La Fin de Pardaillan

Chapitre 32LE CONDUIT SOUTERRAIN

Lorsque Pardaillan avait été précipité dans le vide, il s’étaitd’abord senti tomber comme une masse, et il n’avait pu retenir uncri de surprise qui avait été entendu par Fausta et le ducd’Angoulême demeurés dans le cabinet rond. Brusquement, la chutefoudroyante avait été enrayée. Il avait subi une secousse assezrude, qui d’ailleurs ne lui avait pas fait de mal, et il y avait euun temps d’arrêt extrêmement bref. Après quoi la descente avaitrepris, lentement cette fois.

L’espèce de plateau sur lequel se trouvait le fauteuil danslequel il était assis devait être monté sur des crémaillèresinvisibles, car la descente s’effectuait maintenant avec uneprécision mécanique, sans heurts, sans à-coups, à une allure trèsmodérée. Pardaillan, qui avait déjà retrouvé cet inaltérablesang-froid qui l’abandonnait bien rarement, se dit :

« Mme Fausta ne veut pas que j’aille merompre les os au fond de cette oubliette ! C’est déjà quelquechose, cela !… »

Il se leva. Et comme, malgré qu’il eût la vue exceptionnellementperçante et qu’il fût doué de la précieuse qualité de voir dansl’obscurité, il ne parvenait pas à percer les ténèbres quil’environnaient, il tendit les bras autour de lui :

« Un puits ! se dit-il, je descends dans unpuits ! »

Il resta debout, se tenant attentif, prêtant l’oreille,s’efforçant de discerner par l’ouïe ce qu’il ne pouvait distinguerpar la vue. Il n’entendit que le grincement assez fort que lamachine faisait en fonctionnant. Tout à coup, ce grincement cessa.Et, avec la cessation du bruit, la machine s’immobilisa.

« Bon, il paraît que je suis arrivé à destination, songeaPardaillan. Mais où suis-je ?… Et qu’est-ce qui m’attend,là ?… Que la peste m’étrangle si je devine ce queMme Fausta, fertile en inventions diaboliques, meréserve au fond de ce trou !… »

Et avec son sourire railleur :

« Ce n’est pourtant pas une raison pour ne pas chercher àme rendre compte. »

Il allongea le pied. Il sentit le vide, alors que, l’instantd’avant, le plateau rond sur lequel il se tenait était étroitementencastré dans les parois d’un puits. Il se pencha, sonda le videavec son épée qu’il avait tirée. Il ne rencontra pas le fond.

À ce moment, il entendit de nouveau une manière de grincementmoins fort comme si une partie de la machine s’était remise àfonctionner. Et il sentit que le plateau s’inclinait doucement souslui. Et la masse énorme du fauteuil monumental, suivant cetteinclinaison, le poussait irrésistiblement.

– Il paraît qu’il faut descendre ! dit-il. Soit,descendons.

Il se garda bien de sauter. Il se laissa glisser doucement. Toutde suite il prit pied sans éprouver d’autre mal qu’une faiblesecousse. Dans le noir opaque, il s’écarta vivement, prévoyant cequi allait arriver : la chute du fauteuil qui se produisit àl’endroit même qu’il venait de quitter et dont le poids l’eûtinfailliblement écrasé.

Sans perdre une seconde, sondant le sol d’un pied prudent, ilalla au mur. Il le longea sans le quitter un seul instant de lamain.

– Je vois ce qu’il en est, dit-il, je suis dans lesfondations de la tour ronde. Et, à présent que je sais cela, jeveux être étripé si je vois quel avantage je puis tirer de cettedécouverte.

Il réfléchit un instant et :

« Il doit y avoir une porte à ce puits !… Cherchonscette porte. »

Il chercha. Il ne trouva rien. La porte de fer n’avait pas plusde verrous et de serrures à l’intérieur qu’à l’extérieur. Et elledevait être merveilleusement bien encastrée dans le mur. D’ailleursil fut distrait dans sa recherche : le grincement de lamachine avait repris, là-haut. Il tendit l’oreille. Le bruit allaiten diminuant. Il traduisit :

« C’est ma plate-forme qui remonte là-haut. »

Il ne se trompait pas. Il reprit sa recherche de la porte. Peineinutile. Il y renonça momentanément. À tâtons, il chercha lefauteuil, le redressa, s’assit et se plongea dans de profondesréflexions. Cela dura assez longtemps. Une heure, peut-être. Tout àcoup il s’écria :

– Tiens ! on dirait qu’il fait moins noirici !…

Il fut aussitôt debout, le nez en l’air. Et il eut un petit riresilencieux. Tout là-haut, presque au plafond, il y avait uneétroite ouverture par où tombait un semblant de lumière blafarde.Au reste, l’ouverture était défendue par deux barreaux de fer encroix, et elle était si loin qu’il ne fallait pas compterl’atteindre. N’importe, la découverte parut importante à Pardaillanqui, après avoir ri doucement, ainsi que nous l’avons dit,songea :

« Il faudrait savoir ce qu’il y a derrière cette ouverture…Peut-être rien du tout… C’est même probable… En tout cas, ilfaudrait y aller voir… Oui, mais, diable, comment arriverjusque-là ?… »

