La Fin de Pardaillan

Chapitre 28LÉONORA GALIGAÏ

Il nous faut dire maintenant ce que faisait Stocco, dans la courdu somptueux hôtel que Concini avait acheté au seigneur deLiancourt, qu’il avait agrandi et embelli et qui était situé rue deTournon… à deux pas du palais de Marie de Médicis. Pour cela, ilest nécessaire que nous le reprenions au moment où nous l’avonslaissé, suivant Odet de Valvert, à Fontenay-aux-Roses, non loin dela maison de la mère Perrine, où se rendait Muguette montée sur sonâne Grison. Ce retour en arrière sera d’ailleurs bref.

Comme Odet de Valvert, Stocco avait entendu les paroles de lajeune fille qui, parlant de la petite Loïse, l’avait appelée« ma fille ». Comme Odet de Valvert, l’espion de Léonoras’était mépris sur le sens réel de ces paroles et, comme lui, lesavait prises au pied de la lettre. Tout d’abord, il en avait étéquelque peu éberlué. Puis il avait ricané :

– Per la Madonna, fiez-vous donc auxapparences ! Cette fille, à qui l’on eût donné l’absolutionsans confession, cette vertu farouche a une fille ! C’est àpouffer de rire ! Et dire que j’ai été assez niais pour melaisser prendre à ses grands airs ! Je n’ai pas été le seul,il est vrai ! N’importe, je n’aurais pas dû être dupe, moi quiconnais les damnées femelles. Or çà, elle a donc un amant ?…Qui peut bien être l’heureux coquin possesseur de ce morceau de roiet père de cette petite Loïse ?…

Et, secoué par un rire mauvais :

– Et l’illustre signor Concini !… Quelle tête il va mefaire, quand je lui apprendrai la nouvelle !… Car je la luiapprendrai… Pour tout l’or du monde, je ne voudrais pas me priverde ce plaisir. Cristo Santo ! je n’ai pas si souventl’occasion de me faire une pinte de bon sang !…

Tout en se réjouissant ainsi de la cruelle déconvenue qu’ilallait infliger à son maître, Stocco suivait toujours. Brin deMuguet était entrée. Odet de Valvert avait voulu voir et entendre,et il s’était glissé le long de la haie qui clôturait la petitemaison. Stocco avait voulu voir et entendre, lui aussi. Il avaitfait comme Valvert. Seulement, comme il ne voulait pas se laissersurprendre par celui-ci, il avait eu soin d’aller se poster du côtéopposé.

Le hasard l’avait moins favorisé que Valvert : il setrouvait placé trop loin pour entendre la conversation des deuxfemmes que nous avons rapportée en son temps. Mais s’il n’entenditpas ce qui fut dit, il vit assez bien à travers les jours de lahaie. Il vit si bien qu’il se dit :

« Elle adore sa fille !… » Et pensif :« C’est bon à savoir… Qui sait si on ne pourra pas tirer partide cet amour de la mère pour son enfant ?… »

Et son esprit, naturellement porté au mal, se mit à travaillersans arrêt sur cette découverte qu’il venait de faire et qui luiparaissait particulièrement intéressante. D’ailleurs, il ruminaitlà-dessus sans intention précise, uniquement poussé par ce besoinimpulsif de faire le mal qui anime les natures essentiellementmauvaises.

Odet de Valvert était parti, comme nous l’avons dit. MaisStocco, qui d’ailleurs n’avait pas pu s’apercevoir de ce départ,était resté à son poste. Il y était resté jusqu’à ce que la nuittombant, il avait vu la mère Perrine cadenasser les portes, tendreles chaînes. Il avait compris que la petite bouquetière passeraitla nuit dans la maison. Alors il était parti à son tour.

Il n’était pas allé bien loin. Il s’était mis en quête d’uneauberge où il pût se restaurer un peu : il n’avait rien prisdepuis le matin. Il avait fini par découvrir ce qu’il cherchait etil avait rapidement expédié un modeste repas copieusement arrosépar deux pots d’un petit vin du pays, aigrelet et piquant àsouhait. Après quoi, il était revenu se poster devant la maisonfleurie. Il s’était enroulé dans son manteau et il s’étaitphilosophiquement étendu dans le fossé.

Il faut croire qu’il avait de sérieuses raisons de ne pas lâcherla jeune fille, puisque, pour être sûr de ne pas la manquer à sondépart, il ne reculait pas devant une nuit passée à la belleétoile. Il est vrai que le temps était très doux et il est probablequ’il en avait vu d’autres.

Le lendemain matin, à la pointe du jour, il avait assisté audépart de Muguette qui emportait deux grands paniers chargés defleurs. Il vit la petite Loïse qui, pendue au cou de « samaman Muguette », ne voulait plus se séparer d’elle etpleurait à chaudes larmes. Il entendit Muguette qui consolaitl’enfant en lui promettant :

– Ne pleure pas, ma mignonne, je reviendrai jeudi matin.Stocco comprit qu’elle ne mentait pas dans l’intention d’apaiserl’enfant. La promesse était très sérieuse, car la jeune filleajouta cette recommandation, qui s’adressait à la robustepaysanne :

– N’oubliez pas, ma bonne Perrine, de tenir prête maprovision de fleurs, car je n’aurai que quelques minutes à passerici. Juste le temps de permettre à Grison de souffler.

« Va bene, se dit Stocco, elle reviendra jeudimatin. Je n’ai pas besoin d’en apprendre davantage. Je peux filer,maintenant. »

Et, avec une grimace de jubilation, il se félicita :

« Per la santa Madonna, voici une journée et unenuit qui me rapporteront pour le moins cinq cents pistoles. Ce qui,joint aux cinq cents pistoles que le signor Concini me doit déjà,fera mille pistoles ou dix mille livres !… »

Ayant fait cette réflexion agréable pour lui, il profita de ceque Muguette s’attardait pour prendre les devants. Il rampa dans lefossé jusqu’à ce que, se sentant hors de vue, il sautât sur laroute. Il partit alors d’un pas allongé, sans plus s’occuperd’elle. De retour à Paris, il s’en alla tout droit rendre compte àLéonora Galigaï. Il lui raconta tout ce qu’il avait vu et entendu,sans rien lui cacher. Seulement, il ne fit pas le moindrecommentaire et garda pour lui les réflexions qu’il avait pufaire.

Léonora l’écouta avec la plus grande attention. Quand il eut dittout ce qu’il avait à dire, et ce fut vite fait, elle se plongeadans une longue méditation. À quoi songeait-elle ainsi ?Stocco, qui la dévisageait de ses yeux de braise, n’aurait su ledire : Léonora, comme Fausta, savait, quand elle le voulait,montrer un visage indéchiffrable. Quand elle eut fini de réfléchir,elle laissa tomber négligemment :

– Tu peux rendre compte de ta mission à Concino.

Stocco, qui la connaissait bien, interrogea avec sa familiariténarquoise :

– Que faudra-t-il lui dire, signora ?

– Tout ce que tu m’as dit, autorisa Léonora. Et sans lamoindre intention d’ironie :

– Il ne faut pas mentir à Concino, ajouta-t-ellegravement.

La recommandation, qui était en contradiction flagrante avec sesagissements courants, amena un sourire gouailleur sur les lèvres deStocco. Mais il se garda bien de faire la moindre observation.

– Seulement, reprit Léonora du même air détaché, tu ne luirendras compte que mercredi matin.

Cet ordre fit faire la grimace à Stocco. Et cette fois, il sepermit une observation :

– Signora, dit-il, voici plus de huit jours que monseigneurattend, et il commence à s’impatienter.

Et, laissant percer le bout de l’oreille :

– Et puis, corpo di Cristo, je ne serais pas fâchéde toucher les cinq mille livres qu’il m’a promises, moi !

– Concino, fit tranquillement Léonora, ne mourra pas pouravoir attendu deux jours de plus. Quant à toi…

Elle allongea la main vers un tiroir, y prit une bourseconvenablement garnie, et la lui mit dans la main enachevant :

– … Voici qui te permettra d’attendre patiemment lepayement de tes cinq mille livres.

Stocco, qui n’avait peut-être fait son observation que pourprovoquer ce geste de générosité, fit prestement disparaître labourse. Satisfait, il s’inclina et complimenta :

– Vous êtes la générosité même, signora, et c’est plaisirvraiment de travailler pour vous.

– J’ai besoin de ces deux jours, moi, expliqua Léonora avecun sourire sinistre.

Et, sans élever la voix, en le fixant avec une insistancesingulièrement éloquente :

– Ne va pas l’oublier, surtout.

– Je n’aurai garde, rassura Stocco. Et, enlui-même :

« Ah ! poveretta, je ne voudrais pas êtredans la peau de la petite bouquetière. »

Il n’oublia pas la recommandation, en effet. Au jour fixé, iln’oublia pas non plus d’aller voir Concini. Mais il arriva rue deTournon au moment où celui-ci attendait la visite de Fausta et illui fallut attendre. Puis, après le départ de Fausta, il avaitguetté la sortie de Pardaillan, non pas – nous croyons l’avoir dit– qu’il s’intéressât à Pardaillan, mais simplement parce qu’ilcraignait pour lui-même les suites mortelles que pouvait avoir satrahison au cas où, le chevalier se laissant surprendre, elleaurait été découverte.

Nous avons dit que tout s’était terminé au mieux pour lui. Maispendant qu’il demeurait sur le seuil de la porte. Concini étaitretourné dans son cabinet où nous le suivrons en attendant Stoccoqui ne tardera pas à l’y rejoindre.

Concini était d’une humeur massacrante. On se doute bien que lavisite de Fausta et le résultat plutôt fâcheux pour lui qu’avait eucette visite étaient pour quelque chose dans l’exaspération qu’ilmontrait. Cette exaspération s’augmentait encore d’un autre motifaussi important à ses yeux : ne prévoyant pas, et pour cause,les terribles révélations de la redoutable visiteuse, il avaitautorisé Léonora à assister, invisible, à cet entretien. Léonoraavait ainsi appris des choses qu’elle ne soupçonnait même pas. Ensoi, le fait n’avait aucune importance. Il savait bien, parbleu,qu’il pouvait compter sur sa femme. Mais il connaissait aussil’esprit exceptionnellement ombrageux de la terrible jalouse. Et ilse disait, non sans raison, qu’une explication était inévitableentre eux, attendu que Léonora l’exigerait. Pour tout dire, ilentrevoyait la scène de ménage, plus violente que jamais. Et cetteperspective, peu agréable, en effet, l’irritait et l’assommaitd’avance.

Il ne se trompait pas d’ailleurs. Dès le départ de Fausta,Léonora était entrée dans le cabinet et elle s’était assise, biendécidée à ne pas bouger de là avant d’avoir eu cette explicationque redoutait Concini. Et le coude sur la table, la tête dans lamain, elle s’était enfoncée dans des réflexions profondes,sinistres, si on en jugeait par l’expression effrayante de saphysionomie.

Ainsi qu’il s’y attendait, Concini la trouva là. Il entra commeun furieux, l’air mauvais, agressif, et se mit à marcher de long enlarge d’un pas violent. L’œil courroucé, la lèvre amère, il pritles devants et, tout de suite, il attaqua :

– Eh ! bien, vous avez entendu votre illustrissimesignora Fausta ? Que l’enfer l’engloutisse !… Ah !je vous fais mon compliment, madame !… Ah ! Dioporco, la jolie négociation que vous aviez entrepriselà ! Une alliance avec Fausta, disiez-vous, devait avoir lesrésultats les plus féconds, les plus merveilleux pour nous !…Christaccio ! il est fameux le résultat !… Mevoici avec un ennemi de plus sur le dos… et quel ennemi !…

Il parla longtemps ainsi, avec une mauvaise foi froidementcalculée, l’accablant de reproches violents qu’il savaitparfaitement injustifiés.

Elle l’écoutait de son air profondément sérieux. Ses yeuxlumineux le couvaient d’un regard de tendresse passionnée, maiselle n’eut pas un mot, pas un geste pour interrompre le flux desrécriminations et des reproches immérités. Elle savait que tout cequ’il disait n’avait qu’un but : l’empêcher de dire, elle, cequ’elle avait à dire, en faisant dévier la discussion. Et elle lelaissait aller, sachant bien qu’il finirait par s’arrêter toutseul. Ce fut ce qui arriva, en effet. Ne rencontrant pas la moindrecontradiction, Concini se trouvant bientôt à bout d’arguments,obligé de se taire.

Alors, elle parla à son tour. Et, sans colère, lentement,froidement :

– Vous ne m’aviez jamais dit, Concini, que vous aviez eu unenfant avant notre mariage, dit-elle.

Concini se vit acculé à l’explication redoutée. Ils’emporta :

– Sangue della Madonna, pourquoi vous l’aurais-jedit ?… Quand je vous ai épousée, vous saviez, j’imagine, queje n’étais pas un coquebin ayant encore sa fleurd’innocence !… Votre insupportable jalousie va-t-elle semettre maintenant à fouiller ma vie de garçon, pour me reprocherdes fredaines, qui datent d’une époque où nous ne nous connaissionsmême pas ?…

Léonora ferma les yeux et frissonna douloureusement. Sa jalousieféroce ne pouvait même pas supporter l’allusion à des écarts quiétaient antérieurs à son mariage avec Concini. Et elle avouafranchement :

– C’est vrai, mon Concinetto, je t’aime tant que je suisjalouse, même de ce que tu as pu faire avant de me connaître. Maistu me rendras cette justice, que je ne t’ai jamais fait aucunreproche sur ce passé qui ne m’appartient pas, je le reconnais.

– Alors, n’en parlons plus, trancha brutalement Concini, etsurtout ne m’assommez pas de vos reproches.

– Ce que je vous reproche, Concino, c’est de m’avoir cachéune chose aussi grave : la naissance d’un enfant de vous et deMaria… De Maria ! qui l’eût dit ?…

– Eh ! Christaccio ! gronda Concini,pourquoi vous en aurais-je parlé, puisque cette enfant estmorte !

Il s’était arrêté devant elle, comme pour la narguer. Elle seleva lentement, posa la main sur son bras qu’elle serra avec force,et l’enveloppant des magnétiques effluves de son regard de flamme,d’une voix sourde, elle murmura :

– Êtes-vous bien sûr qu’elle est morte, Concino ?

Concini tressaillit : un sinistre pressentiment s’abattitlourdement sur lui. Mais se secouant :

– Parbleu ! fit-il avec force.

– Et moi, gronda Léonora d’une voix plus basse et enresserrant son étreinte, et moi, je te dis que tu te trompes,Concino : elle n’est pas morte !

– Allons donc ! railla Concini qui s’efforçait dedemeurer incrédule, mais qui se sentait frissonner malgré lui.

– Tu te trompes répéta Léonora avec une effrayanteassurance. Et s’animant d’une voix ardente, mais si basse, qu’ildut se pencher sur elle pour entendre :

– Insensé ! on voit bien que tu ne connais pas lasignora comme je la connais, moi !… Si elle t’a parlé de lanaissance de cette enfant, si elle t’a menacé de divulguer cettenaissance et de déchaîner cet affreux scandale qui peut nousbalayer tous, c’est qu’elle sait que l’enfant existe, elle sait oùla trouver, elle.

– C’est impossible ! frémit Concini. Landry Coquenardn’était pas un traître alors. Je suis sûr qu’il a exécuté mesordres.

– Ce Landry Coquenard s’est avisé d’avoir des scrupules etde faire baptiser l’enfant avant de la noyer. Tu ne savais pascela, toi. La signora le savait, elle. Et moi, je te dis que ceLandry Coquenard a poussé ses scrupules jusqu’au bout : aprèsavoir arraché l’enfant aux éternels tourments du purgatoire en luifaisant administrer le baptême, il l’a également arraché à la mort.Ceci est aussi vrai qu’il est vrai que le jour nous éclaire. Ettiens, une autre preuve.

La signora t’a promis de garder ton secret et de ne pas seservir de l’arme formidable qu’elle a entre les mains. Elle ne mentjamais, la signora. Mais elle a des manières à elle de dire lavérité. Pourquoi t’a-t-elle fait cette promesse rassurante qu’elletiendra à sa manière ? Parce que ce n’est pas elle quidéchaînera le scandale, c’est l’enfant qu’elle aura armée etqu’elle lâchera sur toi. Et ceci, si tu veux bien réfléchir, estautrement formidable que si la signora agissait elle-même :toutes les âmes sensibles se mettront du côté de l’enfant qui sedressera en justicier devant son père et sa mère… le père et lamère dénaturés qui ont voulu la meurtrir.

– Diavolo ! diavolo ! murmura Concinitout pâle et en tortillant nerveusement sa moustache, quefaire ?

Une lueur de triomphe passa dans les yeux noirs de Léonora. Etavec une expression d’implacable résolution, elleprononça :

– Chercher cet enfant, la trouver, la saisir. Je m’encharge. J’ai des soupçons, de vagues indications au sujet de cetteenfant. Si je ne me suis pas trompée, mes recherches ne seront paslongues. Avant quarante-huit heures, elle sera en notrepouvoir.

– Et quand nous la tiendrons, rayonna Concini déjà rassuré,nous saurons bien l’empêcher de parler ! C’est une excellenteidée, cara mia !

Elle vit qu’il n’avait pas compris. Elle ne broncha pas, elleapprouva doucement :

– C’est cela, Concino, nous saurons l’empêcher de parler,nous ! Et le fascinant du regard, avec un sourire terrible,une lenteur effroyable, elle insinua :

– Mais rappelle-toi, Concino, qu’il n’y a que les morts quine parlent pas.

Cette fois, Concini ne pouvait pas ne pas comprendre. Il recula,livide, hagard, épouvanté.

Elle, elle le tenait toujours sous la puissance de son regard defeu, s’efforçant de faire passer en lui cette volonté de meurtrequi était en elle. Concini ne se débattit pas longtemps. Il y eutentre eux une minute de silence formidable, au bout de laquelle ilcapitula.

– Que dira la mère ? fit-il d’une voix sourde,étranglée. Car enfin, nous ne pouvons pas lui laisser ignorer…

– Je me charge de Maria, interrompit vivement Léonora. Jelui parlerai. Je lui ferai comprendre.

Concini eut une suprême hésitation. Et jetant bas, brusquement,les derniers scrupules, il consentit :

– Je m’en rapporte à toi.

C’était la condamnation à mort de sa fille qu’il prononçait là,et il le savait bien. Mais ne l’avait-il pas pareillement condamnéele jour où elle était venue au monde ? Seulement, cettefois-ci, c’était sa femme qui se chargerait d’exécuter la sentence.Elle ne montrerait pas, elle, les mêmes scrupules qu’avait montrésce sacripant de Landry Coquenard.

Léonora enregistra l’ordre de mort d’un léger mouvement de tête.Un sourire livide glissa sur ses lèvres. Ce fut la seulemanifestation de joie de la victoire qu’elle venait de remportersur lui qu’elle se permit.

Comme si de rien n’était, elle reprit, et cette fois sa voixvibra comme une trompette guerrière :

– Je me charge également de la signora. Laisse-la faire,Concino, je suis là, moi, et elle ne me fait pas peur !… Ellebaisse, d’ailleurs, la signora : son histoire de scandaleétait bien imaginée, mais n’est plus à redouter pour nous, puisquenous y avons paré. Le reste n’est que pauvreté. Son histoire avecAngoulême, n’est que le recommencement de ce qu’elle a fait avecGuise. Cela ne lui a guère réussi pourtant. Oui, décidément, ellebaisse… Laisse-la faire, laisse-les faire : Fausta, Angoulême,Guise, Condé, Luynes, tous, laisse-les faire tous, te dis-je…Puisqu’il s’agit de ton bonheur et de ta vie, je me sens de tailleà leur tenir tête à tous et à les battre les uns après les autres.Laisse-les faire, ce trône qu’ils convoitent, ils ne l’auront pas…Il t’appartient… Tu l’auras.

Dans un geste de passion, elle lui jeta les bras autour du cou,l’étreignit avec frénésie, plaqua un baiser violent sur ses lèvreset le lâchant :

– Je vais voir Maria, dit-elle.

Et lente, silencieuse, elle se retira sans bruit, pareille à unêtre des ténèbres qui retourne à ses ténèbres.

Et, en glissant dans l’ombre d’un couloir, ellesongeait :

« Stocco m’a dit que cette petite bouquetière que Concinoaime, s’en va tous les matins porter des fleurs à l’hôtel deSorrientès où elle reste de longs moments… plus longtemps qu’il neconvient à un marchand venant de livrer sa marchandise… J’ignoraisalors que la signora et la duchesse de Sorrientès ne sont qu’uneseule et même personne, et je n’avais pas prêté à ce détaill’attention qu’il mérite… Aujourd’hui, je sais… Et je me demandepourquoi la signora, qui ne fait jamais rien sans bonnes raisons,attire ainsi cette jeune fille chez elle ?… Pourquoi ?…Si c’était elle, pourtant, la fille de Maria et de Concini ?…Oui, si c’était elle ! »

Son esprit toujours en éveil parti sur cette piste, elle ne lalâcha plus, la tourna dans tous les sens. Mais elle avait aussi sonidée de derrière la tête qu’elle ne lâchait pas non plus et àlaquelle elle revint en se disant :

« Il faudra que j’éclaircisse cela… En attendant, j’aipromis à Concino que sa fille serait en notre pouvoir dansquarante-huit heures. Eh bien, sa fille, ce sera la petitebouquetière. Elle ne l’est peut-être pas, mais ceci importe peu.L’essentiel est qu’il le croie, lui, et qu’il agisse comme il estconvenu… Ainsi serai-je débarrassée d’elle. »

Elle réfléchit encore un instant, et avec cette froiderésolution qui la faisait si redoutable, elle trancha :

« Il le croira… Et il agira. »

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