Joseph Balsamo – Tome IV (Les Mémoires d’un médecin)

Chapitre 23Deux douleurs

Gilbert avait jugé sainement la position lorsqu’il disait,
en parlant de l’homme inconnu surpris par lui dans les jardins pendant cette
soirée qui avait été si fatale à mademoiselle de Taverney :« Le
retrouvera-t-on ? »

En effet, Philippe ignorait complètement où demeurait Joseph
Balsamo, comte de Fœnix.

Mais il se rappela cette dame de condition, cette marquise
de Saverny, chez laquelle, au 31 mai, Andrée avait été conduite pour recevoir
des soins.

Il n’était point une heure tellement avancée, qu’on ne pût se
présenter chez cette dame, qui logeait rue Saint-Honoré. Philippe comprima
toute agitation de son esprit et de ses sens : il monta chez la dame, et
la femme de chambre lui donna aussitôt, sans hésitation, l’adresse de Balsamo,
rue Saint-Claude, au Marais.

Philippe se dirigea aussitôt vers la rue indiquée.

Mais ce ne fut pas sans une émotion profonde qu’il toucha le
marteau de cette maison suspecte, où, selon ses conjectures, se tenaient
engloutis à jamais le repos et l’honneur de la pauvre Andrée. Mais,avec un
appel de sa volonté, il eut bientôt surmonté l’indignation et la sensibilité,
pour se réserver bien intactes les forces dont il comptait avoir besoin.

Il frappa donc à la maison d’une main assez assurée et,
selon les habitudes du lieu, la porte s’ouvrit.

Philippe entra dans la cour en tenant son cheval par la
bride.

Mais il n’eut pas fait quatre pas, que Fritz sortant du
vestibule et apparaissant au haut des degrés, vint l’arrêter avec cette
question :

– Que veut monsieur ?

Philippe tressaillit comme à un obstacle imprévu.

Il regarda l’Allemand en fronçant le sourcil comme si Fritz
n’eût pas accompli un simple devoir de serviteur.

– Je veux, dit-il, parler au maître du logis, au comte de
Fœnix, répliqua Philippe en passant la bride de son cheval à un anneau et en
marchant vers la maison, dans laquelle il entra.

– Monsieur n’est point chez lui, dit Fritz en laissant
cependant passer Philippe, avec cette politesse d’un serviteur bien dressé.

Chose étrange, Philippe semblait avoir tout prévu, excepté
cette simple réponse.

Il demeura un instant interdit.

– Où le trouverai-je ? demanda-t-il.

– Je ne sais, monsieur.

– Vous devez savoir cependant ?

– Je vous demande pardon, monsieur ne me rend pas de
comptes.

– Mon ami, dit Philippe, il faut pourtant que je parle à
votre maître ce soir.

– Je doute que cela soit possible.

– Il le faut ; c’est pour une affaire de la plus haute
importance.

Fritz s’inclina sans répondre.

– Il est donc sorti ? demanda Philippe.

– Oui, monsieur.

– Il rentrera sans doute ?

– Je ne crois pas, monsieur.

– Ah ! vous ne croyez pas ?

– Non.

– Très bien, dit Philippe avec un commencement de
fièvre ; en attendant, allez dire à votre maître…

– Mais j’ai l’honneur de vous dire, répliqua imperturbablement
Fritz, que monsieur n’est pas ici.

– Je sais ce que valent les consignes, mon ami, dit
Philippe, et la vôtre est respectable ; mais elle ne peut, en vérité,
s’appliquer à moi, dont votre maître ne pouvait prévoir la visite,et qui viens
ici par exception.

– La consigne est pour tout le monde, monsieur, répondit
maladroitement Fritz.

– Alors, puisqu’il y a consigne, dit Philippe, le comte de
Fœnix est ici ?

– Eh bien, après ? dit à son tour Fritz, que tant
d’insistance commençait à impatienter.

– Eh bien, je l’y attendrai.

– Monsieur n’est pas ici, vous dis-je, répliqua-t-il ;
le feu a pris il y a quelque temps à la maison et, à la suite de cet incendie,
elle est devenue inhabitable.

– Tu l’habites cependant, toi, dit Philippe, maladroit à son
tour.

– Je l’habite comme gardien.

Philippe haussa les épaules en homme qui ne croit pas un mot
de ce qu’on lui dit.

Fritz commençait à s’irriter.

