La Fin de Pardaillan

Chapitre 29CONCINI

Après le départ de Léonora Galigaï, Concini demeura plongé dansune longue, une profonde rêverie. Songeait-il à sa fille dont, pourla deuxième fois, il venait de décider le meurtre ? Était-ilaux prises avec sa conscience en révolte qui protestait contre lahideur du forfait prémédité ? Ou bien, calculait-il comments’accomplirait ce forfait ? Ayant longtemps rêvé, Concinirésuma sa rêverie par ces mots, qu’il mâchonna d’une voix ardente,bouleversée de passion :

– Le trône !… Oui, pour le voler, ce trône auquel jen’ai pas droit je briserai impitoyablement tout ce qui me feraobstacle. Malheur à celui qui le possède !… Malheur à ceux quivoudront me le disputer !… Du sang, encore du sang, toujoursdu sang !… c’est à travers des flots de sang que je mefrayerai un chemin jusqu’à lui !… C’est sur des monceaux decadavres entassés, qui me serviront de marchepied, que je mehisserai jusqu’à lui !… Et quand je le tiendrai enfin, cetrône volé… oui, volé dans le sang et la boue… quand je letiendrai… ah ! comme je le donnerai de grand cœur pour unbaiser d’amour de cette Muguette qui me résiste !…

Voilà à quoi songeait Concini qui venait d’autoriser le meurtrede sa fille. Ainsi, c’était à Muguette qu’il pensait. À Muguette,dont la résistance exaspérait sa passion, à ce point qu’il n’eûtpas hésité à sacrifier pour ce trône qu’il rêvait, selon sespropres mots, « de voler dans le sang et dans la boue ».Car il était effroyablement sincère dans son effroyable passion. Etil ne se doutait pas que Muguette c’était sa fille, dontl’implacable Léonora venait de lui arracher la condamnation. Safille à laquelle il ne pensait déjà plus.

Ce nom de Muguette qu’il venait de prononcer le ramena ausentiment de la réalité. Il gronda d’une voix impatiente :

– Que fait donc ce sacripant de Stocco ? Et il frappaviolemment sur un timbre.

Quelques instants plus tard, Stocco était introduit. Il vint secourber devant Concini, dans un de ces saluts exorbitants dont ilavait le secret. Et, sans attendre d’être interrogé, avec cettefamiliarité insolente et gouailleuse qu’il se permettait aussi bienvis-à-vis de son maître que de sa maîtresse, il prononça :

– Monseigneur, je viens vous réclamer les cinq mille livresque vous me devez.

Il est certain qu’en toute autre circonstance la demande ainsiformulée lui eût valu d’être jeté dehors avec, peut-être, un boncoup de poignard dans la gorge. Il est certain qu’il le savait etne s’y fût pas risqué. Mais il savait également, qu’enl’occurrence, il pouvait se permettre impunément tout ce qu’ilvoulait. Au reste, Concini ne se méprit pas sur le sens de cesparoles. Il comprit si bien ce qu’elles voulaient dire qu’il seleva d’un bond, et très pâle, secoué par un long frisson, d’unevoix qui haletait, il interrogea :

– Tu sais où je pourrai la trouver… la prendre ?

– Je sais cela… et bien d’autres choses aussi, annonçaStocco avec une fausse modestie.

Concini respira fortement comme allégé d’un poids énorme quil’oppressait. Stocco insinua :

– Je vous dis, monseigneur, que j’ai gagné mes cinq millelivres… et au-delà.

Comme Léonora, Concini comprit l’appel déguisé qu’il faisait àsa générosité. Il ne se fâcha pas plus qu’elle ne s’était fâchée.Il alla droit à un bahut, l’ouvrit d’un geste précipité. Le bahutcontenait plusieurs sacs à panse rebondie, correctement rangés. Ilprit le premier venu qui lui tomba sous la main, le jeta aux piedsde Stocco et gronda :

– Parleras-tu, maintenant ?

Stocco fut ébloui. À vue d’œil – et il s’y connaissait – ilestima que le sac contenait plus du double de ce que Concini luiavait promis. Vivement impressionné par la munificence de ce gestevraiment royal, il se courba avec un respect qui n’avait rien desimulé cette fois, et complimenta en toute sincérité :

– Le jour où vous serez roi, monseigneur, vous dépasserezpar la générosité tous les autres rois de la chrétienté, qui neseront que de vilains grippe-sous à côté de vous.

Ce disant, il se baissait et faisait disparaître le bienheureuxsac.

– Parle, parle donc, misérable ! s’emporta Concini,qui se rongeait les poings d’impatience.

– Ah ! pour le coup, vous voilà bien assassinéd’amour, monseigneur ! gouailla Stocco qui déjà s’étaitressaisi et revenait à son naturel. Sachez donc que je sais où vouspourrez prendre la petite bouquetière. Il ne tient qu’à vous, etce, pas plus tard que demain, de la cueillir à la douce, le plusfacilement du monde.

– Pourquoi demain ?… Pourquoi pas aujourd’hui ?…Tout de suite ?… Explique-toi, corpo diChristo ! Ne vois-tu pas que je bous ?

