La Résurrection de Rocambole – Tome I – Le Bagne de Toulon – Antoinette

Chapitre 33

 

Heureusement pour Antoinette que Polyte avait entendu la menacede la belle Marton. Il s’était placé devant la jeune fille, etquand, prenant son élan, la belle Marton se jeta sur elle, ellerencontra le bras robuste de Polyte qui la terrassa. La belleMarton jeta un cri.

En même temps, un sauve-qui-peut général se fit entendre… maispersonne n’eut le temps de sortir. La porte d’en bas avait étéenfoncée, et une forte cohorte de sergents de ville, armés delanternes, fit irruption dans la maison et pénétra dans la salle oùles voleurs étaient réunis. Antoinette jeta un cri dedélivrance.

Elle se précipita vers le brigadier des sergents de ville, quientra le premier, et lui dit, en joignant les mains :

– Sauvez-moi ! sauvez-moi !

Les hommes de police avaient fermé la porte ; et, tandisque le brigadier regardait Antoinette avec étonnement, l’un d’euxs’était bravement jeté sur le Capitaine et l’avait pris àla gorge. La mise décente d’Antoinette, son air honnête, ses pleursfrappèrent le brigadier.

– Qui êtes-vous, et que voulez-vous ? lui dit-il.

– Je suis la prisonnière de ces gens-là, réponditAntoinette.

– Un moment, dit le brigadier ; vous vous expliquereztout à l’heure. J’ai un mandat de dépôt pour tous les gens que jetrouverai ici.

– Mes enfants, disait le vieux voleur surnomméCapitaine, pas de résistance : nous sommespaumés. On s’expliquera chez le commissaire.

Les voleurs surpris se défendent rarement. Ils savent bien quetoute résistance est inutile et ne saurait qu’aggraver leurposition.

– Sauvez-moi ! répétait Antoinette.

Le brigadier la regardait, de plus en plus étonné.

– Voyons, ma petite, dit-il, vous pensez bien qu’en voustrouvant ici, je ne puis pas, à première vue, vous prendre pour unedemoiselle de bonne famille. Il faut m’expliquer votre présenceparmi ces voleurs et ces femmes.

Polyte, le capitaine, Madeleine, la Chicotte et la vieille,celle qu’on appelait la mère des voleurs, qui tous lesquatre étaient dans le secret, se taisaient prudemment. Les agentsde police, non moins étonnés que le brigadier, regardaientAntoinette avec curiosité.

– Quelle est cette jeune fille ? demanda le brigadierau Capitaine.

– Je ne la connais pas, dit le vieux voleur, qui parutéchanger un regard d’intelligence avec Polyte.

Ce regard perfide n’échappa point au brigadier.

– Moi non plus, dit la vieille, je ne connais pas madame,et je la vois ici pour la première fois.

– Monsieur, dit Antoinette en joignant les mains, jem’appelle Antoinette Miller, je suis maîtresse de piano, je demeurerue d’Anjou-Saint-Honoré, 19, où j’ai été enlevée et conduiteici.

– Oh ! c’te blague ! fit la belle Marton ;c’est la largue à Polyte.

Polyte s’approcha d’Antoinette, et murmura :

– Si tu sais jouer du chiffon rouge, le cigognebarbotera.

– Mais que disent-ils ? s’écria Antoinetteéperdue.

Polyte reprit la parole et dit :

– Ce que dit cette jeune fille est vrai.

– Ah ! vous voyez bien ! s’écria Antoinette.

Madeleine la Chivotte regarda la vieille en riant :

– La princesse est une fière largue ! dit-elle. Ellenous enfoncerait tous… Le quart-d’œil est capable de n’yvoir que du feu.

Ces mots arrivèrent encore à l’oreille du brigadier indécis.

– Oui, reprit Polyte, c’est la pure vérité, j’ai enlevémademoiselle.

– Pourquoi ?

– Mais parce que j’en étais amoureux, donc ! réponditPolyte.

Antoinette tordait ses mains de désespoir, car elle voyait bienque l’incrédulité gagnait le brigadier.

– Voyons ! dit celui-ci, il faut me prouver plusclairement que cela que vous n’êtes pas de la bande.

– Mais, monsieur, regardez-moi… Je ne connais personne deces gens-là… et je vous le jure sur les cendres de ma mère que jevous dis la vérité !

Et Antoinette pleurait toujours.

– Elle enfoncera le quart-d’œil, c’est sûr !dit tout bas la mère des voleurs.

