La Fin de Pardaillan

Chapitre 40DE CONCINI À FAUSTA

Moins d’une demi-heure plus tard, dans la chambre de Pardaillan,ils étaient tous les cinq réunis autour d’une table plantureusementgarnie de viandes froides qu’encadraient de nombreux flacons. Touten dévorant à belles dents, Valvert mit Pardaillan au courant de cequi s’était passé dans la petite maison de Concini.

Valvert n’apprit rien de nouveau au chevalier, en lui disant quesa fiancée était la propre fille de Concini et de Marie de Médicis.On se souvient peut-être qu’il l’avait deviné à certaines parolesde Fausta. Seulement, il lui apprit le véritable nom de sabien-aimée.

– Florence, monsieur, elle s’appelle Florence !s’écria notre amoureux avec admiration. Peut-on rêver un nom plusgracieux !…

– Le nom de la femme que nous aimons nous paraît toujoursle plus joli nom de la terre, déclara Pardaillan de son air depince-sans-rire.

– Dès demain matin, s’inquiéta Valvert, il faudra que je memette à sa recherche. Je veux savoir ce que son père – car Conciniest son père, hélas ! – en a fait. Je ne me sens pas rassurédu tout à son sujet, monsieur.

– Bon, je peux vous renseigner tout de suite, moi. On l’aemmenée au Louvre.

– Comment le savez-vous ? s’étonna Valvert.

– Parce que nous avons croisé la litière, dans laquelle jel’ai reconnue à côté de Mme la marquise d’Ancre, enface de la reine… de sa mère.

– Que vont-ils lui faire ? s’étonna Valvert.

– Rien de mal… pour l’instant, tranquillisa Pardaillan. Ilsvont réfléchir, se concerter avant de prendre une résolutiondéfinitive à son sujet. En attendant, la mère tient à l’avoir sousla main. C’est assez naturel.

Et, avec ce flegme si déconcertant chez lui :

– Votre Florence ne court aucun danger… pour quelquesjours, du moins. D’ici là, nous aviserons.

– Nous la sauverons, n’est-ce pas, monsieur ?

– Sans doute, fit Pardaillan, avec son imperturbableassurance, peut-être, au fond, était-il moins tranquille qu’il nevoulait bien le laisser voir. Mais Valvert le vit très sûr de lui,et cela suffit pour lui rendre toute sa confiance et toute sa bonnehumeur. Alors, une autre préoccupation lui vint :

– Et la petite Loïse ? s’écria-t-il tout à coup. Pestesoit de moi, qui l’ai complètement oubliée ! Ah !monsieur, s’il est arrivé malheur à cette petite innocente, par mafaute, je ne me le pardonnerai de ma vie…

– Eh ! que voulez-vous qui lui soit arrivé ?

– Est-ce qu’on peut savoir avec Concini ?

– Concini, affirma Pardaillan, catégorique, a rendul’enfant à la mère Perrine.

– Qu’en savez-vous ? s’ébahit Valvert.

Pardaillan leva à la hauteur de son œil son verre plein d’unvouvray pétillant, le vida avec une lenteur de fin gourmet, fitclaquer sa langue d’un air satisfait, et levant lesépaules :

– Réfléchissez donc, bougonna-t-il, Concini est unemauvaise bête, c’est entendu. Mais enfin, il ne va pas tout de mêmejusqu’à tuer uniquement pour le plaisir de tuer, il n’a plus besoinde cette enfant, maintenant. Qu’en ferait-il ? Elle legênerait horriblement. C’est ce qu’il s’est dit, n’en doutez pas.Conclusion : il l’a rendue à celle à qui il l’avait prise, àla mère Perrine qui est venue la lui réclamer.

– C’est une hypothèse plausible, j’en conviens, mais cen’est qu’une hypothèse. Et puis comment pouvez-vous dire avec cetteassurance que la mère Perrine est venue réclamerl’enfant ?

– Voilà, expliqua Pardaillan : quand vous m’avezquitté, ce tantôt, je vous ai d’abord attendu patiemment. Puis, jeme suis impatienté. Puis, je me suis demandé avec inquiétude sivous n’étiez pas victime de quelque mauvais tour deMme Fausta, qui ne perd jamais son temps, je vousen réponds. Je me suis mis à votre recherche. Celui-ci (ildésignait Gringaille) m’a appris alors de quelle commission, àvotre adresse, il avait été chargé par une paysanne qu’il avaittrouvée chez vous. Nous sommes allés chez vous. Nous y sommesarrivés juste à point pour voir la personne qui montait dans sacharrette pour s’éloigner. Je l’ai abordée, je me suis nommé, etelle m’a mis au courant. Cette brave femme m’a quitté, en me disantqu’elle se rendait rue Casset et qu’elle n’en bougerait pas qu’onne lui ait rendu l’enfant. Or, quand je suis arrivé à mon tour rueCasset, à la suite des estafiers de Concini, que nous avionsrencontrés en route et que nous avons vainement essayé derattraper, attendu que nous étions à pied et qu’ils étaient bienmontés, j’ai constaté l’absence de la paysanne et de sa charrette.Et il en a été de même pendant le temps que nous avons attendu lavisite de Concini. D’où je conclus qu’elle avait obtenusatisfaction avant notre arrivée. Au reste, c’est une chose dontnous nous assurerons, pas plus tard que demain, en nous rendant àFontenay-aux-Roses… Que diable, je veux connaître ma petite-fille,moi !…

Cette fois, Valvert admit qu’il devait avoir raison.

