La Revanche de Roger-La-Honte – T1

Chapitre 11

 

 

C’était une cohue – mais brillante et paréemerveilleusement – qui se pressait, le samedi suivant, dans lessalons, le jardin, les serres et sur la terrasse de l’hôtel deM. de Terrenoire, rue de Chanaleilles.

M. de Terrenoire s’était réservé,pour sa femme, sa fille et ses intimes amis, une petite serre ensalon, où les fleurs, les larges et robustes feuilles des plantestropicales, alternant avec des tapisseries orientales, formaientl’effet le plus inattendu et le plus pittoresque et faisaient decette serre un réduit frais où l’on se reposait de la fatigue de lafoule ou de l’étouffante chaleur du bal.

C’était là que venait de temps en tempsMme de Terrenoire, une grande femme mince etélégante, d’une beauté dure et étrange, au visage d’un ton debistre clair pareil à celui d’une Arabe, aux yeux noirs énormes,sombres et pleins d’éclairs. Elle était âgée de trente-cinqans.

Là se trouvait également, Diane, sa fille,brune comme elle, mais plus douce, d’allure moins tragique ainsique le comte de Mussidan, l’associé de Terrenoire, son ami, grandviveur, ne parvenant pas à dépenser les revenus d’une colossalefortune ; d’une distinction rare, mais presque toujoursattristé par quelque préoccupation secrète.

Terrenoire venait d’entrer dans la serre,riant, épanoui, heureux du bonheur des autres.

– Ah ! dit-il, apercevant sa femme,Diane et le comte de Mussidan, je suis content de vous trouver.Dans cette foule, ma parole, ce n’est pas chose facile de serencontrer.

– Tu dois être satisfait, dit Mussidan,on a répondu à ta fête avec empressement !

– Oui, oui et ce qui est mieux, c’estqu’on s’amuse. Mais ce n’est pas pour me reposer que je suis venu,ma foi non. J’ai deux nouvelles à vous apprendre qui vousintéressent.

– Deux nouvelles ?

– Oui. Devinez donc un peu à quoi jem’occupe depuis une heure… je vous le donne en centmille !…

Diane alla se pendre à son bras, etdoucement :

– Mon père, ne nous fais paslanguir !

– Eh ! eh ! chère petiteimpatiente… on dirait que tu n’es pas loin de deviner, toi ?Est-ce que par hasard tu m’aurais vu causer avec Robert deVaunoise ?…

Diane rougit et détourna les yeux.

– Nous ne devinerons pas, mon ami, fitMme de Terrenoire… ni monsieur de Mussidan, nimoi. Parle donc !… Deux nouvelles ?… De quois’agit-il ?

– De deuxmariages ! ! !

– Deux mariages ! fit Mussidan.

– Oui, et à peu près conclus, par moi, cesoir même.

Et Terrenoire ajouta, avec une intonationcomique :

– Voilà à quoi je passe mon temps quandje donne une fête japonaise !

Chose bizarre et que le banquier ne remarquapoint, ses paroles causèrent plus d’inquiétude qued’étonnement.

Alors que Diane, qui devinait qu’il allaitêtre question d’elle, rougissait de plus en plus – mais necherchait pas à dissimuler la joie qui éclatait dans ses yeux –Mme de Terrenoire s’était soudaintroublée ; sur son regard sombre les paupières s’étaientabaissées lourdement. Quant à Mussidan, il avait pâli, et un pliprofond, creusant son front, avait accentué la tristesse de sonvisage.

– Deux mariages – reprit Terrenoire – etl’un des deux ne surprendra pas ma femme, car il en a déjà étéquestion entre nous. Je suis presque résolu à donner ma fille – mapetite Diane – à monsieur de Vaunoise.

– Oh ! mon père ! dit la jeunefille, que tu es bon !

– Parce que je fais ce que tu veux,n’est-ce pas ? Ma femme, je le sais, n’a pas d’objections,mais j’étais heureux d’en parler à Mussidan. Eh bien ; qu’enpenses-tu cher ami ? Est-ce que cela te contrarie ? Tevoilà tout ému ! Tu as ta figure des mauvais jours !

Le banquier se mit à rire. Et il tendit lesmains au viveur. Celui-ci répondit froidement à l’étreinte queTerrenoire sollicitait. Sa bouche resta triste et son frontridé.

– Est-ce que ce mariage te déplairait,par hasard ? fit le banquier ; aurais-tu quelque chose àdire contre monsieur de Vaunoise ? Ne te gêne pas. Il n’estpas très riche, je le sais, mais il est d’excellente famille etcharmant garçon, enjoué, brave et loyal. Enfin, parle ; jen’en suis pas plus entiché que cela, après tout !… Et si Dianene l’aimait pas, il n’en serait plus question !…

– Mais je l’aime, mon père, jel’aime.

– Tu vois, Mussidan, je ne le lui ai pasfait dire.

Le comte détournait toujours les yeux.

– Je n’ai pas d’objections, dit-il aveceffort. Tu sais que je m’étais habitué à considérer… Diane… tafille… un peu comme mon enfant !… L’annonce aussi brusque d’unprojet qui engage son avenir a bien pu m’étonner… Mais tu as pristes renseignements, sans doute… et puisque ce jeune homme teconvient, puisqu’il a le bonheur d’être aimé de Diane… eh bien, monami, ce doit être chose conclue…

– Comme tu me dis cela !

