La Fin de Pardaillan

Chapitre 27PARDAILLAN ET FAUSTA

Elle se leva et, de cette allure majestueuse qui lui était bienpersonnelle, elle se dirigea lentement vers la porte derrièrelaquelle se tenait Pardaillan.

« Oh ! diable, songea le chevalier, elle vientici ! M’aurait-elle éventé ? »

Fausta et d’Albaran avaient si bien joué leur rôle quePardaillan ne s’était pas aperçu qu’il était découvert. Il croyaitque c’était un hasard malencontreux qui l’amenait dans ce réduit.Comme il ne voulait pas se faire prendre sur le fait, parce qu’ilvoyait bien que l’entretien entre le duc et Fausta n’était pasterminé et qu’il voulait entendre la suite, il recula, sauta sur laporte d’un bond souple et silencieux.

« Tiens ! on l’a fermée du dehors ! se dit-il. Etje n’ai entendu aucun bruit !… »

Il ne fut pas autrement ému. Et avec un de ces souriresrailleurs qui n’appartenaient qu’à lui :

« Je comprends : je suis pris… Je gage que le billetque cette espèce de géant vient de remettre à Fausta lui signalaitma présence en ce réduit. Il s’agit de faire bonne contenance… etde se tirer de là, si c’est possible. »

Il se retourna et fit face à la porte qu’il venait de quitter.En même temps, d’un geste vif, il rejetait le manteau sur l’épaulepour avoir la liberté de ses mouvements, et s’assurait que larapière jouait bien dans le fourreau en murmurant :

– Il va falloir en découdre.

Fausta arriva à la porte, la tira à elle, l’ouvrit toute grande.Le réduit qui jusque-là était obscur se trouva éclairé par lescires du cabinet. Fausta n’entra pas. Gracieusement, elleinvita :

– Entrez donc, Pardaillan. Ce n’est pas là la place d’unhomme comme vous.

Elle souriait de son sourire le plus engageant et, du geste,elle l’invitait toujours à entrer.

Pardaillan se découvrit et salua en un geste large, un peuthéâtral, et remercia :

– Mille grâces, princesse.

Il entra. Et, très à son aise, avec un sourirenarquois :

– Il est de fait que je sentais bien que je n’étais pas àma place. Mais que voulez-vous, princesse, je ne pouvais décemmentpas vous demander de m’admettre à l’honneur de votre illustrecompagnie.

– Pourquoi donc ? dit Fausta toujours gracieuse.

Et très sérieuse :

– Je vous assure, Pardaillan, que si vous m’aviez dit quevous désiriez assister à l’entretien que j’allais avoir avecM. le duc d’Angoulême, je me serais fait un devoir et unplaisir de vous satisfaire.

– Je n’en doute pas, madame, puisque vous le dites,répliqua Pardaillan, aussi sérieux qu’elle.

Et reprenant son sourire railleur :

– Seulement, j’eusse été alors bien attrapé ; vousn’eussiez certainement pas prononcé aucune des paroles que j’ai purecueillir derrière cette porte.

Fausta approuva doucement de la tête.

Il y eut un silence entre eux, pendant lequel ils sedétaillèrent en souriant tous les deux. À les voir ainsi paisibles,on eût dit deux bons amis heureux de se retrouver. Et cependantPardaillan, qui n’avait jeté qu’un coup d’œil distrait autour delui, qui ne paraissait pas avoir remarqué la présence du ducd’Angoulême et de d’Albaran, Pardaillan avait déjà étudié la piècedans laquelle il se trouvait, avait noté ce qui pouvait le gêner etce qui pouvait le servir en cas d’attaque, et, le poing sur lagarde de la rapière, en un geste nullement provocant, très naturel,il se tenait prêt à dégainer, attentif sans en avoir l’air,s’attendant à tout.

Le duc d’Angoulême était demeuré d’abord suffoqué par lasoudaine apparition de Pardaillan qu’il était à mille lieues desupposer si près de lui. Il s’était remis assez vite cependant.Mais comme Fausta avait aussitôt engagé la conversation avecPardaillan, il s’était tenu poliment à l’écart. Devant leursilence, il jugea qu’il pouvait intervenir. Il s’avança vivement,la main tendue, la mine épanouie, en disant :

– Pardaillan, mon ami, mon frère, que je suis donc heureuxde vous voir !

Pardaillan, sans desserrer les dents, s’inclina froidement, dansune révérence cérémonieuse. La joie sincère du duc tombabrusquement. Il avait compris.

– Eh ! quoi, fit-il sur un ton de douloureux reproche,est-ce ainsi que vous m’accueillez, Pardaillan ? Ne voyez-vouspas que je vous tends la main ?

– C’est bien de l’honneur que le futur Charles X fait à unpauvre diable tel que moi, répondit enfin Pardaillan d’une voixglaciale.

Mais il ne prit pas la main qui se tendait vers lui.

Le duc se mordit les lèvres jusqu’au sang. Son visage, qui étaitde cette pâleur mate particulière aux gens qui ont longtemps vécudans un cachot, s’empourpra un instant et redevint presque aussitôtun peu plus pâle qu’avant. Pourtant il ne se fâcha pas. Mais il sefit froid à son tour pour demander :

– Allons-nous donc devenir ennemis ?