Ce souper se prolongea tard dans la nuit. En agissant ainsi,Pardaillan avait son idée de derrière la tête, qui était de garderValvert près de lui et de l’empêcher de retourner à son logis de larue de la Cossonnerie.

Il y réussit assez facilement pour ce soir-là : Valvert etLandry Coquenard achevèrent la nuit dans un lit du GrandPasse-Partout. Mais le lendemain matin, il fut moins heureuxquand il s’efforça de démontrer au jeune homme qu’il devaitabandonner définitivement son ancien logis.

– Mais, monsieur, s’étonna Valvert, Concini pouvait mevouloir la malemort, quand il voyait en moi un rival. Pourquoi m’envoudrait-il maintenant qu’il sait qu’il est le père de celle quej’aime ?… Car il le sait, monsieur, et j’ai bien vu que cetterévélation avait radicalement modifié ses sentiments à l’égard deFlorence.

– Enfant, sourit Pardaillan, vous n’êtes plus le rival deConcini, c’est vrai. Mais – et ceci est plus impardonnable pourvous – vous êtes l’homme qui connaît le secret de la naissance desa fille. Soyez sûr qu’il recommencera, à bref délai, le mauvaiscoup qu’il n’a pu réussir hier.

– Diable ! c’est que c’est vrai, ce que vousdites ! murmura Valvert, pensif.

– Et puis, insista Pardaillan qui le voyait ébranlé, il mesemble que vous oubliez un peu Mme Fausta… Faustaqui connaît votre demeure, songez-y.

– Mais, monsieur, à ce compte-là, vous devez déménageraussi.

– Moi ! sursauta Pardaillan, et pourquoi, bonDieu ?

– Pensez-vous que Mme Fausta ne sait pasque vous logez ici ? Pensez-vous qu’elle ne pourra vous yatteindre ?

– C’est ma foi, vrai !

Et Pardaillan se mit à marcher avec agitation dans sa chambre.Et, en marchant, il grommelait :

– Diantre, c’est vrai que Fausta doit savoir que je logeici… Si elle ne le sait pas encore, elle le saura bientôt… Concinile saura aussi… Diantre, diantre !… C’est vrai que je ne suisplus en sûreté ici !… Par Pilate, il va falloirdéménager !… Déménager, c’est bientôt dit !… Bouleversertoutes mes habitudes, m’en aller vivre au milieu de gens que je neconnaîtrai pas, qui ignoreront tout de mes goûts… quand je suis sibien ici, où je suis choyé, dorloté, ce qui n’est pas à dédaigner àmon âge… Partir d’ici où on me connaît si bien, qu’il me suffitd’un geste, d’un clin d’œil, pour faire comprendre ce que jedésire !… Déménager !… Ah ! misère, on ne pourradonc jamais vivre tranquille sa pauvre existence !…

Valvert suivait d’un œil amusé, les effets de cette mauvaisehumeur de Pardaillan. Il comprenait très bien que tout ce qu’il endisait, c’était pour lui, Valvert. Au fond, il était bien résolu àne pas quitter cette maison, où il était plus maître que lapatronne, dame Nicole, et où il était retenu par une habitudevieille de pas mal d’années déjà.

– Notez, monsieur, intervint-il en souriant, notez que nousn’aurons pas plus tôt déménagé, que Mme Fausta etConcini connaîtront notre nouvelle demeure. Dès lors, pourquoi sedonner tant de mal ?

– Au fait, dit Pardaillan qui se calma soudain, ce que vousdites là est très juste. Aussi, c’est dit : il en arrivera cequ’il en arrivera, mais je reste ici, où je suis bien.

– Et moi, fit Valvert en riant, je reste à mon perchoir dela rue de la Cossonnerie, où, moi aussi, j’ai déjà mes petiteshabitudes. Je vous demanderai même la permission de m’y rendre dèsmaintenant.

– Qui vous presse ? Vous n’oubliez pas que nous avonsdécidé de nous rendre à Fontenay-aux-Roses aussitôt après ledîner ?

– C’est précisément à cause de cela, monsieur. Jem’explique. Hier, j’ai laissé mon cheval à la porte de la maison deConcini. C’est une bonne bête à laquelle je tiens. Et je ne saispas ce qu’il est devenu. Je veux voir, si par hasard, il n’est pasretourné tout seul à l’écurie du Lion d’Or, où je l’ai misen pension.

– Allez, donc, autorisa Pardaillan avec un regretmanifeste. Mais vous n’allez pas, désarmé comme vous voilà, vousaventurer dans la rue.

– Oh ! monsieur, protesta Valvert avec insouciance, larue de la Cossonnerie est à deux pas d’ici.

– N’importe, insista Pardaillan. Vous oubliez toujoursConcini et Fausta. Une rue à traverser, c’est plus qu’il n’en fautpour se saisir d’un homme sans armes.

Il alla à une panoplie, choisit une forte rapière qu’il tenditau jeune homme en disant :

– Prenez ceci.

