Joseph Balsamo – Tome II (Les Mémoires d’un médecin)

Chapitre 7Ce qu’était M. Jacques

Gilbert travaillait avec ardeur, et son papier se couvrait d’essais
consciencieusement étudiés lorsque le vieillard, après l’avoir regardé faire
pendant quelque temps, se mit à son tour à l’autre table, et commença à
corriger des feuilles imprimées, pareilles à l’enveloppe des haricots du
grenier.

Trois heures s’écoulèrent ainsi, et le cartel venait de
sonner neuf heures, lorsque Thérèse entra précipitamment.

Jacques leva la tête.

– Vite, vite ! dit la ménagère, passez dans la salle.
Voici un prince qui nous arrive. Mon Dieu ! quand donc cette procession d’altesses
finira-t-elle ? Pourvu qu’il ne lui prenne pas fantaisie de déjeuner avec
nous, comme a fait l’autre jour le duc de Chartres !

– Et quel est ce prince ? demanda Jacques à voix basse.

– Monseigneur le prince de Conti.

Gilbert, à ce nom, laissa tomber sur ses portées un sol
que Bridoison, s’il fût né à cette époque, eût appelé un pâ…aaté bien plutôt qu’une
note [Note – « Le mariage de Figaro »,
acte III, scène XV.].

– Un prince, une altesse ! fit-il tout bas.

Jacques sortit en souriant derrière Thérèse, qui referma la
porte.

Alors Gilbert regarda autour de lui, et, se voyant seul, leva
sa tête toute bouleversée.

– Mais où suis-je donc ici ? s’écria-t-il. Des princes,
des altesses chez M. Jacques ! M. le duc de Chartres,Monseigneur le
prince de Conti chez un copiste !

Il s’approcha de la porte pour écouter ; le cœur lui
battait singulièrement.

Les premières salutations avaient déjà été échangées entre
M. Jacques et le prince ; le prince parlait.

– J’eusse voulu vous emmener avec moi, disait-il.

– Pour quoi faire, mon prince ? demandait Jacques.

– Mais pour vous présenter à la dauphine. C’est une ère
nouvelle pour la philosophie, mon cher philosophe.

– Mille grâces de votre bon vouloir, Monseigneur ; mais
impossible de vous accompagner.

– Cependant, vous avez bien, il y a six ans, accompagné
madame de Pompadour à Fontainebleau ?

– J’étais de six ans plus jeune ; aujourd’hui je suis
cloué à mon fauteuil par mes infirmités.

– Et par votre misanthropie.

– Et quand cela serait, Monseigneur ? Ma foi, le monde
n’est-il pas une chose bien curieuse, qu’il faille se déranger pour lui ?

– Eh bien ! voyons, je vous tiens quitte de Saint-Denis
et du grand cérémonial, et je vous emmène à la Muette, où couchera après-demain
soir Son Altesse royale.

– Son Altesse royale arrive donc après-demain à Saint-Denis ?

– Avec toute sa suite. Voyons, deux lieues sont bientôt faites
et ne causent pas un grand dérangement. On dit la princesse excellente musicienne ;
c’est une élève de Gluck.

Gilbert n’en entendit point davantage. À ces mots :« Après-demain,
madame la dauphine arrive avec toute sa suite à Saint-Denis »,il avait
pensé à une chose, c’est que, le surlendemain, il allait se retrouver à deux
lieues d’Andrée.

Cette idée l’éblouit comme si ses yeux eussent rencontré un
miroir ardent.

Le plus fort de deux sentiments étouffa l’autre. L’amour
suspendit la curiosité ; un instant il sembla à Gilbert qu’il n’y avait
plus assez d’air pour sa poitrine dans ce petit cabinet ; il courut à la
fenêtre dans l’intention de l’ouvrir, la fenêtre était cadenassée en dedans, sans
doute pour qu’on ne pût jamais voir de l’appartement situé en face ce qui se
passait dans le cabinet de M. Jacques.

Il retomba sur sa chaise.

– Oh ! je ne veux plus écouter aux portes, dit-il ;
je ne veux plus pénétrer les secrets de ce petit bourgeois, mon protecteur, de
ce copiste, qu’un prince appelle son ami et veut présenter à la future reine de
France, à la fille des empereurs, à laquelle mademoiselle Andrée parlait
presque à genoux.

