La Fin de Pardaillan

Chapitre 23PARDAILLAN SUIT ENCORE FAUSTA

Stocco, contraint et forcé comme Concini, avait conduitPardaillan à proximité du cabinet de Concini. La précaution quecelui-ci, se conformant au désir exprimé par Fausta, avait prise defaire le vide autour de son cabinet et sur le chemin qu’il devaitsuivre pour y conduire la visiteuse, cette précaution, que Stoccon’ignorait certainement pas, avait singulièrement facilité satâche, fort dangereuse pour lui, il faut le reconnaître.

Pardaillan avait donc pu assister, invisible et insoupçonné, àcet entretien qui l’avait tant intrigué et dont il n’avait pasperdu un mot. Et il était sorti derrière Fausta. Stocco n’avaitrespiré à son aise que lorsqu’il l’avait vu dans la rue. À sontour, Pardaillan avait voulu le rassurer pleinement.

– Écoute, lui dit-il, tu viens de me rendre un signaléservice. Je veux t’en récompenser d’une manière que tu saurasapprécier comme il convient, je n’en doute pas : je te donnema parole, et tu sais que je n’ai jamais manqué à cette parole, jete donne donc ma parole de ne jamais révéler à âme qui vive ce queje sais sur ton compte, quand bien même ce serait pour sauver matête. Mieux : à dater d’aujourd’hui, je t’ignore complètement,je ne te connais plus, j’ai oublié qu’il existe un Stocco au monde,ce qu’il a été, ce qu’il a pu faire. Tu peux donc dormir sur tesdeux oreilles maintenant.

Et Pardaillan s’était lancé à la suite de la litière de Faustaen se disant :

– Ce Stocco est un niais !… Il aurait dû savoir que cen’est pas moi qui l’aurais jamais dénoncé à son maître ni àd’autres.

Stocco, de son côté, songeait :

– Santa Madonna, me voilà enfin délivré de cetaffreux cauchemar ! Car je le connais, maintenant qu’il adonné sa parole, il se fera hacher menu comme chair à pâté s’il lefaut, mais il ne parlera pas. Comme il l’a dit lui-même, je peuxdormir sur mes deux oreilles.

Et le regard de haine mortelle qu’il dardait l’instant d’avantsur Pardaillan s’était presque changé en un regard de gratitudeattendrie. Mais c’était décidément une mauvaise bête que ce Stocco.Presque aussitôt, il reprit son expression haineuse et il gronda enlui-même :

« N’importe, comme dit l’autre, je lui garde un chien de machienne. Et si jamais l’occasion se présente, sans risques pourmoi, je me promets de montrer au sire de Pardaillan que je n’ai pasoublié les abominables minutes qu’il vient de me fairevivre. »

Laissons Stocco, auquel d’ailleurs il nous faudra bientôtrevenir, et suivons Pardaillan, puisque Pardaillan nous conduit àla suite de Fausta, avec laquelle nous n’en avons pas encorefini.

Pardaillan suivait donc la litière de Fausta. Et la litière deFausta ne suivait pas le même chemin qu’elle avait pris pourvenir : elle s’en allait chercher la rue de Vaugirard, passaitdevant le magnifique hôtel que Marie de Médicis était en train dese faire construire là, et que nous appelons aujourd’hui le palaisdu Luxembourg, et s’en allait rentrer dans l’université par laporte Saint-Michel.

Au retour comme à l’aller, en marchant, Pardaillan faisait sesréflexions. Et ce sont ces réflexions que nous allons noter, ou dumoins une toute petite partie de ces réflexions.

« Cette Fausta, se disait-il, rendant d’abord, en loyaladversaire qu’il avait été toute sa vie, un juste hommage à sonéternelle ennemie, cette Fausta, elle n’a pas changé !Toujours la même, au physique comme au moral… Quel être prodigieux,étonnant, unique !… Quel dommage qu’une femme aussiremarquable ne sache utiliser ses rares qualités d’intelligence quepour le mal !… Enfin, elle est ainsi et non autrement, ellen’y peut rien sans doute, et ni moi non plus… Bon, nous voici dansla Cité. Je gage qu’elle s’en va droit à la Bastille… Ce Concini,ce pauvre Concini, quel triste sire… et quel piètre lutteur !…il me faisait pitié. Ah ! il n’a pas pesé lourd entre sesmains. En quelques coups magistralement assénés, comme elle seulesait le faire, fini, écrasé, vidé, le Concini, ça n’a pas été long…long… »

Après avoir ainsi, avec impartialité, apprécié les méritesrespectifs des deux adversaires qu’il venait de voir aux prises,Pardaillan recommença à se poser l’interminable série de questionsparfois naïves, en apparence du moins, qu’il ne manquait jamais dese poser à lui-même, quand il était sur la piste d’une affaireimportante. Le tout entremêlé de réflexions et remarques quiattestaient que, malgré ses profondes préoccupations et l’énormetension de son esprit, il ne perdait pas un seul instant le sensdes réalités et avait l’œil et l’oreille à tout.

« Ainsi, songeait-il la voilà au service du roid’Espagne ?… Depuis combien de temps ?… Il doit y avoirlongtemps… Je la croyais morte, moi. Ah ! bien oui, la voilàduchesse de Sorrientès, princesse d’Avila, que sais-je encore… eten faveur toute particulière près de ce maître qu’elle s’est donné,si j’en juge du moins d’après la lettre lue par Concini… Ah !ah ! nous voici sur le chemin de l’hôtel de ville. Décidément,nous allons à la Bastille, Diable ! si elle continue longtempsainsi, je risque fort de me coucher le ventre creux, moi ! Etc’est que je meurs littéralement de faim ! Ah ! misère demoi, voilà Fausta revenue, et du coup voilà les contretemps et lesennuis qui s’abattent dru comme grêle sur moi. Et nous ne faisonsque commencer. Corbleu ! de quoi vais-je me plaindre ?Après tout, il ne tient qu’à moi de rentrer chez moi et de m’ytenir bien tranquille, les pieds au chaud, le ventre à table. Oui,mais me voilà possédé du démon de la curiosité. Et puis, quitter lapartie quand elle vient à peine de commencer. N’en parlons pas…Donc Fausta se serait donné un maître ?… Un maître à Fausta,heu, je ne vois pas cela, moi ! M’est avis que le véritablemaître, c’est Fausta. Ce Philippe d’Espagne doit être un niais, unemanière de pantin couronné, dont Fausta tire les ficelles. Oui,mais voilà, si je vois très bien le bénéfice que doit retirer leroi Philippe, je me doute bien, pardieu, de ce que Fausta va faireici pour lui, je n’ai pas la moindre idée du but qu’elle poursuitpour son compte personnel, de la part qu’elle s’est réservée. Carje la connais, elle ne fait jamais rien qui ne soit pour sasatisfaction ou sa gloire personnelle, la généreuse etdésintéressée Fausta. Et tant que je ne saurai pas ce qu’elle veutpour elle-même, je marcherai à l’aveuglette et risquerai à chaqueinstant de me rompre les os. Il me faut donc savoir cela. C’estassurément plus facile à dire qu’à réaliser… Diable, voilà que nousapprochons de la Bastille… Ah çà ! que diable Fausta veut-ellefaire d’Angoulême ? Se serait-elle avisée de recommencer pourlui ce qu’elle a fait jadis pour Guise ? Voudrait-elle sefaire épouser par lui et l’asseoir ensuite sur le trône à la placedu petit Louis treizième ? C’est qu’elle en est biencapable !… Il est évident qu’il ne faut pas songer à entrer àla Bastille pour entendre ce qu’elle va dire à Angoulême. Et puis,en réfléchissant un peu, il est clair que ce n’est pas là qu’elleva lui faire ses confidences, lui proposer le marché… car il y auramarché, pacte, convention, que sais-je ?… Ce n’est pas enroute non plus. On ne raconte pas ces sortes d’affaires dans larue. Probablement va-t-elle l’emmener chez elle. Quand nous enserons là, nous aviserons… Bon, la voilà qui entre à la Bastille.Me voici condamné à l’attendre ici. Combien de temps ?…Corbleu, c’est que j’enrage de faim !… Eh mais !…chevalier, tu n’es qu’un niais !… Fausta en a pour une heureau moins avant de sortir de là. C’est que les formalités sont lesformalités, et que s’il n’est pas facile d’entrer à la Bastille, ilest encore moins facile d’en sortir… J’en sais quelque chose. J’aidonc une bonne heure devant moi. Une heure, c’est quatre fois plusde temps qu’il ne m’en faut pour me restaurer. »

Ayant fait cette importante et judicieuse réflexion, Pardaillandécida sans plus tarder de se garnir convenablement la panse. Iln’eut pas besoin de chercher où il pourrait aller. Nul neconnaissait son Paris sur le bout du doigt comme lui. Il se souvintà point nommé de certain cabaret de sa connaissance où la cuisineétait passable. Il y alla tout droit. À l’hôte accouru, ilcommanda :

– Mettez-moi sur cette table deux tranches de jambon, unpâté, une demi-volaille, un flacon de Saint-Georges et du painfrais. Faites vite.

Pendant que l’hôte se ruait à la cuisine, il poussa lui-même unetable devant une fenêtre qu’il ouvrit. Et il s’applaudit ens’asseyant devant sa table.

« Parfait ! D’ici je vois l’escorte de Fausta quil’attend dehors, car Fausta a dû entrer seule comme de juste.Quelle que soit la direction qu’ils prendront pour s’en retourner,je les verrai passer. Je puis donc dîner tranquille. »

L’hôte dressa le couvert et servit les aliments commandés avecune promptitude qui témoignait de l’estime particulière en laquelleil tenait ce client. Au surplus, nous savons qu’il en était ainsichez la plupart de ses congénères. Ce qui s’explique, par ce fait,que Pardaillan savait se faire servir d’abord, et savaitrécompenser royalement ceux qui l’avaient servi, ensuite. Se voyantservi, le chevalier posa une pièce d’or sur la table endisant :

– Payez-vous.

Et il voulut bien expliquer :

– Je serai peut-être obligé de me retirer brusquement, vousserez ainsi sûr de ne rien perdre.

– Oh ! fit l’hôte, je sais que je ne perdrai jamaisrien avec M. le chevalier.

Pardaillan sourit.

Or, Pardaillan eut largement le temps d’expédier les victuailleset de vider jusqu’à la dernière goutte le flacon de Saint-Georges,qui était un petit vin rouge de Touraine assez apprécié, avant queFausta reparût. Alors, il n’hésita pas et se fit apporter unebouteille de vouvray, autre vin de la Touraine, comme on sait,blanc, celui-là. Puis, comme il voyait que décidément il avait letemps, comme il était homme de précaution et qu’il ne savait pas oùet quand il pourrait souper, il se fit apporter une assiette depâtisseries sèches, qu’il se mit à grignoter, en vidant à petitscoups sa bouteille de vouvray.

Une heure, deux heures, trois heures s’écoulèrent ainsi. EtFausta ne reparaissait pas. Pardaillan en était à sa deuxièmebouteille de vouvray, regrettait de n’avoir pas fait un bon sommesur la table et commençait à se demander :

– Ah çà ! est-ce qu’on la garderait par hasard ?…Voilà qui serait une idée merveilleuse, voilà qui arrangerait biendes choses… et me remettrait au repos. Au repos, c’est-à-dire àl’ennui.

Et avec un de ces sourires qui n’appartenaient qu’àlui :

– Espérons qu’elle en sortira.

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