Valvert ceignit la rapière, en remerciant avec effusion, etpartit aussitôt, suivi de Landry Coquenard. À peine avait-il tournéles talons que Pardaillan commanda d’une voix brève :

– Suivez-le. Et ouvrez l’œil.

Ceci s’adressait à Gringaille et à Escargasse. Ils sautèrentaussitôt dans la rue et se mirent à suivre de loin Valvert, qui nes’aperçut même pas qu’il traînait à sa suite deux gardes du corpschargés de veiller sur lui.

Rien de ce que paraissait appréhender Pardaillan ne seproduisit. Au bout d’une demi-heure, Valvert était de retour auGrand Passe-Partout.

Il ramenait ce cheval qu’il devait à la reconnaissance royale,ainsi qu’il l’avait pensé, il avait eu la joie de le trouver devantson râtelier où il était revenu tout seul. Landry Coquenard étaitmonté comme son maître. Il avait profité de son passage à leurlogis pour s’armer. Dès que le dîner fut expédié, Pardaillan etValvert se mirent en selle et partirent. Au bout de quelques pas,Valvert s’aperçut que Landry Coquenard, Gringaille et Escargasseles suivaient. Il s’étonna naïvement :

– Ces braves nous escortent ?

– Pourquoi pas ? puisqu’ils n’ont rien à faire quebayer aux corneilles, répliqua Pardaillan de son air froid.

– Mais, fit Valvert en les détaillant, ils sont armésjusqu’aux dents !… Que vois-je dans mes fontes ?… Despistolets qui ne s’y trouvaient pas, quand je suis venu à votrehôtellerie ! Ah çà ! monsieur, nous allons donc enexpédition ?

– Pas le moins du monde, dit Pardaillan, qui se fit de plusen plus froid. Nous allons tout bonnement à Fontenay-aux-Roses,nous assurer si ma petite-fille s’y trouve.

– Et pour cela, railla Valvert, il nous faut des pistoletsdans nos fontes… car vous en avez aussi, monsieur… et il nous fauttrois grands flandrins pendus à nos trousses !… Oh !oh ! monsieur, je ne vous reconnais plus !…

– Raillez, jeune homme, raillez tant que vous voudrez…pourvu que vous n’oubliiez pas que nous sommes en lutte contreMme Fausta… Et remarquez, je vous prie, que je neparle que de Mme Fausta, et cela suffit.

– Alors, bougonna Valvert, parce que nous sommes en luttecontre Mme Fausta, il va nous falloir vivre sur unqui-vive perpétuel, nous méfier de tout et de tous ?

– Vous l’avez dit, déclara froidement Pardaillan. Et, sanshausser le ton :

– Oui, il va nous falloir être constamment sur nos gardeset nous méfier de tout et de tous, si nous tenons à notre peau. Àmon âge, on est prêt depuis longtemps à faire le grand voyage. Il ya quelques jours, je l’étais, et je vous assure que je n’eusse pasalors pris les précautions que je prends aujourd’hui, pour sauverma peau à laquelle je tenais et je tiens encore fort peu.Aujourd’hui, c’est différent. Aujourd’hui, j’ai un devoir sacré àaccomplir : j’ai à défendre le petit roi Louis treizièmecontre Mme Fausta. J’ai à défendre sa couronne etsa vie. Or, puisque je lui suis indispensable, je considéreraiscomme une lâche désertion de me laisser supprimer par ma faute. Etc’est pourquoi je me garde comme je le fais, moi qui ne tiens pas àma peau.

– Je comprends, monsieur, mais…

– Pour ce qui est de vous, interrompit Pardaillan, libre àvous de ne pas vous garder… Et alors, je vous réponds que vous neserez pas long à disparaître. Si c’est cela que vous voulez, libreà vous, vous dis-je. Seulement, demandez-vous un peu qui veillerasur votre fiancée, si vous venez à lui manquer. Qui ?… Pasmoi, assurément, puisque j’aurai affaire, et fort affaire, je vousle jure, ailleurs.

– Je vous remercie de la leçon, monsieur, et je vousréponds qu’elle ne sera pas perdue, fit Valvert, de sa voixémue.

Pardaillan se détourna pour dissimuler un sourire desatisfaction. Il était bien sûr maintenant, que le jeune homme nese laisserait plus emporter par son insouciante bravoure, quipouvait le perdre et qu’il ferait pour sa bien-aimée ce qu’iln’aurait jamais consenti à faire pour lui-même, c’est-à-dire qu’ilsaurait se montrer prudent et veiller sur lui-même.

Il faisait un temps splendide : une de ces magnifiquesjournées de printemps avant-courrière d’un été déjà proche et quipromettait d’être chaud. Le long des champs de roses quiembaumaient délicieusement, sur la route ensoleillée, ils firentune promenade exquise, que ne vint troubler aucun événementfâcheux.

Ils arrivèrent. Et ce fut tout de suite la déception : lesportes fermées, les volets soigneusement clos annonçaient que lamaison était vide de ses maîtres. Ils appelèrent, frappèrent à tourde bras. Nul ne leur répondit.

