Le Bataillon de la Croix-Rousse

La prise du cimetière de Cuire

Le combat du cimetière, une lutte de géants,vint clore la série d’attaques dirigées contre la Croix-Rousse.

Il eut lieu le 27 septembre et fut favorisépar une autre attaque qui se fit ce même jour par les renfortsnouvellement arrivés et qui emportèrent les redoutes du pontd’Oullins et celles de Sainte-Foy.

Cette diversion facilita la prise du cimetièredont la garnison fut affaiblie par le général de Précy qui dégarnitce point pour renforcer Oullins et Sainte-Foy.

De Précy laissa cependant en réserve, à laCroix-Rousse, cinq bataillons, dont trois sont cités textuellementpar le bulletin officiel des assiégés.

Ces bataillons étaient en soutien en face etderrière le cimetière.

Dans celui-ci, le service était fait parvingt-cinq artilleurs que commandait le capitaine Verdun.

La légende, toujours menteuse, toujoursfausse, ne parle que de ces vingt-cinq artilleurs qui auraientmassacré douze cents républicains restés sur le carreau et qui lesauraient chargés, vingt-cinq contre trois mille.

Le combat tel qu’il fut est assez glorieuxpour Lyon, sans qu’il soit besoin de recourir aux exagérations.

Donc, dans le cimetière, vingt-cinqartilleurs.

En réserve, cinq bataillons !

Voilà les forces des Lyonnais.

Du côté des républicains, deux colonnes.

Une dirigée contre le cimetière, l’autrecontre une redoute dite du centre, près de la maison Rousset.

À la tête de cette dernière colonne, labataillon de l’Isère.

À la tête de celle qui attaquait le cimetière,le bataillon de la Croix-Rousse.

Le général de Précy, inquiet pour lecimetière, était venu lui-même haranguer ses défenseurs.

Nous devons au baron Raverat ce détailintéressant :

« Cette position du cimetière, dit-il,était très importante, en ce qu’elle surveillait la vallée de laSaône et une partie de la Croix-Rousse. »

À 3 heures du matin, le général Précy étaitvenu dire à ses défenseurs :

– Je compte sur vous, mes amis, pourgarder ce poste nécessaire à notre défense ; vous nel’abandonnerez qu’à la dernière extrémité, lorsque les canons nepourront plus vous garantir, que vos deux pièces seront hors duservice et que les cartouches vous manqueront.

Telle fut, d’après le baron Raverat, la visitedu général de Précy.

Les artilleurs firent serment de ne pasabandonner leurs pièces et ils tinrent parole.

Pendant le déchaînement de cette lutte d’uneheure à la baïonnette, par reprises successives, qui se déroulaautour d’eux, les canonniers ne cessèrent de mitrailler les groupesrépublicains dans les intervalles de la mêlée.

Parmi eux, comme nous le verrons, une jeunefille se montra héroïque dans son uniforme d’artilleur.

La lutte s’engagea comme de coutume par uneattaque au pas de course des deux colonnes.

En tête de celle du cimetière, Saint-Giles etson frère, qui avait obtenu de passer au bataillon de laCroix-Rousse.

Le choc eut lieu en avant du cimetière entrela colonne républicaine et les deux bataillons que commandaitÉtienne Leroyer. Celui-ci et ses muscadins se tenaient, eux aussi,en permanence aux avant-postes, en face du Bataillon de laCroix-Rousse.

Malgré trois décharges à mitraille que lecimetière eut le temps de tirer avant l’engagement des deuxtroupes, les républicains heurtèrent l’ennemi avec une violenceinouïe.

Saint-Giles, à cheval, piqua droit sur ÉtienneLeroyer, qui lança sa jument blanche à la rencontre de sonadversaire.

Leroyer tira pendant le temps de galop, deuxcoups de pistolet sur Saint-Giles, et le manqua au premiercoup ; mais celui-ci, arrivant sur le jeune colonel avec unefoudroyante rapidité, reçut le second coup presque à bout portant,fut encore manqué, et, ne laissant pas le temps à Étienne d’assurerson sabre dans sa main, lui traversa la poitrine d’un coupd’épée.

