Le Bataillon de la Croix-Rousse

Les taupes du commandant Saint-Giles

Cependant le trompette envoyé au camprépublicain était sorti par la Croix-Rousse et avait gagné lecimetière de Cuire transformé en une grosse redoute par lesLyonnais.

Il fut reçu par le chef des avant-postes surce point : c’était Saint-Giles.

– Ah c’est vous, commandant Saint-Giles,dit le trompette en se présentant après avoir sonné la chamade pourfaire cesser le feu un instant. Je suis chargé par le généralChenelettes que je quitte à l’instant de vous complimenter pour lafaçon étonnante dont vous avez conduit votre bataillon au feuavant-hier. Il m’a dit en propres termes que vous n’aviez pas votrepareil dans l’art de battre en retraite et que vous aviezmerveilleusement dressé votre bataillon à se garer du feu, car,depuis quarante-huit heures, on n’a pas vu le nez d’une de vostaupes.

Ce trompette, vieux soldat réformé qui venaitde reprendre du service par zèle royaliste, était gouailleur commetous les trompettes.

C’est une tradition dans toutes lesarmées : tambours, clairons et trompettes sont blagueurs.

Chenelettes avait dit à ceparlementaire :

– Tâche un peu de piquer l’amour-proprede ces taupes qui dorment là-bas sous leurs abris.

Et le trompette traduisait à sa façon cetteprovocation.

Saint-Giles était trop intelligent pour ne pascomprendre que Chenelettes cherchait à le pousser à quelquedémonstration imprudente afin de l’écraser.

Il se contenta de répondre autrompette :

– Les taupes ont du bon !Chenelettes s’en apercevra tôt ou tard.

Et il fit escorter le trompette jusqu’à laPape.

Mais pendant que le parlementaire s’en allaitau trot, une estafette portait un mot de Saint-Giles àDubois-Crancé.

Celui-ci se rendit sur-le-champ auprès deKellermann.

– Général, lui dit-il, les Lyonnais vousenvoient un message par un trompette qui se permet de traiter nossoldats de taupes. Le commandant Saint-Giles vous demande carteblanche pour répondre comme il convient à cette insolence.

– Un coup de tête ? fit Kellermann,esprit un peu froid.

– Je suppose ! fitDubois-Crancé ; mais ce bataillon de la Croix-Rousse est uneespèce de troupe d’enfants perdus que l’on peut risquer. Il fautinspirer à l’ennemi le respect de nos armes et abattre sa jactance.Si vous le voulez, je monte à cheval et je vais vérifier moi-mêmece qu’il y a de possible dans le plan de Saint-Giles.

– Du moment où vous en prenez laresponsabilité, dit Kellermann, risquez tous les coups de tête quevous voudrez.

Puis il demanda :

– Savez-vous ce que me veulent lesLyonnais ?

– Ma foi, non.

– Si seulement ils avaient la bonne idéede se rendre : ces pauvres diables s’éviteraient les horreursdu bombardement.

– Toujours des scrupules, mon chergénéral.

– Que voulez-vous ? Je ne puis mefaire à l’idée de tuer les Français en tas. Il m’en coûte de signerun ordre de bombardement, je vous l’ai déjà dit ; mon cœur ensaigne.

– Cependant, général, tout est prêt,notre tir est rectifié d’après les résultats obtenus et il imported’envoyer à l’ennemi ce que j’appelle un second avertissement parle canon.

– Hélas ! fit Kellermann. Enfin,puisqu’il le faut, ce sera quand vous voudrez.

Dubois-Crancé partit sur ce mot plein derésignation, en recommandant au général de retenir le trompette leplus longtemps possible.

Le représentant du peuple trouva, en arrivantdevant Cuire, le bataillon de la Croix-Rousse sous les armes ;deux pièces de quatre bien attelées se tenaient prêtes à se portersur le point qu’on leur désignerait.

Dubois-Crancé serra la main de Saint-Giles etlui demanda :

– Que proposes-tu, citoyencommandant ?

– Tu sais, dit Saint-Giles, citoyenreprésentant, que l’ennemi nous insulte et qu’il traite les hommesde mon bataillon de taupes et de lâches.

