un long siègedévoreraient un grand nombre de leurs concitoyens, et quel’échafaud décimerait les survivants. »

« Nous le savons, répondirent lesnégociateurs de Lyon, mais nous avons pesé dans nos penséesl’échafaud contre l’oppression de la Convention, et nous avonschoisi l’échafaud.

– Et moi, s’écria de Précy, je l’accepteavec de tels hommes ! »

Il reprit son habit suspendu aux branches d’unpoirier, rentra pour embrasser sa jeune femme, prendre ses armescachées depuis dix-huit mois et suivit les Lyonnais.

À son arrivée, il se revêtit de l’uniformecivique, arbora la cocarde tricolore et monta à cheval pour passerl’armée municipale en revue.

Les bataillons de troupes soldées et de gardesnationaux, rangés en bataille sur la place Bellecour pourreconnaître le général, saluèrent de Précy d’unanimesacclamations.

Le choix de de Précy comme général en chefétait très habile : il satisfaisait les royalistes etn’offusquait point les Girondins.

Ce gentilhomme, non émigré, cet émule deLafayette, cet ancien officier royaliste constitutionnel, autrefoisbon républicain modéré, aujourd’hui qui se présentait avec lacocarde tricolore, de Précy, enfin, était le général qu’il fallaità Lyon.

Roubiès ne s’y était point trompé et l’avaitchoisi de main de maître.

Mais il lui donna de sa main un lieutenant quiétait tout prêt à remplacer son général, lorsque celui-ci, après lavictoire, après la proclamation d’un roi absolu, se sentirait dupéet serait forcé de disparaître.

Cet homme était le comte de Virieu.

Ainsi, de l’aveu même de Lamartine, lesGirondins étaient menés par les royalistes.

Nous verrons comment le héros du siègesurvécut à un des massacres les plus impitoyables dont l’histoiredes guerres civiles ait conservé le souvenir et comment de Virieudisparut dans une trombe de feu, sans que jamais on put retrouversa trace.

Le siège de Lyon est rempli de ces tragiquesincidents.

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