Étienne tomba mort…

Ainsi s’évanouirent les espérances de sa mèreet à jamais le nom des Étioles, de cette branche que voulaitrelever cette femme ambitieuse.

Le résultat de ces combats singuliers produittoujours sur les deux troupes qui y assistent un effetextraordinaire.

Les républicains, exaltés par le triomphe deSaint-Giles, se jetèrent sur leurs adversaires et lesculbutèrent.

Le bulletin officiel des assiégés avoue ainsicette reculade, tout en mentant pour les besoins de la cause ;car il dit que la retraite eut lieu par ordre de Précy qui, tout aucontraire, nous l’avons vu, tenait singulièrement à ce poste ducimetière.

Mais on voit, malgré les mensonges, combien lalutte fut meurtrière.

« Samedi dernier, dit le bulletin, il y aeu une action très vive à la Croix-Rousse, au cimetière.

« Après avoir donné pendant unedemi-heure, nos postes se seront repliés par ordre du général. Lesennemis, prenant cette retraite pour une déroute, ont poursuivi etattaqué vigoureusement les bataillons qui se repliaient ; maisils ont été à leur tour repoussés et nos canons de la batterieGingenne en ont fait un grand carnage. Les bataillons qui se sontle plus distingués à ce poste sont ceux de l’Union, de laConvention et de Washington. »

On le voit, ces trois bataillons formaient laréserve et ils rétablirent le combat.

Nous voilà loin de la légende ridiculereprésentant douze cents républicains tués par vingt-cinqcanonniers royalistes.

Nous trouvons la vérité dans le récit même desassiégés.

Elle est assez belle pour eux, comme on va levoir, pour s’en contenter.

Comme nous l’avons vu, la colonnerépublicaine, dépassant le cimetière sans le prendre, rejeta lesbataillons de Leroyer sur la position de Gingenne.

Mais là, des coups de mitraille épouvantableset une charge des trois bataillons de réserve arrêtèrent lapoursuite ; les Lyonnais reprirent l’offensive.

Les bataillons républicains, surtout celui dela Croix-Rousse, se trouvèrent dans une position critique.

Mitraillés par devant par les canons deGingenne, mitraillés par derrière par le cimetière de Cuire, ilsétaient exposés à un désastre certain, car la réserve lyonnaise selançait ferme et résolue.

Un incident les sauva.

Les pièces du cimetière, surmenées par un feubeaucoup trop rapide, refusèrent le service, et la colonne deSaint-Giles, repassant devant cette position, n’eut à subir qu’uneattaque audacieuse à la baïonnette de la part de ces vingt-cinqcanonniers qui risquèrent une sortie.

Voici comment le baron Raverat raconte cetrait d’intrépidité :

« Échauffés, dit-il, par un feu roulantet sans interruption, les canons des Lyonnais commençaient àrefuser le service… Laissons-les refroidir, s’écria le capitaineVerdun, et en avant les braves !

« Alors, à la tête de ses héroïques amis,il fondit avec impétuosité sur le premier rang des troupesconventionnelles et les culbuta à la baïonnette, puis il se repliaen bon ordre sur la redoute, pour continuer un combat inégal, unerésistance de géants !

« 1200 hommes jonchaient la terre deleurs cadavres.

« La lutte se prolongea une demi-heureencore.

« Les républicains, en effet, furentobligés de plier sous le vigoureux effort de la réserve, sous unecanonnade terrible, sous l’attaque brusque et subie en flanc descanonniers du cimetière, chargeant tout à coup.

« Mais Saint-Giles reforma son bataillonun peu après et, soutenu par un millier d’hommes, il se jeta surles Lyonnais aventurés trop loin à leur tour et mitraillés par nosbatteries.

« Le cimetière s’était épuisé à lariposte : ses pièces, échauffées à nouveau très rapidementn’ayant pas eu le temps de refroidir, refusaient en une seconde leservice ; il fallut abandonner la position.

« Huit canonniers lyonnais survingt-trois, dit le baron Raverat avaient été tués ; lesautres, presque tous blessés, avaient épuisé leurs munitions. Ilfallut songer à la retraite : Verdun en donna le signal, aprèsavoir encloué les canons qu’il ne put emmener. Il se replia sur laredoute Gingenne. »

On voit, d’après ces notes du baron Raverat,que la part de gloire des vingt-cinq canonniers du cimetière estassez belle, sans que l’on ait besoin de les représenter seulscontre des milliers de républicains.