– Au reste, dit-il, que M. le comte y soit ou n’y soit pas,
on n’a pas, soit en sa présence, soit en son absence, l’habitude de pénétrer
chez lui de force ; et, si vous ne vous conformez pas aux habitudes, je
vais être contraint…

Fritz s’arrêta.

– À quoi ? demanda Philippe s’oubliant.

– À vous mettre dehors, répondit tranquillement Fritz.

– Toi ? s’écria Philippe, l’œil étincelant.

– Moi, répliqua Fritz reprenant, avec le caractère
particulier à sa nation, toutes les apparences du sang-froid à mesure que
grandissait sa colère.

Et il fit un pas vers le jeune homme, qui, exaspéré, hors de
lui, mit l’épée à la main.

Fritz, sans s’émouvoir à la vue du fer, sans appeler –
peut-être d’ailleurs était-il seul –, Fritz saisit à une panoplie une espèce de
pieu armé d’un fer court mais aigu et, s’élançant sur Philippe en bâtonniste
plutôt qu’en escrimeur, il fit, du premier choc, voler en éclats la lame de
cette petite épée.

Philippe poussa un cri de colère et, s’élançant à son tour
vers le trophée, chercha à y saisir une arme.

En ce moment, la porte secrète du corridor s’ouvrit et, se
détachant sur le cadre sombre, le comte apparut.

– Qu’y a-t-il, Fritz ? demanda-t-il.

– Rien, monsieur, répliqua le serviteur en abaissant son
épieu, mais en se plaçant comme une barrière en face de son maître,qui, debout
sur les degrés de l’escalier dérobé, le dominait de la moitié du corps.

– Monsieur le comte de Fœnix, dit Philippe, est-ce
l’habitude de votre pays que les laquais reçoivent un gentilhomme l’épieu à la
main, ou est-ce une consigne particulière à votre noble maison ?

Fritz abaissa son épieu et, sur un signe du maître, le
déposa dans un angle du vestibule.

– Qui êtes-vous, monsieur ? demanda le comte
distinguant mal Philippe à la lueur de la lampe qui éclairait l’antichambre.

– Quelqu’un qui veut absolument vous parler.

– Qui veut ?

– Oui.

– Voilà un mot qui excuse bien Fritz, monsieur ; car,
moi, je ne veux parler à personne et, quand je suis chez moi, je  ne reconnais à
personne le droit de vouloir me parler. Vous êtes donc coupable d’un tort
vis-à-vis de moi ; mais, ajouta Balsamo avec un soupir, je vous le pardonne,
à la condition cependant que vous vous retirerez et ne troublerez pas davantage
mon repos.

– Il vous sied bien, en vérité, s’écria Philippe, de
demander du repos, vous qui m’avez ôté le mien !

– Moi, je vous ai ôté votre repos ? demanda le comte.

– Je suis Philippe de Taverney ! s’écria le jeune homme
croyant que, pour la conscience du comte, ce mot répondait à tout.

– Philippe de Taverney ?… Monsieur, dit le comte, j’ai
été bien reçu chez votre père, soyez le bien reçu chez moi.

– Ah ! c’est fort heureux ! murmura Philippe.

– Veuillez me suivre, monsieur.

Balsamo referma la porte de l’escalier dérobé, et, marchant
devant Philippe, il le conduisit au salon où nous avons vu nécessairement se
dérouler quelques-unes des scènes de cette histoire, et particulièrement la
plus récente de toutes celles qui s’y étaient passées, celle des cinq maîtres.

Le salon était éclairé comme si on eût attendu
quelqu’un ; mais il était évident que c’était par une des habitudes
luxueuses de la maison.

– Bonsoir, monsieur de Taverney, dit Balsamo d’un son de
voix doux et voilé qui força Philippe de lever les yeux sur lui.

Mais, à la vue de Balsamo, Philippe fit un pas en arrière.

Le comte, en effet, n’était plus que l’ombre de
lui-même : ses yeux caves n’avaient plus de lumière ; ses joues, en
maigrissant, avaient encadré la bouche de deux plis, et l’angle facial, nu et
osseux, faisait ressembler toute la tête à une tête de mort.

Philippe demeura atterré. Balsamo regarda son étonnement, et
un sourire d’une tristesse mortelle effleura ses lèvres pâles.

– Monsieur, dit-il, je vous fais mes excuses pour mon
serviteur ; mais, en vérité, il suivait sa consigne, et c’est vous,
permettez-moi de vous le dire, qui vous étiez mis dans votre tort en la
forçant.

