La Fin de Pardaillan

Chapitre 37AUTOUR DE LA MAISON

Elles étaient arrivées dans le vestibule. La porte de la maisonétait grande ouverte. Elles sortirent.

Devant la porte stationnait une litière très simple. À laportière, debout et tête nue, Concini s’entretenait avec la reinequi, nonchalamment étendue sur les coussins, se dissimulait àl’intérieur du véhicule.

Derrière la litière, raides comme des soldats sous les armes,quatre gaillards taillés, en hercules, armés jusqu’aux dents :l’escorte.

À l’autre portière, droit sur la selle, pareil à une statueéquestre, se tenait Stocco, le poing sur la garde de la rapière. Detemps en temps, son œil de braise se posait sur deux carmesdéchaussés qui, les mains croisées sur le manteau brun, le capuchonblanc rabattu sur le nez, se tenaient immobiles et silencieux, prèsde la rue de Vaugirard. Au reste, il n’accordait qu’une attentionpurement machinale à ces deux frocards, dont la présence, si prèsde leur couvent, n’avait rien d’extraordinaire.

Léonora fit signe à Florence d’attendre sur le pas de la porte.Et pendant que la jeune fille obéissait docilement, elle s’approchavivement de la litière. Concini lui céda sa place sur-le-champ.

À voix basse et en italien, avec une anxiété manifeste, Marie deMédicis interrogea :

– Eh bien ?

– Eh bien, madame, répondit Léonora, je crois pouvoir vousassurer qu’elle ne sait rien.

– Il faudrait en être sûr, insista Marie.

– Rassurez-vous, madame. Même si elle sait, vous n’avezrien à redouter de cette petite. J’ai acquis la certitude qu’elles’arracherait la langue plutôt que de prononcer une parole quiserait de nature à compromettre sa mère, pour qui elle éprouve unevéritable adoration.

L’assurance de Léonora calma un peu l’inquiétude de Marie. Aureste, elle ne marqua pas la moindre émotion en apprenant que safille l’adorait sans la connaître. Elle se contenta desoupirer :

– Fasse le ciel que tu ne te trompes pas… Mais je seraisplus tranquille si j’étais sûre, tout à fait sûre, qu’elle nesoupçonne pas la vérité.

Une minute ou deux, Léonora resta à s’entretenir à voix trèsbasse avec la reine : elle lui dit, en quelques mots brefs,tout ce qu’il était essentiel qu’elle apprît sans tarder de sonpremier entretien avec sa fille.

Pendant ce temps, Florence attendait patiemment. Elle se doutaitbien que les deux femmes parlaient d’elle. Elle eût bien vouluregarder de leur côté pour voir sa mère. Mais elle craignit de setrahir en laissant paraître dans son regard la tendresse quiinondait son cœur. Et elle eut le courage de regarder tout le tempsdu côté de la rue de Vaugirard. À ce moment, elle entendit une voixmurmurer à son oreille, derrière elle :

– Si vous tenez à la vie, ne dites pas un mot qui puissepermettre de supposer que vous connaissez le nom de votre mère.

Elle se retourna tout d’une pièce. Et elle fut suffoquée dereconnaître Concini qui s’était glissé derrière elle. Uninappréciable instant, il demeura devant elle, la fixant avecinsistance, un doigt posé sur les lèvres, comme pour recommanderencore le silence. Puis il se courba avec le plus profond respectet en se courbant, laissa tomber du bout des lèvres :

– Je vous expliquerai.

Après quoi, il se rapprocha vivement de la litière. Entre lareine, Léonora et lui, il y eut un nouveau conciliabule très bref,après lequel il aida sa femme à monter dans la litière. Alors il setourna vers sa fille et prononça à voix haute :

– À ma prière instante, Sa Majesté consent à vous admettreau nombre de ses filles. Venez, mon enfant, vous allez avoirl’insigne honneur de tenir compagnie à la reine.

Florence s’approcha. Concini lui tendit la main pour l’aider àprendre place dans la lourde machine.

À ce moment, débouchant de la rue de Vaugirard, une charrette,conduite par une femme, entrait dans la rue Casset, venaitau-devant de la litière. Cette femme, c’était Perrine. Ellearrivait juste à point pour voir la jeune fille avant qu’elle fûtmontée.

– Muguette ! cria-t-elle, en arrêtant son cheval.

– Perrine ! répondit Florence.

– Et Loïsette ? cria de nouveau la brave femme ensautant à terre.