Polyte et le Capitaine faisaient à la jeune fille dessignes d’intelligence qu’elle ne comprenait pas et qui achevaientde la perdre. Ce fut la belle Marton qui lui porta le dernier coup,bien qu’elle ne fût pas dans la confidence des projets de Polyte etdu Capitaine.

– Monsieur le brigadier, dit-elle, faut pas vous laissertoucher comme ça, voyez-vous ! C’est la largue à Polyte etelle est des amis comme nous.

Entre eux, les voleurs se désignent sous le nomd’amis.

– Allons ! dit le brigadier, nous verrons tout ça chezle commissaire… En route !

– Oh ! monsieur ! s’écria Antoinette avecdésespoir, vous ne me croyez donc pas ?

Le brigadier secoua la tête. La malheureuse jeune fille jeta unregard suppliant sur Polyte.

– Mais vous, dit-elle, vous qui savez la vérité, ne ladirez-vous pas ?

– Mais je ne fais que ça, dit Polyte. Et c’est la véritépure, monsieur le brigadier, que mademoiselle est maîtresse depiano, qu’elle demeure rue Saint-Honoré.

– Rue d’Anjou !… exclama Antoinette.

– Oui, c’est bien ce que je veux dire, reprit Polyte ;d’Anjou-Saint-Honoré, quoi !

– Ce n’est pas la même chose, dit le brigadier.

Et il fit signe à ses agents, qui avaient déjà mis les poucettesaux hommes et attachaient les mains aux femmes. Quand l’un d’euxs’approcha d’Antoinette pour lui faire subir la même opération,elle jeta un tel cri de honte et d’indignation que la conviction dubrigadier fut ébranlée une fois encore.

– C’est bon, dit-il, venez avec moi… et donnez-moi le bras.Il faut espérer que tout s’expliquera chez le commissaire.

L’espoir revint au cœur d’Antoinette. Le brigadier la prit sousle bras et sortit le dernier avec elle de ce repaire où il venaitd’opérer sa razzia. Antoinette pleurait toujours, mais le grand airla soulagea. Il lui sembla qu’elle sortait d’un long cauchemarquand elle vit le ciel parsemé d’étoiles. Les voleurs causaiententre eux, pendant le trajet. L’hypocrite Capitainedisait :

– Il faut, les enfants, qu’il y ait un moutonparmi nous. Nous avons été vendus.

– C’est bien possible, disait la mère, qui sedésolait.

– Moi, dit Polyte, je n’étais pas de l’affaire de lavieille dame, à Chaillot.

Il faisait allusion à un vol récemment commis.

– Par conséquent, reprit-il, j’en aurai pour six mois. Toutce que je demande, c’est que la petite s’en tire.

– Tu as tort, Polyte, dit la mère des voleurs.Laisse-la donc mettre à l’ombre. Tu la retrouveras sage ensortant.

– Vous avez peut-être raison, la mère.

– Et puis, dit Fanfan qui, lui, croyait sincèrementqu’Antoinette était la complice de Polyte, ça vaut toujours mieux.Quand on est là-bas et qu’on a le cœur pris, au moins onest tranquille.

Pour les agents qui entendaient cette conversation, il étaitévident qu’on parlait d’Antoinette. Polyte reprit :

– Mais si elle peut enfoncer le quart-d’œil, c’estpas moi qui l’en empêcherai.

– Et quand tu sortiras, dit la belle Marton, tu latrouveras avec un ami…

– Oh ! si je le savais ! murmura Polyte, qui sutdonner à sa voix l’accent passionné de la jalousie.

– Moi, dit le Capitaine, je suis sûr de monaffaire ; on me renverra à Toulon.

– Qu’est-ce que ça vous fait, papa ? dit la belleMarton. Vous savez bien qu’on en revient…

– Et quand on veut, encore, répliqua le vieux voleur, quiregarda Polyte en riant.

Pendant qu’ils causaient ainsi, achevant de perdre Antoinettedans l’esprit des sergents de ville, les voleurs avaient fait duchemin et venaient d’entrer dans la rue de Chaillot, où se trouvaitle bureau du quart-d’œil. C’est le nom que les voleursdonnent au commissaire de police. Pendant ce temps aussi,Antoinette, qui marchait derrière eux, avait conté son histoire aubrigadier, et le brigadier commençait à la croire. Les sergents deville firent halte à la porte du commissariat.

– Vous serez interrogée la dernière, dit le brigadier àAntoinette.

Et il la fit entrer dans la petite pièce où se tient lesecrétaire du commissaire de police, afin de la séparer desvoleurs.

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