Ils n’abandonnèrent pas la partie pour cela. La mère Perrinepouvait s’être absentée un instant pour faire une course. Ellepouvait revenir d’un moment à l’autre. Ils laissèrent Landry,Escargasse et Gringaille devant la porte et ils allèrents’informer. Voici ce qu’ils apprirent.

Le matin même, de bon matin, une troupe de gens armés, escortantune litière était venue s’arrêter devant la maison de la Perrine.Une dame, une très grande dame assurément, était descendue de lalitière, était entrée dans la maison. Elle y était bien restée unedemi-heure. Au bout de ce temps, on avait vu la Perrine fermer toutchez elle.

Après quoi, la grande dame était sortie. Perrine et l’enfantl’accompagnaient. L’enfant paraissait toute joyeuse. À un gamin quil’interrogeait, elle avait répondu qu’elle s’en allait retrouver samaman Muguette. Quant à la Perrine, elle ne paraissait pasinquiète. C’était librement qu’elle suivait la grande dame, elleétait montée dans la litière. Oui, bien, dans la litière de cettegrande dame. Et toute la troupe était repartie.

Après avoir donné un écu à la commère qui venait de leur fournirces renseignements, Pardaillan s’était éloigné en disant tout bas àValvert :

– Je veux que le diable m’écorche, si cette grande damen’est pas Mme Fausta elle-même.

– Vous croyez, monsieur ? répondit Valvert,sceptique.

– Parbleu !

– Que diable voulez-vous qu’elle fasse de cetenfant ?

– Retournons voir la maison, fit brusquement Pardaillan,sans répondre à cette question.

Et, en lui-même, avec ce visage figé, indice certain, chez lui,d’une émotion violente refoulée :

« Mais je n’ai vraiment pas de chance, chaque fois que jeveux voir cette petite Loïsette qui est ma petite-fille !Serait-il donc écrit que je m’en irai sans l’avoir embrassée, cetteenfant ?… »

Nous ne saurions dire si c’était cette crainte qui l’obsédait ous’il avait d’autres soucis en tête, mais le fait est qu’ilparaissait singulièrement assombri, lorsqu’ils se retrouvèrentdevant la maison fermée. Au reste, cela ne l’empêcha pas d’agiravec cette rapidité de décision qui le caractérisait.

Ils franchirent la haie. Gringaille fut chargé de forcer laporte. Il s’en acquitta avec une dextérité, qui permettait desupposer qu’il était depuis longtemps entraîné à ce genred’exercice spécial.

Pardaillan entra, suivi de Valvert, qui se demandait ce qu’ilpouvait bien chercher dans la maison.

Pardaillan était venu chercher, tout simplement, un indicequelconque, qui lui permettrait de s’assurer, premièrement, sic’était bien Fausta qui avait emmené Loïse – car il pouvait s’êtretrompé –, secondement, si c’était elle, de démêler à quel mobileelle pouvait avoir obéi. Il s’en doutait bien un peu. Mais l’idéequi lui était venue lui paraissait tellement odieuse, que, bienqu’il connût Fausta capable de tout, il hésitait à la charger d’uneaussi abominable action. D’autre part, il se disait qu’il netrouverait rien : Fausta n’étant pas femme à laisser traînerderrière elle une indication, de nature à la trahir. À moinsqu’elle n’eût intérêt à le faire, auquel cas il était prudent de nepas trop s’y fier.

Pardaillan se disait donc qu’il ne trouverait rien. Ou, dumoins, qu’il ne trouverait que ce qu’il aurait plu à Fausta delaisser. N’importe, il faisait son enquête quand même, et trèssérieusement, parce qu’il n’était pas homme à se contenter d’unesimple supposition.

Il arriva qu’il fût servi au-delà de tout ce qu’il avait pusouhaiter. En effet, dans la première pièce où il entra, ses yeuxtombèrent tout de suite sur un petit carré de parchemin posé surune table. Un mignon petit poignard, qui clouait ce parchemin surla table disait clairement que ce n’était pas là un oubli, que lebillet était cloué là en vue de celui à qui il était destiné, quelqu’il fût. Et le fourreau de velours blanc était placé à côté.

Pardaillan s’approcha et regarda le poignard de près. Le mancheétait d’or ciselé, incrusté de pierres précieuses qui, à ellesseules, représentaient une fortune. Évidemment, il fallait êtretrès riche, pour posséder une arme qui était un joyau aussiprécieux. Il fallait être encore plus riche pour perdre ainsidélibérément un joyau pareil.

Dès cet instant, la conviction de Pardaillan fut faite.

« Fausta seule est assez riche pour se permettre de jeterainsi une fortune », se dit-il.

Valvert, qui le suivait pas à pas, aperçut à son tour lepoignard et lui fournit la preuve qu’il lui manquait encore.

– Vous aviez raison, monsieur, dit-il, c’est bienMme Fausta qui a emmené la petite Loïse : j’aivu ce poignard entre les mains de la duchesse de Sorrientès.

Pardaillan enleva le poignard et considéra la lame.

– Voyez, monsieur, dit encore Valvert en saisissant lefourreau, voyez, les armes des Sorrientès sont brodées sur cefourreau. Je les reconnais bien, allez.

– Ah ! ce sont là les armes des Sorrientès ! fitPardaillan. Eh bien, voici gravées sur la lame, les armes desBorgia. Je les reconnais aussi. Me voici tout à fait fixé. Je suissûr maintenant que ce billet m’est destiné.