– Monsieur, dit Philippe, il y a, vous le savez, dans la vie
des situations extrêmes, et j’étais dans une de ces situations-là.

Balsamo ne répondit point.

– Je voulais vous voir, continua Philippe, je voulais vous
parler ; j’eusse, pour pénétrer jusqu’à vous, bravé la mort.

Balsamo continuait de garder le silence et semblait attendre
un éclaircissement aux paroles du jeune homme, sans avoir la force ni la
curiosité de le demander.

– Je vous tiens, continua Philippe, je vous tiens enfin, et
nous allons nous expliquer, s’il vous plaît ; mais veuillez d’abord
congédier cet homme.

Et, du doigt, Philippe désignait Fritz, qui venait de
soulever la portière comme pour demander à son maître ses derniers ordres à
l’égard de l’importun visiteur.

Balsamo attacha sur Philippe un regard dont le but était de
pénétrer ses intentions ; mais, en se retrouvant en face d’un homme son
égal par le rang et par la distinction, Philippe avait repris son calme et sa
force. Il fut impénétrable.

Alors Balsamo, d’un simple mouvement de la tête, ou plutôt
des sourcils, congédia Fritz, et les deux hommes s’assirent en face l’un de
l’autre, Philippe le dos tourné à la cheminée, Balsamo le coude appuyé sur un
guéridon.

– Parlez vite et clairement, s’il vous plaît, monsieur, dit
Balsamo ; car je ne vous écoute que par bienveillance et, je vous en
préviens, je me lasserais promptement.

– Je parlerai comme je dois, monsieur, et autant que je le
jugerai convenable, dit Philippe ; et, sauf votre bon plaisir,je vais
commencer par une interrogation.

À ce mot, un froncement terrible de sourcils dégagea des
yeux de Balsamo un éclair électrique.

Ce mot lui rappelait de tels souvenirs, que Philippe eût
frémi s’il avait su ce qu’il remuait au fond du cœur de cet homme.

Cependant, après un moment de silence employé à reprendre
son empire sur lui-même :

– Interrogez, dit Balsamo.

– Monsieur, répondit Philippe, vous ne m’avez jamais bien
expliqué l’emploi de votre temps pendant cette fameuse nuit du 31mai, à partir
de ce moment où vous enlevâtes ma sœur du milieu des mourants et des morts qui
encombraient la place Louis XV ?

– Qu’est-ce que cela signifie ? demanda Balsamo.

– Cela signifie, monsieur le comte, que toute votre
conduite, cette nuit-là, m’a été et m’est plus que jamais suspecte.

– Suspecte ?

– Oui, et que, selon toute probabilité, elle n’a point été
celle d’un homme d’honneur.

– Monsieur, dit Balsamo, je ne vous comprends pas ;
vous devez remarquer que ma tête est fatiguée, affaiblie, et que cette
faiblesse me cause naturellement des impatiences.

– Monsieur ! s’écria à son tour Philippe, irrité du ton
plein de hauteur et de calme à la fois que Balsamo gardait avec lui.

– Monsieur, continua Balsamo du même ton, depuis que j’ai eu
l’honneur de vous voir, j’ai éprouvé un grand malheur ; ma maison a brûlé
en partie, et divers objets précieux, très précieux, entendez-vous bien, ont
été perdus pour moi ; il en résulte que j’ai conservé de ce chagrin
quelque égarement. Soyez donc fort clair, je vous prie, ou bien je prendrai
congé de vous immédiatement.

– Oh ! non pas, monsieur, dit Philippe, non pas, vous
ne prendrez point congé de moi aussi facilement que vous le dites ; je
respecterai vos chagrins si vous vous montrez compatissant aux miens ; à
moi aussi, monsieur, il est arrivé un malheur bien grand, bien plus grand qu’à
vous, j’en suis sûr.

Balsamo sourit de ce sourire désespéré que Philippe avait
déjà vu errer sur ses lèvres.

– Moi, monsieur, continua Philippe, j’ai perdu l’honneur de
ma famille.

– Eh bien, monsieur, répliqua Balsamo, que puis-je faire à
ce malheur, moi ?

– Ce que vous pouvez y faire ? s’écria Philippe les
yeux étincelants.

– Sans doute.

– Vous pouvez me rendre ce que j’ai perdu, monsieur !

– Ah çà ! vous êtes fou, monsieur ! s’écria
Balsamo.

