Le Bataillon de la Croix-Rousse

Dubois-Crancé risque sa tête etKellermann compromet la sienne

Jamais l’histoire n’a donné un aussi grandexemple de pitié patiente et généreuse que celui par lequelDubois-Crancé s’honora devant Lyon.

Lasse enfin de temporiser, la Conventiongourmanda le zèle des représentants en mission et leur ordonnad’agir avec vigueur.

Et, cependant, au péril de sa tête,Dubois-Crancé voulut épuiser tous les moyens de conciliation ;il usa encore de ce qu’on pourrait appeler le petit bombardement,puis il tenta un suprême effort que Louis Blanc raconte en cestermes :

« N’y avait-il donc aucun moyen d’arrêtercette lutte fratricide ? Dubois-Crancé, tentant un derniereffort, écrit aux Lyonnais : “Pourquoi, si vous vous soumettezaux lois, douteriez-vous de l’indulgence de la Convention ? Nedites pas que vous avez juré de mourir libres. Votre liberté nepeut être que celle que toute la France a jurée. Tout autre acte deliberté prétendue est une rébellion contre la nation toutentière.”

« Après treize heures d’attente, continueLouis Blanc, il reçut, pour toute réponse, la notification que lescitoyens, obligés de se disperser pour le service du siège, nevoulaient plus correspondre eux-mêmes avec les représentants, etqu’il n’y avait plus d’autre moyen de s’entendre que de former uncongrès de commissaires nommés de part et d’autre. »

Il n’y avait plus à hésiter, Dubois-Crancéavait inutilement risqué sa tête par ces temporisations et l’onverra que par la suite, il fut destitué et appelé devant laConvention pour faire juger sa conduite.

Il fallait donc renoncer à tout espoir,bombarder sérieusement, ne plus se contenter de l’avertissement ducanon.

On prit des dispositions formidables.

Le 10 août, Dubois-Crancé écrit au Comité deSalut public dont maintenant Carnot fait partie.

Au quartier général de la Pape, le 16 août1793, l’an 2 de la République une et indivisible.

« Les représentants du peuple envoyésprès de l’armée des Alpes et dans les départements deSaône-et-Loire, Rhône-et-Loire et de l’Ain, au peuple de Lyon.

« Citoyens,

« Les présidents de sections nousproposent une nomination respective de commissaires, et en mêmetemps ils nous déclarent que désormais le peuple de la ville deLyon ne correspondra plus avec nous : on redoute unecommunication franche et loyale entre le peuple et sesreprésentants. Eh bien ! nous déclarons à notre tour que nousne pouvons pas communiquer avec des autorités sans caractère,puisque les décrets de la Convention nationale s’y opposent. Nousne connaissons que la loi, nous n’obéissons qu’à elle, et nous netraitons jamais avec des fonctionnaires qui persistent à laméconnaître. Voilà notre dernier mot.

« Signé : Dubois-Crancé, Sébastiende La Porte, Gauthier et Claude Javognes. »

Mais avant de commencer le feu qui allaitincendier Lyon, Dubois-Crancé épargnait à Kellermann la tristeresponsabilité d’un bombardement épouvantable.

Il envoyait le général à la frontière fairetête aux Piémontais.

La Convention ne fut pas dupe de cetarrangement et Kellermann, arrêté plus tard, subit une longuedétention.

Il ne fut sauvé que par la chute deRobespierre en thermidor.

Dubois-Crancé, qui avait l’audace et laloyauté des responsabilités généreuses, avait cependant couvertKellermann par la lettre suivante :

« Du 24 août 1793.

« Lettre au comité de Salut public.

« Citoyens nos collègues,

« L’invasion subite de la Tarentaise etde la Maurienne par les Piémontais, invasion continuée par la hardescélérate qui gouverne et domine Lyon, avait jeté la plus grandealarme dans le département du Mont-Blanc et ceux circonvoisins.Nous avons résisté aux clameurs et à l’opinion prononcée même parles généraux, qu’il fallait retirer les troupes de devant Lyon pourles reporter aux frontières ; nous avons toujours pensé quel’effort des Piémontais n’était qu’une ruse ou tentative pourformer une diversion favorable aux Lyonnais : que le foyer del’incendie était au centre de cette ville, et qu’en la réduisantnous anéantissions du même coup tous les ennemis de la Républiquedes Alpes aux Pyrénées : en conséquence nous avons accédé audésir de Kellermann de se transporter à l’embouchure des deuxvallées pour y ranimer les troupes et leur indiquer des positionsmilitaires, mais sous la condition qu’il serait de retour en troisjours. »

Puis, le lendemain, il annonce que Lyon serasous peu de jours anéanti.

On sent que l’irritation du proconsul estarrivée au plus haut point ; cette lettre est inspirée par lacolère, il y passe comme un terrible souffle de menace.

« Au quartier général, à la Pape, prèsLyon, le 18 août 1793, l’an II de la république.