Il prit le billet et le lut attentivement. Il disaitceci :

« Pardaillan, j’ai vu la petite Loïse, et je l’ai trouvéesi adorable que, le croiriez-vous ? je me suis mise àl’adorer. Je sens que je ne pourrais plus me passer d’elle. Aussije l’emmène et je la garde. C’est mon droit, après tout, puisque jesuis sa grand-mère.

Oh ! rassurez-vous, il ne dépend que de vous que je vous larende un jour. Je vous donne ma parole de souveraine, que je vousla rendrai, si vous avez la sagesse de ne pas venir vous jeter à latraverse de certain projet que vous connaissez et que, vous seul,vous seriez capable de faire échouer. Je vous la rendrai à cetteunique condition. Sinon, si vous vous obstinez à me nuire, vouspouvez prendre le deuil et le faire prendre au père et à la mère.Morte pour vous et pour eux, jamais vous ne reverrez, jamais ils nereverront cette enfant.

Vous me comprenez, n’est-ce pas, Pardaillan ? À vous dedécider, si vous voulez faire le désespoir du père et de la mère.Et tenez, j’ai une si grande confiance en vous que, si vous voulezbien me donner votre parole de demeurer neutre dans la lutte quevous savez, je vous rends immédiatement l’enfant. »

C’était signé d’un F.

Après avoir lu, Pardaillan laissa tomber le billet sur la tableet demeura un long moment rêveur, jouant machinalement avec lemignon petit poignard qu’il avait gardé dans sa main, sans yprendre garde.

Valvert, tout remué de le voir si pâle, le considérait d’un œilapitoyé, n’osait pas parler ni bouger, de crainte d’interrompre lespensées de son vieil ami, qu’il sentait profondément affecté,cruellement embarrassé. Et, de temps en temps, il jetait un regardde travers sur ce fatal billet, qui avait eu le funeste pouvoir debouleverser à ce point cet homme extraordinaire, qu’il avaittoujours vu si souverainement maître de lui.

Enfin, Pardaillan se secoua, comme s’il voulait jeter bas lessombres pensées qui l’obsédaient. Et il se mit à rire du bout deslèvres, d’un rire pour ainsi dire livide, effrayant. Il reprit lebillet et le tendit à Valvert, en disant de cette voix blanchequ’il avait dans ses moments d’émotion violente :

– Lisez.

Valvert prit le billet et le parcourut des yeux. Voyant qu’ildemeurait comme écrasé, après avoir lu jusqu’au bout, Pardaillandemanda :

– Eh bien ?… Que dites-vous deMme Fausta ?

– Qu’est-ce que c’est donc que cette femme capable deconcevoir d’aussi diaboliques machinations et de les mettre àexécution ? s’indigna Valvert avec toute la véhémence de soncœur ardent et généreux.

– C’est Fausta ! répondit Pardaillan en levant lesépaules.

– Qu’est-ce que cette mère, cette aïeule capable desacrifier froidement ses propres enfants à d’inavouables et demisérables projets d’ambition ?

– C’est Fausta ! répéta Pardaillan avec plus deforce.

– Dites que c’est une bête venimeuse et puante !…Quelque démon sorti de l’enfer tout exprès pour noustourmenter !…

– C’est Fausta ! c’est Fausta ! et cela dittout ! répéta une troisième fois Pardaillan dans un éclat derire.

– Et vous croyez qu’elle mettra son horrible menace àexécution ? demanda Valvert sur un ton qui marquait quelqueincrédulité.

– N’en doutez pas ! s’écria vivement Pardaillan. Quandil s’agit de faire le mal, Fausta tient toujours au-delà de cequ’elle promet.

– Qu’allez-vous faire ? demanda encore Valvert aprèsun court silence.

– Je n’en sais rien… Et c’est bien ce qui m’inquiète et medéconcerte, avoua Pardaillan.

Il y eut un nouveau silence entre les deux hommes. Pardaillanréfléchissait en tordant sa moustache d’un geste machinal. Ilsemblait s’être tout à fait ressaisi. Il n’éprouvait plus niindignation, ni colère, ni chagrin. Il envisageait froidement lasituation angoissante à laquelle Fausta venait de l’acculer. Et ilcherchait dans son esprit comment il pourrait parer le coup, sanséveiller la susceptibilité de sa trop scrupuleuse conscience.

– En somme, dit-il, formulant tout haut la pensée secrètequi le harcelait, il me faut choisir entre manquer à la parole quej’ai donnée au feu roi Henri IV, ce qui serait me déshonorer à toutjamais, ou abandonner ma petite-fille et faire ainsi – comme l’atrès bien écrit l’infernale Fausta – le désespoir de mon fils et dema bru, ce qui serait une méchante et abominable action.

Valvert se garda bien de répondre : il voyait quePardaillan l’avait oublié et parlait pour lui-même, trahissantainsi le désarroi tragique dans lequel se débattait saconscience.