« Et cependant, peut-être apprendrais-je quelque chose
de mademoiselle Andrée en écoutant.

« Non, non, je ressemblerais à un laquais. La Brie
aussi écoutait aux portes. »

Et il s’écarta courageusement de la cloison dont il s’était
rapproché ; ses mains tremblaient, un nuage obscurcissait ses yeux.

Il éprouvait le besoin d’une distraction puissante, la copie
l’eut trop peu occupé. Il saisit un livre sur le bureau de M.Jacques.

– Les Confessions, lut-il avec une surprise joyeuse ;
les Confessions, dont j’ai, avec tant d’intérêt lu une centaine de pages.

« Édition ornée du portrait de l’auteur, continua-t-il.

« Oh ! et moi qui n’ai jamais vu de portrait de M.
Rousseau ! s’écria-t-il. Oh ! voyons, voyons. »

Et il retourna vivement la feuille de papier joseph qui cachait
la gravure, aperçut le portrait et poussa un cri.

En ce moment la porte s’ouvrit ; Jacques rentrait.

Gilbert compara la figure de Jacques au portrait qu’il
tenait à la main, et, les bras étendus, tremblant de tout son corps, laissa
tomber le volume en murmurant :

– Je suis chez Jean-Jacques Rousseau !

– Voyons comment vous avez copié votre musique, mon enfant,répondit
en souriant Jean-Jacques, bien plus heureux au fond de cette ovation imprévue
qu’il ne l’avait été des mille triomphes de sa glorieuse vie.

Et, passant devant Gilbert frémissant, il s’approcha de la
table et jeta les yeux sur le papier.

– La note n’est pas mauvaise, dit-il ; vous négligez
les marges, ensuite vous ne joignez pas assez du même trait les notes qui vont
ensemble. Attendez, il vous manque un soupir à cette mesure ;puis, tenez,
voyez, vos barres de mesure ne sont pas droites. Faites aussi les blanches de
deux demi-cercles. Peu importe qu’elles joignent exactement. La note toute
ronde est disgracieuse, et la queue s’y soude mal… Oui, en effet,mon ami, vous
êtes chez Jean-Jacques Rousseau.

– Oh ! pardon alors, monsieur, de toutes les sottises
que j’ai dites, s’écria Gilbert joignant les mains et prêt à se prosterner.

– A-t-il donc fallu, dit Rousseau en haussant les épaules,a-t-il
fallu qu’il vînt ici un prince pour que vous reconnaissiez le persécuté, le malheureux
philosophe de Genève ? Pauvre enfant, heureux enfant qui ignore la
persécution !

– Oh ! oui, je suis heureux, bien heureux, mais c’est
de vous voir, c’est de vous connaître, c’est d’être près de vous.

– Merci, mon enfant, merci ; mais ce n’est pas le tout
que d’être heureux, il faut travailler. Maintenant que vos essais sont faits, prenez
ce rondeau et tâchez de le copier sur du vrai papier à musique ; c’est
court et peu difficile ; de la propreté surtout. Mais comment avez-vous
reconnu ?…

Gilbert, le cœur gonflé, ramassa le volume des Confessions
et montra le portrait à Jean-Jacques.

– Ah ! oui, je comprends, mon portrait brûlé en effigie
sur la première page de l’Émile ; mais qu’importe, la flamme
éclaire, qu’elle vienne du soleil ou d’un autodafé.

– Monsieur, monsieur, savez-vous que jamais je n’avais rêvé
que cela, vivre auprès de vous ? Savez-vous que mon ambitionne va pas
plus loin que ce désir ?

– Vous ne vivrez pas auprès de moi, mon ami, dit
Jean-Jacques, car je ne fais pas d’élèves. Quant à des hôtes, vous l’avez vu, je
ne suis pas assez riche pour en recevoir et surtout pour en garder.

Gilbert frissonna, Jean-Jacques lui prit la main.

