La Fin de Pardaillan

Chapitre 11CONFIDENCES

Odet de Valvert et Landry Coquenard étant d’accord, Valvertrégla l’écot, se leva et, avec un sourire railleur, avec unintraduisible accent, prononça :

– Maintenant, maître Landry, suis-moi jusqu’au palais oùvont loger nos illustres seigneuries.

Landry Coquenard se leva sans faire la moindre observation etsuivit son nouveau maître à trois pas de distance, comme faisaientles valets bien stylés vis-à-vis de leurs maîtres, lesgentilshommes qui savaient se faire respecter. Seulement, en hommeprudent qui n’oubliait pas Concini et ses ordinaires qui, en cemoment même, peut-être, battaient le pavé pour le retrouver, ilrabattit les bords de ce qui lui servait de chapeau jusqu’au nez etreleva la guenille qui lui servait de manteau, de telle sorte qu’onne lui voyait que les yeux. Précaution que son maître oubliatotalement de prendre et qu’il eût probablement dédaigné de prendres’il y avait pensé.

Ils arrivèrent rue de la Cossonnerie – qu’on appelait alors toutuniment rue de la Cochonnerie – et vinrent s’arrêter rueSaint-Denis, devant la maison qui faisait l’angle de ces deux rues.Rue Saint-Denis en face l’église du Saint-Sépulcre, c’était uneauberge assez réputée : l’auberge du Lion d’Or, cequi, comme on sait, était un jeu de mot qui voulait dire qu’au liton dort.

Valvert entra dans la cour de cette auberge et s’en fut droit àl’écurie. Dans l’écurie, il s’assura que le fameux cheval qu’ildevait à la reconnaissance royale y avait bien été amené parEscargasse et Gringaille. Il s’y trouvait, en effet. Alors, ils’assura s’il était bien placé et s’il avait eu sa bonne provisiond’avoine et de foin. Rassuré sur ce point important, il sortit,après avoir accordé quelques caresses à la bonne bête qui manifestasa joie en hennissant de plaisir.

Il revint dans la rue de la Cossonnerie, toujours suivi deLandry Coquenard. Il y avait là une entrée particulière,indépendante de l’auberge. Il ouvrit la porte d’une allée étroiteet sombre, d’une propreté douteuse, et avec la même intonationgouailleuse, montrant l’allée du même geste moqueur, il prononçatout haut :

– Voilà le palais où loge M. le comte Odet de Valvert.Tout en haut, sous les toits, plus près des cieux où je serai plusvite rendu s’il plaît à Dieu de m’appeler à lui avant que d’avoirtrouvé cette fortune que je suis venu chercher à Paris.

– Vous la trouverez avant, monsieur le comte, affirmaLandry Coquenard avec un accent d’inébranlable conviction. Sansquoi, Dieu ne serait pas juste, et il ne serait plus Dieu.

– Amen ! fit Valvert en éclatant de rire.

Il entra. Landry Coquenard le suivit et ferma la porte derrièrelui.

D’Albaran les avait suivis jusque-là. Il avait entendu ce quevenait de dire Valvert. Il s’approcha de la maison d’apparenceplutôt modeste. Il l’étudia, comme il étudia les lieux d’alentour,d’un coup d’œil rapide. Et il murmurait :

– Je sais qu’il s’appelle Odet de Valvert, qu’il est comte,qu’il loge ici, qu’il est pauvre et qu’il est venu à Paris pour ychercher fortune. C’est toujours un commencement de nature àsatisfaire la « señora ». Voyons la suite.

Il alla jusqu’à la rue Saint-Denis et pénétra sans hésiter dansl’auberge du Lion d’Or. Il avait vu Valvert y entrer et ensortir presque aussitôt. Dans l’auberge, il commença à interroger.Laissons-le poursuivre son enquête qui n’a aucun intérêt pour nous,et revenons à Odet de Valvert et à Landry Coquenard, avec qui nousn’en avons pas encore fini.

Tout en haut, sous les toits, comme avait dit Valvert lui-même,ils entrèrent dans un petit logement composé d’une chambre, d’unecuisine et d’un cabinet. L’appartement était modeste, mais il étaitpropre. La chambre était assez confortablement meublée d’un grandlit, d’une table et de deux chaises, d’un fauteuil et d’un bahut.Valvert s’y attarda un instant avec une certaine complaisance. Ilouvrit la lucarne toute grande, y appela Landry Coquenard d’unsigne et, avec un grand sérieux :

– Vue magnifique, dit-il. Il prit un temps etajouta :

–… Pour ceux qui aiment à contempler des toits pointus et descheminées.