– Je le vois bien. Tudiable ! quelle ardeur,monseigneur… Il n’y a rien à faire d’ici demain. Et il estnécessaire que je vous dise avant tout des choses que vousignorez…

– Quelles choses ? Et pourquoi des choses ? Tun’en finiras pas. Il faut que je t’arrache les paroles duventre.

– Parce que ces choses vont peut-être vous faire changerd’idée, ricana Stocco. Ces choses seront peut-être le jet d’eaupuissant qui éteindra cette belle flamme de passion qui vousdévore. Et, avec un mauvais sourire, en le guignant endessous :

– Tenez-vous bien, monseigneur : ce que je vais vousapprendre va vous, paraître incroyable, extravagant, fantastique.Voici : cette belle inhumaine, cette perle de vertu, j’aidécouvert, moi, qu’elle a un enfant… Stocco s’attendait à produireun effet extraordinaire, avec cette révélation qu’il estimaitsensationnelle. Il s’était même promis, si on s’en souvient, de sefaire une pinte de bon sang en voyant la tête que ferait Concini.Et c’est pour cela qu’il l’observait en dessous, avec soninsupportable sourire gouailleur. L’effet qu’il produisit fut eneffet extraordinaire. Mais ce ne fut pas tout à fait celui qu’ilavait prévu. Et il n’eut pas lieu d’être satisfait. Encore moins derire.

Concini, qui s’était rassis, bondit. Un poignard à lame large,affilée, traînait sur sa table. Il le saisit d’un geste brusque,et, le poignard au poing, il sauta sur Stocco, le poing levé,livide, hérissé, secoué par un accès de fureur terrible. Et d’unevoix rauque, il gronda :

– Misérable drôle !… Tu dis ?… Répète ?…

Stocco comprit que sa vie ne tenait qu’à un fil. Le sourire sefigea sur ses lèvres. Il était brave. Pourtant, il reculaprécipitamment en songeant :

« Diavolo, ceci n’est plus dejeu !… »

Et tout haut :

– Sur ma part de Paradis, je vous jure, monseigneur, que jene dis que la vérité pure !… J’ai vu, j’ai entendu. Et simonseigneur veut bien m’écouter un instant, il verra que je ne menspas.

Il était sincère, c’était évident, Concini le comprit. Il fit uneffort puissant, réussit à se maîtriser à peu près, et d’une voixqui tremblait encore :

– Parle, dit-il, mais fais attention à ce que tu vasdire.

– Puissé-je être foudroyé et damné jusqu’à la consommationdes siècles si je mens seulement d’un mot, jura Stocco avec la mêmesincérité.

Et il raconta brièvement ce qu’il avait vu et entendu. Le coupfut rude pour Concini. Il grinça, écuma, et ne sachant sur quipasser sa fureur, il lança le poignard à toute volée à travers lapièce. Et il se mit à marcher avec agitation.

Stocco l’observait du coin de l’œil. Il n’avait plus envie derire. Il se disait :

« Che furioso ! che furioso ! J’ai biencru que ma dernière heure était venue ! Diobirbante ! quand il aime, il aime bien, le signorConcini ! Mais ce qu’il y a de plus merveilleux, c’est quecela lui passe aussi vite que cela lui vient. Cette fille pourlaquelle, tout à l’heure, il m’aurait saigné comme un poulet,peut-être ne voudra-t-il plus en entendre parler demain. Enattendant, je voudrais bien savoir, moi, si la pilulepassera. »

Oui, pour nous servir de l’expression railleuse de Stocco, siamère qu’elle fût, « la pilule finit par passer ».Concini se calma. Et, comme dans le sentiment qu’il éprouvait pourBrin de Muguet, il entrait plus de désir brutal que d’amour réel,la révélation de Stocco, loin de le refroidir, ne fit qu’exaspérerdavantage ce désir. Il finit par se dire :

« Eh bien, quoi ! Cette fille a eu un amant… plusieursamants peut-être. Et après ? Est-ce une raison pour que jerenonce à elle ?… Eh ! non, Christacciomaledetto ! Elle sera à moi après avoir été à d’autres,voilà tout. Ce n’est pas la première fois que pareille aventurem’arrivera. Mes maîtresses n’étaient pas toutes des anges de puretéquand je les ai possédées… Il s’en faut de beaucoup. »

Il revint à Stocco qui attendait son bon plaisir, et ilinterrogea :

– Tu es sûr que cette fille ira demain matin àFontenay-aux-Roses ?

– Je suis sûr qu’elle a promis d’y venir, répondit Stoccosur la réserve.

Et il ajouta :

– Elle y va pour chercher les fleurs dont elle faitcommerce. Et comme je la sais commerçante sérieuse et avisée, j’aitout lieu de croire qu’elle ne manquera pas d’y aller.

– C’est probable, en effet. Demain matin, avant elle,j’irai à Fontenay-aux-Roses. Tu m’accompagneras, décidaConcini.

– Monseigneur ne renonce pas à elle ? interrogeaStocco à son tour.

– Pourquoi renoncerais-je ? s’étonna sincèrementConcini. Ah ! oui, à cause de ce que tu m’as appris ?

Et froidement :

– Je ne suis jaloux de mes maîtresses que tant qu’ellessont miennes. Je ne m’occupe jamais de ce qu’elles ont pu faireavant d’être à moi. Pas plus que je ne m’occupe de ce qu’elles fontaprès, quand nous nous sommes séparés.

