La Fin de Pardaillan

Chapitre 17OÙ ALLAIT LA PETITE BOUQUETIÈRE

Valvert demeura cloué sur place, pétrifié, anéanti, la regardants’éloigner d’un œil sans expression. Et il se disait :

« Elle n’est pas libre !… Elle n’est pas libre !…Qu’est-ce que cela veut dire ?… Et pourquoi n’est-elle paslibre… puisqu’elle n’est pas mariée… puisqu’elle n’aime personne…Car elle me l’a dit. Et puisqu’elle l’a dit, cela doit être, carune enfant loyale et pure comme celle-ci ignore le mensonge… Etelle n’a pas davantage menti quand elle a dit que si elle devaitaimer quelqu’un, c’est moi qu’elle aimerait… Non, elle n’a pasmenti : je sens bien, moi aussi, qu’elle aurait fini parm’aimer… Alors qu’y a-t-il ?… Pourquoi n’est-elle pas libre,pourquoi ?… Par le ciel, il faut que je sache ce qu’il y alà-dessous et je le saurai !…

Il s’élança comme un fou vers la rue Saint-Honoré. Il n’eut pasde peine à rattraper Brin de Muguet qu’il voulait suivre.Jusque-là, il avait agi sous le coup d’une impulsion irraisonnée.Il était bien trop désemparé pour calculer la portée de ses gestes.Dès l’instant qu’il se trouva lancé, il trouva instantanément lesang-froid nécessaire pour exécuter avec adresse ce qu’il avaitrésolu de faire. Il commença par ramener les plis du manteau sur lenez et se mit à suivre de loin la jeune fille. Il était entraîné delongue date à cette manœuvre. Il était bien sûr qu’il ne trahiraitpas sa présence.

Brin de Muguet s’en allait du côté de la Croix du Trahoir. Toutde suite, il remarqua qu’elle allait délibérément droit à son but,sans se livrer à ces tours et détours qu’elle faisait d’habitudepour dépister ceux qui auraient pu la suivre.

Il ne fut pas seul à faire cette remarque. Un autre suiveur quiavait le visage enfoui dans le manteau, auquel il n’avait pas faitattention, mais qui l’avait très bien remarqué, lui, et qui segardait autant du comte que de la jeune fille, fit la même remarquequi prouvait que lui non plus ne la suivait pas pour la premièrefois. Et ce suiveur, c’était Stocco. D’où sortait-il, comment setrouvait-il là, derrière la jeune fille ? Peu importe. Il yétait et la suivait comme Valvert.

Pourquoi la gracieuse jeune fille négligeait-elle, ce jour-là,ses habituelles préoccupations ? Peut-être jugeait-ellequ’elles étaient devenues inutiles maintenant qu’elle se sentaitsous la protection d’un personnage tout-puissant comme la duchessede Sorrientès. Ou peut-être, troublée et distraite par l’entretienqu’elle venait d’avoir avec Valvert, eut-elle un moment d’oubli.Toujours est-il que, sans se cacher, elle alla jusqu’à la rue del’Arbre-Sec, dans laquelle elle s’engagea. Tournant à gauche, ellevint aboutir à la place des Trois-Mairies, place qui se trouvait àl’entrée du pont Neuf, et se confondit plus tard avec les rues dela Monnaie et du Pont-Neuf.

Elle entra dans un cabaret. Elle en ressortit au bout dequelques minutes. Elle était assise sur le dos d’un joli petit ânegris, les pieds posés bien d’aplomb sur une planchette. Surl’encolure de l’âne, un panier pendait de chaque côté. Un de cespaniers était vide. L’autre contenait un paquet assez volumineux.Il fallut l’œil pénétrant de notre amoureux pour la reconnaître,car elle était enveloppée des pieds à la tête dans une grande capebrune dont elle avait rabattu le capuchon sur le visage. Dehors,elle prononça d’une voix caressante :

– Va, Grison, va, et tâche de trotter, car nous sommes bienen retard.

Grison pointa ses longues oreilles, agita la queue et partit autrot.

De lui-même, sans qu’il fût besoin de le guider, il s’engageasur le pont-Neuf. Évidemment il savait très bien où il allait.

Derrière l’âne, toujours plongé dans de sombres réflexions,Valvert allongea le pas et se remit à suivre.

Et derrière lui, sans qu’il parût s’en apercevoir, Stocco secoulait avec la souplesse silencieuse d’un renard sur la piste.

L’âne n’est pas un animal stupide comme on se plait à le direbien à tort. Il est au contraire, fort intelligent et doué d’uneexcellente mémoire. Il est de plus d’un naturel aimant et, si on letraite bien, il s’attache profondément à son maître. Grisonsemblait très attaché à la jeune fille qui le montait. Il estcertain qu’elle devait le gâter et il en était reconnaissant à samanière. Il semblait avoir compris la recommandation qu’elle luiavait faite au départ et il trottait consciencieusement. Plongéedans ses réflexions, Muguette ne se donnait pas la peine de lediriger sachant par expérience sans doute qu’elle pouvait s’enrapporter à lui.