Landry Coquenard se pencha, regarda à droite et à gauche,partout.

– On voit la rue Saint-Denis qui est une des plus animéesde Paris, dit-il. Et quant à ces toits et à ces cheminées, n’endites pas trop de mal, monsieur. En cas d’alerte, on peut trouverle salut par là.

– En risquant de se rompre les os, fit Valvert.

– Qui ne risque rien n’a rien, prononça sentencieusementLandry Coquenard.

– Quelle idée biscornue te vient là ! s’étonnaValvert. Les toits sont un chemin bon pour les chats et les chattesen mal d’amour, et non pas pour d’honnêtes chrétiens comme nous. Dudiable si j’ai jamais pensé que je pourrais avoir besoin de passerpar là !

– Je comprends que vous n’y ayez pas songé jusqu’à présent.Vous devez y penser maintenant, et sérieusement, monsieur.

– Pourquoi ? ventrebleu !

– Comment, pourquoi ? Mais parce que nous allons avoirConcini à nos trousses, monsieur !… Concini enragé contre nouset qui ne nous lâchera pas d’une semelle !… Concini quidétient le pouvoir, qui dispose, en outre, de ses assassinsordinaires, de l’armée, de la magistrature, de la police, toute lamachine sociale bonne à écraser le pauvre monde, et qu’il va mettreen branle contre nous !… Les toits sont un chemin bon pour leschats, dites-vous ? Prenez garde que Concini ne nous mette pasdans la nécessité de nous aventurer sur des chemins qui donneraientle vertige aux oiseaux eux-mêmes !… C’est que, voyez-vous,pour vous comme pour moi, mieux vaudrait mille fois nous rompre lesos en tombant du haut d’un toit que d’être pris vivants parConcini !…

Il s’était animé, le brave Landry Coquenard, et il avaitprononcé ces paroles sur un ton qui, si brave qu’il fût, avaitimpressionné son maître, lequel, tout rêveur, grommela :

– Accident de malemort, je n’avais pas songé àcela !

– Il faut y songer, monsieur, insista Landry Coquenard, ilfaut y songer sans cesse. C’est le seul moyen que nous ayonsd’échapper au loup enragé qui va nous donner la chasse.

Valvert demeura un instant silencieux, tortillant sa moustached’un geste énervé. Puis, haussant dédaigneusement lesépaules :

– Bah ! c’est faire bien de l’honneur à ce coquin. Etsur un ton qui n’admettait pas de réplique :

– Achevons de visiter notre domaine qu’il te fautconnaître.

Ils passèrent dans la cuisine. Avec la même gaieté insoucianteet railleuse, Valvert détailla :

– Une petite table en bois blanc, deux escabeaux égalementen bois blanc, des ustensiles de cuisine dans la cheminée, de lavaisselle et des gobelets dans ce placard que tu vois là.Voilà ! J’imagine que tu sais faire un peu de cuisine ?Il ne faudrait pas croire que notre fortune nous permette de mangerau cabaret tous les jours.

– Soyez tranquille, monsieur, je me charge de vous cuisinercertains petits plats dont vous vous pourlécherez.

– À la bonne heure, j’aime mieux t’entendre quand tu parlesainsi que lorsque tu parles de ce cuistre d’Italien, que le diablelui torde le cou ! Viens voir ta niche maintenant.

Ils entrèrent dans le cabinet, Landry Coquenard s’étant biengardé de répondre et s’étant contenté de hocher la tête d’un airsignificatif. L’ameublement de ce cabinet était réduit à sa plussimple expression : il se composait d’un grand coffre et d’uneétroite couchette.

– Voilà ! railla Valvert, tu ne pourras pas te vanterd’être aussi bien logé que le roi dans son Louvre.

– C’est certain, monsieur, fit sérieusement LandryCoquenard, mais à côté des piles du Petit Pont où j’ai couchéencore pas plus tard qu’hier, je pourrai me croire au paradis. Ici,du moins, je serai à l’abri. Et ce petit lit, monsieur, avec sabonne paillasse et ses deux matelas, car il y a deux matelas, s’ilvous plaît, et ses draps blancs qui fleurent bon la lessive !Il faut avoir couché à la dure, à l’auberge de la belle étoile,pour apprécier comme il convient l’inestimable valeur d’un bon lit.Et à tout prendre, qu’est-ce qui fait la bonté, la valeur dulit ? N’est-ce pas ce que je trouve ici : bons draps,bons matelas, bonne paillasse ? Par le pied fourchu deBelzébuth, je ne dis pas comme vous, monsieur : je ne pourraipas me vanter d’être aussi bien logé que le roi dans son Louvre,mais, à coup sûr, je pourrai me vanter d’être aussi bien couché quelui.