Ce ne fut qu’un oubli passager. Déjà, Pardaillan était redevenumaître de lui-même et de sa pensée. Il revint au sentiment de laréalité, c’est-à-dire à Valvert. Et, comme s’il répondait à laquestion qu’il lui avait posée l’instant d’avant, il dit, avec uncalme apparent :

– C’est une question qui ne peut être ainsi résolue de buten blanc… je verrai, je chercherai… Rien ne presse, après tout… Quediable, je finirai bien par trouver la bonne solution, celle quiconciliera tout et me laissera la conscience en repos.

Il rentra le poignard dans sa gaine de velours, plia le papieren quatre, mit le tout dans sa poche, et comme si de rienn’était :

– Nous n’avons plus rien à faire ici, partons, dit-il de savoix qui avait retrouvé son calme accoutumé.

Ils sortirent, franchirent de nouveau la haie, se remirent enselle et partirent au petit trot. Ils traversèrent le village sansprononcer une parole. Quand ils eurent dépassé la dernière maison,qu’ils se trouvèrent de nouveau en rase campagne, ils se mirent aupas et ils échangèrent leurs impressions.

– Eh bien, fit Pardaillan, croyez-vous toujours queMme Fausta est un adversaire à dédaigner ?

– Je ne l’ai jamais pensé, monsieur, protesta vivementValvert. J’avoue cependant que, malgré tout ce que vous m’en aviezdit, malgré tout ce que j’ai vu par moi-même, je ne m’attendais pasà trouver en elle un adversaire aussi dénué de scrupules et capablede recourir à d’aussi méprisables procédés.

– Bah ! ceci n’est rien, fit Pardaillan qui avaitrepris son air et ses manières ordinaires. Ce que je veux vousfaire remarquer, ce qu’il est indispensable que vous vous mettiezdans la tête, faute de quoi votre perte est certaine, c’est qu’avecelle il faut toujours prévoir le pire des pires, si l’on ne veutpas être tout déferré quand le coup s’abat sur vous. Il faut avoirl’esprit sans cesse en éveil, ne jamais s’endormir, ne jamaiss’oublier, fût-ce une seconde, parce qu’elle ne demeure jamaisinactive, parce que ses décisions sont rapides et foudroyantes sesexécutions.

– Je commence à le croire, monsieur.

– Il faut le croire tout à fait, il faut en être bienpersuadé : il y va de votre vie et de celle de votrefiancée.

Comme on le voit, au retour comme à l’aller, Pardaillans’efforçait de mettre le jeune homme sur ses gardes. Il aurait puse dispenser de le faire. Valvert avait déjà compris la nécessitéde veiller sur lui-même, sinon pour lui, du moins pour celle qu’ilaimait. Maintenant il était, de plus, fortement impressionné par larapidité de l’action de Fausta, plus encore que par les moyensqu’elle ne craignait pas d’employer.

Ainsi qu’il l’avait dit, il commençait à se rendre compte queFausta était un de ces redoutables adversaires, avec qui ilconvient de ne négliger aucune précaution, avec qui, surtout, il nefaut se permettre aucune distraction qui peut devenir fatale. Aussimaintenant, était-ce lui qui se tenait sans cesse l’œil etl’oreille au guet. Et Pardaillan qui, à diverses reprises, l’avaitsurpris à se retourner et à scruter attentivement la route, luidemanda :

– Que cherchez-vous donc ?

– Monsieur, dit Valvert sans répondre directement, j’aifait cette remarque que Mme Fausta savait que vousviendriez dans cette maison, puisqu’elle y a laissé un mot à votreadresse.

– Elle le savait, ou elle l’avait deviné, rectifiaPardaillan.

– Cela reviendra au même. Sachant cela, il lui eût étéfacile de nous tendre un piège, sur la route ou dans la maisonmême.

– Sans doute. Il n’est pas dit non plus que nous nel’aurions pas éventé, ce piège. Vous n’êtes pas sans avoir remarquéque je me tenais sur mes gardes à l’aller.

– En effet, monsieur. Je remarque aussi que vous paraissezvous être fortement relâché de votre vigilante attention. Jem’imagine que c’est parce que vous avez l’esprit absorbé par lagrave décision que vous devez prendre. C’est pourquoi vous me voyezme retourner si fréquemment : je veille pour nous deux,monsieur, en me disant, que ce que Mme Fausta n’apas fait à l’aller, elle peut très bien nous le servir auretour.

– Veillez, comte, veillez, sourit Pardaillan. On ne sauraitprendre trop de précautions avec Mme Fausta.Cependant, laissez-moi vous dire qu’il ne suffit pas de se tenirsur ses gardes. Il convient encore, surtout avec Fausta,d’observer, de réfléchir. Vous avez lu le billet de Fausta. Si vousaviez réfléchi, vous auriez vu que Fausta attend une réponse de moiet vous vous seriez dit ce que je me suis dit moi-même, et qui faitque je me suis relâché de ma vigilance, à savoir : qu’ellen’entreprendra rien contre moi – ni contre vous, tant que vousserez avec moi – tant qu’elle n’aura pas reçu cette réponse.

– C’est pardieu vrai, et je suis un étourneau de n’y avoirpas songé ! s’écria Valvert.

Ils arrivèrent à Bagneux, en s’entretenant de la sorte. Là,Pardaillan s’informa. Personne n’avait vu la troupe escortant unelitière qu’il signalait.