– Au reste, lui dit-il, ne vous désespérez pas. Depuis que
je vous ai rencontré, je vous étudie, mon enfant ; il y a en vous beaucoup
de mauvais, mais aussi beaucoup de bon ; luttez avec votre volonté contre
vos instincts, défiez-vous de l’orgueil, ce ver rongeur de la philosophie, et
copiez de la musique en attendant mieux.

– Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! dit Gilbert, je
suis tout étourdi de ce qui m’arrive.

– Il ne vous arrive cependant rien que de bien simple et de
bien naturel, mon enfant ; il est vrai que ce sont les choses simples qui
émeuvent le plus les cœurs profonds et les esprits intelligents.Vous fuyez je
ne sais d’où, je ne vous ai point demandé votre secret ; vous fuyez à
travers les bois ; dans ces bois, vous rencontrez un homme qui herborise, cet
homme a du pain, vous n’en avez pas, il partage avec vous son pain ; vous
ne savez où vous retirer, cet homme vous offre un asile ; cet homme s’appelle
Rousseau, voilà tout, et cet homme vous dit :

« Le premier précepte de la philosophie est celui-ci :

« Homme, suffis-toi à toi-même.

« Or, mon ami, quand vous aurez copié votre rondeau, vous
aurez gagné votre nourriture d’aujourd’hui. Copiez donc votre rondeau.

– Oh ! monsieur, que vous êtes bon !

– Quant au gîte, il est à vous par-dessus le marché ;
seulement, pas de lecture nocturne, ou, si vous usez de la chandelle, que ce
soit la votre, sinon Thérèse gronderait. Avez-vous faim,maintenant ?

– Oh ! non, monsieur, dit Gilbert suffoqué.

– Il reste du souper d’hier de quoi déjeuner ce matin ;
ne faites pas de façons ; ce repas est le dernier, sauf invitation, si
nous restons bons amis, que vous ferez à ma table.

Gilbert commença un geste que Rousseau interrompit d’un
signe de tête.

– Il y a, continua-t-il, rue Plâtrière, une petite cuisine
pour les ouvriers ; vous y mangerez à bon compte, car je vous y recommanderai.
En attendant, allons déjeuner.

Gilbert suivit Rousseau sans répondre. Pour la première fois
de sa vie il était dompté ; il est vrai que c’était par un homme supérieur
aux autres hommes.

Après les premières bouchées, il sortit de table et retourna
travailler. Il disait vrai : son estomac, trop contracté de la secousse qu’il
avait reçue, ne pouvait recevoir aucune nourriture. De tout le jour il ne leva
point les yeux de dessus son ouvrage, et vers huit heures du soir,après avoir
déchiré trois feuilles, il était parvenu à copier lisiblement et proprement un
rondeau de quatre pages.

– Je ne veux pas vous flatter, dit Rousseau, c’est encore
mauvais, mais c’est lisible ; cela vaut dix sous, les voici.

Gilbert les prit en s’inclinant.

– Il y a du pain dans l’armoire, monsieur Gilbert, dit Thérèse,
sur qui la discrétion, la douceur et l’application de Gilbert avaient produit
un bon effet.

– Merci, madame, répondit Gilbert ; croyez que je n’oublierai
point vos bontés.

– Tenez, dit Thérèse en lui tendant le pain.

Gilbert allait refuser ; mais il regarda Jean-Jacques
et comprit, par ce sourcil qui se fronçait déjà au-dessus de cet œil subtil et
par cette bouche si fine qui commençait à se crisper, que son refus pourrait
bien blesser son hôte.

– J’accepte, dit-il.

Puis il se retira dans sa petite chambre, tenant en main la
pièce de six sous d’argent et les quatre sous de cuivre qu’il venait de
recevoir de Jean-Jacques.

– Enfin, dit-il en entrant dans sa mansarde, je suis donc
mon maître, c’est-à-dire, non, pas encore, puisque j’ai là le pain de la
charité.

Et, quoiqu’il eût faim, il déposa sur l’appui de sa lucarne
son pain, auquel il ne toucha point.

Puis, pensant qu’il oublierait sa faim en dormant, il
souffla sa chandelle et s’étendit sur sa paillasse.