Et il étendit sa main vers la sonnette.

Mais il fit ce geste si mollement et avec si peu de colère
que le bras de Philippe l’arrêta aussitôt.

– Je suis fou ? s’écria Philippe d’une voix saccadée.
Mais ne comprenez-vous donc pas qu’il s’agit de ma sœur, de ma sœur que vous
avez tenue évanouie dans vos bras, le 31 mai ; de ma sœur que vous avez
conduite dans une maison, selon vous honorable, selon moi infâme ; de ma
sœur, en un mot, dont je vous demande l’honneur l’épée à la main ?

Balsamo haussa les épaules.

– Eh ! bon Dieu ! murmura-t-il, que de détours
pour en arriver à une chose si simple !

– Malheureux ! s’écria Philippe.

– Quelle déplorable voix vous avez, monsieur ! dit
Balsamo avec la même impatience triste ; vous m’assourdissez.Voyons, ne
venez-vous pas de me dire que j’avais insulté votre sœur ?

– Oui, lâche !

– Encore un cri et une insulte inutiles, monsieur ; qui
diable vous a donc dit que j’eusse insulté votre sœur ?

Philippe hésita ; le ton avec lequel Balsamo avait
prononcé ces paroles le frappait de stupeur. C’était le comble de l’impudence,
ou c’était le cri d’une conscience pure.

– Qui me l’a dit ? reprit le jeune homme.

– Oui, je vous le demande.

– C’est ma sœur elle-même, monsieur.

– Eh bien, monsieur, votre sœur…

– Vous alliez dire ? s’écria Philippe avec un geste
menaçant.

– J’allais dire, monsieur, que vous me donnez, en vérité, de
vous et de votre sœur une bien triste idée. C’est la plus laide spéculation du
monde, savez-vous, que celle que font certaines femmes sur leur déshonneur. Or,
vous êtes venu, la menace à la bouche, comme les frères barbus de la comédie
italienne, pour me forcer, l’épée à la main, ou à épouser votre sœur, ce qui
prouve qu’elle a grand besoin d’un mari, ou à vous donner de l’argent, parce
que vous savez que je fais de l’or. Eh bien, mon cher monsieur,vous vous êtes
trompé sur les deux points : vous n’aurez point d’argent, et votre sœur
restera fille.

– Alors, j’aurai de vous le sang que vous avez dans les
veines, s’écria Philippe, si toutefois vous en avez.

– Non, pas même cela, monsieur.

– Comment ?

– Le sang que j’ai, je le garde, et j’avais pour le
répandre, si j’eusse voulu, une occasion plus sérieuse que celle que vous
m’offrez. Ainsi, monsieur, obligez-moi de vous en retourner tranquillement et,
si vous faites du bruit, comme ce bruit me fera mal à la tête,j’appellerai
Fritz ; Fritz viendra, et, sur un signe de moi, il vous brisera en deux
comme un roseau. Allez.

Cette fois, Balsamo sonna, et, comme Philippe voulait l’en
empêcher, il ouvrit un coffre d’ébène posé sur le guéridon, prit dans ce coffre
un pistolet à deux coups qu’il arma.

– Eh bien, j’aime mieux cela, s’écria Philippe,
tuez-moi !

– Pourquoi vous tuerais-je ?

– Parce que vous m’avez déshonoré.

Le jeune homme prononça à son tour ces paroles avec un tel
accent de vérité, que Balsamo, le regardant d’un œil plein de douceur :

– Serait-il donc possible, dit-il, que vous fussiez de bonne
foi ?

– Vous en doutez ? Vous doutez de la parole d’un
gentilhomme ?

– Et, continua Balsamo, que mademoiselle de Taverney eût seule
conçu l’indigne idée, qu’elle vous eût poussé en avant ?… Je veux
l’admettre ; je vais donc vous donner une satisfaction. Je vous jure sur
l’honneur que ma conduite envers mademoiselle votre sœur, dans la nuit du 31
mai, est irréprochable ; que ni point d’honneur, ni tribunal humain, ni
justice divine, ne peuvent trouver quoi que ce soit de contraire à la plus
parfaite prud’homie ; me croyez-vous ?

– Monsieur ! fit le jeune homme étonné.

