La Fin de Pardaillan

Chapitre 12LA FORTUNE SE PRÉSENTE

Le lendemain matin, Valvert s’habilla, ceignit cette bonnerapière qu’il tenait de Landry Coquenard, et sortit en recommandantà celui-ci de ne pas bouger du logis et de préparer le dîner.

Landry Coquenard promit tout ce qu’il voulut et le laissa partirsans faire la moindre observation. Le madré compagnon se doutaitbien que son maître s’en allait dans la rue à la recherche de Brinde Muguet. Il le guetta du haut de la lucarne. Il le vit tourner àgauche dans la rue Saint-Denis. Il sauta aussitôt sur son épée,s’enveloppa dans son manteau jusqu’aux yeux et se rua dansl’escalier en bougonnant :

– Cornes de Belzébuth ! si je le laisse faire, il sefera étriper par les suppôts du Concini qui doivent être à sarecherche. Suivons-le et fasse le ciel que nous n’ayons pas à endécoudre.

En effet, il suivit Valvert dans toutes ses évolutions. Il lesuivit avec tant d’adresse que celui-ci ne soupçonna pas un instantla surveillance inquiète dont il était l’objet de la part de sonserviteur.

Depuis le temps qu’il suivait ainsi, tous les matins, labouquetière, Valvert avait appris à connaître ses habitudes. Aussimarchait-il avec l’assurance d’un homme qui sait où il va. Mais, cematin-là, il eut beau tourner et retourner dans toutes les voies oùil savait qu’il avait des chances de la rencontrer, il ne réussitpas à découvrir la jeune fille. Peut-être n’était-elle pas sortiece jour-là. Peut-être avait-elle changé brusquement ses habitudeset était-elle dans un quartier pendant qu’il la cherchait dans unautre.

Il voulut en avoir le cœur net. Loin de lâcher pied, avec lapatiente ténacité d’un amoureux, il entendit le cercle de sesinvestigations. Il visita la rue Montorgueil, la rue Montmartre et,bien qu’il fût certain d’avance de ne pas l’y trouver, puisqu’elley était venue la veille, il alla rue Saint-Honoré. Inutilement. Ilrevint rue Saint-Denis, explora la rue Saint-Martin. Toujours envain. L’heure à laquelle la vente de la jeune fille étant terminée,elle disparaissait mystérieusement, était passée depuis longtemps.Et il s’obstinait dans ses recherches.

Landry Coquenard le suivait toujours avec la même inaltérablepatience, non sans pester intérieurement toutefois. Il allait, lepoing sur la garde de la rapière, se tenant prêt à tout. Il avaitsurtout frémi en se voyant dans la rue Saint-Honoré : leLouvre n’était pas loin de la rue Saint-Honoré et l’hôtel deConcini touchait au Louvre. À chaque instant il s’était attendu àvoir les ordinaires de Concini tomber à l’improviste sur son maîtrequi s’en allait là-bas, le nez au vent, visage découvert,l’imprudent ! Au surplus, malgré ses appréhensions, si Valvertavait été attaqué, il n’aurait pas hésité à charger ses agresseurspar derrière. Il ne le suivait que dans cette intention.

Disons que ses craintes n’étaient pas justifiées. Rospignac,Louvignac, Eynaus et Roquetaille avaient été sérieusement étrillésla veille. Ils en avaient au moins pour une dizaine de jours avantde pouvoir reprendre leur service. Ils étaient chefs, et sans leschefs les hommes ne s’occupaient guère que d’assurer la garde dumaître. Les expéditions à côté se trouvaient momentanémentsuspendues du fait de leur absence, à eux, qui jouissaient de laconfiance de leur maître. Longval, il est vrai, n’était pas blessé.Mais Longval, après sa mésaventure de la veille, n’osait rienentreprendre sans l’appui de ses compagnons accoutumés.

Il en résulta que Valvert et Landry Coquenard aussi, parconséquent, avaient une bonne huitaine de jours à être tranquillesde ce côté. Landry Coquenard, qui n’était pourtant pas un sot,aurait dû penser à cela. Mais on ne s’avise pas de tout.

Quoi qu’il en soit, nos deux personnages, l’un suivant l’autre,purent circuler tout à leur aise sans qu’il leur arrivât rien defâcheux. Sauf que Valvert ne découvrit toujours pas celle qu’ilcherchait. Il finit par y renoncer et, d’une humeur massacrante,pestant et maugréant, il reprit le chemin de la rue de laCossonnerie.

Landry Coquenard comprit qu’il rentrait. Il comprit aussi dansquel état d’exaspération il devait être. Il prit ses jambes à soncou et le dépassa en se disant :

– Oh ! diable, s’il s’aperçoit que je lui désobéis etque je l’ai suivi, de l’humeur où il doit être, il est capable deme chasser.

Il arriva tout courant à leur logis. Par bonheur, il avait faitles provisions la veille. Il se hâta de les placer sur la table etde dresser le couvert. Il n’avait pas encore fini lorsque Valvertparut. Il était en retard de près d’une heure. Il aurait donc étéen droit de s’étonner de ne pas trouver son dîner prêt. Il n’y fitpas attention.

Landry Coquenard se dépêcha d’en finir. Et quand tout fut enfinprêt, voyant que Valvert ne parlait pas et sans s’occuper de lui,était allé battre le rappel nerveusement sur la vitre de lalucarne, il interrogea sans façon, faisant l’ignorant :

– Vous ne l’avez pas vue, monsieur ?

Valvert ne s’étonna pas que Landry Coquenard sût où il étaitallé et qu’il avait perdu son temps en recherches infructueuses.Comme il ne cessait de penser à sa bien-aimée, il lui parut toutnaturel que son confident n’eût pas d’autre préoccupation. Et ilrépondit par un « non » maussade, de la tête.

– Après l’algarade d’hier, c’était à prévoir, reprit LandryCoquenard. Cette pauvre enfant, encore émue sans doute, aura jugéprudent de demeurer chez elle aujourd’hui.

– Tiens ! s’écria Valvert ; déjà à moitiéconsolé, je n’avais pas pensé à cela ! Par Dieu, tu dois avoirraison, Landry, et tu as trouvé du premier coup la raison la plusplausible. Figure-toi que je m’étais mis dans l’esprit que c’étaità cause de moi, et pour me dérouter, qu’elle avait changé seshabitudes.

– C’est une fille sage et prudente, répéta LandryCoquenard, mais ce n’est pas une prude sotte. Vous vous êtes misbien inutilement martel en tête, monsieur. Cette fille-là, et je necrois pas me tromper, n’usera point de ruse et de feinte si vousavez le malheur de lui déplaire. Elle vous dira très simplement ettrès franchement qu’elle n’éprouve aucun sentiment pour vous etvous priera de ne plus songer à elle, de ne plus vous occuperd’elle. Voilà ce qu’elle fera monsieur, j’en donnerais ma tête àcouper ; et elle ne s’en ira pas changer ses habitudes pourvous éviter.

– Landry, tu me mets du baume dans le cœur. Décidémentc’est une vraie chance pour moi de t’avoir rencontré, et je ne suisqu’un niais ! répliqua Valvert qui passait instantanément dudécouragement le plus profond à une joie bruyante.

– Vous n’êtes pas un niais, monsieur, et vous le savezbien. Vous avez seulement l’esprit troublé parce que vous aimezardemment, profondément, sincèrement, comme peut faire un noblecœur qui s’est donné tout entier.

– Tout entier, Landry, tu l’as bien dit !Ajoute : et pour toujours, jusque par delà la mort.

Et ceci était lancé sur un ton tel que Landry Coquenardtressaillit et après l’avoir considéré une seconde, songea, à partlui :

« Celui-là ne ment pas. C’est bien pour toujours et jusquepar delà la mort qu’il s’est donné. Celui-là mourra peut-être deson amour s’il n’est pas partagé, mais il ne se reprendra jamais.Allons, allons, ma petite Florence sera heureuse avec lui… Car sielle ne l’aime déjà, il est impossible qu’un amour aussi pur, aussipuissant que celui-là ne soit pas payé de retour. Laissons faire letemps. »

Et tout haut :

– Je gage que vous la reverrez demain.

– Je le crois, Landry. Je l’espère.

– Bon, puisque nous sommes d’accord, ne vous laisserez-vouspas tenter par cet appétissant pâté et cette volailledodue ?

Valvert jeta un coup d’œil sur la table. Son appétit se réveilladu coup.

– Ma foi oui, dit-il.

Et il s’installa. Et Landry Coquenard, qui le servait avec uneattention qui ne se démentit pas un instant, put constater que lesémotions violentes par lesquelles le faisait passer cet amour quiétait toute sa vie, ne lui faisaient pourtant pas perdre un coup dedent pour cela. Et il n’en fut pas mécontent du tout.

Après Valvert, ce fut au tour de Landry Coquenard de se régalerdes restes plantureux de son maître. Après quoi, ils se remirent àbavarder comme de vieux amis. Et, naturellement, ils parlèrentencore, toujours, de la jolie Muguette. Ils parlèrent aussi decette place que Valvert était bien décidé à chercher sansl’attendre chez lui, comme il faisait depuis trop longtemps.

En bavardant, Valvert s’aperçut soudain que Landry Coquenardétait toujours recouvert – si on peut dire – de ses affreusesguenilles.

– Ventrebleu ! fit-il, tu ne peux rester ainsi. Ouvrele tiroir de cette table.

– C’est fait, monsieur.

– Prends quelques pistoles dans la bourse qui s’y trouve,va-t-en à la friperie ici près, aux Halles, et choisis-toi unéquipement complet d’écuyer. Va.

Landry Coquenard prit quatre ou cinq pièces d’or et partit enhâte, tout heureux de troquer ses innombrables loques contre unvêtement confortable.

Il n’y avait pas cinq minutes qu’il était parti lorsqu’on frappaà la porte.

– Entrez ! cria Valvert sans se déranger.

La porte s’ouvrit. Un colosse parut sur le seuil. C’étaitd’Albaran. Il paraît qu’il avait terminé son enquête. Sur le seuil,il s’inclina dans un salut empreint d’une noble courtoisie, et avecson léger accent, prononça :

– C’est bien à monsieur le comte Odet de Valvert que j’ail’honneur de m’adresser ?

– À lui-même, monsieur, répondit Valvert, qui s’était levé,assez surpris de la visite inopinée de cet inconnu. Surprise qu’ilse garda bien de laisser voir, d’ailleurs.

Et tout aussitôt, il invita poliment :

– Veuillez entrer, monsieur.

D’Albaran entra. Et il se présenta lui-même,cérémonieusement :

– Don Cristobal de Albaran, comte castillan.

Odet de Valvert salua, avec cette grâce juvénile qui lui étaitpropre, et, désignant l’unique fauteuil pendant qu’il prenait unechaise :

– Prenez la peine de vous asseoir, monsieur le comte,dit-il.

Avec cette exquise politesse qui caractérise les Espagnols depure race, d’Albaran salua encore une fois, avant de prendre placedans son fauteuil. Avec une politesse non moins exquise, Valvertrendit salut pour salut et ne s’assit sur sa chaise que lorsque levisiteur fut installé dans son fauteuil. Et il attendit que lenoble étranger expliquât l’objet de sa visite.

D’Albaran avait les manières courtoises d’un parfaitgentilhomme, qu’il était du reste. Ce colosse n’avait pas unphysique antipathique, bien au contraire. Et, la manière amicaledont il considérait son hôte indiquait qu’il venait animé desmeilleures intentions.

Odet de Valvert n’éprouvait pas la moindre inquiétude. Mais ilétait de plus en plus intrigué et étonné. Et, sans rien laisserparaître de ses sentiments intimes, il rendait salut pour salut,sourire pour sourire, compliment pour compliment, et demeurait dansune prudente réserve. Ce jeune homme se faisait honneur d’avoirreçu les leçons du chevalier de Pardaillan. Il montrait là qu’ilavait profité de ces leçons, de façon à faire à son, tour honneur àson maître. Il devait le montrer encore mieux dans la suite.

– Comte, entama d’Albaran, je suis au service d’uneillustre princesse étrangère qui m’a fait le très grand honneur deme dépêcher vers vous en ambassadeur.

Valvert s’inclina une fois de plus et attendit la suite.D’Albaran reprit :

– Ma noble maîtresse et moi nous nous sommes, par hasard,trouvés, hier matin, dans la rue Saint-Honoré. Le hasard nous adonc rendus témoins des prouesses que vous y avez accomplies.Sauver la vie au roi, arracher un pauvre diable aux gens deM. le marquis d’Ancre, qui ne sont pas précisément endurants,voler au secours d’une jeune fille violentée par un goujat indignedu nom de gentilhomme, tenir tête à vous seul à cinq gentilshommesdu même marquis d’Ancre, en blesser quatre et mettre le cinquièmeen fuite, la princesse, ma noble maîtresse a vu tout cela et elles’est prise d’une belle admiration pour le preux que vous êtes. Etc’est cette admiration qu’elle m’a chargé de venir vousexprimer.

– Monsieur, fit Valvert, plus que jamais sur la réserve,car il n’entrevoyait pas où l’étranger voulait en venir, veuillezadresser mes humbles remerciements à la princesse, votre noblemaîtresse, pour le grand honneur qu’elle me fait. Honneur qui m’estdoublement précieux, exprimé qu’il est par un aussi courtoisinterprète que vous. Mais, monsieur, je ne mérite pas tous lescompliments que vous me prodiguez. Je n’étais pas seul dans malutte contre les cinq spadassins du sieur Concini.

– Je sais, je sais, monsieur, j’étais là, j’ai vu. Mamaîtresse a vu, elle aussi. Et son admiration pour vous n’en estnullement diminuée. À telles enseignes qu’elle m’a chargé de vousremettre ce petit joyau comme une marque de la haute estime enlaquelle elle tient votre valeur, et que je vous supplie d’accepteren son nom.

En disant ces mots, il présentait une superbe agrafe dediamants. Valvert la prit, non sans avoir estimé les magnifiquespierres du coin de l’œil et en disant d’un air dégagé :

– Je ne ferai certes pas à cette illustre princessel’injure de refuser le témoignage d’estime qu’elle veut bien medonner.

– La princesse, continua d’Albaran, aime à s’entourerd’hommes jeunes, forts, vaillants et résolus comme vous, monsieur.Et si d’aventure il vous convenait d’entrer à son service je puisvous assurer que vous seriez accueilli avec toute considération quiest due à un brave tel que vous. Et vous pourriez considérer quevotre fortune est faite du coup.

Pour le coup, Valvert était fixé. Ce mot de fortune, comme bienon pense, lui fit dresser l’oreille. Il chercha dans son esprit laréponse qui convenait. D’Albaran crut sans doute qu’il hésitait. Ilne lui laissa pas le temps de formuler cette réponse qui, dansl’état d’esprit où il se trouvait, ne pouvait être qu’uneacceptation pure et simple, et il se hâta d’ajouter :

– Sans compter que la princesse est puissante, monsieur,très puissante. Assez puissante pour défendre ses gentilshommes,même contre le tout-puissant marquis d’Ancre. Vous ne paraissez pasvous douter que vos exploits d’hier ont fait un bruit énorme. Vousavez sauvé le roi. Et vous avez insulté, frappé, dans la personnede ses gentilshommes, le favori, l’homme qui gouverne ce pays, oùil est plus maître que le roi, qui n’est qu’un enfant d’ailleurs.On ne parle que de cela. On dit que M. le marquis d’Ancre estfurieux et jure qu’il aura votre tête.

Il aurait pu se dispenser d’en dire si long et de chercher àintimider ; Valvert, déjà décidé, sourit de la manœuvre. Etcomme sa résolution était prise, sans ruser, allant droit au but,il répondit :

– Vos offres tombent à merveille, monsieur : jecherchais précisément à prendre du service dans quelque illustremaison. Cependant, avant que de discuter les conditions que vousêtes chargé de me faire, il est deux points essentiels, pour moi,qui doivent être réglés avant tout.

– Voyons les deux points.

– Premièrement, je désire connaître le nom de cetteprincesse étrangère qui me fait l’honneur de s’intéresser àmoi.

– Désir on ne peut plus naturel, monsieur. Il s’agit deMme la duchesse de Sorrientès, princesse souverained’Avila, cousine de sa Majesté le roi Philippe troisième.

Et d’Albaran salua gravement, comme si les augustes personnagesdont il venait de prononcer les noms avaient été présents. Ce quifait que Valvert se crut obligé de saluer aussi. Ce qu’il fit avecgravité. Ce nom de duchesse de Sorrientès, que d’Albaran neprononçait qu’avec un respect qui approchait de la vénération, luiétait parfaitement inconnu. Peu lui importait, d’ailleurs. Ilcontinua :

– Secondement, je dois vous avertir d’avance, en touteloyauté, que je suis bon et fidèle sujet du roi de France. SiMme la duchesse de Sorrientès qui, en sa qualitéd’étrangère, n’est pas tenue d’avoir les mêmes scrupules que moi,entreprend quoi que ce soit contre le roi de France, je déclare queje quitte immédiatement son service et deviens son ennemi.