– Allons, sourit Valvert enchanté, je vois que tu saisprendre les choses par le bon côté.

– Heureusement pour moi, monsieur, car si je les avaisprises du mauvais côté, avec l’infernale guigne qui me poursuitdepuis si longtemps, je n’aurais peut-être pas su résister à latentation d’en finir une fois pour toutes par un bon coup de dague.Ce qui m’eût envoyé tout droit griller au plus profond des enfersjusqu’à la consommation des siècles, car le suicide, vous le savez,conduit droit en enfer.

– Tu me fais de la peine, Landry, fit Valvert sans qu’ilfût possible de savoir s’il parlait sérieusement ou s’ilplaisantait. Espérons que les mauvais jours sont finis pour toi.Espérons que je ferai fortune.

– Vous la ferez, monsieur. Je vous l’ai déjà dit et je vousle répète : vous ferez fortune et bientôt, c’est moi qui vousle dis.

C’est qu’il disait cela sur le ton d’un homme qui est trèsconvaincu. Malgré lui, Valvert, qui peut-être plaisantait, sesentit troublé, se prit à espérer.

– Le ciel t’entende, dit-il. Et il soupira.

– Il m’entend, monsieur. Vous ferez fortune, et plus tôtque vous ne pensez. N’en doutez pas, répéta Landry Coquenard avecplus de force et sur une espèce de ton prophétique.

Cette fois, Valvert ne dit rien. Mais il soupira encore un peuplus fort. Qu’avait-il donc ? Oh ! peu de chose. Jusqu’àce jour, il n’avait parlé de son amour à personne. Maintenant qu’ilavait sous la main un homme qui lui plaisait, un homme qu’ilsentait d’instinct sincèrement dévoué, la langue lui démangeaitfurieusement de le prendre pour confident. Mais c’était un grandtimide que notre jeune héros. Il voulait bien parler, mais iln’osait pas. Il avait beau s’exciter en lui-même, les motsrefusaient de sortir sur ce sujet délicat. Il eût fallu qu’onl’encourageât, qu’on lui tendît la perche. Il s’en rendait fortbien compte, du reste, et il ne pouvait se défendre d’uncommencement d’humeur, car il se disait que jamais Landry Coquenardne pourrait lui tendre cette perche sur laquelle il était tout prêtà se précipiter.

En effet, comment Landry Coquenard aurait-il pu deviner unsecret si bien caché ? Et comment, par conséquent, aurait-ilpu parler d’une chose qu’il ne pouvait deviner ? Voilàpourquoi Valvert soupirait. Voilà pourquoi aussi, avec cette bonnefoi et cette logique particulières aux amoureux, il commençait àéprouver de l’humeur contre Landry Coquenard qui, ne pouvant pasdeviner, ne parlait pas d’une chose que lui seul, Odet, savait, etdont il n’osait pas parler.

Odet de Valvert, donc, soupirait de plus en plus, tout enexcitant Landry Coquenard à lui raconter certains épisodes de savie mouvementée. Récits qu’il n’écoutait pas, du reste. Toutd’abord, Landry Coquenard ne prit pas garde à ces soupirs de plusen plus renouvelés et de plus en plus accentués. À la longue, ilfinit par les remarquer.

Avec ses allures polies, très déférentes, c’était un homme quisavait prendre ses aises partout, que ce Landry Coquenard. Il étaitdéjà là comme chez lui. Pendant que Valvert allait et venait ensoupirant, lui, sans qu’il eût été besoin de le lui dire, s’étaitmis à ranger, frotter, nettoyer, comme un maniaque de propreté.Avec ce maître qu’il ne connaissait que depuis quelques heures àpeine, ce maître qui n’osait pas lui faire une confidence, il étaitdéjà, lui, aussi à son aise, aussi libre que s’il avait été à sonservice depuis plus de dix ans. Ayant donc fini par remarquer queson maître soupirait et n’écoutait pas les récits qu’il lui faisaitsans cesser de fourbir ses casseroles, ces soupirs par tropfréquents commençant à l’agacer, Landry Coquenard ne se gêna paspour dire :

– Par la longue pointe de Belzébuth, qu’avez-vous àsoupirer ainsi, monsieur ?… Il me semble que vos amours avecla jolie bouquetière ne sont pas en si mauvaise posture qu’il vousfaille renverser les meubles en soupirant comme vous faites.