Il y eut des murmures, des frémissements, destrépignements ; on eût dit une fourmilière sur laquelle unchien vient de lever irrévérencieusement la patte.

Saint-Giles montra à Dubois-Crancé une petiteéminence, une sorte de renflement, couvert par une constructiond’aspect solide, et située à deux cents pas du cimetière.

– Cette construction, dit Saint-Giles,domine le cimetière.

– L’ennemi l’occupe ! fit observerDubois-Crancé.

– Oui, mais il n’y a pas placé de canons.Une faute.

– C’est vrai !

– J’offre de débusquer le poste quidéfend cette maison que je connais bien ; les pièces decampagne arriveront au galop dès que nous serons maîtres de ceposte et elles tireront sur le cimetière par des embrasures quej’aurai fait pratiquer. Dix coups à mitraille et un millier deballes envoyées par mes hommes en feu plongeant désorganiseront ladéfense du cimetière qui tirera peu et mal sur nous.

– Mais, dit Dubois-Crancé, les autresredoutes écraseront cette maison.

– Pas tout de suite. Il faudra du tempspour comprendre ce qui s’est passé, il faudra braquer les piècessur la maison, il faudra rectifier le tir incertain à distance.Nous, pendant ce temps, d’une part nous pilerons l’ennemi dans lecimetière, sous la gueule de nos pièces crachant à deux centspas.

– Et d’autre part ? demandaDubois-Crancé.

– D’autre part, dit Saint-Giles, je faisemporter par l’artillerie une dizaine de barils de poudre que jedisposerai dans les caves de la maison ; je fais battre enretraite mon bataillon et je reste avec dix hommes seulement, unpar baril. À mon signal, ils mettent le feu aux mèches et nousfilons. L’ennemi, en marche pour réoccuper la maison, y arrive et…saute agréablement. Résultats : une rude leçon à Chenelettes,un poste détruit, le cimetière balayé et rempli de morts, un effetmoral immense.

– C’est bien ! dit Dubois-Crancé.Allez commandant.

Comme dans tous les dialogues de l’époque, le« vous » perçait souvent sous le tutoiement mis à la modepar les Jacobins.

Saint-Giles, dont les dispositions étaientprises, se mit à la tête de deux compagnies seulement.

Le reste du bataillon était en soutien sousles ordres d’un capitaine, vieux routier, ex-sergent-major aurégiment de Flandres et sur lequel Saint-Giles pouvait compter.

L’intrépide commandant tira son épée et,montrant la maison à enlever à trois cents pas du pli de terrain oùil tenait son monde massé, il cria :

– En avant ! au pas de course, pasun coup de fusil.

Et il se lança, à cheval, toujours à dixlongueurs en avant de ses hommes.

À la vue de cette petite colonne, le cimetièretira sa volée.

Mais Saint-Giles avait prédit à ses hommesque, s’ils se précipitaient franchement, tête basse, surprenant lescanonniers du cimetière, ceux-ci viseraient mal et trop haut.

En effet, la colonne sentit passer au-dessusde sa tête comme une trombe de terre.

Elle courait si vite que l’artillerie ducimetière ne put lui envoyer qu’une seconde décharge assez décousueet qui ne toucha qu’une dizaine d’hommes en queue.

La fusillade du cimetière et de la maison futplus dangereuse ; mais les gardes nationaux lyonnais, saufquelques chasseurs, tiraient mal ; c’est le défaut des troupesimprovisées.

Des vides cependant se produisirent, en têtesurtout.

Mais les hommes voyaient devant eux le grandcheval de Saint-Giles et le commandant qui criait toujours, sabrelevé :

– En avant ! et vive laRépublique !

Ils continuaient à courir.

Dubois-Crancé, qui surveillait cette tentativetrès risquée, regardait sa montre et disait :

– S’ils mettent plus de 80 secondes pourarriver, ils sont f… chus.

À un moment, tout fut compromis.

Le cheval de Saint-Giles s’abattit,foudroyé.

Heureusement, les hommes avaient juré deramener leur commandant, mort ou vivant. Ils se précipitèrent et letrouvèrent sain et sauf.

