Le Bataillon de la Croix-Rousse

Épilogue

Saint-Giles avait consenti à s’évaderquoiqu’il tînt fort peu à la vie pour lui-même ; mais il avaitappris que sœur Adrienne vivait : il crut devoir profiter dela chance pour délivrer, si c’est possible, sa fiancée.

Les fatalités de sa vie condamnaientSaint-Giles à subir un second amour, plus sauvage, plus ardent,plus jaloux, plus terrible que celui de la baronne qui avait pesésur son passé récent : la bohémienne l’aimait avec une fureurde louve ; cet homme qui lui devait la vie, était àelle : elle le surveillait avec une vigilance inouïe.

Saint-Giles suivait la tribu sous un costumede bohémien : il était à la merci de ces vagabonds. Toutefois,il avait gagné l’estime et l’affection de cette bande en faisanttomber la manne sous forme de gros sous et de petits écus sur cesnomades.

Saint-Giles, dans toutes les petites villes oùl’on passait, faisait, pour un écu, le portrait en croquis aucrayon de qui voulait « se payer sa ressemblance à bonmarché ».

Il commençait par croquer gratis le maire etmadame son épouse qui, bien réussis, toujours vantaient le talentdu bohémien.

On le demandait dans toutes les maisonsriches, et il venait… flanqué de son inévitable compagne.

Cela dura près d’un mois.

Si l’on veut se rappeler qu’en ce temps-là onsoupçonnait tout le monde, que vingt fois par jour on exigeait lespasseports du voyageur ; que le premier républicain venus’arrogeait n’importe où le droit d’arrêter et de questionner unsuspect ; que la moindre dénonciation, la plus petiteindiscrétion vous perdait, on comprendra que Saint-Giles, aprèsavoir roulé cent projets de fuite dans sa tête, n’en trouva pas unde praticable.

Enfin, un jour, il parvint à conduire la bandeà Avignon.

Là, il avait un oncle.

Sous prétexte de remède, il avait acheté del’opium ; il parvint assez facilement à endormir toute latribu, chiens compris.

Pendant le sommeil des Bohémiens, il allatrouver son oncle et apprit une nouvelle qui le combla dejoie : Adrienne avait été enlevée par un de ses capitaines surl’ordre de Dubois-Crancé, ramenée en France par cet officier dubataillon de la Croix-Rousse, et elle s’était réfugiée àVillefranche, au milieu de la famille d’orphelins à laquelle elleservait de sœur aînée.

Quant à Ernest, il était parti pour l’armée deToulon, et il avait gagné le grade de lieutenant en allant occuperle premier la batterie des « hommes sans peur »construite sous le feu de l’ennemi par Bonaparte.

– Connaissez-vous dans la ville, demandaSaint-Giles, un jeune homme qui, réquisitionné pour l’armée deToulon, serait heureux de me voir partir à sa place, la loi permetles substitutions en pareil cas.

– Je chercherai ! dit l’oncle.

– Je suis à Avignon pour quinze jours aumoins, dit Saint-Giles. Quand vous aurez trouvé, venez faire fairevotre portrait, je saurai ce que cela veut dire.

Et Saint-Giles regagna le camp des Bohémiensaprès avoir écrit à sa fiancée et prié son oncle de lui faire tenirla lettre.

Le jeune homme à remplacer fut trouvé etSaint-Giles, grâce à l’opium, put un soir s’enfuir, s’équiper etpartir pour Toulon en diligence.

Il parvint à s’incorporer dans le bataillon deson frère et dans sa compagnie.

Il monta avec Ernest à l’assaut du fortLamalgue et il entra un des premiers dans la ville au moment où lesflottes anglaise et espagnole quittaient le port après avoirincendié nos navires.

Un grand nombre de malheureux compromis dansla grande trahison qui avait livré la ville aux ennemis ne purents’embarquer à temps.

Près de deux mille, restés sur les quais,furent pris.

Parmi ces victimes qui malheureusementméritaient leur sort, se trouvait la baronne de Quercy.

Mlle Sigalon qui la haïssaitmortellement, lui avait tendu un piège : elle la faisaitgarder au fond d’une cave par huit forçats bien payés et dont ledévouement était assuré.

Condamnée à mort une des premières,Mme de Quercy fut guillotinée.

Saint-Giles s’estima heureux d’avoir étéenvoyé à l’armée des Pyrénées pour ne pas voir tomber cettetête.

Nommé caporal, puis sergent, puissous-lieutenant en quelques jours, – car on improvisait lesofficiers à cette époque – Saint-Giles put faire venir Adrienne etl’épouser… sous son faux nom de guerre.

Nous ne le suivrons pas dans sa carrièremilitaire si brillante : nous n’en rappellerons qu’unépisode.

Il était devenu chef de bataillon.

L’armée républicaine victorieuse venait derepousser les Espagnols et envahissait leur territoire.

À la tête de son bataillon, Saint-Gilesattaqua et enleva un couvent.

On fit là de nombreux prisonniers parmilesquels des moines et des prêtres.

Au milieu de ceux-ci, Saint-Giles reconnut domSaluste.

Sans autre forme de procès, il le fit pendre…non comme Espagnol ayant défendu son pays, mais comme espion venu àLyon pour faire assassiner Châlier.

Et Mme Adolphe vit dom Salusteaccroché au chêne.

Car Mme Adolphe était là.

On sait combien elle s’était mise à aimer sœurAdrienne : la Ficelle avait permis àMme Adolphe de revenir en France avec elle et luiet il l’avait présentée à Collot-d’Herbois comme ayant noyé lebedeau de Fourvière.

Cela lui avait valu les bonnes grâces dufarouche proconsul et un certificat de civisme qui la mettait àl’abri de toute poursuite.

Elle avait voulu accompagner Adrienne àl’armée des Pyrénées et là, un vieux sergent l’avait épousée pouren faire une cantinière.

Mme Adolphe fut si crânepartout, sous le feu, qu’on lui vota une paire de pistoletsd’honneur.

Je raconterai peut-être un jour ses exploitset ceux des deux Saint-Giles et mon récit sera intitulé :

La Cantinière de la 32e demi-brigade.

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