Le lendemain – Gilbert avait fort peu dormi pendant toute
cette nuit – le lendemain, le jour le trouva éveillé. Il se rappela ce que lui
avait dit Rousseau des jardins sur lesquels donnait la fenêtre. Il se pencha
hors de la lucarne, et vit en effet les arbres d’un beau jardin ; au delà
de ces arbres s’élevait l’hôtel auquel appartenait ce jardin, et dont l’entrée
donnait rue de la Jussienne.

Dans un coin du jardin, tout entouré de jeunes arbres et de
fleurs, s’élevait un petit pavillon aux contrevents fermés.

Gilbert pensa d’abord que ces contrevents étaient fermés à
cause de l’heure, et que ceux qui habitaient ce pavillon n’étaient pas encore
éveillés. Mais, comme les arbres naissants avaient collé leur feuillage contre
ces contrevents, Gilbert comprit bientôt que ce pavillon devait être inhabité
depuis l’hiver tout au moins.

Il en revint alors à admirer les beaux tilleuls qui lui cachaient
le logement principal.

Deux ou trois fois la faim avait entraîné Gilbert à jeter
les yeux sur le morceau de pain que, la veille, lui avait coupé Thérèse ;
mais, toujours maître de lui, et tout en le convoitant, il n’y avait pas
touché.

Cinq heures sonnèrent, alors il pensa que la porte de l’allée
devait être ouverte ; et lavé, brossé et peigné – Gilbert,grâce aux soins
de Jean-Jacques, avait, en remontant dans son grenier, trouvé les objets nécessaires
à sa modeste toilette – et lavé, brossé, peigné, disons-nous, il prit son
morceau de pain et descendit.

Rousseau, qui cette fois n’avait pas été le réveiller,Rousseau,
qui par un excès de défiance peut-être, et pour mieux se rendre compte des habitudes
de son hôte, n’avait point fermé sa porte la veille, Rousseau l’entendit
descendre et le guetta.

Il vit Gilbert sortir son pain sous le bras.

Un pauvre s’approcha de lui, il vit Gilbert lui donner son
pain, puis entrer chez un boulanger, qui venait d’ouvrir sa boutique, et
acheter un autre morceau de pain.

– Il va aller chez le traiteur, pensa Rousseau, et ses
pauvres dix sous y passeront.

Rousseau se trompait ; tout en marchant, Gilbert mangea
une partie de son pain ; puis, s’arrêtant à la fontaine qui coulait au
coin de la rue, il but, mangea le reste de son pain, but encore, se rinça la
bouche, se lava les mains et revint.

– Ma foi, dit Rousseau, je crois que je suis plus heureux
que Diogène, et que j’ai trouvé un homme.

Et, l’entendant remonter l’escalier, il s’empressa d’aller
lui ouvrir la porte.

Le jour se passa tout entier dans un travail ininterrompu.
Gilbert avait appliqué à ce monotone labeur de la copie son activité, sa
pénétrante intelligence et son assiduité obstinée. Ce qu’il ne comprenait pas, il
le devinait ; et sa main, esclave d’une volonté de fer,traçait les
caractères sans hésitation, sans erreur. De sorte que, vers le soir, il en
était arrivé à sept pages d’une copie, sinon élégante, du moins irréprochable.

Rousseau regardait ce travail en juge et en philosophe à la
fois. Comme juge, il critiqua la forme des notes, la finesse des déliés, les
écartements des soupirs ou des points ; mais il convint qu’il y avait déjà
un progrès notable sur la copie de la veille, et il donna vingt-cinq sous à Gilbert.

Comme philosophe, il admirait la force de la volonté humaine,
qui peut courber douze heures de suite, sous le travail, un jeune homme de
dix-huit ans, au corps souple et élastique, au tempérament passionné, car
Rousseau avait facilement reconnu l’ardente passion qui brûlait le cœur du
jeune homme ; seulement, il ignorait si cette passion était l’ambition ou
l’amour.

Gilbert pesa dans sa main l’argent qu’il venait de recevoir :
c’était une pièce de vingt-quatre sous et un sou. Il mit le soudans une poche
de sa veste, probablement avec les autres sous qui lui restaient de la veille, et,
serrant avec une satisfaction ardente la pièce de vingt-quatre sous dans sa
main droite, il dit :

– Monsieur, vous êtes mon maître, puisque c’est chez vous
que j’ai trouvé de l’ouvrage ; vous me donnez même le logement gratis. Je
pense donc que vous pourriez mal juger de moi si j’agissais sans vous communiquer
mes actions.