Mais le bulletin même des assiégés nous montrebien que les canonniers ne furent pas abandonnés à eux-mêmes, loinde là.

Nous y lisons ce qui suit :

« Le bataillon de Washington, selon lerapport fait au citoyen général, s’est distingué par un trait dignede l’attention de la cité, et qui a des droits à son admiration. Aumoment où l’une des colonnes fut étonnée du feu de l’ennemi, lecitoyen Balgère présenta au commandant son bataillon en ordre dansl’attitude la plus martiale et, parlant au nom de tous, ildit :

« – Ordonnez, je vous réponds de tous mescamarades.

« Nous nous hâtons de publier unenouvelle preuve de la bravoure des gendarmes à pied dont nous noussommes informés dans ce moment. À l’attaque, que les ennemis ontfaite samedi à la Croix-Rousse, les gendarmes ont fait des prodigesde valeur et d’intrépidité ; on les a entendus crier plusieursfois, après les décharges :

« – Fondons sur eux à l’armeblanche. »

Ainsi, d’après une citation précédente, nousavons vu trois bataillons en ligne ici nous voyons la présence dubataillon de Washington confirmée et celle d’un quatrième, celuides gendarmes à pied, affirmée.

La légende s’efface devant les documents del’époque.

Le Bulletin relève une anecdote des plusintéressantes.

Au cimetière, une femme de Lyon, une jeunefille se distingua comme Jeanne Hachette au siège de Beauvais.

Voici le trait raconté par le Bulletin mêmedes assiégés :

« La citoyenne Adrienne, Lyonnaise, s’estdistinguée à l’action qui a eu lieu à la Croix-Rousse, samedimatin : cette citoyenne, âgée de dix-huit ans, est au servicede la cité depuis le 1er du mois : elle a étéblessée à côté de son frère, canonnier, qui l’a étémortellement : elle a continué son service malgré sablessure.

« Nous saisissons avec empressementl’occasion que fournit un si bel exemple pour rendre à nosconcitoyennes l’hommage qu’elles méritent : la fermeté, lecourage, la patience sont des vertus qui ne sont point étrangères àleur sexe ; qu’elles continuent à le prouver. »

On le voit, la bravoure à Lyon était communeaux deux sexes et à tous les âges.

Le cimetière était à nous ; mais le postedu centre, redoute formidable, attaquée par le bataillon del’Isère, ne put être forcé.

Nous avons sur cette lutte de curieux détailsdans le bulletin officiel des assiégés :

« Au poste du centre, dit-il, l’attaque aété encore plus vive : les ennemis sont venus jusqu’à montersur nos redoutes, la baïonnette au bout du fusil : mais un denos braves canonniers a brûlé la cervelle au plus hardi, et il estmême tombé dans la redoute.

« Au commencement de l’attaque, un de noscanonniers, craignant que le poste ne fût emporté, a eu le couraged’enclouer une pièce dont l’ennemi était presque maître.

« Là, les ennemis ont été repoussés avecautant de courage qu’au cimetière et les gendarmes à pied, ainsique les grenadiers du Change, ont montré la plus grande valeur.

« Le citoyen général, toujours occupé desintérêts de la cité et dont l’œil vigilant s’étend sur tous ceuxque son génie fait mourir, nous a chargés de consigner ici une noted’autant plus précieuse qu’elle est de sa main.

« La manière dont se sont comportés lescanonniers dans l’attaque qui a eu lieu ce matin à la Croix-Roussemérite les plus grands éloges : c’est une satisfaction bienflatteuse pour moi de rendre hommage à la bravoure de mes bravesfrères d’armes, et je vois avec plaisir que l’administrations’occupe de donner des témoignages éclatants de sa reconnaissance àtous ceux qui se distingueront en faisant frapper des médailles quiseront la juste récompense due à la valeur.