– Vous savez que je ne crains pas un duel, cela se lit dans
les yeux, n’est-ce pas ? Quant à ma faiblesse, ne vous y trompez pas, elle
n’est qu’apparente. J’ai peu de sang au visage, c’est vrai ;mais mes
muscles n’ont rien perdu de leur force. En voulez-vous une preuve ? Tenez…

Et Balsamo souleva d’une seule main, et sans effort, un
énorme vase de bronze posé sur un meuble de Boule.

– Eh bien, soit, monsieur, dit Philippe, je vous crois quant
au 31 mai ; mais c’est un subterfuge que vous employez, vous mettez votre
parole sous la garantie d’une erreur de date. Depuis, vous avez revu ma sœur.

Balsamo hésita à son tour.

– C’est vrai, dit-il, je l’ai revue.

Et son front, éclairci un instant, s’assombrit d’une façon
terrible.

– Ah ! vous voyez bien ! dit Philippe.

– Eh bien, que j’aie revu votre sœur, qu’est-ce que cela prouve
contre moi ?

– Cela prouve que vous l’avez plongée dans ce sommeil
inexplicable dont trois fois déjà, à votre approche, elle a senti les
atteintes, et que vous avez abusé de cette insensibilité pour obtenir le secret
du crime.

– Encore une fois, qui dit cela ? s’écria à son tour
Balsamo.

– Ma sœur !

– Comment le sait-elle, puisqu’elle dormait ?

– Ah ! vous avouez donc qu’elle était endormie ?

– Il y a plus, monsieur : j’avoue l’avoir endormie
moi-même.

– Endormie ?

– 0ui.

– Et dans quel but, si ce n’est pour la déshonorer ?

– Dans quel but, hélas ! dit Balsamo, laissant retomber
sa tête sur sa poitrine.

– Parlez, parlez donc !

– Dans le but, monsieur, de lui faire révéler un secret qui
m’était plus précieux que la vie.

– Oh ! ruse, subterfuge !

– Et c’est dans cette nuit, continua Balsamo suivant sa
pensée bien plutôt qu’il ne répondait à l’interrogation injurieuse de Philippe,
c’est dans cette nuit que votre sœur ?…

– À été déshonorée, oui, monsieur.

– Déshonorée ?

– Ma sœur est mère !

Balsamo poussa un cri.

– Oh ! c’est vrai, c’est vrai, dit-il, je me
rappelle ; je suis parti sans la réveiller.

– Vous avouez, vous avouez ! s’écria Philippe.

– Oui, et quelque infâme, pendant cette nuit terrible,
oh ! terrible pour nous tous, monsieur, quelque infâme aura profité de son
sommeil.

– Ah ! voulez-vous me railler, monsieur ?

– Non, je veux vous convaincre.

– Ce sera difficile.

– Où se trouve en ce moment votre sœur ?

– Là où vous l’avez si bien découverte.

– À Trianon ?

– Oui.

– Je vais à Trianon avec vous, monsieur.

Philippe demeura immobile d’étonnement.

– J’ai commis une faute, monsieur, dit Balsamo, mais je suis
pur de tout crime. J’ai laissé cette enfant dans le sommeil magnétique. Eh
bien, en compensation de cette faute, qu’il est juste de me pardonner, je vous
apprendrai, moi, le nom du coupable.

– Dites-le, dites-le !

– Je ne le sais pas, moi, dit Balsamo.

– Qui donc le sait, alors ?

– Votre sœur.

– Mais elle a refusé de me le dire.

– Peut-être, mais elle me le dira, à moi.

– Ma sœur ?

– Si votre sœur accuse quelqu’un, la croirez-vous ?

– Oui, car ma sœur, c’est l’ange de la pureté.

Balsamo sonna.

– Fritz, un carrosse ! dit-il en voyant apparaître
l’Allemand.

Philippe arpentait le salon comme un fou.

– Le coupable ! disait-il, vous promettez de faire
connaître le coupable ?

– Monsieur, dit Balsamo, votre épée a été brisée dans la
lutte, voulez-vous me permettre de vous en offrir une autre ?

Et il prit sur un fauteuil une magnifique épée à poignée de
vermeil, qu’il passa dans la ceinture de Philippe.

– Mais vous ? dit le jeune homme.

– Moi, monsieur, je n’ai pas besoin d’armes, répliqua
Balsamo ; ma défense est à Trianon, et mon défenseur, ce sera vous-même,
quand votre sœur aura parlé.

Un quart d’heure après, ils montaient en carrosse, et Fritz,
au grand galop de deux excellents chevaux, les conduisait sur la route de
Versailles.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer