La Résurrection de Rocambole – Tome I – Le Bagne de Toulon – Antoinette

Chapitre 17

 

Il était trois heures du matin et le jour était loin encore.Cependant, le sifflet des argousins se fit entendre dans la sallen° 2 du bagne. C’était là que se trouvait l’escouade désignéepour dresser la lugubre machine. Comme des démons endormis,réveillés tout à coup par le feu du ciel, les forçats se levèrentsilencieux et mornes. Pas un ne murmura, pas un ne témoigna par unsigne de dégoût le sinistre travail qu’il allait accomplir. Auxjours de suprême expiation, le bagne tremble tout entier. Ceshommes qui ont passé par toutes les dégradations et par tous leschâtiments n’en redoutent plus qu’un seul : l’échafaud.

Les nocturnes travailleurs sortirent en silence et la têteinclinée. Une demi-heure après, la cour du bagne voyait s’élever àla lueur des torches les bois de justice que l’on ajustaitlentement. Les argousins seuls parlaient pour activer le zèle destravailleurs. Mais les travailleurs n’avaient pas de zèle et lescoups de garcette seuls avançaient la besogne.

À quelques pas, un homme suivait des yeux les sinistrespréparatifs. C’était le maudit à qui Cent dix-sept avait parlé depardon, le prisonnier auquel il avait promis la liberté. C’était lebourreau !

Quand le tréteau sinistre fut prêt, lorsque les deux bras rougesfurent ajustés au-dessus, le terrible fonctionnaire alla chercherle couteau. Lui et ses aides avaient passé la nuit à l’aiguiser. Lecouteau fut ajusté ; puis on apporta une botte de paille et onessaya la machine. C’est-à-dire que le bourreau pressa un ressortet que le couteau, en tombant, coupa la botte de paille endeux.

– C’est bien ! fit le bourreau d’un signe.

Et, comme le jour commençait à paraître, les torchess’éteignirent, et les forçats qui venaient d’accomplir l’horriblebesogne furent ramenés dans leurs salles.

Seul, le bourreau demeura sur le tréteau sanglant, achevantd’ajuster la guillotine en donnant à chaque chose ce que, par uneépouvantable ironie, on pourrait appeler le coup d’œil du maître.L’exécution ne devait pourtant avoir lieu qu’à midi ; mais sil’échafaud se dresse dans l’enceinte du bagne, c’est pour quel’exemple soit terrible.

Aussi, quand au coup de canon de diane l’heure de la fatiguearriva, les forçats, en sortant de leurs salles respectives,furent-ils contraints de passer devant l’instrument de mort. Enmême temps, ils se croisèrent avec l’aumônier du bagne qui allaitporter au condamné ses suprêmes consolations. En passant auprès del’échafaud, Milon détourna la tête.

– Tu as donc peur, toi ? lui dit Cent dix-sept.

– Oui, répondit Milon. N’est-ce pas pour midi ?

– Oui.

– Et tu espères encore le sauver ?

Cent dix-sept haussa les épaules et répondit avec une certainehauteur :

– Quand je promets, je tiens !

Cependant le bonnet vert avait écouté les exhortations du prêtreavec ferveur. Il avait près de soixante ans, et ses cheveux étaientblancs comme neige. La haine qui avait empli si longtemps le cœurde cet homme grossier s’en était allée avec la vie de sa victime.Maintenant il se repentait de son crime, maintenant il versait deslarmes.

Mais ce sentiment d’orgueil humain qui n’abandonne jamais lecriminel au moment suprême lui revint tout à coup :

– Ne croyez pas que j’aie peur de mourir, au moins,monsieur.

– Mon fils, répondit le prêtre, songez à Dieu, que votrerepentir a touché sans doute.

Et il l’embrassa avec effusion.