« Après avoir parlé des canonniers, jem’empresse de rendre la même justice à tous les grenadiers etchasseurs : tous ont montré du courage, de l’énergie, et jejouis en commandant de si braves gens. Je vous prie d’insérer aussidans votre bulletin que la prise du cimetière ne doit point alarmerles citoyens : ce poste peu important nous était plus à chargequ’utile par le nombre d’hommes qu’il occupait et j’avais eusouvent envie de le faire abandonner. J’ai cru devoir à mesconcitoyens cet avis : je pense qu’il suffira pour détruiretoute impression fâcheuse.

« Le général estime qu’environ deux centsde nos ennemis sont restés sur la place ; nous avons eu unmort et quelques blessés. »

Ainsi, d’après le bulletin des assiégés, deuxcents morts seulement.

Comme nous sommes loin des douze centscadavres de républicains laissés sur le champ de bataille…

Inutile d’insister sur la contradictionexistant entre l’importance que De Précy attachait au cimetière lematin et le dédain qu’il affecte le soir pour la redoute qu’il aperdue…

Cette victoire sur un des points les plusinabordables de Lyon nous rapprochait beaucoup de l’ennemi, serraitle blocus et donnait cet espoir que l’armée, ayant enlevé un postesi difficile, réussirait contre d’autres positions moinsdifficiles.

C’est ainsi que le rapport du généralrépublicain Petit-Guillaume apprécie cette victoire :

– Si Lyon, dit-il dans son rapport, n’estpas pris ou rendu dans huit jours, sa position devient biencritique, car, nous-mêmes qui étions à l’endroit le plusinabordable, nous touchions au faubourg de la Croix-Rousse par laprise de la maison Panthod de la maison Nérat et du cimetière deCuire.

Hier, à l’attaque de ce cimetière, les soldatsde la République ont fait des prodiges : ils ont escaladé unmur de vingt cinq pieds de haut et se sont précipités de l’autrecôté au travers d’une grêle de balles et de mitraille.

N’est-il pas vrai que cette lutte du cimetièrefut une grande journée, même débarrassée des sottes et follesimaginations inventées pour créer une fausse légende ?

Si les Lyonnais grandirent aux yeux du mondepar ce combat de géants, les républicains se hissèrent à leurhauteur.

Quand la vérité est si glorieuse pour les deuxpartis, pourquoi donc inventer de fabuleux exploits ?

La vérité, toute la vérité, rien que lavérité.

Comme nous l’avons dit pendant toute lapériode du siège, on n’attaqua Lyon que par la Croix-Rousse, on nele bombarda qu’avec des batteries de Montessuy et celles de la rivegauche du Rhône établies aux Brotteaux et à la Guillotière.

La prise du cimetière termina les opérationsoffensives de l’armée républicaine devant la Croix-Rousse.

On reconnut que l’on avait eu tort en poussantdes approches sur ce point qui était le plus fort de Lyon et quicependant n’était point la clef de la position.

En effet, le cimetière pris, on reconnut queles batteries de Fourvière battant et dominant la Croix-Rousse, ilétait impossible et inutile d’aller plus avant, sans avoir prisFourvière.

Les notes du chef de l’état-major de l’arméerépublicaine expliquent très clairement pourquoi les attaquesfurent abandonnées de ce côté après avoir été poussées si loin etsi énergiquement.

Depuis le 23 août, dit-il, jusqu’au 29septembre, on canonna et l’on bombarda presque journellement laville, tantôt la nuit, tantôt le jour. Les attaques sur laCroix-Rousse se poussaient également : mais après avoiremporté les maisons Panthod, Nérat, Rousset, Bouvard et lecimetière de Cuire qui étaient des postes fort éloignés desremparts de la ville, on attaqua et l’on prit d’abord le poste ducentre, placé entre la maison Rousset et la tête du faubourg, à unecroisée de chemin où les feux étaient si puissamment dirigés qu’ilne fut pas possible de s’y maintenir. De sorte que l’espacequ’occupait ce poste abandonné de part et d’autre était comme unebarrière mutuelle que personne n’osait plus franchir, d’autantmieux que l’espèce de ravin qui part de la tête du faubourg etdescend vers le Rhône, à la Boucle, réduit pour l’assaillant lefront attaquable à moitié, tandis que la défense d’artillerie agittoujours puissamment sur la totalité et que c’était principalementsur la disposition de son artillerie que Précy comptait pour sadéfense.