– Cela ne dépendra que de vous, répliqua Pardaillan,toujours glacial.

Et revenant aussitôt à Fausta :

– Ne vous semble-t-il pas, madame, qu’un entretien estnécessaire entre nous ?

– Cela me paraît indispensable, appuya Fausta.

Sans plus tarder, à d’Albaran qui se tenait à l’écart, immobileet raide comme un soldat à la parade, elle commanda :

– D’Albaran, éclaire-nous jusqu’au cabinet de la tour ducoin. Et, se tournant vers Pardaillan, elle expliqua :

– Vous m’avez prouvé qu’il est vraiment trop faciled’approcher de cette pièce et de surprendre ce qu’on y dit. Je nem’y sens plus en sûreté. C’est pourquoi je veux vous emmener dansce cabinet de la tour du coin, où je suis sûre que nul ne pourraentendre ce que nous allons dire qui doit demeurer entre nous.

– Ici ou là, peu importe, pourvu que nous puissions nousexpliquer consentit Pardaillan en levant insoucieusement lesépaules.

Muet et flegmatique, comme à son ordinaire, d’Albaran avait déjàpris un flambeau, poussé une porte et attendait. Sur un signe deFausta, il prit les devants. Dans la pièce où il passa, et où ilsle suivirent, douze gentilshommes, l’épée au poing, se tenaientimmobiles et silencieux, barrant le passage. À leur tête, commeleur chef, l’épée au poing comme eux, impassible et raide commeeux, se tenait Odet de Valvert. Ce groupe avait on ne sait quoi demenaçant et de formidable.

D’Albaran s’arrêta à deux pas de Valvert, qui ne bougea pas, quine regarda pas Pardaillan, lequel, de son côté, ne parut pas leconnaître. Le colosse tourna la tête vers Fausta qui s’étaitarrêtée aussi, immobilisant ainsi le chevalier et le duc, entrelesquels elle se tenait. Et il la regarda d’un air satisfait, commepour dire : « Voilà une partie des mesures que j’avaisprises. »

Et Fausta, qui comprit, sourit, approuva doucement de la tête.Et elle se tourna vers Pardaillan, le considéra avec un sourireaigu, d’un air de dire : « Qu’enpensez-vous ? »

Mais Pardaillan n’était pas homme à se laisser intimider sifacilement. Pardaillan se disait :

« Parbleu ! je sais bien que la bataille serainévitable ! Et du diable si je sais comment j’en sortirai, nisi j’en sortirai !… Mais je sais aussi que Faustan’entreprendra rien contre moi tant que nous ne nous serons pasexpliqués et qu’elle n’aura pas appris ce que je peux bienconnaître de ses projets. »

De ce raisonnement, d’ailleurs très juste, il résulta quePardaillan, au sourire de Fausta, répondit par un haussementd’épaules dédaigneux et un sourire narquois. Et comme il n’étaitpas, lui, l’homme des mystères et des sous-entendus, à la questionmuette, il répondit tout haut, de sa voix mordante :

– Je vois. Peste ! je ne suis pas encore aveugle.

Et de son air le plus naïf, comme s’il faisait un complimentflatteur :

– Je vois que, mieux que quiconque, vous vous entendeztoujours à dresser un guet-apens.

Fausta ne sourcilla pas. Son sourire se fit plus acéré. Et commesi elle tenait ces paroles cinglantes pour un compliment véritable,elle remercia d’une gracieuse inclinaison de tête. Après quoi, ellefit un signe à Valvert.

Celui-ci, comme ses douze gentilshommes, se tenait impassible,comme il convient à un soldat sous les armes.

Obéissant à l’ordre que Fausta venait de lui donner, il seretourna vers ses hommes et, d’un geste de l’épée, il commanda unemanœuvre. Obéissant à leur tour, les douze s’écartèrent avec uneprécision toute militaire, formèrent la haie, saluèrent del’épée.

En passant, Pardaillan rendit poliment le salut. Mais avant defranchir le seuil, il se retourna et, de sa voix railleuse, illança :

– À tout à l’heure, messieurs.

À la suite de d’Albaran, qui éclairait la marche, ils parvinrentdans la pièce choisie par Fausta sans rencontrer personne sur leurchemin. Pendant que d’Albaran allumait les cires avant de seretirer, Pardaillan, sans s’arrêter aux merveilles d’art accumuléeslà comme partout ailleurs, étudiait la disposition des lieux d’uncoup d’œil rapide. La pièce, de dimensions moyennes, était ronde.Nous avons dit qu’avant de frapper à la porte, Pardaillan avaitfait le tour de l’hôtel en étudiant l’extérieur comme il étudiaitmaintenant l’intérieur. Et il avait très bien remarqué que, parmiles nombreuses tours qui hérissaient l’immense construction, il nes’en trouvait qu’une de ronde. Cette tour ronde se dressait, face àla rivière, à l’angle du : cul-de-sac et de la ruede Seyne, laquelle, à proprement parler, n’était qu’un chemin assezétroit, où poussait une telle profusion d’orties qu’on devait luidonner, quelques années plus tard, le nom de rue desOrties[5] .