Le bourreau et ses deux aides pénétraient dans le cachot ;ils venaient procéder à ce qu’on appelle la toilette. Maispour un forçat cette opération n’est presque qu’une formalité. Leforçat a déjà la tête rasée et point n’est besoin de lui couper lescheveux. Le bourreau se contenta d’enlever avec ses ciseaux le colde la vareuse et celui de la chemise.

La veille, immédiatement après sa condamnation, Noël avaitdéferré l’homme au chien et on lui avait mis la camisole de force.Quand, à ce moment suprême, on lui eut enlevé ce dernier vêtement,il se trouva libre de tous ses mouvements pendant quelquessecondes. Alors le bourreau lui attacha les mains derrière le doset, avec la même corde, lui entrava les pieds, de façon qu’il nepût désormais faire que des demi-pas.

Quand tous ces lugubres préparatifs furent terminés, le bourreauregarda le prêtre qui gardait maintenant le silence. Le prêtre tirasa montre : il était midi moins sept minutes.

– Allons ! fit le bourreau d’un signe de tête.

– Mon fils, dit le prêtre au condamné, l’heure est venuepour vous de conquérir le ciel par une aspiration suprême. Je vouspardonnerai au nom du Tout-Puissant.

Et il le prit sous le bras, tandis que l’exécuteur demeuraitrespectueusement en arrière.

C’était la troisième tête que Jean le Boucher allait fairetomber depuis qu’il était au bagne ; et cependant il netremblait pas cette fois, lui qui, depuis longtemps, pour unesimple bastonnade qu’il allait infliger, avait des frémissementsnerveux par tout le corps.

Le condamné sortit du cachot. Les argousins formaient la haiedans le couloir, sur les marches extérieures, et dans la cour,jusqu’au pied de l’échafaud. L’homme au chien, soutenu par leprêtre, marcha d’un pas assez ferme jusqu’au bout du couloir, mais,arrivé sur la première des trois marches qui descendaient dans lacour du bagne, frappé en plein visage par une bouffée d’air libreet un rayon de lumière, il s’arrêta et jeta autour de lui un regardéperdu.

Un silence de mort régnait, et cependant il y avait trois millehommes agenouillés dans cette étroite enceinte ; leurs fersd’une main, leur bonnet de l’autre.

À chacun des quatre coins de la cour un canon chargé.

Tout à l’entour des condamnés une double haie d’argousins lefusil à l’épaule, tout prêts à faire feu au moindre signe derévolte. Entre les forçats et la guillotine, une bière ;autour de cette bière, la confrérie des pénitents qui venaitréclamer le corps du supplicié. Le condamné embrassa tout cela d’unseul coup d’œil et il se prit à trembler.

– Allons, mon fils, du courage, dit le prêtre.

Le condamné continua sa marche vers l’échafaud, sur laplate-forme duquel se trouvaient déjà les deux aides ; deuxforçats, agenouillés tout près de la guillotine, échangeaientquelques mots à voix basse avec un pénitent gris, profitant de ceque l’attention des argousins était concentrée tout entière sur lepatient et l’échafaud.

Le condamné reconnut Cent dix-sept et Milon. Milon étaitlivide ; Cent dix-sept un peu pâle, mais son visage conservaitune expression de calme.

– Adieu, camarades, dit l’homme au chien.

Et il mit le pied sur le premier degré de l’échafaud.

– Maître, murmura Milon, vous voyez bien qu’il est troptard.

– Silence ! dit Cent dix-sept.

On bouclait le patient sur la bascule.

– Maître, murmura le pénitent gris, de la cagoule duquelsortait une voix de femme brisée par l’émotion, vous voyez bien quela mort va venir.

Cent dix-sept ne répondit pas.

Seulement, au moment où la bascule se renversa sous la lunette,et tandis que le prêtre descendait de l’échafaud, les narines deCent dix-sept furent agitées d’un léger frémissement : ilfronça le sourcil et son regard fixa le couperet sur lequelricochait un rayon de soleil.

Alors le bourreau pressa le bouton qui devait faire tomber lecouteau.

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