– Bon, dit Pardaillan, l’enfant n’a pas été conduite àParis… Ou du moins, pas directement. Fausta, comme c’était àprévoir, prend ses précautions, pour que je ne puisse la retrouveret la lui reprendre.

Ils poursuivirent leur route et arrivèrent au GrandPasse-Partout, sans qu’il leur fût arrivé quoi que ce soit,digne d’être mentionné ici. Ils passèrent cette soirée ensemble,ainsi que la journée du lendemain. La soirée et la journée furentparfaitement calmes. Ni Fausta, ni Concini ne donnèrent signe devie.

Pardaillan avait repris son genre de vie accoutumé. Il avaitretrouvé cette bonne humeur un peu narquoise qui lui étaithabituelle. Aucun souci ne paraissait l’assaillir. Avait-il prisune décision au sujet de la conduite qu’il tiendrait vis-à-vis deFausta ? C’est ce que Valvert, qui admirait son calmeinsouciant, se demandait vainement, sans oser le lui demander,puisqu’il n’en parlait pas.

Le surlendemain, dans la matinée, un quart d’heure aprèsl’arrivée de Valvert qui passait la plus grande partie de son tempsavec le chevalier, dame Nicole vint annoncer que deux seigneurs,demeurés dans la salle commune, insistaient pour obtenir deM. le chevalier l’honneur d’un entretien particulier.

– Faites monter ces deux seigneurs, ordonna Pardaillan avecce grand air qui était naturel chez lui.

Et, dès que la porte se fut refermée sur dame Nicole :

– Je veux être écorché vif, si ce n’est pasMme Fausta qui envoie chercher la réponse de sonbillet, dit-il.

Et comme Valvert, par discrétion, esquissait un mouvement deretraite :

– Demeurez, mon enfant, vous n’êtes pas de trop, fit-ilvivement. Valvert demeura donc, mais se mit discrètement àl’écart.

Dame Nicole introduisit les deux visiteurs et se retiraaussitôt. Ceux-ci attendirent que la porte se fût refermée pourdémasquer leur visage qu’ils avaient enfoui dans les plis dumanteau. Pardaillan reconnut que l’un de ces deux visiteurs n’étaitautre que Fausta elle-même, qui portait le costume de cavalier avecune aisance incomparable. L’autre, on le devine, était son chien degarde, le gigantesque d’Albaran.

Les quatre personnages se saluèrent courtoisement, se firent lescompliments d’usage, tout comme s’ils avaient été les meilleursamis du monde et non pas des ennemis mortels. Seulement, Fausta etd’Albaran refusèrent les sièges que Valvert leur avançait. Ce quiindiquait que la visite serait brève. En effet, Fausta ne s’attardapas, elle alla droit au but :

– Chevalier, dit-elle, je viens chercher la réponse à monbillet qui vous est parvenu, je le sais.

– Comment, princesse, s’émerveilla Pardaillan d’un airrailleur, vous venez vous-même ! Quel honneur vous faites àmon pauvre taudis !…

– Chevalier, dit Fausta de son air grave, j’aime assezfaire mes affaires moi-même.

– Combien je vous approuve, princesse ! railla encorePardaillan. Et, se faisant froid :

– Permettez-moi, tout d’abord, de vous restituer ceprécieux joujou, que vous avez eu bien tort de laisser dans unemaison abandonnée, où le premier malandrin venu peuts’introduire.

– Je savais qu’il tomberait entre bonnes mains, dit Faustaen prenant le petit poignard que lui tendait Pardaillan.

Elle hésita une seconde, et se décidant :

– Si je vous demandais de garder cette arme en souvenir demoi ?…

– J’accepterais volontiers s’il s’agissait d’une armeordinaire, mais ceci, madame, c’est vraiment un joyau trop richepour moi, et je ne saurais l’accepter, à mon grand regret,croyez-le bien, refusa poliment Pardaillan.

– N’en parlons donc plus, dit Fausta, sans insisterdavantage. Et mettant le petit poignard dans son pourpoint, elleajouta :

– Et venons au fait…

– C’est-à-dire à la réponse que vous attendez de moi,précisa Pardaillan de plus en plus froid.

Et, de son air naïf :

– Il me semble, madame, que, me connaissant comme vous meconnaissez, vous ne devez avoir aucun doute sur le sens de cetteréponse.

– Formulez-la toujours, quelle qu’elle soit.

– Soit. Je vous dirai donc que je ne vois pas pour quelleraison mes intentions à votre égard seraient modifiées. Cesintentions, je vous les ai fait connaître loyalement lors de cetentretien que vous me fîtes l’honneur de m’accordez chez vous,auquel assistait M. le duc d’Angoulême, et qui faillit seterminer d’une façon mortelle pour moi. Du moins, ce n’est pas devotre faute s’il ne se termina pas ainsi. Mais, que voulez-vous,princesse, mieux que quiconque, vous devriez savoir que j’ai la viediablement dure, et qu’on ne me tue pas si aisément. Oh ! jen’en tire pas vanité, croyez-le bien. Si je suis ainsi et nonautrement, je n’y suis pour rien.

– Rappelez-moi ce que vous m’avez dit alors, insista Faustade son air grave et sans relever ses railleries.