« Lettre au Comité de Salut public

« Citoyens nos collègues,

« Quoique notre lettre d’hier vousprésente notre situation dans tout son jour, nous profitons d’uncourrier que le général expédie à Paris pour ajouter quelquesdétails.

« La nuit dernière nous a beaucoup servipour établir nos batteries.

« Les bombes sont prêtes, le feu rougitles boulets, la mèche est allumée, et si les Lyonnais persistentencore dans leur rébellion, nous ferons la guerre demain soir à lalueur des flammes qui dévoreront cette ville rebelle.

« Oui, encore quelques jours, et Isnardet ses partisans iront chercher sur quelle rive du Rhône Lyonexistait.

« Un de nos collègues, Gauthier, partpour Chambéry avec le général Kellermann ; celui-ci reviendradans trois jours. Nous avons cru cette mesure nécessaire afind’empêcher les progrès des Piémontais qui ont déjà envahi unepartie de la frontière. »

Kellermann partit donc, couvert par cettelettre.

Malheureusement, il commit d’autresimprudences, comme on le verra.

Le bombardement eut lieu.

L’entêtement inouï de Lyon fut soutenu par uncourage sublime s’il n’eût été criminel contre la patrie.

Jamais ville ne supporta les horreurs d’unbombardement avec un pareil héroïsme.

L’auteur des Girondins, Lamartine, a retracéavec une fidélité saisissante le tableau de cette ville en flammes,restant ferme et intrépide sur ses ruines fumantes.

– Les batteries de Kellermann et cellesde Vaubois, dit-il, firent pleuvoir sans interruption pendantdix-huit jours, les bombes, les boulets rouges, les fuséesincendiaires sur la ville. Des signaux perfides, faits pendant lanuit par les amis de Châlier, indiquaient les quartiers et lesmaisons à brûler. Les boulets choisissaient ainsi leur but, lesbombes éclataient presque toujours sur les rues, sur les places etsur les demeures des ennemis de la République.

Pendant ces nuits sinistres, le quai opulentde Saint-Clair, la place Bellecour, le port du Temple, la rueMercière, immense avenue de magasins encombrés de richesses de lafabrique et du commerce, s’allumèrent trois cent fois sous la chuteet l’explosion des projectiles ; dévorant dans leur incendieles millions de produits du travail de Lyon, et ensevelissant, dansles ruines de leurs fortunes, des milliers d’habitants.

Ce peuple, un moment épouvanté, n’avait pastardé à s’aguerrir à ce spectacle. L’atrocité de ses ennemis neproduisait en lui que l’indignation. La cause de la guerre, quin’était d’abord que la cause d’un parti, devint ainsi la causeunanime. Le crime de l’incendie de Lyon parut aux citoyens lesacrilège de la République.

On ne comprit plus d’accommodement possibleavec cette Convention qui empruntait l’incendie pour auxiliaire, etqui brûlait la France pour soumettre une opinion.

La population s’arma tout entière pourdéfendre jusqu’à la mort ses remparts. Après avoir dévoué sesfoyers, ses biens, ses toits, ses richesses, il lui en coûtait peude dévouer sa vie. L’héroïsme devint une habitude de l’âme. Lesfemmes, les enfants, les vieillards s’étaient apprivoisés en peu dejours avec le feu et avec les éclats de projectiles. Aussitôtqu’une bombe décrivait sa courbe sur un quartier ou sur un toit,ils se précipitaient non pour la fuir, mais pour l’étouffer enarrachant la mèche. S’ils y réussissaient, ils jouaient avec leprojectile éteint et le portaient aux batteries de la ville pour lerenvoyer aux ennemis : s’ils arrivaient trop tard, ils secouchaient à terre et se relevaient quand la bombe avaitéclaté.

Des secours partout organisés contrel’incendie apportaient, par des chaînes de mains, l’eau des deuxfleuves à la maison enflammée.

La population entière était divisée en deuxpeuples, dont l’un combattait sur les remparts, dont l’autreéteignait les flammes, portait aux avant-postes les munitions etles vivres, rapportait les blessés aux hôpitaux, pansait lesplaies, ensevelissait les morts. La garde nationale, commandée parl’intrépide Madinier, comptait six mille baïonnettes. Ellecontenait les Jacobins, désarmait les clubistes, faisait exécuterles réquisitions de la commission populaire, et fournissait denombreux détachements de volontaires aux postes les plus menacés.Précy, Virieu, Chenelettes, présents partout, traversant sans cessela ville à cheval pour courir et pour combattre d’un fleuve àl’autre, allaient du camp au conseil et du conseil au combat. Lacommission populaire, présidée par le médecin Gilibert, Girondinardent et courageux, n’hésitait ni devant la responsabilité nidevant la mort. Dévouée à la victoire ou à la guillotine, elleavait reçu du péril commun la puissance qu’elle exerçait avec leconcours unanime de toutes les volontés. L’autorité est fille de lanécessité. Tout pliait sans murmure sous ce gouvernement desiège.

Quel tableau !

Quelle magique évocation d’une scène sublimed’horreur !

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