Il cria d’une voix retentissante :

– En avant ! En avant ! Nousles tenons.

Et cet incident ne fit qu’accélérer lemouvement.

La colonne vint battre la maison abandonnéepar ses défenseurs, et, renversant portes, fenêtres, barricades,elle y pénétra.

Dix secondes plus tard, cent fusilsfoudroyaient le cimetière pendant qu’une centaine d’hommes munisd’outils apportés en bandoulière, ouvraient deux embrasures pourles canons.

Ceux-ci arrivèrent au galop et tonnèrentbientôt.

Dubois-Crancé, sa montre à la main,disait :

– Dix minutes ! Il ne faut pas semurer là plus de dix minutes, ou on serait réduit en poudre.

Déjà toutes les redoutes à portée de la maisonfaisaient converger leurs feux sur elle.

Mais, tout à coup, on vit une colonne de deuxmille hommes sortir des lignes ennemies et se lancer sur la maisonpour la reprendre.

– Morbleu ! dit Dubois-Crancé,l’affaire est manquée, Saint-Giles n’aura jamais le temps de fairesauter cette bicoque.

Et il se mit à froisser son écharpe dereprésentant avec impatience.

Ni Saint-Giles, ni Dubois-Crancé n’avaient puprévoir qu’une aussi forte réserve se trouverait sur ce point.

Elle était là par une circonstance toutefortuite.

Ces deux mille hommes se composaient del’élite de la jeunesse dorée lyonnaise, la fine fleur desmuscadins.

Formés en deux bataillons, ils étaientcommandés par Étienne Leroyer promu colonel.

Chaque jour il conduisait sa troupe auxavant-postes pour l’aguerrir.

Il se trouvait précisément à portée ducimetière lors de la reprise de la maison rouge parSaint-Giles ; il offrît à de Virieu de la reprendre.

– Lancez-vous donc, jeunes gens !cria le général, mais faites comme les républicains, à labaïonnette, au pas de course et pas un coup de fusil.

Les muscadins en une seule colonnes’élancèrent avec une bravoure qui crispa les nerfs deDubois-Crancé.

– Ventrebleu, dit-il, après avoir désignéla colonne lyonnaise, ce sont des muscadins, tous en culottes desoie ! Ils vont prendre nos canons et chasser honteusementSaint-Giles.

Mais tout à coup, il se fit dans la maison unsilence qui étonna beaucoup Dubois-Crancé ; Saint-Giles avaitfait cesser le feu.

Cela dura près d’une demi-minute et la colonnedes muscadins se trouva portée par sa course à trente pas de lamaison.

Soudain un coup de mitraille partit et balayapresque à bout portant la tête de la colonne ; une salve demousqueterie succéda à trois secondes d’intervalle à cette premièredécharge, puis un second à mitraille, puis encore une salve.

La colonne flottait hésitante sous ce feudévorant, lorsque les tambours des républicains battirent lacharge.

La compagnie tomba, baïonnette croisée, sur latête de la colonne ; les soldats l’attaquèrent sur le flancgauche et les muscadins furent ramenés sur le cimetière par cettefurieuse attaque.

Pendant cette mêlée, la canonnade avait cessédes deux côtés.

Saint-Giles, qui n’avait voulu que gagner dutemps pour permettre à ses mineurs de placer leurs barils, ramenason monde dans la maison et renvoya ses deux piècesd’artillerie.

– Ah ! bravo ! s’écriaDubois-Crancé. Voilà un brave et intelligent garçon. Il sauve noscanons.

Mais Saint-Giles fit mieux.

Éparpillant son monde par piquets de quelqueshommes, il fit opérer la retraite ainsi, de telle sorte quel’artillerie ennemie ne put faire grand mal aux siens.

Cependant, Étienne, outré de son échec, avaitreformé une colonne et la ramena au feu.

Même silence que la première fois du côté desrépublicains.

La tête de colonne, étonnée, arriva vers lamaison.

Pas un coup de fusil.

Une voix railleuse cria par unefenêtre :

– Au revoir, colonel Leroyer ; mescompliments à Chenelettes, si vous le revoyez.

Étienne reconnut Saint-Giles qui, montrant satête par-dessus un mur, salua et disparut.

Les muscadins entrèrent dans la maison,remplissant les cours, les étages, les greniers et cherchant àdécouvrir les républicains.

Mais la maison était évacuée.

Tout à coup, une détonation suivie deplusieurs autres retentit et la maison ressembla au cratère d’unvolcan. En un instant, les murs croulèrent, les toits sautèrent,les voûtes éclatèrent, les fondements crevèrent le sol.

Un immense cri de terreur et d’effroi montavers le ciel.

La jeunesse dorée de Lyon était ensevelie sousles ruines de cette maison maudite…

Saint-Giles qui arrivait en ce moment, blesséau bras, aux avant-postes, y trouva Dubois-Crancé qui luidit :

– Citoyen commandant, tu as bien méritéde la patrie.

Et montrant le trompette de Chenelettes retenupendant le combat :

– Voici, dit-il, le parlementaire deM. de Précy ; n’avais-tu rien à lui dire ?

Saint-Giles sourit et dit d’un airrailleur :

– Trompette, tu as vu comment mes taupestravaillent. Va dire à Chenelettes que nous ferons mieuxencore.

Le trompette, après avoir sonné la chamadepour faire cesser le feu, éperonna son cheval et partit en sacrantet en jurant, hué par le bataillon de la Croix-Rousse.

Les assiégés profitèrent de cette trêve pourporter secours aux muscadins. Trois cents morts, mourants oublessés gisaient sous les décombres : impossible de lesenlever pendant le court armistice qui permettait au trompette defaire un trajet de six-cents pas.

De Virieu eut à peine le temps d’envoyer deschirurgiens et des coffres d’ambulance.

Mais Dubois-Crancé, qui s’acharnait auxespérances de conciliation, voulut prouver sa bienveillance aprèscet acte de vigueur.

Il fit arborer le drapeau blancparlementaire.

Les assiégés le plantèrent à leur tour sur lecimetière et le feu qui avait recommencé cessa.

Alors Dubois-Crancé dit àSaint-Giles :

– Commandant, allez dire aux Lyonnais queje leur accorde une heure pour emporter leurs blessés.

Saint-Giles partit sans armes, à cheval, suivide plusieurs officiers.

Un peu en avant du cimetière on l’arrêta.

Il exposa qu’il avait une mission.

– Le général de Précy vient d’arriver,lui dit-on. Il vous a vu venir et il a ordonné que l’on vous menâtvers lui.

– Allons ! dit Saint-Giles.

Quand il fut devant le général lyonnais,Saint-Giles vit près de lui le colonel Étienne, légèrement blesséaux deux bras qu’il portait tous deux en écharpe.

Après s’être incliné devant de Précy,Saint-Giles salua courtoisement son rival qui lui rendit un salutsec, d’un air pincé.

– Que voulez-vous, commandant ?demanda de Précy.

– Rien, mon général. La Républiquen’accepte rien de ses ennemis. J’apporte une grâce que vous faitDubois-Crancé. Vous avez une heure pour enlever vos blessés.

– Monsieur, dit de Précy avec hauteur,moi non plus je n’accepte rien de l’ennemi.

– Soit ! dit non moins fièrementSaint-Giles. Vous tirerez si vous voulez, nous ne riposterons pas.Nous voulons rendre hommage à une bravoure qui n’a pas étéheureuse.

Il salua de nouveau de Précy et Étienne, puisil partit avec ses officiers.

– L’insolent ! s’écria Étienne.

De Précy se retourna, toisa Étienne et luidit :

– Colonel, vous avez été malheureux dansle combat mais maintenant vous êtes maladroit.

Et à ses officiers :

– Messieurs, l’ennemi nous a donné uneleçon, à nous d’en profiter. Plus de provocations et plusd’imprudences.

Puis il donna ses ordres tout en regardant detemps à autre du côté de Saint-Giles qui regagnait son poste.

Il y arriva presque en même temps queKellermann accouru pour voir ce qui se passait.

Le général était furieux.

– Savez-vous ce qu’il ont osém’envoyer ? s’écria-t-il en voyant Dubois-Crancé.

– Ma foi, non ! dit Dubois-Crancé,enchanté de voir Kellermann outré contre les Lyonnais.

– Eh bien, ils ont eu l’impertinence dem’inviter à célébrer avec eux la fête du 10 août.

– Et vous y allez ?

– Vous vous f… de moi !

– Mais non ! n’êtes-vous pas trèsindulgent pour eux ?

– Je leur en f… trai de l’indulgence… àcoups de canon. Demain, bombardement général !

– Pendant la fête ?

– Je m’en f… de leur fête. Je me chargedu feu d’artifice, moi :

– Mais, général, tout à l’heure encore,vous me disiez que tirer sur des Français…

– Par tous les diables ! desFrançais de ce calibre là, on s’en f… et on s’en contref… Et je leferai voir. On bombardera jusqu’à ce que les canons en crèvent.

– Bombardez, général, bombardez.

– À propos, demanda Kellermann, et cetteaffaire ? Comment cela s’est-il passé ?

– Mais très gaillardement, général.Saint-Giles, qui revient d’accorder une heure de trêve aux Lyonnaispour enterrer des centaines de morts ensevelis sous cette maisonlà-bas…

– Oh ! oh ! fit Kellermann sedéridant, des centaines de morts… Dites à ce brave commandant queje l’invite à dîner pour me conter cela par le détail. Moi je vaisaux batteries, car je veux un bombardement de premièrecatégorie.

Et il piqua des deux.

Dubois-Crancé, souriant, regarda Kellermanns’éloigner, puis à Saint-Giles qui arrivait :

– Commandant, vous et votre bataillonvous avez bien mérité de la patrie demain vous serez à l’ordre dujour de l’armée.

Et il s’éloigna à son tour au milieu deshourras.

Le bombardement eut lieu, il fut terrible.Lyon célébra donc la fête du 10 août sous les obus et sous lesbombes.

Il rentrait dans le système politique de laConvention de procéder ainsi, tour à tour, par l’intimidation ducanon et les proclamations de paix offrant aux révoltés, éclairéssur les dangers qu’ils couraient, l’occasion de faire leur paixavec la nation.

On peut dire que Lyon usa la longanimité de laConvention.

Dubois-Crancé, contre la mémoire duquel lesréactionnaires lyonnais s’acharnent, montra une patienceinouïe.

Il n’avait tant poussé Kellermann, nousl’avons vu, que pour pouvoir donner aux assiégés l’avertissement ducanon.

Après deux tentatives de conciliation, celledu 8 par Saint-Giles, celle du 9 par la lettre de Kellermann,tentatives précédées d’autres sommations avant l’arrivée del’armée, il semblerait que Dubois-Crancé eût dû se montrerdécouragé ; il semblerait que la patience de la Convention eûtdû être lassée.

Non !

Dubois-Crancé fit une troisième tentative. Etcet esprit de, conciliation, l’histoire l’a mis en lumière.

Loin de pousser Lyon à bout, il le ménageaaprès lui avoir fait sentir la puissance de l’armée.

Louis Blanc fait ressortir cette grandevérité.

« Il n’y a lieu de s’étonner, ditl’illustre historien, ni de l’extrême mollesse des assiégeantspendant la majeure partie du mois d’août, ni de l’obstinationaveugle des assiégés. »

Dubois-Crancé savait en effet, comme sesnombreuses proclamations le prouvent, de quels artifices la massedes Lyonnais était dupe. Il aurait donc voulu échapper, en leséclairant, à l’affreuse nécessité d’une guerre d’extermination, etce sentiment on le retrouve dans une lettre du 28 août, écrite parCouthon, Carnot, Robespierre, Barrère et Saint-Just aux deuxreprésentants Dubois-Crancé et Gauthier, pour leur recommanderd’épargner les Lyonnais s’ils se soumettaient.

Mais à leur tour, les fauteurs de la révoltesavaient fort bien – et les manifestes de Dubois-Crancé ne le leurlaissaient pas ignorer, qu’entre eux, les séducteurs et lapopulation séduite, la Convention nationale faisait une grandedifférence et qu’ils n’avaient point, eux, de quartier à attendre.Il leur fallait donc à tout prix écarter jusqu’à l’idée d’unesoumission qui les eût mis au pied de l’échafaud. On juge s’ils yépargnèrent leurs soins, et la lettre attribuée à Danton indiqueassez la nature des moyens qu’ils mirent en usage.