– Et bien vous faites, monseigneur, approuva Stocco, quiretrouva son sourire. Oserai-je vous demander ce que vous comptezfaire ?

– Rospignac et ses hommes m’accompagneront, sourit Concini.Demain matin, j’enlève la belle. Demain soir, elle sera à moi.

– De force ?

– S’il le faut.

– Ne préféreriez-vous pas la voir se donner de son pleingré ?

– Je crois bien, per Bacco !… Mais ceci meparaît trop beau.

– Eh bien, triompha Stocco, je me charge, moi, de réaliserce qui vous paraît trop beau, monseigneur ! Je me charge derendre la belle souple comme un gant. Pas d’enlèvement, pas deviolence inutile. Elle viendra d’elle-même vous trouver où vous luidirez d’aller, et elle se montrera docile à toutes vos volontés.Voilà ce que je me fais fort d’obtenir si vous me laissez faire,monseigneur.

Il parlait avec tant d’assurance que Concini ravi,s’écria :

– Per Dio ! si tu fais cela, je te tiens pourplus sorcier que Lorenzo, le sorcier du pont au Change !

Et, avec une ardente curiosité :

– Comment t’y prendras-tu ?

– De la façon la plus simple du monde, monseigneur. Écoutezplutôt, vous verrez qu’il n’est nullement besoin desorcellerie.

Et Stocco expliqua à Concini comment il entendait s’y prendrepour rendre Muguette « souple comme un gant ». Et le planqu’il développa parut si admirable à Concini qu’il l’accepta sanshésiter une seconde, avec enthousiasme. Et ilcomplimenta :

– Tu es homme de génie, Stocco. Si je réussis…

– Vous réussirez, monseigneur, affirma Stocco avec la mêmeassurance.

– Ma foi, je le crois, rayonna Concini. Si je réussis, jete donne dix mille livres.

– Préparez vos pistoles, exulta Stocco dont les yeuxflambaient, demain soir, elles seront à moi !

– Et toi, congédia Concini, va-t’en tout préparerlà-bas.

– J’y cours, monseigneur ! répondit Stocco quis’inclina et sortit vivement.

Il s’en fut au petit hôtel Concini. Lorsqu’il y arriva, Léonorase disposait à aller au Louvre voir Marie de Médicis, qu’elleappelait familièrement Maria, quand elle en parlait avec son époux.Elle retarda son départ de quelques minutes, pour entendre lerapport de Stocco, qui la mit au courant de ce qui venait d’êtredécidé entre Concini et lui. Quand il eut achevé, elle prononçaavec une tranquillité sinistre :

– C’est bien, va exécuter les ordres de Concini.

Stocco la quitta. Un mauvais sourire aux lèvres, il sedisait :

« Je ne sais pas ce qu’elle est en train de machiner, maisje ne voudrais pas être à la place du signor Concini. Elle va luijouer un de ces méchants tours, comme elle seule sait les inventer.Pas de chance, décidément, le pauvre signorConcini ! »

Vers le soir, il franchissait la porte Saint-Michel ets’engageait dans la rue d’Enfer. Il était à cheval et il escortaitune litière, vide d’ailleurs, que conduisait un palefrenier. Ils’en allait vers Fontenay-aux-Roses sans trop de hâte. De temps entemps, il se retournait, tendait l’oreille, fouillait la route duregard derrière lui, comme s’il attendait quelqu’un. Cela dura àpeu près une heure. Au bout de ce temps, il entendit le bruit d’unecavalcade derrière lui. Il s’arrêta pendant que la litière videpoursuivait son chemin.

C’était Concini qui arrivait. Rospignac se tenait à sa gauche.Derrière eux, Eynaus, Longval, Roquetaille et Louvignac. Cesmessieurs menaient grand bruit et se montraient d’une gaieté fortbruyante, encouragés qu’ils étaient par Concini qui paraissaitlui-même de très joyeuse humeur. De l’expédition qu’ils allaientfaire, ils ne disaient pas un mot. Il est évident que Concini avaitjugé inutile de les mettre au courant. La preuve en est que, Stoccoétant venu se placer à sa droite, il se contenta d’échanger aveclui un regard d’entente et continua de bavarder de chosesindifférentes, sans lui poser la moindre question.

La nuit commençait à tomber quand ils arrivèrent tous àFontenay-aux-Roses. Stocco les conduisit à cette auberge où ilétait venu souper le dimanche précédent. Ils y passèrent la nuit.Le lendemain matin, à l’aube, ils repartirent tous. Ils avaientlaissé leurs chevaux à l’auberge. La litière, dont le conducteurmenait en main un cheval tout sellé, les suivait. Ils allèrentainsi jusqu’à la maison de la mère Perrine où tout paraissaitencore endormi. Ils se dissimulèrent derrière des haies, devantl’entrée de la maison.

Vers six heures du matin, la mère Perrine vint ouvrir la portequi donnait accès au jardin. Elle parut un instant sur le seuil,jeta un coup d’œil sur le chemin de côté, par où devait venir Brinde Muguet, et rentra tranquillement chez elle : sans douteétait-il encore trop tôt pour que la jeune fille pût arriver, et,sans méfiance, bien que la maison fut isolée, elle n’avait même passoupçonné la présence, derrière les haies, de la litière et de ceuxqui surveillaient sa maison.

Dès qu’elle fut rentrée, Stocco sortit de son trou. Eynaus etLongval le suivirent. Tous les trois, ils entrèrent délibérémentdans le jardin. Au bout de quelques minutes, Stocco reparut et,sans sortir, cria en italien :

– Vous pouvez venir, monseigneur. Nous sommes maîtres de laplace.

Concini se hâta d’accourir. Comme de juste, ses ordinaires luiemboîtaient le pas. Ils entrèrent tous dans la maison. La mèrePerrine, bâillonnée et si étroitement ligotée qu’elle ne pouvaitmême pas faire un mouvement, gisait sur le parquet, dans un coin dela pièce où ils venaient de pénétrer. Tout de suite, Concinis’informa :

– L’enfant ?…

– Elle dort bien tranquillement dans la pièce à côté,répondit Stocco. Et il expliqua :

– Nous avons fait si peu de bruit qu’elle ne s’est pasréveillée. Nous sommes tombés à l’improviste sur la bonne femme quin’a même pas eu le temps de faire ouf.

Concini eut un geste de froide indifférence et se tournacurieusement vers la mère Perrine. Elle n’avait pas d’autre mal quecelui d’être bâillonnée et ficelée et, malgré sa fâcheusesituation, elle, n’avait pas perdu la tête. Aussi dardait-elle surConcini et ses compagnons des regards étincelants qui, s’ilseussent eu le don de tuer, les eussent étendus roides. Concini lacrut terrifiée. Il crut devoir la rassurer.

– Ce n’est pas à vous que nous en avons, bonne femme,fit-il d’une voix dédaigneuse. Si vous vous tenez tranquille, il nevous sera pas fait de mal.

Et se détournant, il ne s’occupa plus d’elle. Stocco alla seposter sur le chemin, devant l’entrée du jardin. Concini s’installacomme s’il était chez lui, et, du geste, invita ses compagnons àl’imiter ; Rospignac, Longval, Roquetaille, Eynaus etLouvignac s’assirent comme ils purent, et en silence. Ils étaient àla fois, vexés et furieux : vexés de ce que le maître ne leurfaisait aucune confidence, furieux de l’importance que prenaitStocco, qui dirigeait toute cette affaire, dont ils ignoraient,eux, le premier mot. La faveur momentanée du bravo excitait leurjalousie. Rospignac surtout, qui était particulièrement ombrageux,pinçait les lèvres d’une manière significative. D’autant plus que,comme ils se doutaient bien tous qu’il s’agissait d’une équipéegalante, il se demandait parfois si, par hasard, il ne serait pasquestion de la petite bouquetière.

Un bon quart d’heure s’écoula, sans que Concini ouvrît une seulefois la bouche. Ses gentilshommes observaient le même silence, maisbâillaient à se démonter la mâchoire. Au bout de ce temps, Stoccoreparut et, du jardin, cria :

– La voici, monseigneur.

Concini se tourna vers Roquetaille et Louvignac, à qui il donnaun ordre. Ils sortirent aussitôt pour l’exécuter. Stocco reparut.Ce fut pour disparaître aussitôt dans la pièce à côté. Concini etles autres ne bougèrent plus.

Pendant ce temps, Brin de Muguet, montée sur son âne, s’avançaitvers la maison. Elle allait, radieuse, faisant, tout éveillée, desrêves enchanteurs, riant de temps en temps, toute seule, ensongeant à la joie de la bonne mère Perrine, quand elle apprendraitles heureuses et sensationnelles nouvelles qu’elle apportait. Elleallait, toute à son bonheur, sans crainte et sans appréhension,confiante en l’avenir qui lui souriait. Rien ne vint troubler saprofonde quiétude. Pas le moindre pressentiment ne l’avertitqu’elle allait au-devant de la catastrophe qui la guettaitsournoisement dans cette demeure enguirlandée de rosesépanouies.

Elle arriva dans la maison. Elle s’étonna bien de ne pas voiraccourir la Perrine, mais elle ne s’inquiéta pas. Elle mit pied àterre, entra dans le jardin, sans s’occuper de l’âne qui s’enallait tout seul vers l’appentis qui lui servait d’écurie. Et elleappela en se dirigeant vers la maison :

– Perrine ! Perrine !

Derrière elle, Louvignac et Roquetaille, qui s’étaientdissimulés à l’abri des massifs de verdure, sortirent de leurcachette et vinrent se camper devant la porte à claire-voie,barrant la retraite. Comme ils avaient exécuté ce mouvement sansprendre aucune précaution, elle les entendit. Elle se retourna etles vit. Ils s’inclinèrent devant elle avec un respect outré. Dansce mouvement elle vit mal leur visage, elle ne les reconnut pas.Mais elle vit bien à leur costume qu’elle avait à faire à desgentilshommes. Elle ne s’inquiéta pas encore. Mais elle s’étonna ets’informa :

– Que faites-vous là, messieurs ?

À ce moment, la porte de la maison s’ouvrit toute grande.Concini parut sur le seuil. Il invita :

– Entrez, je vous prie, madame, entrez.

Elle faisait face à Roquetaille et Louvignac. Elle ne pouvaitdonc pas voir Concini, puisqu’elle lui tournait le dos. Elle n’eutpas besoin de le voir d’ailleurs : elle le reconnutinstantanément à la voix. Qu’il pût être là, comme chez lui,poussant l’audace jusqu’à l’inviter à entrer dans cette maison oùelle était chez elle, cela lui parut si incroyable qu’elle refusade le croire. Elle se retourna tout d’une pièce et elle vit bienalors que ce qui lui paraissait invraisemblable n’était que tropvrai. Elle demeura pétrifiée, fixant sur lui deux yeux agrandis parl’épouvante.

Lui, très à son aise, souriant d’un sourire effroyable, sedécouvrit devant elle avec une affectation de politesse exagérée,se courba avec un respect apparent, renouvela, en la complétant,son invitation.

– Entrez, madame, que j’aie l’honneur de vous expliquer lebut de ma visite… Et si cette visite vous paraît un peu forcée, unpeu brutale, vous voudrez bien, je l’espère, me pardonner ensongeant que c’est vous qui, par l’implacable rigueur que vousm’avez toujours témoignée, m’avez mis dans la fâcheuse nécessité derecourir à des moyens extrêmes. Au surplus, rassurez-vous, madame,cette visite sera brève, et l’amour ardent, sincère, que vousm’inspirez, vous est un sûr garant que vous n’avez aucune violenceà redouter de moi.

Sa voix s’était faite tendre, enveloppante, pendant que sonattitude se faisait plus respectueuse encore : il voulait larassurer à tout prix.

Il se donnait une peine bien inutile : elle ne l’écoutaitpas. Déjà, elle s’était ressaisie. Avec un sang-froid admirable,elle réfléchissait : elle était tombée dans un piège,soit ! Mais le véritable danger, elle le sentait bien, était àl’intérieur de cette maison où il cherchait à l’attirer.Allait-elle se livrer pieds et poings liés à lui en ypénétrant ? Non, elle se ferait hacher plutôt que de bouger dujardin où elle était.

À peine avait-elle pris cette résolution assez sage en somme,qu’une crainte nouvelle, qui n’était pas personnelle, vintl’assaillir. Et une clameur délirante jaillit malgré elle de seslèvres contractées :

– Et Loïse ?… Et Perrine ?…

Devant cette crainte horrible, toute crainte pour elle-mêmes’effaça instantanément. Elle s’oublia elle-même, complètement,pour ne plus s’inquiéter que de « sa fille » et de cellequi en avait la garde et qui, peut-être, avait été victime de sondévouement. Car elle connaissait trop ce dévouement, pour ne pasêtre certaine qu’il avait dû se manifester par une défensevigoureuse. Et, puisque Concini était maître de la place, c’estqu’il avait dû briser la résistance par quelque coup de poignardappliqué au bon endroit. Et c’est ce qui fait que ses résolutionsse trouvèrent bouleversées. Et elle qui, l’instant d’avant,s’affirmait qu’elle se ferait tuer sur place, plutôt que depénétrer dans la maison, elle bondit vers le perron, dont ellefranchit les marches en deux bonds. Et elle se rua àl’intérieur.

Elle ne vit pas Eynaus et Longval qui, depuis qu’ils l’avaientreconnue, ricanaient en observant en dessous leur chefdirect : Rospignac. Elle ne vit pas davantage Rospignac quitourmentait nerveusement la garde de sa rapière, en dardant unregard sanglant sur Concini, qui entrait derrière elle. Elle ne vitque le corps étendu par terre de la brave Perrine. Et son troubleétait si grand, qu’elle ne remarqua pas que la digne paysanne laregardait avec des yeux de bon chien de garde, qui semblaients’excuser de n’avoir pas mieux défendu l’enfant. Des yeux quiimploraient, mais qui, en somme, étaient bien vivants. Non, elle nevit que ce corps raide, à qui les liens qui l’enserraientinterdisaient tout mouvement. Et, soulevée par l’indignation, ellegronda :

– L’avez-vous donc assassinée ?

– Assassinée ! railla Concini. Per Bacco, jecrois plutôt que c’est elle qui m’assassine du regard !Tudiable, vous ne voyez donc pas les yeux qu’elle mefait ?

Cette fois, Muguette se rendit compte que Perrine vivait,qu’elle n’était même pas blessée. Un soupir de soulagement soulevason sein. Alors, toute sa pensée se reporta sur la petiteLoïse.

– Il y avait un enfant ici, dit-elle, j’espère que…

– La petite Loïse ? interrompit Concini avec unsourire indéfinissable. Vous allez la voir, madame.

Il avait dit cela avec tant de spontanéité qu’elle se sentittout à fait rassurée. Rassurée pour ceux qui lui étaient chers.Pour ce qui était d’elle-même, c’était une autre affaire. Mais ellene pensait pas encore à soi.

– Holà ! Stocco, commanda Concini en élevant la voix,amène-nous la fille de Madame… qu’elle puisse voir par ses yeux quenous ne lui avons pas fait de mal.

Il y avait un tel grondement dans sa voix que Brin de Muguetfrissonnante se sentit agrippée par l’horreur et par l’épouvante.Pour la première fois, elle entrevit qu’elle allait être victime dela plus hideuse des machinations. Et elle se raidit de toutes sesforces.

Stocco ne tarda pas à répondre à l’appel de son maître. Il parutdans le cadre de la porte. Il tenait dans ses bras la petite Loïse.L’enfant, brusquement arrachée au sommeil, effrayée par la minepatibulaire de l’homme qui l’emportait, criait, pleurait, sedébattait de son mieux dans les couvertures où elle avait étéenroulée à la hâte. En apercevant la jeune fille, elle s’apaisasoudain, tendit ses petits bras vers elle, et eut un cri dejoie :

– Maman Muguette ! Ma maman Muguette !…

– Loïse ! ma petite Loïsette ! gémit la jeunefille suffoquée par l’angoisse, en s’élançant vers elle.

Concini se jeta devant elle, lui barra le passage engrondant :

– Vous l’avez vue !… Vous avez vu qu’elle n’a aucunmal !… Cela suffit pour l’instant.

Et, de sa voix de commandement :

– File, Stocco.

Et Stocco sauta dans le jardin, emportant la fillette qui sedébattait désespérément, appelant à grands cris « sa mamanMuguette ». Il courut jusqu’à la litière qui, dès que Muguetteétait entrée, était venue stationner devant la porte à claire-voie.Il sauta avec son fardeau dans la lourde machine qui, s’ébranlant,partit aussitôt.

Et l’infortunée Muguette qui avait voulu s’élancer, s’opposer àce rapt odieux, accompli, par un raffinement de cruauté plus odieuxencore, sous ses yeux, la pauvre Muguette se heurta à Eynaus etLongval, jusque-là témoins muets et inactif de cette abominablescène, qui, sûr un signe de leur maître, lui barrèrent le passage,l’immobilisèrent aisément, tout en évitant de la brutaliser.

Et quand la litière se fut éloignée, quand les appels terrifiésde l’enfant peut-être bâillonnée par ce fauve déchaîné qu’étaitStocco – ne se firent plus entendre, alors seulement, avec sapolitesse affectée, Concini promit :

– Rassurez-vous, madame, vous reverrez votre fille, à quiil ne sera fait aucun mal.

Cette promesse ramena un vague espoir dans le cœur de la jeunefille, incapable de deviner l’horrible manœuvre imaginée parl’infernal Stocco et si bien mise à exécution par Concini.

Quand ? interrogea-t-elle avidement.

– Quand vous voudrez, répondit Concini avec un de ceshideux sourires, comme il en avait eu quelques-uns au cours decette scène atroce. Vous n’aurez qu’à la venir chercher.

– Où ?

– Je vais vous le dire. L’enfant est conduite dans unepetite maison à moi. Vous trouverez cette maison vers le milieu dela rue Casset[6] , à main gauche, derrière le jardindes Carmes déchaussés. Vous frapperez deux coups et vousprononcerez le mot de passe qui, durant vingt-quatre heures,c’est-à-dire jusqu’à demain matin huit heures, sera votre proprenom : Muguette.

– Et l’enfant me sera rendue ?

– Foi de gentilhomme !

Elle réfléchit une seconde. Maintenant, elle commençait àentrevoir l’ignoble marché qu’il allait proposer. Elle voulut enavoir le cœur net. Et rivant sur lui l’éclat lumineux de ses grandsyeux purs :

– Vous aurez bien quelque petite condition à meposer ?

– Cela va de soi, sourit-il.

– Quelle condition ?

– Je vous le dirai chez moi, fit-il.

Elle était fixée. Elle réfléchit encore une seconde, et avec uncalme étrange :

– Et si je ne viens pas ? dit-elle.

– Alors l’enfant sera ramenée ici demain, dit-ilfroidement.

Et, comme elle ouvrait de grands yeux étonnés, il expliqua avecun sourire effrayant :

– J’entends son cadavre… À seule fin que vous puissiez lefaire enterrer chrétiennement.

Le ton d’implacable résolution, le cynisme révoltant avec lequelil parlait, l’équivoque politesse qu’il affectait, la glacialeexpression du regard, et par-dessus cela l’affreux rictus qui lefaisait tout pareil au fauve, qui se délecte à jouer avec savictime, et de la broyer de ses crocs puissants, tout celaattestait que l’horrible menace n’était pas vaine et qu’iln’hésiterait pas à la mettre à exécution.

Elle ne comprit que trop bien. Un long frisson d’horreur lasecoua de la nuque aux talons. Et, avec un accent d’indiciblemépris, elle cracha son dégoût :

– Misérable lâche !… Et ça se dit gentilhomme !…Et ça se pare du titre glorieux de maréchal de France !…Quelle honte !…

Ces paroles, et plus encore le ton sur lequel elles étaientprononcées, cinglèrent Concini comme un coup de cravache appliqué àtoute volée. Il se sentit si fortement fouaillé qu’il en oublia uninstant sa politesse de parade. Et, livide, écumant, ilgrimaça :

– Nous réglerons nos comptes chez moi. Et soyez tranquille,je n’oublierai rien.

Un silence poignant pesa lourdement sur eux. Il fut courtd’ailleurs : elle redressa la tête qu’elle avait un instanttenue baissée, comme accablée, et le regardant en face, elle révélaavec une pointe de raillerie qui perçait malgré elle :

– Le malheur est que votre… ingénieuse combinaisons’écroule devant un fait que vous ignorez et que je vais vous faireconnaître : Loïse n’est pas ma fille.