En disant ces mots, Valvert fixait avec insistance son regardclair sur le regard de feu du comte d’Albaran. Celui-ci,d’ailleurs, soutint ce regard avec la sérénité la plus parfaite etrépondit aussitôt, sans hésiter :

– Ceci est un langage qui n’a pas lieu de me surprendre dela part d’un brave et loyal gentilhomme comme vous. Soyez doncrassuré, comte. Il n’entre pas dans les intentions deMme la duchesse d’entreprendre quoi que ce soitcontre le roi de France. Au contraire.

On ne pouvait douter de sa sincérité. Rassuré sur ce point,important à ses yeux, Valvert continua, toujours sans feinte nidétours :

– Voyons vos conditions, maintenant.

– Mme la duchesse s’est réservé de vous lesfaire connaître elle-même. Pour ma part, je ne puis vous direqu’une chose : la duchesse est fabuleusement riche et d’unegénérosité plus que royale. Je puis vous assurer d’avance que lesconditions qu’elle vous fera, elle, dépasseront tout ce que vousavez pu rêver.

Il se leva, aussitôt imité par Valvert. Et avec un sourireengageant :

– Quand vous plaît-il, monsieur le comte, de vous rendre àl’hôtel de Sorrientès que vous trouverez au fond de la rueSaint-Nicaise ?

Valvert fut sur le point de s’écrier : « Tout desuite ! » Mais se retenant :

– Je me tiens aux ordres de Mme la duchessede Sorrientès, dit-il.

– Nous sommes aujourd’hui mercredi. Voulez-vous vendredi, àsept heures du soir ?

– Après-demain, vendredi, à sept heures du soir, jefrapperai à la porte de l’hôtel de Sorrientès, promit Valvert.

D’Albaran acquiesça d’un signe de tête. Il ne se retira pasencore. Avec une grande amabilité, il complimenta encore :

– J’espère vous avoir bientôt comme compagnon. Je m’enréjouis et m’en félicite d’avance, de tout mon cœur, car j’éprouvela plus grande admiration pour votre force prodigieuse.

– Compliment d’autant plus précieux que vous devez êtrevous-même doué d’une force peu commune, retourna Valvert en saluantcérémonieusement.

– Oui, fit d’Albaran avec une fausse modestie et en jetantun regard complaisant sur ses biceps monstrueux, je suis d’unebelle force, moi aussi. Avant de vous quitter, comte, je tiens àvous assurer que vous avez un air qui me revient tout à fait. Quandvous serez des nôtres, je me ferai un honneur et un plaisir de memettre tout à votre disposition pour les petits services qu’unancien peut rendre à un nouveau.

– Je vous rends mille grâces, comte, remercia Valvert, toutl’honneur sera pour moi, et tout le profit.

Ils étaient sincères tous les deux. Sincères et c’est tout.Entre eux, il n’y eut aucun de ces élans de sympathie qui sont leprélude des grandes amitiés. D’Albaran ne sortit pas un instant desa politesse cérémonieuse. Et Odet de Valvert, toujours sur laréserve, conforma rigoureusement son attitude à la sienne.

Sur le seuil de la porte, d’Albaran reprit l’interminable sériedes compliments, Valvert les lui remit avec usure et de son air leplus aimable. Ils se quittèrent les meilleurs amis du monde. Enapparence du moins. Mais quand la porte se fut refermée surd’Albaran, Valvert, en écoutant son pas lourd qui faisait tremblerl’escalier, en le descendant, fit cette réflexion :

– Il m’a accablé de protestations d’amitié et il a oubliéde me tendre la main avant de me quitter.

Et rêveur, un indéfinissable sourire aux lèvres :

– Il est vrai que j’ai commis le même oubli de mon côté.Est-ce bien un oubli de ma part ?… Heu !… Ce noblehidalgo n’a pourtant rien d’antipathique, et il s’est conduitenvers moi en gentilhomme accompli. N’importe, je sens que nous neserons jamais amis… si nous ne devenons pas ennemis.

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