– Veux-tu savoir la véritévraie ?

– Parbleu ! c’est à celle-là que jetiens…

Mussidan eut un rire nerveux que démentait lapâleur profonde de son visage.

– Je suis jaloux ! dit-il, jaloux dece titre de père qui te donne le droit de disposer de la vie deDiane en dernier ressort et selon ton bon plaisir !

Mme de Terrenoire avaitfait un brusque mouvement. Son brun visage d’Arabe avait pris unecouleur terreuse, et elle mâchait à pleines dents une rose qu’elleavait arrachée à son corsage.

Le banquier n’avait sans doute aucune raisonde remarquer cette mimique singulière, car il répliqua avec un bonet franc sourire :

– Je sais que tu as beaucoup d’affectionpour ma fille. Je ne t’empêche donc pas d’être jaloux de moi.

Il se tourna vers Diane :

– Il y a beaucoup de pauvres petitsabandonnés qui n’ont jamais connu ni leur père ni leur mère… Toi,mon enfant, tu ne te plaindras pas du sort, tu as deux pères.Mussidan et moi… Dis-lui que s’il est jaloux de moi, parce que jet’adore, je n’ai, moi, jamais été jaloux de lui parce qu’ilt’aime !

Mme de Terrenoire – quisemblait remise de son émotion – s’était penchée versMussidan :

– À quoi pensez-vous donc ? dit-elled’une voix basse, mais brève et impérieuse. Êtes-vous devenufou ?

Lui ne parut pas entendre et restasongeur.

Tout à coup, le banquier les laissa, et,ouvrant la porte, fit signe à un groupe qui passait, duquel il futsuivi et avec lequel il resta dans la serre.

Il y avait deux hommes et une jeune fille.

Diane vint à celle-ci et lui serra lamain.

Elles étaient aussi jolies l’une que l’autre,mais leur genre de beauté formait un frappant contraste.

La nouvelle venue, Marie-Louise Margival,était de taille moyenne, frêle et d’un blond ardent. Ses grandsyeux d’un bleu profond semblaient appuyer le regard, et ceregard était d’une douceur infinie.

Elles avaient le même âge : dix-huitans.

Ainsi, l’une auprès de l’autre, ellesoffraient un charmant tableau.

Diane, brune comme sa mère, avait une robejaponaise de satin rouge brodé d’or, avec une coiffure pareille àune aigrette de fée, faite de plumes de paon disposées en éventail.Dans les cheveux une masse d’épingles d’or étaient piquées,semblables à des libellules.

Marie-Louise, elle, était en toilette Lamballede bengaline rose. La redingote était décolletée à la Watteau,ourlée tout autour de guirlandes de roses sans feuilles et ouvertesur une jupe courte de dentelle.

Le premier des deux hommes qui venaientd’entrer avec Terrenoire était Margival, un vieillard à la têtecaractéristique, au teint rose, aux yeux bleus.

L’autre, c’était Jean Guerrier.

En entrant, il avait à son bras Marie-Louise,mais il l’avait laissée avec Diane pour aller saluerMme de Terrenoire.

Il le fit froidement, échangea avec ellequelques paroles de banale politesse et la quitta aussitôt pourrevenir à Terrenoire et à Margival, qui causaient.

Mme de Terrenoire semordit les lèvres. Son visage sembla devenir plus dur, et sonregard se fit plus sombre. Elle quitta le divan bas où elle était àdemi étendue et rejoignit Diane et Marie-Louise.

Cependant, le banquier, qui s’étaitinterrompu, tout à l’heure, reprenait la conversation où il l’avaitlaissée.

– J’avais à vous apprendre deux nouvelles– deux mariages –, reprit-il, et justement les intéressés sont ici.Cela tombe bien. Primo, mon ami et mon associé Mussidan et ma femmen’y faisant pas d’objections, une fois, deux fois, c’est entendu,Diane sera fiancée à monsieur de Vaunoise ; secundo, j’espèreque le mariage suivra de près celui de mon caissier Jean Guerrieravec la fille de mon vieux Margival.

La pâleur du visage deMme de Terrenoire venait de s’accentuer tout àcoup par la blancheur des lèvres, d’où le sang s’était retiré. Sesyeux flamboyèrent une seconde en se dirigeant sur Guerrier. Et cefut tout. Le visage reprit son masque de dureté et d’orgueil.

Marie-Louise avait tendu la main à Guerrier,et cette main, le jeune homme l’avait respectueusement ettendrement portée à ses lèvres.

– Monsieur de Terrenoire, dit-il avecsimplicité – mais, à sa voix qui tremblait, on devinait son émotion– je vous dois tout – non seulement ce que je suis, mais ce que jevais être, ajouta-t-il en regardant Marie-Louise.

– Brave enfant ! murmura lebanquier.

Et son regard, complaisamment, se reposait surDiane, sur Marie-Louise et sur le caissier.

Et il eût fallu l’observer bien attentivementpour voir avec quelle singulière tendresse ce regard s’arrêtait surla douce figure de Marie-Louise !

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