Pauvre petite ; elle pensait bien l’accabler avec cetterévélation imprévue. Comme c’était simple, en effet : Loïsen’était pas sa fille, donc, elle n’avait pas à aller la réclamerdans l’antre redoutable du fauve en rut, donc le rapt accompliétait inutile, donc la menace du meurtre de l’enfant tombaitd’elle-même, donc toute la combinaison s’écroulait comme ellel’avait dit naïvement.

Concini se chargea de lui montrer combien elle se trompait.Chose étrange, il ne douta pas un instant de sa parole. Il ne crutpas à une ruse de sa part. Il tint ses paroles pour trèsvéridiques. Seulement, il ne fut pas le moins du mondeimpressionné. Au contraire, il se félicita avec une joie quin’avait rien de simulé :

– Tant mieux, Corbacco, tant mieux ! Et ils’excusa galamment.

– À vrai dire, je suis encore à me demander comment j’ai puvous faire cette injure de douter de votre vertu. J’aurais dû levoir à la pureté de votre regard que vous ne pouvez avoir rien àvous reprocher.

Et ce fut elle qui demeura anéantie. Elle crut, le voyant si sûrde lui, qu’il n’avait pas bien compris. Elle répéta :

– Loïse n’étant pas ma fille, vous n’avez pas à espérer quela crainte de la perdre me contraindra à me soumettre à vosvolontés.

– Je sais, fit-il avec un rire sinistre, mais vous viendreztout de même la chercher chez moi.

– Pourquoi ? dit-elle, suffoquée.

– Parce que, expliqua-t-il avec la même assuranceeffarante, si cette petite n’est pas votre fille, vous l’aimez,vous, comme si vous étiez sa vraie mère. J’ai vu cela tout àl’heure. J’ai vu aussi ceci : c’est que vous êtes une de cesrares natures de dévouement, toujours prêtes à se sacrifier pourles autres. C’est ce qui fait que je suis bien tranquille,allez : vous viendrez chez moi avant la limite extrême que jevous ai fixée, c’est-à-dire demain matin huit heures, me demanderde vous rendre cette enfant qui n’est pas votre fille pourtant.J’en suis si sûr, que je n’ajouterai pas un mot de plus sur cesujet, et que je vais me retirer avec mes gentilshommes, vouslaissant parfaitement libre d’agir comme bon vous l’entendrez.

Et cela encore, il le disait avec la même politesse apparente,avec un calme formidable, comme s’il n’avait pas eu conscience del’ignominie de sa conduite, ou plutôt, comme s’il s’était cruau-dessus de toutes les lois, de tous les préjugés, au-dessus detoute critique, ayant le droit de se permettre tout ce qui étaitinterdit au reste des humains.

En effet, comme si tout était dit, il se tourna vers la mèrePerrine toujours étendue sur le parquet :

– Bonne femme, dit-il d’une voix qui se fit douce, jeregrette que mes gens se soient trouvés dans la nécessité de vousbousculer quelque peu. Voici qui vous permettra d’acheter uncordial pour vous remettre de cette émotion. Il laissa tomber à sespieds une bourse gonflée de pièces d’or. Geste d’une munificenceroyale destiné, dans sa pensée, à donner une haute idée de sagénérosité à la jeune fille qu’il pensait éblouir. Et revenant àMuguette :

– J’oubliais une chose essentielle, dit-il en souriant.Vous pourriez être tentée de vous faire accompagner chez moi parquelqu’un, homme ou femme. Je vous conseille de n’en rien faire…dans l’intérêt de l’enfant qui s’en trouverait très mal, je vous enavertis.

Il s’inclina très bas devant elle et sortit sans ajouter un mot,Rospignac et les autres le suivirent. Ils retournèrent à l’aubergeoù ils avaient laissé leurs chevaux et reprirent au galop le cheminde la ville. Demeurée seule, Brin de Muguet se hâta de débarrasserla mère Perrine des liens qui la paralysaient. Quand ceci fut fait,elle se jeta dans ses bras, et ce calme vraiment admirable qu’elleavait su conserver en présence de Concini, tombant tout à coup,elle se mit à pleurer éperdument. La brave paysanne pleura avecelle, la consola de son mieux. Mais, curieuse, elles’informa :

– Qui est donc ce monstre qui, pour déshonorer une honnêteenfant, parle d’assassiner un pauvre chérubin du bon Dieu ?Est-il donc si puissant qu’il puisse se permettre impunément depareilles atrocités ?

– Hélas ! ma bonne Perrine, c’est le maître de ceroyaume. C’est Concini.

– Ah ! c’est le ruffian d’Italie ! s’emporta labrave femme.

Et elle fulmina :

– Eh bien, méchant ruffian, puisses-tu finir assassinétoi-même ! Puisses-tu être privé de sépulturechrétienne ! Puisse ton cadavre être déchiré en mille morceauxet ces morceaux jetés à la voirie, servir de pâture aux chienserrants ! Puisse ton âme s’en aller griller éternellement surles grils rougis à blanc de messire Satanas !

Souhaits terribles qui, dans un avenir qui n’était pas trèséloigné, devaient se réaliser point par point…

– Or çà, qu’allez-vous faire ? demanda Perrine aprèss’être soulagée.

Et, sans attendre la réponse :

– Après tout, Loïse n’est pas votre fille… Et vraiment,c’est trop affreux ce qu’il veut exiger de vous, ce ruffian demalheur…

– Laisserais-tu donc meurtrir cette pauvre petite créature,si tu étais à ma place ? Car il la tuera sans pitié, sais-tubien.

À cette question que la jeune fille posait de sa voix douce,avec une sorte de désespoir farouche, la paysanne baissa la têtesans répondre.

– Tu vois bien que tu n’aurais pas cet affreux courage,constata Muguette.

Et elle ajouta :

– J’irai donc chercher la pauvre mignonne.

Ceci était prononcé avec une grande simplicité, comme la chosela plus naturelle du monde. Et l’on sentait que rien ne pouvait lafaire revenir sur cette résolution qui, sans qu’elle s’en doutât,était vraiment admirable dans son héroïsme qui s’ignorait. Rien, sice n’est le retour de l’enfant.

La mère Perrine qui, cependant, se rendait mieux compte qu’ellede l’affreux danger qu’elle courait, n’essaya pas de la fairerevenir sur cette résolution. Dans sa conscience un peu simpled’honnête paysanne ignorante, elle sentait qu’elle ne devait pasempêcher la jeune fille d’agir comme elle-même eût agi à sa place.Seulement, elle prononça, très résolue :

– C’est bon, j’irai avec vous. Et je vous réponds,demoiselle, que le ruffian trouvera à qui parler.

– Vous oubliez, soupira Muguette, que ce misérable a menacéde se venger sur l’enfant si je me faisais accompagner. Et il lefera comme il l’a dit.

Et avec une naïve confiance :

– Sans quoi, j’eusse averti Odet qui m’eût accompagnée etqui eût su nous défendre toutes.

– Vous l’avez revu ? demanda vivement Perrine.

– Oui. Il m’a demandé si je voulais devenir sa femme. Et jelui ai dit oui, comme vous m’aviez conseillé de le faire. Et cen’est pas tout : les parents de Loïse sont retrouvés.

Muguette, qui était venue le cœur débordant de joie pour fairepart de son bonheur à la dévouée Perrine, se trouva lancée sur lavoie des confidences. Elle parla. Elle raconta longuementl’entretien qu’elle avait eu la veille avec Odet de Valvert. Unefois lancée sur ce sujet, elle ne tarit plus, répondant sans selasser à la multitude de questions que lui posait Perrine, laquellen’était pas uniquement guidée par une banale curiosité, mais avaitson idée de derrière la tête, qui était d’arracher lajeune fille aux griffes de Concini.

Ces confidences eurent du moins l’avantage de lui faire oublierdurant quelques heures l’horrible situation dans laquelle elle setrouvait. Cependant, un moment arriva où ayant dit et répété toutce qu’elle avait à dire, elle se retrouva aux prises avecl’angoissante réalité. Un moment arriva où, puisqu’elle étaitrésolue à agir, il lui fallut se mettre en route. Ce qu’elle fitaprès avoir embrassé la bonne Perrine qui se raidissait pour ne paspleurer… et après avoir glissé dans son sein un petit poignard. Etelle partit toute seule, à pied, un peu pâle, mais très calme ettrès résolue.

À peine était-elle partie que Perrine, ramassant la boursequ’elle tenait de la munificence de Concini, ferma soigneusementportes et fenêtres et partit à son tour en courant. Elle s’en allachez un voisin qui possédait un cheval et une charrette. Elle luiloua le tout et paya sans marchander le prix qu’il demanda. Elles’installa dans le véhicule et fouetta le cheval qui partit ventreà terre. Elle eut vite fait de rattraper Muguette. Elle passa prèsd’elle en tourbillon, en ayant bien soin de dissimuler son visage.Elle passa si vite que la jeune fille ne la vit même pas.

Fouaillé sans trêve et sans pitié, le cheval dévora l’espace etmena ce train d’enfer jusqu’à la rue de la Cossonnerie, où il luifut permis de s’arrêter. Ayant reçu les confidences de Muguette,Perrine s’était dit que le seul homme qui pouvait sauver la jeunefille était l’homme qui l’aimait, son fiancé. Et elle venait chezOdet de Valvert pour le mettre au courant, en se disant qu’ilsaurait faire le nécessaire, lui. Et maintenant elle grimpaitquatre à quatre les marches de l’escalier.

La fatalité s’en mêlant, il se trouva que Valvert n’était paschez lui. Landry Coquenard, qui la reçut, ne put que lui dire que« M. le comte n’était pas rentré de la nuit ». Quantà dire quand il rentrerait et où on pourrait le trouver, il s’endéclara tout à fait incapable, attendu qu’il l’ignoraitcomplètement.

Cette déconvenue qu’elle n’avait pas prévue atterra la bravefemme. En voyant ce visage ravagé par la douleur, Landry Coquenardse sentit ému de compassion. Il l’interrogea doucement. Elle nedemandait qu’à parler. Elle lui raconta tout. Tout ce qu’elleaurait raconté à Odet de Valvert si elle avait eu la chance de lerencontrer, Landry Coquenard fut si saisi qu’il se laissa tombersur un escabeau en songeant avec une épouvante indicible :

« Son père !… c’est son père qui veut !…Horrible !… ceci est horrible !… »

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