Odet de Valvert s’arrêta net, comme s’il avait mis le pied surquelque bête venimeuse. Il se retourna tout d’une pièce vers LandryCoquenard, à qui il tournait le dos en marchant et, avec unébahissement intense :

– Qui t’a dit que je suis amoureux de la petitebouquetière ? dit-il.

– Comment, qui me l’a dit !… Ah çà ! monsieur,vous croyez donc que je suis aveugle ?… Je l’ai vu,tiens !

– Tu l’as vu ?… Mais… cela se voit donc ?

– Pas plus que le nez au milieu du visage, gouailla LandryCoquenard.

– Diable ! peste ! fièvre ! marmonna Valvertqui se mit à marcher avec agitation.

En s’arrêtant de nouveau tout à coup :

– Mais… mais… si cela se voit tant que cela, elle l’a vuaussi ? s’écria-t-il avec effroi.

– Probable, fit Landry Coquenard du même air gouailleur.Les femmes, voyez-vous, monsieur, même les plus innocentes, ont unflair tout particulier pour deviner ces choses-là ! Tenez pourassuré que la jolie Muguette vous a deviné depuis longtemps.

– Ah ! mon Dieu ! gémit Valvert qui chancela.

– Ah çà ! est-ce que vous allez tourner de l’œil,maintenant ? Quel diable d’homme êtes-vous donc ?s’éberlua Landry Coquenard.

– Elle sait ! elle sait ! gémit de plus belleValvert.

– Que voyez-vous là de désespérant ? Réjouissez-vousplutôt, par les tripes de Belzébuth. Elle sait, oui, monsieur. Maissouvenez-vous du sourire et du geste amical qu’elle vous a adressésavant de disparaître. Vive Dieu, monsieur, pour une jeune fille quisait, m’est avis qu’elle n’avait point trop l’air fâché. Concluezvous-même.

– C’est que c’est vrai, ce que tu dis là ! s’écriaValvert avec toutes les marques d’une joie extravagante. C’est mafoi vrai !… Elle m’a souri… Donc elle n’était pas fâchée… Doncje puis espérer… Landry, mon brave Landry, crois-tu vraimentqu’elle m’aime ?

– Je le crois, oui, monsieur. Elle n’en sait peut-êtreencore rien elle-même, mais sûrement le cœur est déjà pris… S’il nel’est pas encore, il le sera bientôt, n’en doutez pas. Vous luiavez rendu un signalé service, un service dont elle ne peut manquerde vous être reconnaissante. De la reconnaissance à l’amour, il n’ya qu’un pas qui sera vite franchi, s’il ne l’est déjà.

– Landry, mon bon Landry, exulta Valvert, tu m’ouvres lesyeux, tu me sauves ! Je me rongeais dans les affres du doute.Maintenant, grâce à toi, je vois clair. Je sens, je comprends quetu dois être dans le vrai. Si elle ne m’aime pas encore, elle netardera pas à m’aimer.

– Vous me confondez, monsieur. Vous ne vous êtes donc pasdéclaré ?

En posant cette question d’un air détaché, Landry Coquenardobservait son maître à la dérobée. Celui-ci protesta avecindignation :

– Jamais de la vie !

Un imperceptible sourire passa sur les lèvres de LandryCoquenard, tandis qu’une lueur de contentement passait dans son œilrusé. Et avec le même air détaché, sans le perdre de vue :

– Eh bien, vous pouvez vous déclarer, maintenant. Je vousréponds que vous serez bien accueilli. Vous pouvez m’en croire,monsieur. Je connais les femmes, voyez-vous. J’ai été à bonneécole, avec le signor Concini.

Cette assurance qu’il lui donnait eût dû, semblait-il, redoublerla joie de Valvert. Tout au contraire, elle l’assombrit. Et hochantla tête d’un air soucieux :

– Non, dit-il, je ne me déclarerai pas… pas encore, dumoins.

– Pourquoi ?

– Comment peux-tu me demander cela ? Est-ce qu’ungalant homme peut parler d’amour à une honnête jeune fille sans luiparler de mariage ?

– Ah ! ah ! fit Landry Coquenard dont l’œilpétilla plus que jamais. Vous songez donc à l’épouser ?

– Pourquoi pas ? N’est-ce pas une honnêtefille ?

– La plus irréprochable des jeunes filles, tout le mondevous le dira. Mais, monsieur, vous voulez rire. Le noble comte deValvert épouser une bouquetière, une fille des rues !… Est-cepossible, cela ?

– Je t’entends, Landry. Il y a quelques années, j’auraisfait la même réflexion que tu viens de faire. Mais depuis, j’aireçu les leçons de MM. de Pardaillan. Et… tu ne connaispas MM. de Pardaillan, toi ?

– Si fait bien, monsieur. D’abord, pour ce qui est deM. de Pardaillan père, je me demande un peu qui ne leconnaît pas… au moins de réputation. Quant à M. Jehan dePardaillan, marquis de Saugis, comte de Margency et de Vaubrun,j’ai eu l’honneur de le connaître autrefois quand il s’appelaittout simplement Jehan le Brave.

– Eh bien, puisque tu les connais, tu dois savoir que cesdeux hommes extraordinaires font fi de leurs titres. Mon cousinJehan, marquis de Saugis, comte de Margency et de Vaubrun, comme tuviens de le rappeler, se contente du titre modeste de chevalier,comme son père qui serait duc et pair depuis longtemps s’il l’avaitvoulu, et qui se contente d’être le chevalier de Pardaillan. Un nomqu’il a rendu légendaire, d’ailleurs, par sa bravoureétourdissante, sa force exceptionnelle, et surtout par sa grandeurd’âme, son étincelante loyauté, son désintéressement unique, soninaltérable bonté ! J’ai été à leur école, te dis-je. Et c’estpourquoi je t’ai dit de laisser de côté tes« monseigneur ». C’est pourquoi t’ayant pris à monservice, je ne t’ai pas demandé de me donner le titre de comte quiest le mien. Brin de Muguet, fille sans famille et sans nom, humblebouquetière, mais honnête et digne jeune fille, est aimée du comtede Valvert ? Le comte de Valvert lui doit et se doit àlui-même de lui offrir son nom et son titre. Peut-être, je diraipresque sûrement, cette pauvre fille des rues se montrera plusdigne de ce nom et de ce titre que plus d’une « honnête »dame de qualité.

– Ma foi, monsieur, s’écria Landry Coquenard tout épanoui,vous venez de dire tout haut ce que je pensais tout bas. Mais jen’aurais eu garde de le dire parce que, dans ma bouche, celan’aurait eu aucune valeur. Tandis que de votre part, c’est tout àfait différent, et je ne suis pas fâché que vous l’ayez dit. J’aimême dans l’idée que cela vous portera bonheur. Or çà, monsieur,puisque vous aimez Brin de Muguet et la voulez pour femme, qui vousretient de le lui dire et de lui demander sa main ?

– Eh ! mâchonna Valvert furieux, que puis-je luioffrir présentement ? Mon titre de vicomte ? Beau comte,ma foi, sans sou ni maille ! Est-ce ce titre-là qui ferabouillir notre marmite ? Que nenni. Attends un peu que j’aiefait fortune. Que je trouve seulement une place qui me permette delui assurer une existence aisée.

– Alors, monsieur, dépêchez-vous de faire fortune.Dépêchez-vous de trouver cette place.

– Ah ! qu’elle se trouve, cette place, et je te jurebien que je ne la laisserai pas échapper. Non, de par Dieu, quandje devrais entrer au service du diable lui-même !

Ainsi, cette première journée s’écoula en confidences échangéesentre le maître et son serviteur. Et le temps s’écoula avec unerapidité qui les surprit tous les deux. Le soir venu, ilscommençaient à se connaître et cette sympathie irraisonnée qui lesavait poussés l’un vers l’autre était en train de se muer en unebonne et solide amitié.

Quand Landry Coquenard se glissa dans ces draps blancs quifleuraient la bonne lessive, avait-il dit, il s’étiravoluptueusement et s’endormit comme un bienheureux en sedisant :

– Allons, cette fois-ci, je crois avoir enfin trouvé le bongîte. Mon maître est un brave et digne gentilhomme. Et, ce qui vautmieux encore, un brave homme et un honnête homme.

Quant à Odet de Valvert, il s’endormit aussi rapidement, à peuprès certain d’être aimé, ce dont il était loin d’être assuré avantson entretien avec Landry Coquenard. Il s’endormit, bien résolu àaccepter la première place honorable qui se présenterait à lui, etaussitôt cette place trouvée, non moins résolu à demander sa main àla jolie bouquetière et à se marier au plus vite avec elle, bienconvaincu qu’il trouverait ainsi le bonheur.

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