On revint à la première idée, et les derniersefforts furent dirigés sur Sainte-Foy.

Toute la première phase du siège se résume enceci, nous l’avons vu : attaque de la Croix-Rousse, inutilepuisqu’elle ne pouvait réussir, s’adressant au plus fort de laplace ; bombardement inutile aussi, puisque Lyon se laissaitécraser sans se rendre.

Ce fut l’illusion de Dubois-Crancé que cetteespérance de réduire Lyon par le bombardement.

Il fallut bien se rendre à l’évidence etcomprendre qu’il était nécessaire d’avoir recours à un siègerégulier, c’est-à-dire à l’investissement complet et à une attaqueméthodique sur un point culminant d’où l’on maîtriserait tous lesautres.

Ce point était connu dès le début.

C’était la hauteur de Sainte-Foy, d’où l’onpouvait enlever Saint-Just puis Fourvière.

Si Dubois-Crancé n’avait pas attaquéSainte-Foy d’abord, c’est qu’il ne pouvait étendre sa ligne plusloin que le camp devant la Croix-Rousse, à Caluire.

Et s’il s’était établi à Caluire, c’est que laposition y était bonne pour repousser une sortie de l’ennemi etpour se relier au camp des Brotteaux.

La faiblesse de son armée l’enchaînaitlà : sur ces hauteurs de Caluire, défendu sur ses flancs parla Saône et le Rhône, barrant les communications de Lyon du côté dela Savoie, il était, somme toute, dans une bonne positiond’expectative.

Il ne commit donc pas de fautes, comme on l’adit.

Il fit ce qu’il put en attendant l’arrivée desrenforts.

Mais les renforts arrivèrent enfin dans lecourant de septembre.

Pendant ce temps, dit Louis Blanc, Couthonfaisait lever toute l’Auvergne. Nous avons déjà décrit ceprodigieux mouvement. Le général Nicolas, détaché pour l’accélérer,fut enlevé dans le Forez, avec un détachement de hussards quil’accompagnait. Mais cet échec, ne servant qu’à rendre les appelsde Couthon plus brûlants et plus efficaces, un formidable cri deguerre ébranla les montagnes du Puy-de-Dôme ; de chacun deleurs sommets roule une avalanche énorme de paysans : àl’approche d’une de leurs colonnes, un bataillon de Lyonnais quioccupait Montbrison, se replie, et, le 17 septembre, Lyon voitarriver à St Genis une ardente cohue de pâtres, armés de faux, depiques, de fourches, de fléaux.

Maignet et Châteauneuf-Randon conduisaient cesrudes réquisitionnaires. Javogues, de son côté, amenait ceux duForez. Lyon sentit comme le froid de la mort. Rien à espérer desPiémontais : Kellermann venait de les repousser dans le fondde la Maurienne.

Vers la fin de septembre, l’armée assiégeante,renforcée d’un détachement de la garnison de Valenciennes, étaitforte de trente cinq mille hommes dont huit mille environ detroupes réglées et de vingt-deux mille de réquisition, sans compterun nouveau renfort que Couthon, resté en arrière, promettait.

La Convention exigea un effort vigoureux.

Elle voulait qu’on en finît vite, car, siMarseille était pris par le général républicain Carteaux, Toulonétait au pouvoir des Anglais et des Espagnols. La Conventionordonna donc de réduire Lyon à tout prix et en donna lesmoyens.

Kellermann, malgré ses victoires sur lesPiémontais, était devenu suspect au Comité de Salut public.

Celui-ci le fit destituer par laConvention.

Doppet le remplaça.

– La Convention et le Comité de Salutpublic, dit Louis Blanc, à qui rien ne paraissait impossible,n’avaient pas attendu jusque-là pour témoigner leur surprise de lalenteur du siège : bientôt cette surprise se changea encolère. Quoi ! éternellement canonner ! éternellementbombarder ! Quand donc approcherait-on les Lyonnais à labaïonnette ? Cette impatience hautaine des pouvoirsrévolutionnaires, Châteauneuf-Randon et Maignet, à peine arrivésdevant Lyon, la représentèrent.

