Le Bataillon de la Croix-Rousse

Mort de Châlier

Le crime, le grand crime de Lyon, aux yeux desJacobins, fut l’assassinat juridique de Châlier.

Cette exécution rendit plus tard les Jacobinsvainqueurs implacables.

Dans le déchaînement de colères qui suivit laprise de la ville, on ne vit que le meurtre, sans se rendre comptedes circonstances.

Toute une cité avait demandé la tête d’unrépublicain insulté à son agonie, applaudi aux tortures qu’il avaitendurées sur l’échafaud : cette cité devait expier cecrime.

Ce que l’on oubliait, ce qui absout Lyondevant l’histoire, c’est que la bonne foi des Girondins lyonnaisfut surprise ; c’est que la fausse lettre dont l’abbé Roubièsordonna la fabrication et la divulgation fit croire aux gardesnationaux de Lyon que Châlier était un traître et un partisansecret de la royauté.

Dans cette fausse lettre, Châlier étaitreprésenté comme appelant l’ennemi en France.

Ah ! Quel profond dégoût soulève le cœurquand on songe que ceux qui poursuivaient Châlier de cetteaccusation meurtrière, « Il veut un roi », étaientprécisément des royalistes !

Châlier, dans sa prison, éprouva l’amerdésespoir de ceux qui se sentent frappés par le peuple qu’ils ontaimé et défendu.

« Tout trahit le peuple »,écrivit-il avec sanglots, « et le peuple lui-même setrahit. »

Toutefois, dit Louis Blanc, il restait àl’infortuné des amis fidèles, prêts à donner pour lui tout le sangde leurs veines. Bernascon et Lauras formèrent le projet del’arracher par force de sa prison. Ils rassemblèrent cinquantehommes déterminés et peut-être eussent-ils réussi, sans les piècesde canon chargées à mitraille qu’on avait eu soin de disposer danstoutes les avenues conduisant à la prison.

Il fallut renoncer à délivrer Châlier.

Le jour du jugement était fixé au 16juillet.

Jamais procès ne fut plus émouvant ;l’histoire a buriné cette scène mémorable.

Le jour, dit Louis Blanc, arriva, où celui queBernascon appelle le plus humain des hommes allait être sacrifié.C’était le 10 juillet. En présence d’une foule nombreuse, lecturefut faite des dépositions. Tout à coup Bernascon fend la foule,demandant à défendre son ami ; mais on le repousse, on crieque quiconque osera parler en sa faveur est son complice. La sœurde Marteau, la Pie et la femme de Bemascon s’enfuient, épouvantées.Bernascon seul, au péril de sa vie, insiste et parvient à se faireécouter. Il y eut un instant d’hésitation parmi les juges :mais « la voix du peuple les menaçait de mort s’ils osaientabsoudre » La sentence fatale fut prononcée.

Quand Bemascon entra dans la prison pour direà son ami l’adieu éternel, le voyant étendu sur un grabat, il restamuet de saisissement. Mais Châlier : « Ne t’afflige pas,mon ami. Je meurs content, puisque je meurs pour la liberté. Disque l’on punisse les grands coupables qui ont égaré le peuple,toujours bon et juste quand il n’est pas séduit : mais qu’onépargne, dans le grand jour des vengeances, ces milliers d’hommes,victimes innocentes de l’erreur. Je ne te verrai plus !Adieu ! À ce moment, une voix terrible retentit ; c’étaitcelle du bourreau. On emporta Bernascon.

Châlier sentait qu’il tombait en martyr ;il se prépara à mourir dignement pour la postérité.

Il fut très simple et très fort ; mais ileut le sentiment très vif de l’immense faute que commettait sa citéd’adoption.

En mourant, Châlier prédit à Lyon le sort quil’attendait.

Châlier, dit Lamartine, condamné à mortquelques jours après par le tribunal criminel, voyait du fond deson cachot la lueur des illuminations allumées en l’honneur de lavictoire des modérés. Ce sont les torches de mes funérailles,dit-il. Les Lyonnais font une grande faute en demandant ma mort.Mon sang, comme celui du Christ, retombera sur eux et sur leursenfants, car je serai à Lyon le Christ de la Révolution. L’échafaudsera mon Golgotha, le couteau de la guillotine ma croix où jemourrai bientôt pour le salut de la République.

Cet homme, dit encore Lamartine, qui aspiraitle sang par le fanatisme de sa démagogie, se montra le plussensible et le plus tendre des hommes dans la solitude et dans ledésarmement de la prison. Une femme, dont il était aimé, lui avaitfait parvenir une tourterelle apprivoisée dont il avait fait lacompagne de sa captivité et qu’il caressait sans cesse.

Image d’innocence sur une tête pleine de rêvessanglants, l’oiseau perchait constamment sur les épaules deChâlier.

Châlier fit entendre après sa condamnation desprophéties sinistres sur la ville.

On lui accorda de voir une dernière fois sesamis et la femme à laquelle il était attaché. Il les consolalui-même et leur légua ce qu’il possédait, sans oublier son oiseauqu’il baigna de ses larmes.

L’exécution fut une des plus épouvantablesdont le martyrologe de la liberté ait conservé lesouvenir :

Châlier fit à pied, au son du tambour,accompagné d’un prêtre, le chemin qui conduisait de la prison aulieu du supplice.

Il marchait d’un pas ferme, refoulant dans soncœur l’impression des huées dont le poursuivaient de malheureusesfemmes, trompées par ses ennemis.

Sous le couperet, il dit au bourreau :« Rends-moi ma cocarde, attache-la moi, car je meurs pour laliberté. »

La guillotine, dressée à Lyon pour la premièrefois par le parti modéré, n’avait pas encore servi, et le bourreaumanquait d’expérience. Le couteau se trompa quatre fois, et ilfallut achever de couper avec un couteau ordinaire cette têteruisselante de sang : spectacle abominable qui n’empêcha pasquelques claquements de main ! Le peuple, une fois revenu deson erreur, fit de Châlier un martyr ; mais troptard… »

La baronne de Quercy avait assisté àl’exécution du haut d’un balcon ; elle avait cetteinsensibilité des grandes dames pour qui la mort d’un croquant peutêtre un spectacle, jamais une douleur.

Quand tout fut fini, elle dit enriant :

– J’aime autant que ce soit sur Châlierque le bourreau ait fait son apprentissage ; j’espère, si jesuis guillotinée, mourir d’un seul coup.

Et à l’abbé Roubiès :

– Je pars demain avec Saint-Giles.

Elle s’en alla, en attendant, dîner aveclui.

Une pareille insouciance était-elle courage oulégèreté ?

Les deux peut-être.

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