En entrant dans ce cabinet rond, Pardaillan vit donc tout desuite où il se trouvait. Ce cabinet n’avait que deuxouvertures : une étroite fenêtre et la porte par où ilsvenaient d’entrer. Disposition à la fois rassurante et inquiétante.Rassurante, parce qu’il ne pouvait y avoir là de porte secrète paroù on lui tomberait dessus à l’improviste. Inquiétante, parce que,en cas de bataille en cet endroit, toute retraite lui étaitinterdite. Mais peut-être Pardaillan, qui calculait tout avec cesang-froid et cette lucidité si extraordinaire, se disait-il que labataille, qui lui paraissait de plus en plus inévitable,n’éclaterait qu’à sa sortie de cette manière d’énorme puits queformait le cabinet rond.

Les sièges – des fauteuils larges, profonds, massifs – étaientdisposés d’avance. Fausta désigna un de ces fauteuils à Pardaillanet s’assit en face de lui, tandis que Charles d’Angoulême prenaitplace à côté d’elle. Ce fut avec un sourire de satisfaction quePardaillan s’assit dans le fauteuil qu’elle lui avait indiquépeut-être dans l’intention de le rassurer. Ce fauteuil faisait faceà l’unique porte qu’il pouvait ainsi surveiller. Ce qui,d’ailleurs, acheva de le confirmer dans cette idée qu’il avait quece n’était pas dans ce cabinet qu’il aurait à en découdre. Et cefut lui qui, dès qu’ils eurent pris place, attaqua sans plustarder. Et il le fit avec sa franchise et sa décision accoutumées,allant droit au but, sans feintes ni détours :

– Ainsi donc, dit-il, vous n’avez pu, madame, vous guérirde cette maligne maladie qui s’appelle l’ambition ?… C’estvraiment fâcheux. Ce qui est encore plus fâcheux, c’est que vousayez jugé à propos de revenir en France, à Paris, dans l’intentiond’y recommencer contre le roi Louis XIII – un enfant ! – enfaveur de Mgr le duc d’Angoulême, ici présent, les mêmes manœuvresque vous fîtes autrefois contre le roi d’alors, Henri III, enfaveur du duc de Guise, à qui, soit dit en passant, cela ne profitaguère. Oui, ceci est vraiment fâcheux pour moi.

Il disait cela en souriant de son sourire narquois, de son airmoitié figue, moitié raisin qui ne permettait pas de démêler s’ilplaisantait ou s’il parlait sérieusement. Comédienne géniale auxtransformations variées à l’infini, Fausta se mit instantanément àson diapason. Et ce fut en souriant, sur un ton mi-sérieux,mi-plaisant, qu’elle s’informa :

– Fâcheux pour vous ?… Eh ! mon Dieu, en quoi,chevalier ?

– Comment, en quoi ?… s’indigna Pardaillan. Mais enceci, madame, que me voilà, moi, de ce fait, obligé de reprendre leharnais de bataille, alors que je croyais avoir acquis le droit deme reposer ! Comme autrefois, quand vous souteniez Guise, mevoilà contraint de reprendre la lutte contre vous !

– Est-ce bien nécessaire ? interrompit Fausta.

– Tout à fait indispensable, madame, tranchapéremptoirement et très sérieusement Pardaillan.

Et reprenant aussitôt son ton railleur :

– Corbleu, madame, croyez-vous qu’il est donné à beaucoupde personnes de pouvoir se baigner dans les eaux régénératrices dela miraculeuse fontaine de jouvence ? Vous êtes une des trèsrares privilégiées à qui cette bonne fortune est échue. C’estpourquoi vous êtes et demeurerez éternellement, sans doute, lajeunesse et la beauté. C’est pourquoi vous avez gardé cettemerveilleuse vigueur du corps et de l’esprit qui ignore la fatigueet vous permet d’entasser combinaison sur combinaison sans jamaisvous lasser ni vous rebuter. Mais moi, madame !… Ah !misère de moi, j’ai soixante-cinq ans, madame. Regardez-moi. Jesuis vieux, fourbu, perclus de corps et d’esprit. Je suis usé,vidé, fini. Vous ne ferez qu’une bouchée de moi, je le sens bien…Et vous ne voulez pas que je dise que c’est fâcheux pourmoi !…

En raillant ainsi, Pardaillan se montrait si beau de vigueurjuvénile que Fausta et Charles d’Angoulême ne purent s’empêcher del’admirer.

– Vous exagérez beaucoup, heureusement pour vous, ditFausta. Et vous dites qu’il est indispensable que vous repreniez lalutte contre moi, comme autrefois ?

– Tout à fait indispensable, confirma Pardaillan, sur lemême ton péremptoire.

Fausta demeura un instant rêveuse. Et se faisant subitementsérieuse :

– Voilà qui me confond, dit-elle. Autrefois, vous vous êtesmis contre moi. Vous m’avez même vaincue, vous avez ruiné de fonden comble toutes mes espérances… Je ne récrimine pas, chevalier, jerends hommage à votre valeur, voilà tout. (Pardaillan salua.) Jecomprends que vous ayez agi comme vous avez fait. Je favorisaisGuise, et vous, vous lui vouliez la malemort… Vous la lui vouliezsi bien qu’après avoir ruiné toutes ses ambitions, vous avez finipar le tuer en loyal combat. Oui, je comprends cela… Aujourd’hui,je favorise M. le duc d’Angoulême… Le duc d’Angoulême qui estde vos amis, et des meilleurs. Et vous me dites qu’il estindispensable que vous vous mettiez contre moi, contre lui parconséquent, puisque je ne vise que la grandeur et la prospérité desa maison. Cela, je ne le comprends plus.

– En résumé, sourit Pardaillan, vous me demandez quellessont les raisons qui me mettent dans la nécessité de me dressercontre vous. Ces raisons sont multiples. Et je vais vous lesdévelopper les unes après les autres, au hasard, comme elles seprésenteront à mon esprit.

– Je vous écoute, dit Fausta très attentive.

– Et d’abord, commença Pardaillan qui se fit sérieux commeelle, je prétends que vous ne visez nullement la grandeur et laprospérité du duc d’Angoulême. Ce que vous visez, c’est votrepropre prospérité à vous, princesse Fausta.

– Voilà qui est particulier ! railla Fausta.

– Je vais vous le prouver, déclara gravementPardaillan.

Et, se tournant vers d’Angoulême, jusque-là témoin muet, maisfort attentif de cet espèce de duel à coup de langue qui venait des’engager devant lui :

– Monseigneur, tout à l’heure, j’ai entendu que vous vousengagiez d’avance à accorder à Mme Fausta une chosequ’elle vous ferait connaître la veille de votre sacre.Voulez-vous, je vous prie, demander à madame de parlersur-le-champ ?

Emporté malgré lui, d’Angoulême se tourna vers Fausta.

– Vous entendez, madame ? dit-il.

– Duc, dit Fausta sur un ton qui n’admettait pas deréplique, je parlerai quand mon heure sera venue, pas avant.

– Je parlerai donc pour vous, dit tranquillement Pardaillanqui ajouta : si, toutefois, vous voulez bien le permettre,princesse.

Le sourire aigu qui accompagnait ces paroles disait si bienqu’il était résolu à se passer de la permission demandée, queFausta se hâta d’autoriser :

– Vous savez bien, chevalier, que vous pouvez vouspermettre tout ce que vous voulez.

– Mille grâces, madame, remercia Pardaillan. Et revenant àCharles d’Angoulême :

– La veille de votre sacre – c’est-à-dire quand vouscroirez tenir la toute-puissance – ce jour-là seulement,Mme Fausta vous dira : « Part à deux.Avant le sacre, une messe de mariage… le mariage de la princesseFausta et du duc d’Angoulême… »

– Mais je suis marié ! interrompit Charles.

– C’est ce que vous direz à Mme Fausta,voulez-vous dire ? Alors, Mme Fausta sortiraune bulle du pape cassant votre mariage actuel. Une bulle qu’elleobtiendra, n’en doutez pas, qu’elle a peut-être déjà obtenue.

– Mais j’aime toujours Violetta !…

– Direz-vous encore… Mme Fausta vousdémontrera clair comme le jour que l’amour est incompatible avecl’ambition.

– C’est impossible !…

– Direz-vous toujours… Alors Mme Faustavous prouvera qu’elle peut détruire en un tournemain tout l’ouvragefait par elle-même. Elle vous prouvera qu’elle peut, d’un geste,vous précipiter du haut des cimes vertigineuses dont elle vous aurafacilité l’escalade. Et notez qu’elle ne mentira pas. Sur lesmarches de ce trône où elle vous aura hissé, vous serez dans samain, à sa merci. Elle pourra, si vous vous soumettez, vous asseoirsur ce trône et vous y maintenir. Elle pourra, si vous vousrévoltez, vous briser sans pitié.

Effaré par ces révélations inattendues et par l’assurance quemontrait Pardaillan, Charles regardait Fausta finement, comme s’ilattendait d’elle un démenti. Mais Fausta se taisait. Sous son calmede commande, la tempête grondait. Elle rugissait enelle-même :

« Oh ! démon !… Démon d’enfer !… Commenta-t-il pu me deviner ainsi ? »

Un silence tragique plana une seconde sur ces trois personnages.Pardaillan reprit :

– Ce trône de France que Mme Fausta vousoffre, elle ne vous le donnera que si elle doit le partager avecvous. Et ceci vous explique pourquoi elle s’est si bien démenéequ’elle a obtenu du roi d’Espagne qu’il se contentât d’un traitéd’alliance, sans exiger la moindre cession de territoire :elle défendait son bien à venir. Maintenant, si je me suis trompé,dites-le, madame. Comme je sais que vous ne vous donnez jamais lapeine de mentir, je vous croirai sur parole et je vous ferairéparation.

Fausta avait bien envie de soutenir qu’il s’était trompé. Ellesentait peser sur elle son clair regard. Elle ne voulut pas sediminuer à ses yeux. Elle brava :

– Vous ne vous êtes pas trompé. Mais, ce trône que j’auraiaidé à conquérir, n’est-il pas juste, légitime, que je le partageavec celui à qui je l’aurai donné ?

Sans répondre à cette question, Pardaillan s’adressa de nouveauau duc et, la lèvre ironique, les yeux pétillants demalice :

– Vous voyez, monseigneur, que je ne vous combats pas,comme le prétendait tout à l’heure Mme Fausta.C’est elle que je combats et non vous. Je ne suis pas votre ennemi.Tout bien considéré, j’estime, au contraire, que j’agis en amiloyal et fidèle que j’ai toujours été en m’efforçant de l’empêcherde vous entraîner dans de louches combinaisons indignes, je nedirai pas du fils de roi que vous êtes, mais simplement d’unhonnête homme. N’êtes-vous pas de cet avis ?

Charles d’Angoulême baissa la tête sans répondre. Ce silencesignificatif fit froncer légèrement le sourcil à Pardaillan, tandisqu’il amenait un imperceptible sourire sur les lèvres de Fausta.Tous les deux comprenaient que s’il se taisait, c’est que cettehonnêteté à laquelle le chevalier faisait appel était à moitiéétouffée en lui par l’ambition. Ils comprirent cela tous les deuxet c’est pourquoi Fausta continua de sourire tandis que Pardaillanredevenait froid. Voyant que le duc persistait dans son silence, lechevalier n’insista pas. Comme si de rien n’était, il revint àFausta :

– Voici une des raisons qui font que je suis contre vous.Rien ne me paraît aussi méprisable que l’abus de la force. Je n’aijamais pu voir des malandrins assaillir un inoffensif passant pourle dévaliser sans éprouver l’irrésistible besoin de leur tomberdessus à bras raccourcis. Excusez-moi, princesse, si la comparaisonn’est pas flatteuse pour vous. Elle est exacte, et cela suffit.

– Sauf que l’inoffensif passant dont vous parlez est unroi, rectifia Fausta avec un sourire livide.

– Un enfant, madame, rectifia à son tour Pardaillan. Unmalheureux enfant, faible, abandonné, trahi, pillé sans vergognepar tous… À commencer par sa mère. Voilà ce que je vois qu’il est,moi, le pauvre petit Louis treizième.

– En sorte que s’il était un homme fait, de taille à sedéfendre, vous le laisseriez se débrouiller tout seul ?

– Entendons-nous, madame : s’il s’agissait d’une lutteau grand jour, à armes loyales et pour une cause honorable, tenezpour assuré que je ne songerais nullement à intervenir. Mais cen’est pas de cela qu’il est question. La lutte que vous engagez estténébreuse, sournoise, traîtresse. Le mobile qui vous guide estmisérable, honteux. Comme le malandrin dont je parlais tout àl’heure, vous attaquez par-derrière pour ravir sa bourse à votrevictime… Toute la différence consiste en ce fait que la bourse dontil s’agit est un royaume… Encore le malandrin en question secontente-t-il d’un coup de poignard qui ne tue pas toujours et, entout cas, ne déshonore pas. Mais vous, madame, ce que vous voulezfaire pour vous approprier cette bourse convoitée, non, vraiment,c’est par trop laid.

Les dernières paroles prononcées par Pardaillan firent dresserl’oreille à Fausta. Et sans rien laisser paraître de l’inquiétudequi commençait à s’insinuer en elle, elle s’informa :

– Comment pouvez-vous dire si ce que j’ai l’intention defaire est beau ou laid, puisque vous l’ignorez ?

– Erreur, madame. Je sais très bien, au contraire, ce quevous allez faire, affirma Pardaillan avec une assurancedéconcertante.

– Vous savez ce que je vais faire ? insistaFausta.

Elle savait pourtant bien à quel homme extraordinaire elle avaitaffaire. Elle savait qu’il ne mentait jamais et qu’il n’avait pasl’habitude de se vanter. Elle savait que s’il disait qu’ilconnaissait ses projets, c’est qu’il les connaissait en effet.Malgré tout, ce qu’il affirmait lui paraissait tellement prodigieuxqu’elle ne pouvait pas le croire.

Pardaillan la connaissait bien, lui aussi. Il devina sonincrédulité plutôt qu’il ne la vit, plus que jamais elle s’abritaitderrière le masque qui la faisait impénétrable. Comme si c’était lachose la plus simple du monde, il assura :

– Je vais vous le dire.

Et s’adressant à Charles d’Angoulême :

– Écoutez bien ceci, monseigneur : il paraît que lareine régente, Marie de Médicis, quand elle était encore jeune, aeu un amant. Cet amant, c’était Concino Concini. De cette liaison,une fille est née, dont les parents ont voulu se débarrasser par unmeurtre. Mme Fausta a découvert cette affaire. Elles’est procuré l’acte de baptême de cette enfant. Cet acte, elle l’afait falsifier en y faisant figurer le nom de la mère en touteslettres. De plus, elle a sous la main deux témoins qui attesteront.Armée de cette preuve, avec l’appui de ces deux témoignages, elleentend déchaîner un scandale inouï, submerger le trône sous desflots de boue tels que le petit roi Louis XIII et sa famille enseront étouffés. Voilà, dans ses grandes lignes, la combinaison deMme Fausta. Je lui laisse le soin de vous enrévéler les détails. Cependant, afin de prouver àMme Fausta que je suis au courant même des détails,je veux ajouter ceci : la fille de Marie de Médicis et deConcini n’est pas morte, comme le croient ses parents. C’est cettejeune bouquetière des rues que les Parisiens appellent Muguette ouBrin de Muguet, que Mme Fausta a attirée chez elle,et dont elle a entrepris de faire la conquête en vue de lui fairejouer un rôle odieux dans le sombre drame qu’elle a machiné detoutes pièces. Ce en quoi elle pourrait bien ne pas se montreraussi docile qu’elle le pense à ses suggestions. Pour ce qui est devous, monseigneur, consultez votre conscience. Je ne doute pasqu’elle ne vous dise qu’un homme de cœur ne saurait, sans sedéshonorer, se faire le complice de pareilles machinations. Etrevenant à Fausta de sa voix glaciale, il acheva :

– Vous voyez, madame, que je connaissais à merveille vosprojets, et que je me suis montré très indulgent en disantsimplement qu’ils sont laids.

De le voir si bien renseigné, Fausta fut si atterrée qu’elle enlaissa un instant tomber son masque. Les yeux dilatés, d’une voixsi rauque qu’on avait peine à concevoir que ce pût être la mêmevoix qui se montrait d’ordinaire si harmonieuse et si prenante,elle gronda :

– Oh ! démon, démon !… Comment as-tuappris ?… C’est Satan qui t’a renseigné ?…

Elle paraissait si bien croire à une intervention de l’enfer quePardaillan sourit :

– Eh ! madame, il n’y a ni magie ni sortilège,là-dessous. Et levant les épaules, de son air railleur :

– Si je suis si bien renseigné, c’est que vous avez pris lapeine de me renseigner vous-même.

– Moi ! sursauta Fausta… où ?… quand ai-jepu ?

Et, illuminée par une inspiration subite :

– Oh ! est-ce que par hasard ?…

– Vous y êtes, sourit de nouveau Pardaillan. J’ai assisté,ce matin, à votre entretien avec Concini.

Déjà Fausta s’était ressaisie. Elle fixa sur lui un long regardd’admiration qu’elle ne chercha pas à dissimuler et, de sa voixredevenue douce :

– Pourtant vous n’étiez pas à Paris, hier… Vous pensez bienque je me suis inquiétée de vous…

– Je m’en doute. Je suis arrivé ce matin, madame.

Fausta le regarda encore avec le même air d’admiration etprononça simplement :

– Prodigieux !…

Mais ce mot, à lui seul, exprimait tant d’émerveillement sincèreque Pardaillan s’inclina comme il eût fait devant le compliment leplus flatteur. Cependant qu’elle songeait :

« Quel homme ! L’âge n’a eu aucune prise sur lui.C’est toujours l’homme d’action aux résolutions foudroyantes misesà exécution avec la rapidité de la foudre. Il est de retour depuisce matin seulement, et déjà il m’a percée à jour et il se dressedevant moi. Si je le laisse faire, il en sera de cette fois-cicomme des autres : il me battra, comme il m’a toujours battuedans toutes nos rencontres… s’il ne me tue pas cette fois-ci.J’hésitais à le frapper. J’avais tort. Puisque je le tiens ici,chez moi, il ne faut pas qu’il en sorte vivant. Il n’en sortirapas. »

Ayant pris cette résolution, elle sourit et, sans songer lemoins du monde à nier, avec cette aisance incomparable quiattestait qu’elle se croyait, comme elle l’avait dit elle-même,« au-dessus des lois et des préjugés qui régissent le troupeaudes humains », voulant éclaircir un point auquel elleattachait une certaine importance, elle interrogea :

– Vous étiez donc au courant de la naissance mystérieuse decette fille naturelle de Concini ?

– Pas le moins du monde, répondit Pardaillan avec safranchise accoutumée. Je ne connais cette histoire que par ce quevous en avez dit à Concini et que j’ai entendu.

– Alors, s’étonna Fausta, comment savez-vous que cetteenfant vit encore et qu’elle s’appelle Brin de Muguet ? Carenfin je ne l’ai pas nommée. Et à Concini, qui la croit morte, jen’ai rien dit qui fût de nature à le détromper…

Complaisamment, Pardaillan expliqua :

– C’est exact, madame. Et j’avoue que, ce matin, l’idée nem’est pas venue que cette enfant pouvait être vivante encore. Maistout à l’heure, à M. le duc d’Angoulême, vous avez nommé lapetite bouquetière. Et vous en avez parlé dans des termes telsqu’il n’était pas besoin d’une grande pénétration d’esprit pourcomprendre que c’était elle la fille de Concini.

– Oui, convint Fausta, vous l’avez bien dit : c’estmoi-même qui vous ai si bien renseigné. Est-ce tout ce que vousaviez à me dire, chevalier ?

– Non pas, madame, fit Pardaillan, je dois encore vousfaire connaître la principale des raisons qui me mettent dans lanécessité de me faire le défenseur du petit roi Louis XIII.

– Sans doute à cause de l’affection que vous luiportez ?

– Non, madame, je ne l’aime ni le déteste, cet enfant. Ilm’est indifférent. Je ne le connais pas et je ne tiens pas à leconnaître. Mais je connaissais bien son père qui voulait bienm’honorer d’une amitié toute particulière. Or, son père, le roiHenri IV…

– Êtes-vous sûr, interrompit Fausta, que le roi Henri IVétait bien le père de Louis XIII ?

Et, avec un sourire aigu :

– Je possède deux lettres signées, l’une Marie de Médicis,l’autre Concino Concini, qui prouvent, à n’en pas douter, qu’HenriIV n’était pas le père du petit roi actuel.

Elle triomphait. Pardaillan la considéra longuement, au fond desyeux. Et, sans s’émouvoir :

– Je vous entends, fit-il. Le petit roi, et probablementaussi son frère, le petit duc d’Anjou, n’étant pas les fils d’HenriIV, il est clair qu’ils n’ont aucun droit au trône de France. C’estce que vous voulez dire, n’est-ce pas ?

– C’est ce que tout le monde dira, répliqua Fausta avecforce.

– Oui, sourit Pardaillan, et ceci complète si bien votremanœuvre, que je n’hésite pas à dire que ces deux lettres ont, detoute évidence, été écrites par la même main qui a falsifié l’actede baptême de la fille de Concini. Cela n’a aucune importance pourmoi. Ce qui importe seulement, c’est ceci : le père (ilinsistait sur les deux mots) de Louis XIII, ayant le pressentimentde sa fin prochaine, se doutant bien du déchaînement d’appétitsféroces qui se ferait autour d’un trône occupé par un enfant, m’ademandé de veiller sur son fils. J’ai promis, madame. La mort quidélie de tout, la mort seule peut empêcher le chevalier dePardaillan de tenir sa promesse.

Et revenant une fois de plus au duc d’Angoulême, d’une voix quise fit rude :

– Vous voyez, monseigneur, que si je me dresse contre vous,c’est simplement pour accomplir un devoir auquel je ne saurais medérober sans me déshonorer à mes propres yeux. Au surplus, je croisvous avoir surabondamment démontré que vous ne pouvez pas, sansvous déshonorer vous-même, vous faire le complice des abominablesmachinations de madame. Si donc vous tenez à conserver mon amitiéet mon estime, vous savez ce que vous avez à faire. Décidez-vousséance tenante… ou je croirai que l’ambition a aboli en vous toutsentiment de l’honneur.

L’élan que Pardaillan espérait encore, sans trop y compter, nese produisit pas. Le duc semblait hésiter, méditer, calculer.Fausta eut un sourire de triomphe. Pardaillan se fit de glace. Ilsavaient compris tous les deux que rien n’avait pu ébranler le duc,qu’il ne renoncerait pas. En effet, d’une voix sourde, commehonteux, il essaya de discuter :

– Vous savez bien, Pardaillan, que ce trône m’appartient.C’est mon bien que je veux reprendre.

– Je ne suis pas assez savant clerc pour discuter sur cesujet, répliqua Pardaillan. Je ne vous suivrai donc pas sur ceterrain. Mais je vous dirai ceci : en l’an 1588, alors que,pareil à un oiseau blessé, Henri III fuyait devant la tempêtedéchaînée par madame, laissant derrière lui son trône ébranlé, surle point de s’écrouler, alors que Guise, roi de Paris, n’osaitmettre la main sur ce trône et se proclamer roi de France, je vousai offert de le prendre et de vous le donner, ce trône. Vous l’avezrefusé, reconnaissant n’y avoir pas droit, attendu que, avez-vousdit, si vous étiez fils de roi, vous n’étiez pas fils de reine,vous n’étiez que le bâtard d’Angoulême.

– J’étais jeune, j’étais fou d’amour, murmura d’Angoulême,embarrassé.

Comme s’il n’avait pas entendu, Pardaillan continua, de sa voixglaciale :

– Aujourd’hui, vous voulez dérober, Dieu sait par quelsmisérables moyens, ce trône que j’eusse conquis pour vous, au grandjour à la pointe de mon épée. Or, je suis engagé d’honneur à ledéfendre. Vous allez donc me trouver sur votre chemin. Dès cetinstant nous sommes ennemis. Et dites-vous bien, monsieur, que pouratteindre votre but, il vous faudra me passer sur le corps.

Il se leva, assujettit le ceinturon d’un geste machinal, et,avec un de ces sourires aigus comme il en avait parfois, ens’inclinant galamment, comme un homme qui prend congé :

– Nous voici donc, une fois de plus, aux prises, madame. Lalutte d’autrefois, si terrible, si acharnée qu’elle fut, neparaîtra qu’un inoffensif jeu d’enfant, comparée à celle qui vientde s’ouvrir, laquelle sera la lutte finale, suprême, attenduqu’elle ne pourra se terminer que par la mort de l’un de nous.

Il ne menaçait pas, il ne semblait même pas donner unavertissement sérieux. Il constatait simplement. Et il constataitd’une manière si souverainement détachée qu’il semblait que, quantà lui, il n’accordait qu’une médiocre importance à cette luttequ’il proclamait lui-même suprême et qui ne pouvait se terminer quepar la mort d’un des deux adversaires. Et, après avoir fait cetteconstatation, simplement, comme la chose la plus naturelle dumonde, il conseilla :

– Puisqu’il est inéluctable que l’un de nous doit tuerl’autre, croyez-moi, tuez-moi… tuez-moi bien, pendant que vous metenez.

– Le conseil est bon, déclara froidement Fausta, et je lesuivrai.

– Appelez donc vos assassins, qui doivent être apostés parlà, quelque part, et finissons-en, défia Pardaillan, déjàhérissé.

– Asseyez-vous d’abord, chevalier, invita gracieusementFausta. Et elle expliqua :

– Vous m’avez dit ce que vous aviez à me dire, et je vousai écouté avec toute l’attention que vous méritiez. À mon tour, jevoudrais vous dire quelques mots.

– Comment donc, princesse, consentit Pardaillan, autant demots qu’il vous plaira. Et croyez bien que moi aussi je saurai vousécouter avec toute l’attention que vous méritez.

Il reprit place dans son fauteuil, se renversa sur le dossier,croisa la jambe, et il attendit, l’air profondément attentif. Ilétait impossible de montrer plus d’assurance calme, plus deconfiance apparente. En réalité, il se tenait plus que jamaisl’esprit en éveil et il se disait : « Elle médite quelquecoup de traîtrise. Mais quoi ? » Quand elle le vitinstallé, Fausta reprit, en gardant son air gracieux :

– Ce que j’ai à vous dire ne sera pas long. D’abord, sachezqu’il n’y a pas d’assassins apostés à votre intention ici. Et vousme connaissez assez pour savoir que si je vous le dis, vous pouvezme croire.

– Je vous crois, madame, dit sérieusement Pardaillan,puisque vous le dites. Mais vraiment, vous me voyez tout ébahi,car, soit dit sans reproche, vous ne m’avez pas habitué à tant demagnanimité.

Et en lui-même :

« Oh ! diable, voilà qui devient tout à faitinquiétant ! »

– Il n’y a là aucune magnanimité de ma part, reprit Faustaqui se fit grave. Vous m’avez donné un conseil que je jugeexcellent et que je suis toujours résolue à suivre. Seulement, jen’ai pas besoin d’assassins pour cela. Je ferai ma besognemoi-même.

– Je me disais aussi… railla Pardaillan. Et en lui-même, ilajouta :

« Attention, chevalier, c’est le moment ! Mais,mordiable, quel coup de Jarnac médite-t-elle ?…

Il avait toujours son air détaché. Cependant, d’instinct, il seredressa dans son fauteuil, attira la rapière entre ses jambes. Etses narines palpitaient, comme s’il avait cherché à découvrir parl’odeur ce coup de traîtrise qu’il sentait dans l’air et quiéchappait à son œil si perçant, à son ouïe si fine.

– Cette fois-ci, la lutte ne sera pas longue entre nous,Pardaillan, continuait Fausta.

Avec un sourire livide, elle leva lentement la main droite,comme pour mieux la montrer à Pardaillan, plus que jamais sur sesgardes, et elle acheva :

– Pour vous rejeter au néant, il suffira d’un coup de cettemain, un seul coup, comme ceci.

Elle ferma le poing sur le manche d’un poignard imaginaire. EtPardaillan, qui suivait tous ses mouvements avec une attentionaiguë, bien qu’elle n’eût aucune arme dans ce poing qu’ellebrandissait d’un air menaçant, se replia sur lui-même, se tint prêtà bondir, à parer. Elle leva le poing fermé un peu plus haut, et,comme si elle portait un coup furieux, elle l’abattit à toute voléesur le coin d’une petite table qu’elle avait à sa droite.

Au même instant, devant elle et devant Charles d’Angoulême,effaré, la partie du plancher où se trouvait le fauteuil danslequel Pardaillan était assis s’écroula brusquement. Un instant,plus rapide que l’éclair qui déchire la nue, on aperçut les braslevés du chevalier qui cherchait instinctivement à se raccrocher.Puis tout disparut : Pardaillan et l’énorme fauteuil. Et onentendit un cri sourd.

Livide, échevelé, le duc d’Angoulême se leva précipitamment. Etregardant d’un air égaré ce trou noir qui béait devant lui, ilrâla :

– Qu’avez-vous fait !…

– J’ai terminé la lutte avec le seul homme qui pouvait nousfaire perdre la partie que nous avons engagée. Et du même coup,j’ai gagné cette partie, prononça froidement Fausta.

– C’était mon ami… mon meilleur ami… sanglota le duc.

– C’était l’époux de mon cœur, dit Fausta avec une infinietristesse. Et se ressaisissant aussitôt, d’une voix froide,implacable :

– Et pourtant, je l’ai frappé…

– Courons, madame, supplia le duc, peut-être est-il encoretemps…

– Inutile, duc, M. de Pardaillan est mort !prononça Fausta d’une voix funèbre.

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