Loïsette, nous croyons l’avoir dit, la jeune fille l’avaitcomplètement oubliée. Comme elle avait oublié son fiancé. Ellejoignit ses petites mains et implora :

– Oh ! monsieur !…

Sans la laisser achever, Concini la rassura vivement :

– Partez sans inquiétude à ce sujet, je vais, moi-même,rendre, l’enfant à votre servante.

– Soyez remercié, monsieur, fit-elle dans un élan degratitude.

– Montez vite, invita Concini ! d’une voixsuppliante.

Et plus bas, il répéta ce que Léonora avait déjà dit unefois :

– Apprenez qu’on ne doit jamais faire attendre lareine.

– La reine ! s’émerveilla la bonne Perrine qui avaitentendu.

Et elle regardait tour à tour Concini, « demoiselleMuguette » et la litière, faisant des efforts prodigieux pourcomprendre ce qui se passait.

Quant à la jeune fille, elle se souciait fort peu des règles del’étiquette. En ce moment, elle se reprochait comme une mauvaiseaction d’avoir oublié si longtemps « sa fille » Loïsetteet son fiancé Odet. Et comme elle sentait très bien que sa mère nes’éloignerait pas sans elle, sans tenir compte de l’invitationpressante de Concini, elle prit la mère Perrine dans ses bras et,en l’embrassant, elle lui glissa à l’oreille :

– Concini, c’est mon père… Tais-toi… Tu diras à Odet qu’onme conduit probablement au Louvre… Tu lui diras que je m’appelleFlorence maintenant… Veille bien sur ma fille… embrasse-la bienpour moi… Ah ! tu diras à Odet qu’on t’a rendu Loïse, qu’ilavise M. de Pardaillan, s’il le croit nécessaire.N’oublie pas mon nom : Florence… Adieu, ma bonne Perrine.

Et laissant la digne paysanne tout éberluée, elle monta enfindans la litière qui partit aussitôt, sur un signe impérieux deConcini adressé aux deux palefreniers.

Laissons pour un instant Concini et Perrine sur le seuil de laporte grande ouverte où ils suivent des yeux la litière quis’avance vers la rue de Vaugirard, et poussons jusqu’à ces deuxcarmes dont nous avons signalé la présence près de cette rue.

L’un de ces deux moines était petit, mince, fluet. Assurément,il devait être jeune : un novice probablement. L’autre étaitun géant aux formes athlétiques qui faisaient craquer les couturesdu froc un peu juste pour lui.

Ces deux moines ne bougeaient pas plus que s’ils avaient été dessaints de pierre. Ils semblaient ne rien voir et rien entendre dece qui se passait devant le petit hôtel Renaissance de Concini,plongés qu’ils étaient dans une pieuse méditation. En réalité, sousle capuchon rabattu qui leur masquait le visage, ils dardaient desregards aigus et tendaient une oreille attentive de ce côté. Ensorte qu’ils virent fort bien tout ce qui se passa là et qu’ilsentendirent toutes les paroles qui furent prononcées sur un tonordinaire. Et quand la litière s’ébranla, le plus petit, en purcastillan, dit au plus grand :

– Tu vois, d’Albaran, Léonora ne perd pas de temps :voici qu’elle enlève la petite bouquetière.

Et d’Albaran, avec son flegme accoutumé, comme la chose la plussimple du monde, proposa :

– Ordonnez, madame, et nous tombons sur ces quatre grandsflandrins et sur ce bravache qui se donne des airs d’importance àcette portière. Nous les étrillons, nous les dispersons et nousnous emparons de la bouquetière que nous portons chez vous.

Avec un de ces sourires indéfinissables comme elle seule savaiten avoir, Fausta – car c’était bien elle, dissimulée sous le frocd’un moine – refusa :

– Y penses-tu, d’Albaran ?… Attaquer la voiture de lareine régente de France ? On ne fait pas de ces choses-là.

– Suivons-nous la litière, madame ? demanda d’Albaransans insister.

– À quoi bon ? Nous savons où elle va. Il est plusintéressant pour moi de savoir si cette paysanne va emporter cettepetite Loïsette. Ne bougeons pas, d’Albaran.

Et, en effet, ils demeurèrent à leur poste d’observation.