Dubois-Crancé, esprit méthodique, n’aurait pasvoulu risquer un échec sachant les Lyonnais à la veille d’êtreaffamés, il eût préféré les réduire par la disette, et Gauthierpartageait à cet égard son sentiment.

De sorte qu’il se forma comme deux partisparmi les assiégeants celui de Dubois-Crancé et de Gauthier, dontle quartier général était à la Pape celui de Châteauneuf-Randon etde Maignet, qui établirent leur quartier général à Sainte-Foy.

Mais comment la temporisation aurait-ellelutté longtemps contre l’audace sous le règne des audacieux ?La destitution de Kellermann, accusé de mollesse, fut la premièrepreuve décisive que le Comité de Salut public donna de sa volontéd’en finir, et, le 26 septembre, Doppet, appelé au commandement del’armée des Alpes, était devant Lyon.

Aussitôt, en effet, tout change de face :une impulsion énergique est imprimée à l’armée, non plus en vued’un simple investissement et pour des attaques lentes etméthodiques à la Vauban, mais pour de grandes poussées à la façonrévolutionnaire.

Un cercle immense de baïonnettes et de canonsenveloppa Lyon et l’enserra.

Voici la description imposante que font lesreprésentants de cette ligne des camps républicains.

« Lettre des Représentants du peuple prèsl’armée des Alpes, à la Convention nationale.

« Citoyens nos collègues,

« Les colonnes de l’armée républicaineoccupent maintenant tous les abords de la ville de Lyon à la portéedu canon.

« Dix mille hommes, sous les ordres dugénéral Vaubois, occupent la plaine du côté de l’Isère, appuientleur droite à Sollière et leur gauche à un pont de bateaux sur leRhône. Cette division est celle qui a jusqu’ici bombardé Lyon etqui couvre la sortie du pont Morand et celle de la Guillotière.Elle a maintenant douze mortiers, huit pièces de 24 et de 16, avec2 obusiers : ce qui fournit deux mille bombes ou boulets parjour. La division qui appuie sa droite à la rive droite du Rhône,vis-à-vis Sollière, et qui est destinée à attaquer Sainte-Foy et lefaubourg Saint-Just est de dix mille hommes commandés par le chefde brigade Valette et occupe la route du Forez et tous lesdébouchés jusqu’à Grézieux. Cette division a deux pièces de 16,deux de 8 et plusieurs de 4.

« Une troisième division, commandée parl’adjudant Pinon, de dix à douze mille hommes aussi, avec trentepièces de canon de différents calibres, forme la chaîne entreGrézieux et la Tour-de-Salvagny, et peut se porter au besoin àdroite et à gauche.

« Une quatrième, commandée par le généralRivas, de sept à huit mille hommes, occupe l’espace qui est entrela Tour-de-Salvagny, en passant par le Puits-d’Or jusqu’à la rivedroite de la Saône. Cette colonne a emporté dans la journéed’avant-hier, avec une impétuosité vraiment républicaine, lechâteau de la Duchère, à une portée de fusil du faubourg de Vaise.Cette colonne a déjà deux pièces de 8, deux pièces de 16, deuxobusiers et huit mortiers, qui sont prêts à y monter la batteriepour prendre en flanc le faubourg et le quartier de Serin.

« Enfin, une cinquième division de six àsept mille hommes occupe la rive gauche de la Saône et le rivedroite du Rhône, le chemin de Genève et tient en échec toutes leshauteurs de la Croix-Rousse, avec huit pièces de gros calibre, deuxobusiers et plusieurs pièces de 4. »

Ce dernier camp était celui de laCroix-Rousse.

Lyon était si bien enveloppé et pressé de siprès que Dubois-Crancé pouvait écrire à la Convention :

« Les colonnes qui cernent Lyon sontmaintenant tellement liées qu’il ne peut en sortir un homme àcheval.

« Nous allons voir agir ces formidablesmasses. »

Dubois-Crancé s’était fait raconter l’histoirede sœur Adrienne.

S’intéressant beaucoup à Saint-Giles, ils’intéressa vivement aussi à sa fiancée.