Rousseau le regarda de son œil effarouché.

– Quoi ! dit-il, que voulez-vous donc faire ? Avez
vous pour demain une intention autre que de travailler ?

– Monsieur, oui, pour demain, avec votre permission, je
voudrais être libre.

– Pour quoi faire ? dit Rousseau ; pour
fainéantiser ?

– Monsieur, dit Gilbert, je voudrais aller à Saint-Denis.

– À Saint-Denis ?

– Oui ; madame la dauphine arrive demain à Saint-Denis.

– Ah ! c’est vrai ; demain il y a des fêtes à
Saint-Denis pour la réception de madame la dauphine.

– C’est cela, dit Gilbert.

– Je vous aurais cru moins badaud, mon jeune ami, dit Rousseau,
et vous m’avez fait d’abord l’effet de bien autrement mépriser les pompes du
pouvoir absolu.

– Monsieur…

– Regardez-moi, moi que vous prétendez quelquefois prendre
pour modèle. Hier, un prince royal est venu me solliciter d’aller à la cour, non
pas comme vous irez, pauvre enfant, en vous hissant sur la pointe des pieds
pour regarder, par-dessus l’épaule d’un garde-française, passer la voiture du
roi, à laquelle on portera les armes comme on fait pour le Saint-Sacrement, mais
pour paraître devant les princes, pour voir le sourire des princesses. Eh bien !
moi, obscur citoyen, j’ai refusé l’invitation de ces grands.

Gilbert approuva de la tête.

– Et pourquoi ai-je refusé cela ? continua Rousseau
avec véhémence, parce que l’homme ne peut être double, parce que la main qui a
écrit que la royauté était un abus, ne peut pas aller demander à un roi l’aumône
d’une faveur ; parce que moi qui sais que toute fête enlève au peuple un
peu de ce bien-être dont il lui reste à peine pour ne pas se révolter, je
proteste par mon absence contre toutes ces fêtes.

– Monsieur, dit Gilbert, je vous prie de croire que j’ai compris
tout ce qu’il y a de sublime dans votre philosophie.

– Sans doute ; cependant, puisque vous ne la pratiquez
pas, permettez-moi de vous dire…

– Monsieur, dit Gilbert, je ne suis pas philosophe.

– Dites au moins ce que vous allez faire à Saint-Denis.

– Monsieur, je suis discret.

Le mot frappa Rousseau : il comprit qu’il y avait
quelque mystère caché sous cet entêtement, et il regarda le jeune homme avec
une espèce d’admiration que lui inspirait ce caractère.

– À la bonne heure, dit-il, vous avez un motif. J’aime mieux
cela.

– Oui, monsieur, j’ai un motif, et qui ne ressemble en rien,
je vous jure, à la curiosité que l’on a d’un spectacle.

– Tant mieux, ou peut-être tant pis, car votre regard est
profond, jeune homme, et j’y cherche en vain la candeur et le calme de la
jeunesse.

– Je vous ai dit, monsieur, répliqua tristement Gilbert, que
j’avais été malheureux, et que, pour les malheureux, il n’y avait pas de jeunesse.
Ainsi c’est convenu, vous me donnez le jour de demain ?

– Je vous le donne, mon ami.

– Merci, monsieur.

– Seulement, dit Rousseau, à l’heure où vous regarderez
passer toutes les pompes du monde, je développerai un de mes herbiers et je
passerai en revue toutes les magnificences de la nature.

– Monsieur, dit Gilbert, n’eussiez-vous point abandonné tous
les herbiers de la terre, le jour où vous allâtes pour revoir mademoiselle
Galley après lui avoir jeté un bouquet de cerises dans son sein ?

– Voilà qui est bien, dit Rousseau ; c’est vrai, vous
êtes jeune. Allez à Saint-Denis, mon enfant.

Puis, lorsque Gilbert tout joyeux fut sorti refermant la
porte derrière lui :

– Ce n’est pas de l’ambition, dit-il, c’est de l’amour !

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