Il réfléchit une seconde et se mit à rire :

– Triple niais que je suis ! s’écria-t-il, et cefauteuil que Mme Fausta a eu la bonne inspirationde me laisser, n’est-ce pas une échelle toute trouvée ?…

Il ne perdit pas une seconde et traîna l’énorme fauteuil sousl’ouverture. Il mit les deux pieds sur les deux bras du siège. Ilse hissa sur le dossier. Cette fois, il se trouvait à la hauteurvoulue. Il passa la tête entre deux barreaux et fouilla l’ombre deson regard perçant. Ses yeux commençaient à s’habituer àl’obscurité, et d’ailleurs l’ombre était moins épaisse de cecôté ; il put distinguer assez bien pour se rendre comptequ’il se trouvait en présence d’un conduit souterrain assez bas deplafond : ce que d’Albaran avait appelé la« galerie ». Il recommença à se poser desquestions :

« À quoi aboutit ce conduit ?… Savoir s’il aboutitquelque part seulement ?… Et même, s’il n’aboutit à rien,savoir s’il ne vaut pas mieux pour moi me trouver n’importe où…pourvu que ce ne soit pas à l’endroit où Mme Faustaa voulu me voir ?… »

Il regarda de nouveau plus longuement, plus attentivement :le conduit formait une voûte si basse qu’il voyait bien qu’il nepourrait pas s’y tenir debout. Il s’éloignait en droite ligne et enmontant, en une côte assez accentuée. Il finit par distinguer que,par terre, courait une conduite de plomb, conduite d’eauassurément. Il regarda mieux, tâta avec les doigts : le tuyaude plomb, gros comme le poing, s’enfonçait dans le mur, devant lui.Évidemment, ce tuyau qui entrait là dans l’épaisse maçonneriedevait ressortir à l’intérieur de son cachot.

Il chercha. Et il trouva. À quelques pouces au-dessous desbarreaux de fer auxquels il se cramponnait, il y avait une boucheronde, semblable à une grosse pomme d’arrosoir, et, comme une pommed’arrosoir, munie de petits trous. Il eut un petit sifflementadmiratif. Il avait compris :

« Ce couloir souterrain aboutit à la rivière… Ces tuyauxviennent de la rivière… Il n’y a qu’à actionner une vanne, uneécluse, un mécanisme quelconque pour amener l’eau dans les tuyaux…Cette eau vient se déverser dans le caveau par cette pommed’arrosoir qui n’a l’air de rien et que je n’aurais pu discernerd’en bas… Le caveau se remplit lentement, et celui qui l’occupefinit par se trouver submergé… Après avoir, autrefois, tentévainement de m’assassiner de vingt manières différentes, Fausta,cette fois-ci, a résolu de me noyer !… »

Il demeura un long moment rêveur. Il traduisit le résultat de sarêverie par ces mots :

« C’est bien simple, pour échapper à la noyade, je n’aiqu’à passer dans ce couloir !… Simple !… heu !…Peut-être n’est-ce reculer que pour mieux sauter !… Car enfin,si on n’arrête pas l’eau, l’eau, après avoir complètement rempli lecaveau, s’engouffrera dans cette ouverture, envahira le conduit…J’ai bien dit : je n’aurai reculé que pour mieux sauter… etquand je dis sauter, c’est une manière de parler, car je nesauterai pas ici, je coulerai bel et bien… Mais minute, ne noushâtons pas trop de trancher la question… surtout ne jetons pas lemanche après la cognée. Quand je ne ferais que gagner du temps… cepeut être le salut !… Et puis, rien ne prouve qu’on n’arrêterapas l’eau quand on jugera que le caveau doit être plein ?… Etpuis, puisque ce conduit aboutit à la rivière, il doit bien avoirune ouverture quelconque de ce côté ?… Décidément, j’avaisbien dit : le plus simple est de passer dans ce couloir.Voyons maintenant si cette chose simple est faisable, etcomment. »

Il saisit un barreau à deux mains, s’arc-bouta de son mieux,tira de toutes ses forces. Le barreau trembla dans son alvéole,résista. Il recommença dix fois, vingt fois de suite, toujours avecle même résultat négatif. Il se rendit compte que, dans la positiondéfectueuse où il était placé, dans un équilibre instable, il nepouvait pas donner l’effort qui convenait.

Il ne s’entêta pas. Il se mit à palper la pierre. Il avait sonpoignard sur lui. Il le prit. C’était une lame courte, large,solide, bien emmanchée. Il attaqua la pierre autour du barreau.

« Cela mord assez bien, se dit-il avec satisfaction. Lapierre, saturée d’humidité, s’effrite assez facilement. Quelquesheures d’un travail acharné me permettront de desceller ce mauditbarreau. Que Mme Fausta ne se presse pas trop defaire inonder mon cachot et tout ira bien. »

En effet, le travail marcha assez facilement et sans tropd’efforts. Au bout de quelques heures, le barreau fut complètementdescellé et Pardaillan put l’enlever avec la plus grande facilité.Seulement, ces quelques heures qu’il évaluait, lui, à deux ou troisheures de travail, avaient duré en réalité, et sans qu’il en eûtconscience, presque toute la nuit.