Toutes les fois qu’il faisait partir un agentpour Toulon, afin de se renseigner sur la situation de la ville, ilne manquait jamais de lui recommander de faire tout son possiblepour découvrir la retraite de sœur Adrienne.

Marseille étant retombé au pouvoir de laConvention, tout le Midi étant soumis sauf Lyon et Toulon,Mlle Sigalon ne craignit plus de confier deslettres aux agents secrets de Dubois-Crancé.

« Je vous envoie une lettre qui intéressevotre protégé Saint-Giles.

« J’éprouve, comme vous, beaucoup desympathie pour ce jeune homme.

« Vous connaîtrez par la lettre que jevous signale la retraite où se tient sa fiancée. »

Au reçu de cette lettre, Dubois-Crancé sesavait déjà menacé d’une prochaine destitution ; nous dironspourquoi il voulait être utile à Saint-Giles avant que sa disgrâcene lui enlevât ses pleins pouvoirs : il avait fait appeler lecapitaine la Ficelle, qui se faisait maintenant appelerFizelier.

Avant de le mander près de lui, il avaitétudié ses notes.

Quand le capitaine parut, Dubois-Crancé luidit :

– Avant d’être à l’armée, vous étiezagent ?

– Oui, citoyen représentant ! dit laFicelle.

– Vous avez eu une méchante affaire…

– Oh !… un abus de pouvoir et un peude carotte tirée à un imbécile qui s’est plaint.

– Passons… Vous avez été chargé en 1787d’enlever à Londres et de ramener à Paris une héritière qui s’étaitlaissé épouser par un certain drôle…

– Et j’ai mené ça délicatement etrondement…

– Oui… oh ! trèshabilement !

– Vous connaissez l’histoire de sœurAdrienne ?

– La fiancée de mon commandant ?Oui ! Je sais même que la baronne de Quercy l’a faitdisparaître.

– Eh bien ! un de mes agents deToulon me fait savoir que sœur Adrienne est tombée malade aussitôtarrivée en Suisse. Elle a été atteinte d’une fièvre typhoïde. Cettejeune fille est aux mains d’une mégère…

– Peut-être l’AuvergnateMme Adolphe… qui… Ah ! la garce.

– Bon ! vous ne l’aimez pas. Tantmieux ! de plus, il y a un amoureux dans l’affaire…

– Le prédicateur espagnol,peut-être ?

– Lui-même. Vous devinez d’une façon trèsperspicace.

– Et il s’agit, sans doute, d’enleversœur Adrienne ?

– Oui ! Malade au lit, elle n’avaitrien à craindre de ce prêtre ; mais elle doit être bien prèsde sa convalescence. Il s’agit donc de l’avertir qu’on la trompe,de la décider à rentrer en France et de l’y amener.

– Facile ! très facile ! dit laFicelle.

– Eh bien, vous avez congé ! Voiciun crédit pour un banquier de Genève. Usez en largement, n’enabusez pas ! Combien de temps vous faut-il pour préparer votredépart et prendre vos dispositions ?

– Trois heures.

– Que vous faudrait-il que je pourraisvous fournir ?

– Rien.

– Alors, bon voyage ! mais songezque vous allez m’aider à payer à Saint-Giles la dette de la Franceet, si je ne me trompe, vous avez plus de cœur qu’un policiervulgaire.

– J’ai surtout de l’amour-propre, dit laFicelle en souriant.

Il salua et s’en alla emportant sa lettre decrédit.

– Je crois, murmura Dubois-Crancé, que cepetit Parisien réussira. En ce cas, j’aurai rempli un devoir deconscience et tenu ma promesse à ce pauvre Saint-Giles.

Puis il écrivit une lettre de réponse àMlle Sigalon, lui apprenant l’envoi de son agent etla priant de lui donner de nouveaux renseignements sur sœurAdrienne s’il survenait par hasard quelque incident.

Pourquoi n’avait-il pas donné un plus vifespoir à Saint-Giles ?

Pourquoi ne lui avait-il point toutdit ?

Parce qu’il ne voulait pas troubler ce grandcœur par cette révélation.

Savoir sœur Adrienne à Genève, si près etmenacée.

Peut-être Saint-Giles se serait-il moins bienbattu !

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