– Je vous ai dit, fit Pardaillan en la fixant droit dansles yeux, que moi vivant, pas plus cette fois-ci qu’autrefois, vousne seriez reine de France. Je vous le répète.

– Ce qui veut dire que vous allez me combattre ?

– De toutes mes forces, oui, dit nettement Pardaillanglacial.

– Vous avez bien réfléchi ?

– Oh ! princesse, vous m’avez accordé tout un jour etdeux nuits pleines pour réfléchir. C’est plus qu’il n’en faut, jevous assure.

Valvert, témoin muet – comme d’Albaran – de cet entretien,admirait l’air détaché avec lequel ces deux incomparables lutteursse portaient les coups dans ce duel à coups de langue. Pardaillanavec son air froid, éclairé de-ci de-là par son sourire railleur,Fausta avec son calme immuable, tous les deux avaient l’air des’entretenir de choses de la plus grande banalité, auxquelles nil’un ni l’autre n’attachait la moindre importance. À les voir, nuln’eût soupçonné qu’ils traitaient des questions mortelles,formidables, desquelles dépendait leur propre sort et celui d’uneinfinité de personnages, dont le premier se trouvait être l’enfantroi : Louis XIII.

Cependant, avec le même calme souverain, sans que rien, dans saphysionomie et dans son attitude indiquât qu’elle fut contrariée,sans que rien dans sa voix harmonieuse laissât soupçonner lamenace, Fausta reprenait :

– Vous abandonnez donc votre petite-fille ?… Vouscondamnez donc au désespoir votre fils et votrebelle-fille ?…

– Je n’abandonne personne. Je ne condamne personne,protesta Pardaillan sans s’animer.

Et de cet air figue et raisin, si déconcertant chezlui :

– Mais j’ai réfléchi que le sort de mes enfants dépendaitde la lutte que vous me forcez, à entreprendre contre vous. Toutela question est de savoir qui de nous deux triomphera et combien detemps durera cette lutte. Ma conviction est, je vous l’ai dit et jevous le répète, que vous serez battue. Du même coup, le sort de mesenfants, se trouvera fixé. Quant à la durée de cette lutte, il estcertain qu’elle sera brève. Il ne peut en être autrement.

– Ainsi, vous espérez me reprendre la petiteLoïse ?

– Je ne l’espère pas, madame, j’en suis sur.

Pardaillan disait cela avec tant d’assurance que, si forte sicuirassée qu’elle fût, Fausta ne put s’empêcher de tressaillir. Cefut presque imperceptible, d’ailleurs, et elle se remitaussitôt.

– Cherchez-la, fit-elle avec un sourire aigu.

– Pardon, rectifia Pardaillan avec flegme, je n’ai pas ditque je la chercherais. Je n’ai même pas dit que je lareprendrais ; c’est vous qui l’avez dit.

– Et vous avez ajouté que vous en étiez sûr. Pour lareprendre, il faudra la trouver. Pour la trouver, il faudra bien lachercher. Cherchez, Pardaillan, cherchez. Et vous verrez si voustrouvez.

Pour la première fois, elle mettait un peu de sourde ironie dansson intonation. Il était clair qu’elle était très sûre d’elle-même.Pardaillan le comprit bien ainsi. Mais il n’était pas moins sûr delui. À son tour, il sourit d’un sourire narquois et, trèssimplement :

– Je ne la chercherai pas, je ne la trouverai pas, je ne lareprendrai pas. C’est vous-même qui me la rendrez.

– Vous croyez, sourit Fausta.

– J’en suis sûr, répéta Pardaillan en saluantcérémonieusement. Et, se redressant, insistant avec force surchaque mot :

– C’est vous-même qui me la rendrez… et qui vous estimereztrop heureuse de me la rendre.

– C’est ce que nous verrons, répliqua Fausta en cachant sarage sous un sourire.

Et elle ajouta :

– Je crois que nous n’avons plus rien à nous dire.

– Je le crois aussi, confirma froidement Pardaillan.

Ils se saluèrent cérémonieusement, comme au début de cetteentrevue. Poliment, Pardaillan reconduisit les deux visiteursjusqu’à la porte, dont ils franchirent le seuil après une dernièrerévérence.

Avant de s’éloigner, Fausta se retourna, et d’une voix grave,comme attristée, laissa tomber ce suprême avertissement :

– Gardez-vous bien, Pardaillan, car je vous jure que je nevous ménagerai pas, vous et ceux qui seront avec vous.

– Nous nous défendrons de notre mieux, répondit simplementPardaillan.

Fausta ramena les pans du manteau sur son visage et partit,faisant sonner haut les éperons d’or de ses hautes bottes souples,sur les carreaux luisants du large corridor. D’Albaran la suivit deson allure pesante de formidable colosse.

Pardaillan ferma la porte sur eux et revenant à Odet deValvert :

– Et maintenant, mon jeune ami, dit-il, tenons-nous bien.La tigresse est déchaînée et elle va nous mener rondement etrudement je vous en réponds.

Et Odet de Valvert, sans paraître autrement ému,répondit :

– On se gardera, monsieur, soyez tranquille. Quand aureste, nous ne sommes pas, Dieu merci, gens à nous laisser dévorerainsi, sans nous mettre un peu en travers.

Et Pardaillan sourit d’un air satisfait.

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