Le jour était déjà levé lorsqu’il se hissa dans le conduit. Sansperdre un instant, inaccessible à la fatigue, il voulut savoir oùconduisait ce conduit. Il partit, courbé en deux, emportant, à touthasard, le barreau de fer qui pouvait servir au besoin de massue oude levier. Il vint se casser le nez sur une petite porte de tôleépaisse, percée de plusieurs trous ronds, de la dimension d’un écu.Il mit l’œil à un de ces trous et regarda.

– Par Dieu ! s’écria-t-il, je l’avais bien dit, voilàla rivière qui roule ses eaux encaissées. Là-bas, en face, ce sontles prairies du Pré-aux-Clercs… Un peu plus à ma gauche, voilà latour de Nesle. Mais, au fait, d’où vient que je distingue sibien ?… Eh mais !… c’est qu’il fait grand jour !… Orçà ! j’ai donc passé toute la nuit à enlever ce misérablebarreau de fer ?… Mortdiable, je ne m’étonne plus si jecommençais à éprouver quelque fatigue !…

Malgré qu’il se plaignît de la fatigue, il ne songea pas à sereposer. Il se contenta de respirer un peu d’air frais de larivière qui lui arrivait par les trous pratiqués dans la porte detôle. Par ces trous, la lumière pénétrait en même temps que l’air.Relativement à l’obscurité qui régnait dans son cachot, leclair-obscur qu’il trouvait là lui faisait l’effet d’un jouréclatant. Il put se mettre à étudier la porte.

Il vit très bien qu’elle était fermée à clé et qu’elle devaits’ouvrir en dedans. Il la secoua. Elle grinça et ce fut tout. Ilessaya de la tirer à lui : fatigue inutile. Il se renditcompte qu’il n’y avait que deux moyens de s’en tirer : briserla serrure ou la forcer en glissant un levier entre la tôle et lamaçonnerie du quai dans laquelle le pêne pénétrait.

Il avait son barreau de fer qu’il avait eu la précautiond’emporter. Mais il était beaucoup trop gros. Il n’essaya même pas,sachant qu’il perdrait son temps et sa peine. Seulement il pouvaitse servir du même barreau comme d’un marteau pour faire sauter laserrure. Ce fut à quoi il s’employa sans plus tarder. Il frappa àtour de bras sans réussir à ébranler la maudite serrure quisemblait faire corps avec la porte elle-même.

« Il me faudrait quelque chose de plus lourd, maisquoi ? se dit-il. Cherchons. »

Il se mit à chercher. Mais il interrompit aussitôt sesrecherches. En se penchant, il venait d’entendre un grondementsignificatif dans les tuyaux.

« Mordiable, se dit-il. Mme Fausta vient delâcher les eaux dans le cachot. Il s’agit de ne pas se laissersurprendre par l’inondation. Allons voir un peu où nous ensommes. »

Il revint à l’ouverture du caveau. L’eau coulait par petits jetsde la pomme d’arrosoir. Mais il ne pensait plus à s’en occuper.

« Qu’est cela ? » se dit-il en sursaut.

Cela, c’était le falot échappé aux mains d’Odet de Valvert, queFausta avait négligé de ramasser et qui, par fortune, ne s’étaitpas éteint en tombant. La faible lueur de ce falot lui permit devoir Valvert qu’il ne reconnut pas, attendu qu’il était étendu laface contre terre.

« Tiens, Mme Fausta, pendant mon absence, ajugé à propos de m’envoyer un compagnon ! songea Pardaillan.Mais ce malheureux ne bouge pas… Serait-il mort ? Corbleu, ilfaut que je voie cela de près. »

Il se laissa glisser dans l’ouverture, chercha du pied ledossier du fauteuil, dégringola prestement. Si vivement qu’il eûtagi, il n’en arriva pas moins trempé en bas, attendu que ladescente s’effectua sous le jet d’eau qui tombait de là-haut. Iln’y prit pas garde, d’ailleurs. Il ramassa le falot, dirigea lalumière sur Valvert qu’il retourna. Alors il le reconnut.

– Odet ! fit-il dans un cri déchirant. Et dans ungrondement terrible :

– Ah ! Fausta d’enfer ! malheur à toi, si tu astué cet enfant !…

Il s’agenouilla devant le blessé, le souleva, le tâta, levisita, l’ausculta. Il eut vite fait de se rendre compte qu’iln’était qu’évanoui. Il se hâta de lui donner les soins nécessaires,ceux, du moins, qu’il était en son pouvoir de donner dans lescirconstances particulières où il se trouvait. Et, tout ens’activant de son mieux, il réfléchissait :

« Je vois ce qu’il en est : ce petit, qui a pour moiune véritable affection filiale, aura appris qu’il m’était arrivémalheur. Il est allé trouver Fausta. Il aura parlé haut, crié,menacé… Et Fausta, après l’avoir fait assommer, l’a envoyé merejoindre ici… Je lui avais pourtant bien recommandé de se tenirtranquille !… Mais il a voulu n’en faire qu’à satête… »

Et, avec un sourire indéfinissable :

« Et, corbleu, je suis forcé de reconnaître qu’au bout ducompte il a bien fait !… »

Cependant, grâce aux soins de Pardaillan, Odet de Valvert finitpar reprendre connaissance.

– Monsieur de Pardaillan ! s’écria-t-il, stupéfait dese retrouver dans les bras du chevalier.

– Eh bien, mon pauvre comte, comment voussentez-vous ? s’enquit Pardaillan, de cet air froid qu’ilprenait quand il voulait cacher l’émotion qui l’étreignait.

– Aussi bien qu’il est possible d’aller quand on a reçucent livres sur le crâne, eût le courage de plaisanter Valvert.

– Bon, sourit Pardaillan, Dieu merci, c’est l’essentiel.Dans une heure vous serez aussi solide qu’avant.

– Eh ! mais, fit Valvert qui regardait curieusementautour de lui, ne sommes-nous pas ici dans ce cachot oùMme Fausta vous a précipité partraîtrise ?

– En effet.

– Voilà qui est merveilleux ! Tout à l’heure je suisentré ici avec Mme Fausta et vous n’y étiez pas… Dumoins nous ne vous avons pas vu… Ah çà ! monsieur, est-ce quevous avez trouvé le moyen de vous rendre invisible à votregré ?…

Il posait la question très sérieusement. Pardaillan lui eûtrépondu oui qu’il n’eût pas hésité à le croire. Mais Pardaillan semit à rire doucement.

– Non, dit-il, je n’ai pas trouvé le moyen de me rendreinvisible… Mais j’ai trouvé moyen d’en sortir, de ce cachot. Et sivous voulez m’en croire, nous n’y resterons pas plus longtemps… carvoici que nous avons de l’eau jusqu’à la cheville, et cela n’estpas précisément agréable.

– C’est ma foi vrai, que nous avons de l’eau jusqu’auxchevilles. Peste ! Mme Fausta ne perd pas detemps, à ce que je vois !

– Oui, c’est une femme fort expéditive, renchéritPardaillan avec un sourire aigu.

Avec l’aide de Pardaillan, Valvert se mit debout. Il constataavec satisfaction :

– Les jambes ne sont pas encore très solides. Mais, commevous l’avez dit, il n’y a rien de cassé et dans une heure, jel’espère, il n’y paraîtra plus.

Et avec un accent qui eût donné à réfléchir au molosse deFausta, s’il avait pu l’entendre :

– N’importe, voilà un coup de traîtrise que le señord’Albaran me paiera… avec les intérêts en plus.

Ils ne s’attardèrent pas davantage. Sous l’averse qui lesinondait de la tête aux pieds, ils escaladèrent le fauteuil etpassèrent dans le conduit. Là, ils se secouèrent. Pardaillan pritles devants, tenant à la main le falot qu’il avait eu soind’emporter, en le préservant de l’averse sous son manteau. Ilconduisit le jeune homme à l’autre extrémité du boyau, près de laporte qui les séparait de la rivière. Il se disait avec raison quele peu d’air frais qui passait par les trous de cette porteachèverait de le remettre.

Pardaillan sentait l’impérieuse nécessité de s’évader au plusvite de ce boyau souterrain. En effet, dans le caveau, il avait pus’en rendre compte, l’eau montait avec une rapidité inquiétante. Etsi elle continuait à monter avec la même rapidité, elle netarderait pas à envahir leur actuel refuge. Mais Pardaillan étaittranquille, maintenant. En revenant, grâce au falot, il avaitaperçu un énorme bloc de maçonnerie, détaché de la voûte, aveclequel il était sûr de faire sauter la trop récalcitrante serrure.Seulement il n’eût pas été donné à tout le monde de soulever cebloc sur lequel il comptait.

Sûr de pouvoir s’en aller quand il voudrait, Pardaillan, ayantremarqué que l’effort que venait de faire Odet de Valvertparaissait l’avoir incommodé, décida qu’il était prudent de luiaccorder un quart d’heure de repos. Ceci, il pouvait le faire entoute sécurité : si vite que montât l’eau, elle en avait bienpour au moins une heure avant d’arriver jusqu’à eux.

Il laissa Valvert aspirer avec bonheur l’air frais de la rivièreet s’en alla chercher son quartier de roc qu’il apporta et laissatomber près de la porte en disant :

– Asseyez-vous, Odet, et soufflons un peu avant de tirer aularge.

– Ma foi, monsieur, un instant de repos ne sera pas detrop. Je me sens encore tout étourdi, avoua Valvert en s’asseyantsur le bloc de pierre.

– Je vous dis que cela passera, rassura Pardaillan, qui mitun œil à un trou de la porte et jeta un regard circonspectau-dehors.

– Je le sais bien, dit Valvert, mais je suis impatient,monsieur, et je voudrais que cela passe le plus vite possible.

Pardaillan quitta son observatoire, posa son manteau par terre,s’assit dessus et s’accotant au mur, le plus tranquillement dumonde :

– Puisque nous avons quelques minutes, dit-il, racontez-moicomment il se fait que je vous ai trouvé à moitié assommé dans cecaveau d’où j’avais commencé à m’évader et où c’est miracle que jesois revenu si fort à propos pour vous.

Odet de Valvert raconta tout ce qu’il avait fait, depuisl’instant où Pardaillan l’avait congédié jusqu’au moment où ilavait été assommé par-derrière. Le chevalier écouta ce récit avectoute l’attention qu’il méritait. De temps en temps, dans l’ombre,il souriait d’un air approbateur. De temps en temps aussi, ilinterrompait le récit d’un geste, mettait l’œil à un des jours dela porte de fer et regardait au-dehors. Ou bien il collaitl’oreille contre cette porte et écoutait avec une attentionaiguë.

Quand le jeune homme eut fini de parler, il demeura un momentrêveur, ému, de cette émotion comme étonnée qu’il éprouvaittoujours, malgré lui, quand il se trouvait en présence d’un acte dedévouement accompli uniquement pour lui. Et, souriant, d’un sourirerailleur, comme s’il se moquait de lui-même, de cette voixextraordinairement douce qu’il avait dans ses momentsd’émotion :

– Ainsi, mon pauvre Valvert, dit-il, à cause de moi et pourmoi, vous vous êtes fait un ennemi mortel deMme Fausta ?…

– Bah ! fit Valvert d’un air détaché, tôt ou tard j’enserais venu là.

– Comment cela ?

– Mais, monsieur, n’avez-vous pas entenduMme Fausta dire qu’elle m’avait fait l’honneurd’avoir des vues particulières à mon sujet ?

– Eh bien ?

– Eh bien, monsieur, nous savons ce qu’elle attendait demoi. Vous pensez bien que les choses se seraient gâtées, le jour oùelle m’aurait fait connaître ses intentions. Ce jour est venu unpeu plus tôt, et voilà tout.

– C’est juste, au fait, reconnut Pardaillan. Mais qu’est-cedonc qui vous fait rire ainsi, Valvert ?

– Je ris, monsieur, parce que je pense que depuis notrerencontre d’hier soir, je me suis démené comme trente-six diablesdans un bénitier pour tâcher de vous sauver… Et finalement,monsieur, c’est vous qui me sauvez la vie… Car, sans vous, j’eusseété infailliblement noyé dans ce caveau d’où vous m’avez tiré…C’est une dette de plus que je viens de contracter envers vous. Jene l’oublierai pas, monsieur.

Pardaillan ouvrit deux yeux pétillants de malice, sourit, maisne jugea pas à propos de faire remarquer que c’était pour lui,Pardaillan, que le jeune homme s’était mis dans la fâcheusesituation d’où il l’avait tiré, et que, par conséquent, il ne luidevait rien.

Et Valvert reprit :

– J’ai une heureuse nouvelle à vous annoncer,monsieur : j’ai retrouvé la fille de mon cousin Jehan, lapetite Loïse.

– Vous en êtes sûr ? demanda vivement Pardaillan.

– Tout à fait, monsieur. J’ai vu le petit bonnet queportait l’enfant au moment où elle fut volée : il est brodéaux armes de Saugis. Le doute n’est pas possible.

– Voilà une heureuse nouvelle, en effet. Et où avez-vousretrouvé cette enfant ?… Comment ?… Et d’abord, l’enfantse porte-t-elle bien ?… N’a-t-elle point trop souffert ?N’est-elle pas malheureuse ?…

Toutes ces questions, que Pardaillan lançait coup sur coup,indiquaient que, malgré l’indifférence qu’il se croyait obligéd’affecter, il s’intéressait à sa petite-fille beaucoup plus qu’ilne voulait bien le laisser voir.

– L’enfant se porte à merveille, rassura Valvert. Elle estheureuse, gâtée et choyée comme une petite reine par la jeune fillequi l’a recueillie, qui lui sert de mère et qui l’adore comme sielle était vraiment sa fille.

– Racontez-moi ce que vous savez, Valvert,voulez-vous ?

Valvert allait satisfaire la légitime curiosité de Pardaillan enlui racontant ce qu’il avait appris de Brin de Muguet. Mais ilétait écrit décidément qu’il ne pourrait pas parler sur cesujet : la veille, en quittant la jeune fille, il était alléau Grand Passe-Partout pour porter la bonne nouvelle àPardaillan. On lui avait dit que M. le chevalier n’était pasencore de retour de Saugis. Le soir, il avait rencontré lechevalier chez Fausta, dans les conditions que nous avons décritesen temps et lieu. Le moment n’était guère propice à un telentretien. Il n’y avait même pas pensé. Maintenant, comme ilouvrait la bouche, Pardaillan lui coupa la parole en s’écriantd’une voix assourdie :

– Corbleu ! cette fois, je suis sûr de ne pas metromper !… Et, une fois de plus, il se précipita sur la porte,regarda, écouta. Odet de Valvert fit comme lui. Cependant, ilseurent beau regarder, ils ne virent rien de suspect sur la rivière.Mais s’ils ne virent rien, ils entendirent et Valvert glissa àl’oreille de Pardaillan :

– On dirait le frôlement d’une barque qui glisse le long duquai, sous cette porte.

– N’est-ce pas ? C’est bien ce qu’il me semblaitaussi, répondit Pardaillan à voix basse.

Et avec un sourire aigu :

– Et comme il y a déjà un bon moment que cette barque setient là, comme ceux qui la montent évitent soigneusement de seplacer dans le champ de ces trous où nous pourrions les voir, j’enconclus qu’ils sont là pour nous, et qu’ils attendent, pour voir sipar hasard nous ne sortirons pas de ce trou.

– Parbleu ! approuva Valvert. Et, à son tour, ilprécisa :

– Mme Fausta a d’abord été stupéfaite devotre disparition. J’ai très bien vu qu’elle n’y comprenait rien.Puis elle s’est ressaisie, et elle a réfléchi que, sorti du caveaupar un tour de force extraordinaire, vous ne pouviez être réfugiéqu’ici, où vous seriez arrêté par cette porte de fer. Et elle adonné l’ordre de tout inonder. Mais c’est une femme qui estime quedeux précautions valent mieux qu’une. Elle s’est encore dit quel’homme qui avait pu arracher les barreaux du caveau pouvait trèsbien trouver moyen d’ouvrir ou d’enfoncer cette porte. Et elle aenvoyé ses estafiers vous attendre à la sortie. Il est probableque, dès que nous tenterons de mettre le nez hors de ce trou, commevous dites, nous serons salués par quelque bonne arquebusade.

– C’est tout à fait mon avis, approuva à son tourPardaillan. C’était tout à fait cela, en effet : Fausta,revenue de sa stupeur, avait fait la réflexion que Valvert luiprêtait. Et elle avait donné ses ordres en conséquence à d’Albaran,chargé comme toujours de leur exécution. Dès que l’inondation avaitété lâchée, monté sur une petite barque avec trois de ses hommes,il était venu se poster sous la petite porte de fer. Un de ceshommes maniait les avirons. D’Albaran et les deux autres, unmousquet chargé dans les mains, se tenaient prêts à faire feu dèsque la porte s’ouvrirait. Incorrigible dans sa présomption, lecolosse, parce qu’il avait ces trois mousquets, pensait avoirgrandement pris ses précautions. Il le pensait d’autant plus qu’aufond il était bien convaincu que ces précautions étaientparfaitement inutiles : Pardaillan, selon lui, n’aurait jamaisla force d’enfoncer cette porte et devait finir misérablement noyédans cette galerie où il était pris comme un rat dans une ratière.Cependant, comme il était très consciencieux, malgré cetteconviction qu’il avait, il n’en faisait pas moins bonne garde.

– Que décidez-vous, monsieur ? demanda simplementValvert. Pardaillan réfléchissait, le sourcil froncé.

– L’ennuyeux, murmura-t-il, est que nous ne puissions voircombien ils sont.

Et fixant son œil scrutateur sur le jeune homme, comme pourmesurer jusqu’à quel point il pouvait compter sur lui :

– Vous sentez-vous suffisamment remis pour tenter lecoup ? dit-il.

– Avec vous, monsieur, on peut tenter tout ce que l’onveut. Même l’impossible, fit Valvert avec un accent d’inébranlableconviction.

– C’est qu’il s’agit de réussir, insista Pardaillan ensouriant.

– Je vous entends, monsieur. Eh bien, nous allons voir simes forces sont suffisamment revenues pour que je puisse vous êtrede quelque utilité.

Ayant dit ces mots avec simplicité, Valvert se baissa, saisit lebloc de pierre dans ses bras et le souleva sans effort apparent. Etsans le lâcher :

– Je crois que cela ne va pas trop mal, dit-il de son airsimple, et sans que sa voix fût le moins du monde altérée par lerude effort qu’il fournissait.

– Peste ! fit Pardaillan avec une satisfactionvisible, je me demande quel tour de force vous seriez capabled’accomplir, si vous n’aviez pas été à moitié assommé.

– Faut-il briser la porte ? proposa Valvert avec lamême simplicité et sans lâcher la pesante masse.

– Non pas, refusa Pardaillan, il faut nous concerterd’abord au sujet de la manœuvre que nous allons exécuter.

Valvert reposa doucement l’énorme bloc par terre et de son mêmeair modeste :

– Je crois, dit-il, que je pourrai vous seconder assezconvenablement, bien que je ne me sente pas en possession de tousmes moyens.

– Je plains ceux qui auront à essuyer vos coups, admirasérieusement Pardaillan qui ajouta aussitôt :

– Voici ce que nous allons faire.

Et en quelques phrases brèves, il expliqua la manœuvre qu’ilavait conçue. Ces explications données et religieusement écoutéespar Valvert, ils passèrent séance tenante à l’exécution.

– Bien qu’il fût maintenant complètement rassuré sur lecompte de son jeune compagnon, Pardaillan, qui tenait à ménager sesforces, se chargea de briser la serrure. Un coup bien appliquésuffit pour faire ce que le barreau avait été impuissant àaccomplir. La serrure ayant sauté, il posa le bloc de pierre parterre, devant la porte.

Ceci fait, ils se couchèrent par terre, côte à côte, derrière lebloc. Puis Pardaillan allongea le bras, tira brusquement la porte àlui, et s’aplatit aussitôt derrière la pierre. Ce qu’il avait prévuse produisit : d’Albaran, averti par le coup qui avait briséla serrure, voyant la porte s’ouvrir toute grande, crut quePardaillan allait se dresser devant l’orifice et se hâta decommander : « Feu ! » Les trois explosions sefondirent en une seule explosion formidable.

Immédiatement, Pardaillan et Valvert poussèrent le bloc depierre dehors, au jugé. Et, aussitôt après, ils sautèrent tous lesdeux en même temps. Pardaillan avait espéré que l’énorme pierreatteindrait la barque et la ferait chavirer. Durant l’inappréciableinstant pendant lequel ils se tinrent au bord du trou pour prendreleur élan, à travers la fumée des trois explosions, ils purent serendre compte qu’ils n’avaient pas atteint leur but. La barqueétait encore là, à peine à une toise au-dessous d’eux. Ilssautèrent, non pas dans la rivière, mais dans la barque elle-même.Et comme, cette fois, ils n’opéraient pas au jugé, ils nemanquèrent pas leur coup : ils tombèrent juste au beau milieude la barque. D’Albaran se tenait debout, son mousquet encore à lamain. Dans la secousse terrible qu’éprouva la barque, il perditl’équilibre et tomba dans l’eau, la tête la première. Ses deuxhommes n’eurent pas le temps de se rendre compte de ce qui leurarrivait. Ils se sentirent happés, soulevés avec une forceirrésistible, projetés par-dessus bord, et s’en allèrent rejoindreleur chef au fond de l’eau.

Cela s’était accompli avec une rapidité fantastique. L’homme quitenait les rames demeura béant de stupeur, ses deux rames à lamain, sans faire un mouvement, comme pétrifié. Pardaillan le saisitau collet, le redressa d’une poigne de fer, et désignant larivière, commanda d’une voix rude :

– Saute, sacripant !…

Et il montrait un visage si terrible que l’homme, épouvanté,n’hésita pas, piqua une tête en hurlant :

– C’est le diable !…

Valvert, qui déjà avait pris les rames et nageaitvigoureusement, partit d’un éclat de rire homérique. Et Pardaillanne put se retenir d’en faire autant. Et ce n’est pas tant de lamine ahurie et terrifiée du pauvre diable qu’ils riaient ainsi,c’était surtout de la rapidité et de la facilité extraordinaireavec lesquelles ils avaient expédié cette affaire qui paraissaitdevoir être mortelle pour eux et qui se terminait à leur completavantage, sans qu’ils eussent reçu le moindre horion, sans qu’ilseussent eu même à dégainer.

– C’est à croire, plaisanta Valvert, queMme Fausta a voulu nous épargner l’ennui d’un bain,tout habillés, dans la rivière, ce à quoi il eût bien fallu nousrésigner, si elle n’avait eu l’attention de nous envoyer cettebarque.

– Vous oubliez qu’elle nous l’avait déjà imposé, ce bain,et pas dans les eaux courantes de la rivière, dit Pardaillan enmontrant leurs vêtements maculés de fange et si mouillés encorequ’ils collaient au corps.

Cependant, d’Albaran et ses trois hommes, après avoir coulé,étaient revenus à la surface. Ils n’avaient reçu aucune blessure,et nageaient vigoureusement, sans paraître trop gênés par leursvêtements, en gens entraînés depuis longtemps aux exercices lesplus violents. Le premier mouvement des trois estafiers avait étéde nager vers l’escalier le plus proche, qui était près de la porteneuve. C’était l’affaire d’une vingtaine de brasses en descendantle courant : un jeu pour eux.

Mais leur chef ne l’entendit pas ainsi. Ce d’Albaran, s’iljouait de malheur dans ses entreprises, était incontestablementbrave et obstiné. Il ne voulut pas encore s’avouer vaincu etabandonner la partie. D’une voix rude, il lança un ordre bref à seshommes. Ceux-ci, dressés à l’obéissance passive, obéirent sanshésiter. Ils changèrent de direction et suivirent leur chef qui,remontant le courant, s’était bravement lancé à la poursuite de labarque.

Cette barque, elle n’était pas à une dizaine de brasses d’eux.Évidemment, il leur eût été très facile de la rattraper. Seulementil eût fallu pour cela que Pardaillan et Valvert consentissent àles attendre. D’autres, moins généreux qu’eux, n’eussent pas laissépasser une si belle occasion de se débarrasser de leursennemis.

C’était on ne peut plus facile : il n’y avait qu’à leslaisser approcher et à les larder de coups d’épée ou à les assommerà coups d’aviron. Heureusement pour eux, Pardaillan et Valvertavaient trop de chevaleresque générosité pour abuser ainsi de leurforce. Et quand ils virent quelle était l’intention de d’Albaran,ils se contentèrent de forcer sur les avirons. Et Pardaillan lançade sa voix railleuse :

– Je vous préviens que nous allons ainsi jusqu’au port dela Saunerie[7] . Si vous vous sentez assez bons nageurspour remonter le courant jusque-là, ne vous gênez pas.

D’Albaran répondit par une bordée d’injures auxquelles ceux àqui il les adressait dédaignèrent de répondre. Et il n’abandonnapas sa poursuite. Cependant, si obstiné qu’il fût, il finit tout demême par s’apercevoir que chaque fois qu’il avançait d’une brasse,la barque s’éloignait de quatre. À ce jeu-là, il s’épuisait etrisquait de se noyer bien inutilement. Il se résigna à abandonnerla partie et il aborda, avec ses hommes, au premier escalier qu’ilaperçut. Son entêtement n’avait eu d’autre résultat que deprolonger le bain forcé qu’ils avaient pris.

Quant à Pardaillan et à Valvert, ils abordèrent sans encombreaux escaliers qui se trouvaient au bas de la rue de la Sonnerie,rue qui a disparu depuis et qui allait de la vallée de Misère ouquai de la Mégisserie à la rue Saint-Germain-l’Auxerrois, encontournant le Châtelet, duquel elle n’était séparée que par la ruePierre-au-Poisson, absorbée depuis par la place du Châtelet.

Ils se trouvaient donc tout portés dans la rue Saint-Denis. Ilss’en allèrent tout droit à l’auberge du GrandPasse-Partout, chez Pardaillan. Ils y allaient à la demande duchevalier pour y changer leurs vêtements maculés et trempés, pours’y refaire par un bon repas – attendu que l’heure du dîner étaitpassée depuis longtemps – et enfin pour que Valvert pût donner tousles renseignements qu’il avait recueillis sur la petite Loïse,fille de Jehan de Pardaillan.

À l’auberge, Escargasse et Gringaille – les deux serviteurs deJehan de Pardaillan que nous avons entrevus dans les premierschapitres de cette histoire, attendaient le chevalier. Ils étaientarrivés de Saugis la veille au soir, comptant trouver là Pardaillanqui leur avait donné rendez-vous et qui aurait dû, lui, être rendudans-la matinée, et qui l’eût été en effet, s’il n’avait rencontréFausta.

Les deux braves commençaient même à s’inquiéter de ce retard dupère de leur maître. Comme de juste, cette inquiétude s’étaitcommuniquée, plus accentuée, à dame Nicole, la grassouillette etappétissante patronne du Grand Passe-Partout, laquelle,comme on sait, avait une vénération toute particulière pour sonillustre pensionnaire.

L’arrivée de Pardaillan calma les appréhensions de ces bravesgens. Dame Nicole se précipita pour préparer du linge et desvêtements de rechange à M. le chevalier. Après quoi, elle serua dans sa cuisine pour confectionner de ses propres mains lerepas délicat et soigné, arrosé de ses vins préférés, quePardaillan, afin de pouvoir s’entretenir en toute quiétude avecValvert, avait demandé qu’on servît dans sa chambre même.

Comme les deux braves avaient dîné depuis longtemps, Pardaillanenvoya Gringaille chercher son cheval dans cette auberge où ill’avait laissé pour suivre Fausta quand elle se rendait chezConcini. Quant à Escargasse, il fut chargé de courir rue de laCossonnerie, au logis de Valvert, et de lui rapporter uncostume.

Escargasse ne trouva pas Landry Coquenard. Il venait de partirpour se mettre à la recherche de son maître. Mais comme c’était unhomme avisé que maître Landry Coquenard, il avait eu soin delaisser au logis la bonne mère Perrine, à seule fin que si Valvertrentrait pendant son absence, elle pût l’informer de la terriblemésaventure survenue à sa fiancée.

Escargasse trouva donc la mère Perrine. En apprenant qu’il étaitenvoyé par le comte de Valvert, Perrine pria Escargasse d’aviserM. de Valvert qu’une femme, venue de Fontenay-aux-Roses,l’attendait chez lui pour le mettre au courant de choses graves quiintéressaient « demoiselle » Muguette. La brave femme,qui ne connaissait pas Escargasse, n’avait pas cru devoir le mettreau courant.

Il est certain qu’il eût été plus sûr et plus expéditif desuivre Escargasse et de voir elle-même Valvert. Malheureusement,elle n’y pensa pas, peut-être parce que c’était trop simple. Ellecrut qu’en disant que la messagère venait de Fontenay-aux-Rosespour parler de Muguette, l’amoureux comprendrait à demi-mot ets’empresserait d’accourir sans perdre une seconde. Et il est defait qu’il en eût été ainsi, si la commission avait été faite.

Complaisant de son naturel, Escargasse se chargea volontiers dela commission. Mais…

Mais, par malheur, il n’y attacha pas l’importance qu’elleavait. Mais la fatalité voulut que dame Nicole crût bien faire enlui prenant des mains le costume qu’il rapportait pour le porterelle-même à Valvert.

Et elle le fit avec tant de hâte qu’elle ne laissa pas àEscargasse le temps de parler. Mais Pardaillan, ainsi que nousl’avons dit, avait ordonné qu’on le servît dans sa chambre. Ensorte, que ni lui ni Valvert ne bougèrent de cette chambre.

En sorte, aussi, qu’Escargasse alla s’asseoir à une table devantun grand pot de vin, qu’il se mit à vider consciencieusement, en sedisant qu’il serait toujours temps de s’acquitter de la commissiondont il s’était chargé de très bonne foi, dès qu’il verrait« monsieur le comte ». Et l’idée ne lui vint pas d’allerjusqu’à la chambre de Pardaillan, pour dire de suite ce qu’il avaitpromis de dire, qui ne lui paraissait pas être si grave ni sipressé, pour qu’il pût se permettre de venir déranger M. lechevalier.

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