De fait, la bonne bête traversa le pont, sortit de la ville parla porte Dauphine et, longeant les fossés, s’en fut rejoindre larue d’Enfer, dépassa le village de Montrouge. Durant près de deuxheures il alla ainsi, en pleine campagne, sans se tromper, seremettant au pas quand il était fatigué, reprenant docilement letrot quand il entendait la voix douce de sa maîtressel’exciter.

Maintenant, à droite et à gauche, là route était bordée par deschamps de roses. Des roses éclatantes, de toutes les teintes, detoutes les espèces connues. C’était un véritable enchantement pourla vue que ces champs entiers uniquement parés de la reine desfleurs. C’était un véritable délice pour l’odorat que le parfumdoux et pénétrant qui s’exhalait de ces innombrables roses. Car onne voyait que cela : des roses, encore des roses, rien que desroses. Nous disons, rien que des roses. Non, il n’y avait pas quedes roses. Entre chaque rangée de fleurs, il y avait des fraisierschargés de fruits. Et le parfum subtil de ces fraises pourpres ourose pâle se mélangeait délicatement au parfum des roses. Etc’était ce parfum délicieux que Muguette aspirait à pleinesnarines, avec ravissement.

Sur le penchant d’un coteau, se trouvait un hameau tout petitmais charmant qui, enfoui comme il était parmi les roses, méritaitde tout point le nom qui était le sien : Fontenay-aux-Roses.Une des premières maisons, à l’entrée de ce hameau, était une joliemaisonnette rustique, proprette, coquette, du plus riant aspect.Elle se dressait au milieu d’un jardin assez grand où se voyait unemultitude de fleurs parmi lesquelles les roses et les lisdominaient. La haie qui entourait le jardin était une haied’églantines qui sont, comme on sait, des rosiers sauvages. Devantla porte de la maison, le long des murs, des rosiers grimpants.Tout cela fleuri. En sorte que la haie, le jardin et la maisonelle-même avaient l’air d’un gigantesque bouquet de fleurs.

Ce fut devant la porte à claire-voie de ce ravissant nid defleurs, tout embaumé, que l’âne vint s’arrêter tout seul et annonçasa présence par des braiments joyeux et prolongés.

De la maison on le guettait. Avant même qu’il eût fait entendresa voix, une femme d’une cinquantaine d’années, vêtue comme unevillageoise aisée, sortait précipitamment de la maison, se ruaitvers la porte à claire-voie qu’elle ouvrait en disant :

– Vous voilà enfin ! Comme vous êtes en retardaujourd’hui ! Je commençais à être terriblement inquiète,savez-vous.

– Il n’y a point de ma faute, s’excusa Brin de Muguet. Jevous raconterai cela, mère Perrine.

– Bon, l’essentiel est que vous voilà, en bonne santé. Dieumerci ! répondit la mère Perrine.

Et saisissant la jeune fille dans ses bras vigoureux, ellel’enleva comme une plume, la déposa doucement à ses pieds et,plaquant deux baisers sur ses joues satinées :

– Bonjour, ma belle enfant ! dit-elle joyeusement. Et,sincèrement émerveillée :

– Toujours plus fraîche et plus jolie que jamais !

– Et vous, toujours plus vigoureuse et plus indulgente,répondit Brin de Muguet, en riant, après avoir rendu baiser pourbaiser.

Et comme la brave femme fouillait déjà dans le panier, ensortait le paquet dont nous avons signalé la présence, ellerecommanda :

– Doucement, mère Perrine, doucement. Il y a là-dedans desfriandises et des choses fragiles pour ma fille Loïse.

– Soyez donc tranquille, rassura l’excellente femme enriant, je me doute bien de ce que contient ce paquet. Comme si jene savais pas que vous ne vivez que pour votre fille Loïse qui estbien l’enfant la plus choyée et la plus gâtée qui se puissevoir.

– Le mérite-t-elle pas ?

– Ah ! que oui, le pauvre cher ange du bon Dieu !s’écria la mère Perrine avec conviction.

– Bien vous en prend d’en convenir, sans quoi…

– Sans quoi ? interrogea la mère Perrine, voyantqu’elle laissait la phrase en suspens.

– Sans quoi, je vous eusse demandé pourquoi vous la gâtezautant que moi qui suis sa mère, acheva Brin de Muguet enriant.

– Sa mère ! C’est bientôt dit, mâchonna la mèrePerrine. Et tout haut :

– Tout de même, vous pourriez aussi penser un peu à vous.Tout ce que vous gagnez, vous le dépensez pour votre Loïsette… sanscompter ce que vous me donnez à moi, toujours pour elle.

– C’est ma fille ! répéta Brin de Muguet avec unegravité soudaine. Et je ne veux qu’elle ait une enfance abandonnéeet sans caresses, comme fut la mienne.

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