Quelques minutes plus tard, Perrine sortait de la petite maisonde Concini. Elle emportait dans ses bras la petite Loïsette qui sesuspendait à son cou en souriant comme doivent sourire les anges.Concini avait tenu sa promesse : il avait lui-même remisl’enfant entre les bras de la bonne femme. Généreux comme il savaitl’être en de certaines circonstances, il lui avait remis une boursegonflée de pièces d’or en disant :

– Pour vous remettre des émotions que je vous ai causées,et pour acheter des friandises et des jouets à cette mignonneenfant.

Et la mère Perrine ne s’était pas fait scrupule d’accepter.

– Puisqu’il est le père de demoiselle Muguette, quis’appelle maintenant demoiselle Florence, il peut bien payer,dit-elle.

Malgré tout, elle ne se sentait pas pleinement rassurée et nedemandait qu’à s’éloigner au plus vite de ces lieux dangereux oùelle se sentait mal à son aise. La charrette était là. Elle y montaprécipitamment, installa l’enfant sur ses genoux, et, excitant lecheval de la voix, elle partit.

De son coin, Fausta avait observé avec une attention haletante.Ce n’était pas la mère Perrine qu’elle regardait. Non, c’était surla petite Loïse qu’elle fixait obstinément un regard de mystère ensongeant :

– Voilà donc la petite Loïsette !… la fille du fils dePardaillan !… ma petite-fille !…

Était-elle émue ? Qui sait ? Et qui pourrait dire,avec Fausta ?

Ce qu’il y a de certain, c’est qu’en passant devant les deuxfaux moines, Perrine salua respectueusement de la tête, fitdévotement un grand signe de croix, et, avec gratitude, prononçaun :

– Grand merci, mon révérend.

Il lui avait semblé que le plus petit de ces moines, seredressant dans une attitude d’indicible majesté, sortant de lalarge manche une petite main blanche et potelée, avait lentementlevé le dextre et laissé tomber sur l’enfant les gestes quibénissent.

Oui, il lui avait semblé voir cela. Et c’est pourquoi elleremerciait avec émotion.

Mais sans doute avait-elle eu la berlue, car, à peine lacharrette les avait-elle dépassés, que Fausta, saisissant le brasde d’Albaran, l’entraînait, le poussait devant elle, en ordonnantavec son calme habituel :

– Il faut suivre cette femme, savoir où elle conduitl’enfant, ne plus les lâcher d’une seconde. Va, d’Albaran.

Et d’Albaran partit devant à grandes enjambées, tandis qu’ellele suivait plus posément. Il n’alla pas loin, d’ailleurs. Il tournaà main droite dans la rue de Vaugirard, passa devant l’entrée ducouvent des Carmes déchaussés, et entra dans la première maisonqu’il trouva ensuite.

Dans la salle basse où il pénétra, ils étaient une douzaine debraves qui tuaient le temps en jouant aux dés ou aux cartes et envidant force flacons. Ce qu’ils faisaient en toute conscience,mais, en silence, en soldats dressés à une discipline de fer etdont la consigne est d’éviter le bruit. En voyant paraître leurchef, ils se levèrent tous, sans bruit, et attendirent lesordres.

D’Albaran donna des instructions brèves à deux de ces braves quisortirent sur-le-champ. Quelques secondes plus tard, ils étaient àcheval tous les deux, rattrapaient la charrette de la mère Perrineet se mettaient à la suivre. Ils ne devaient plus la lâcher.

À peine étaient-ils partis que Fausta entrait à son tour dans lamaison et montait au premier, suivie de d’Albaran. Quand ilsredescendirent, au bout de quelques minutes, ils étaient encavaliers tous les deux et avaient le manteau relevé sur le visage.Ils montèrent tous à cheval. Fausta, ayant d’Albaran à son côté,prit la tête de sa petite troupe, et tout doucement, ils s’enallèrent tous vers la ville.

Si elle était partie quelques minutes plus tôt, Fausta aurait puvoir une cavalcade s’engouffrer en tourbillon dans la rue Casset ets’arrêter devant la petite maison du maréchal d’Ancre. C’étaientles ordinaires de Concini qui arrivaient, sous la conduite du chefdizainier qui était allé les chercher à l’hôtel de la rue deTournon. Ils étaient une vingtaine pour le moins, parmi lesquels setrouvaient MM. de Bazorges, de Montreval, de Chalabre et dePontrailles, que nous citons parce que nous avons déjà eul’occasion de faire leur connaissance.

– Et derrière cette troupe, assez loin, trois hommescouraient à toutes jambes, comme s’ils avaient eu l’outrecuidanteprétention de rattraper ces cavaliers lancés en trombe sur le pavédu roi.

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