Cette lettre fausse et beaucoup d’autres dumême genre étaient l’œuvre de cet ex-notaire forçat, envoyé deToulon à Roubiès et qui avait déjà fabriqué, – nous l’avons vu,tant d’autres faux.

Voulant donner une idée des manœuvresemployées à Lyon, continue l’historien, Barrère vint lire, à latribune, cette lettre qui trahissait avec tant de naïveté la maind’un faussaire. Danton se contenta de dire, avec mépris, qu’ilétait plus malin que les auteurs de cette pièce ; qu’iln’avait point de correspondance, et que, s’il lui était arrivéd’écrire, il aurait conseillé des mesures non moins rigoureuses,mais plus politiques.

On voit quels moyens le machiavélismejésuitique de Roubiès lui suggérait pour surexciter l’opinionpublique et pousser au paroxysme les défiances, les colères etl’aveuglement du peuple pour l’amener à s’acharner dans la révolte,à soutenir les meneurs royalistes, à ne point les livrer auxrépublicains pour sauver la ville.

Et, comme le dit Louis Blanc, tout favorisaitcette politique égoïste, qui poussait Roubiès à sacrifier Lyon poursauver et lui-même et ses complices.

– Malheureusement, continua Louis Blanc,quand le siège eut commencé, tout encourageait les Lyonnais à larésistance, Carteaux n’avait pas encore pris Marseille ;Bordeaux n’avait pas encore demandé grâce ; l’incendie alluméen Vendée, loin de s’éteindre, s’étendait, et Paris, de plus enplus enveloppé par l’Europe, semblait au moment d’être faitprisonnier. Qui jamais eût pu croire la Convention capable devaincre à ce point la mort ? Les Lyonnais, d’ailleurs,n’avaient devant eux, dans les premiers jours du mois d’août,qu’une armée de huit mille hommes avec un petit train d’artillerie.Qu’était-ce que cela ? Le triple de ces forces eût éténécessaire contre une ville en état de fournir au-delà devingt-mille combattants, et qui, bâtie au confluent de la Saône etdu Rhône, dominée au nord entre les deux rivières par les hauteursde la Croix-Rousse, à l’ouest, sur la droite de la Saône, par lescollines de Fourvière et de Sainte-Foy, n’avait besoin pour sedéfendre, que d’une bonne artillerie et de quelques redoutes. Or,d’après les relations royalistes, elles-mêmes, Schmith pourvut à cequ’un nombre considérable de canons protégeât la cité et leLyonnais Agnel de Chenelettes, ancien officier d’artillerie, sutaux anciennes redoutes en ajouter de nouvelles, qui étaient autantde chefs-d’œuvre dans l’art des fortifications.

Avec de tels éléments de résistance et en descirconstances qui paraissaient si propices, il n’est pas surprenantque les Lyonnais aient cédé à la dangereuse tentation de montrer laseconde ville de France tenant tête à la première.

Tout contribuait donc à égarer l’opinion dansla ville ; le bulletin publié chaque jour par Roubiès mentait,répandant d’ignobles calomnies.

En voici une au hasard :

« Les assiégeants, dit Lamartine, avaientessayé leurs batteries établies sur le tertre de Montessuy ;et l’on racontait que c’était à une femme lyonnaise dont il avaitfait sa maîtresse, que Dubois-Crancé avait réservé, ce jour-là, letriste honneur de donner le signal du feu après avoir reçu comme unhommage des mains de son amant, la corde fumante ».

Le Bulletin contient chaque jour de pareillescalomnies.

Ainsi s’explique l’aveuglement desLyonnais.

Ainsi s’expliquera, pour le lecteur, commentla troisième proposition de Dubois-Crancé fut repoussée avec unsombre enthousiasme.

Mais nous avons à raconter cette scène dupremier coup de canon tiré par une prétendue maîtresse deDubois-Crancé.

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