La Revanche de Roger-La-Honte – T1

Chapitre 13

 

 

Le lendemain, un étranger, M. WilliamFarney, sujet américain, ne craignait pas de se présenter àM. de Lignerolles, juge d’instruction, pour lui demanderl’insigne faveur de voir son ami Jean Guerrier.

Fort heureusement pour le solliciteur que lemagistrat avait été averti par M. Lacroix de l’existence d’unriche Américain qui s’intéressait à l’assassin présumé deBrignolet. Sans quoi, il l’eût éconduit, et de la belle façon.

Mais la fortune a tout au moins le droit dediscuter même avec un juge d’instruction.

William Farney insista.

– Je suis, dit-il, un des meilleurs amisde la famille Margival. Ma conviction est que Guerrier n’aaucunement trempé dans le crime dont on l’accuse. Je voudrais luiapporter mes consolations et la promesse verbale que je mets toutema fortune à son service pour sa défense.

Il prononça ses dernières paroles de la voixferme avec laquelle autrefois il se défendait contre lesaccusations de ce même de Lignerolles.

Le magistrat le regardait avec la curiositédéfiante d’un inquisiteur qui cherche le but véritable d’unedémarche imprévue.

Il ne reconnut pas Roger Laroque, savictime.

– Bien que l’accusé soit au secret,dit-il enfin, il n’y a aucun inconvénient, monsieur Farney, à ceque vous le voyiez pendant quelques minutes, mais en présence degardiens. Vous n’aurez pas besoin d’aller à Mazas. Nous l’avonsconservé au dépôt.

Un instant après, les deux amis se trouvaienten présence à travers le vitrage du parloir. Deux gardiens assistésde deux agents de la sûreté, serraient de près le prisonnier.

Roger faillit se trahir en voyant les ravagesque les chagrins avaient creusés sur les traits de Guerrier.

– Comment ! s’écria-t-il, vous enêtes là, au bout de si peu de jours ! Mais vous auriez étécondamné à mort que vous n’auriez pas l’air plus défait, plusanéanti.

Jean se redressa sous ces reproches.

– Si vous saviez ! dit-il.

– Je sais que vous êtes accusé d’un crimeabominable, d’un assassinat ayant le vol pour mobile, je connaistoutes les circonstances de cette affaire, je n’ignore pas que degraves apparences sont contre vous, mais vous ne devez pas fairedouter de votre innocence en vous abandonnant au désespoir. Vousn’en avez pas le droit, pour vous-même, pour votre chère femme,Marie-Louise, pour votre excellent beau-père, Margival, pour votrepatron et bienfaiteur, monsieur de Terrenoire. Quant à moi, je veuxbien ne pas me compter, mais vous savez combien je vous suisattaché et ce que je dois souffrir de vous voir en cet état.

Jean leva les bras comme un homme qui n’espèreplus.

Pouvait-il parler devant ses geôliers,pouvait-il étaler sa honte en présence de ces subalternes quiépiaient ses moindres gestes, suivaient ses pensées pour y puiserdes renseignements utiles à l’enquête ?

– Monsieur Farney, dit-il, je vousremercie de votre démarche. Vous êtes bon, vous êtes héroïque de nepas vous séparer d’un malheureux qui aura bientôt contre luil’opinion presque unanime. Vous ne savez pas tout. Sous peu, monprocès, procès inévitable, vous révélera des choses si abominablesque vous vous refuserez à les croire.

Et, sans attendre la réponse, Jean Guerrierreprit le chemin de sa cellule, suivi par les agents, quiredoutaient une tentative de suicide et se tenaient prêts àprévenir les mouvements du malheureux.

Roger se retira, consterné. Que voulait direGuerrier ? L’infortuné était-il déjà en proie auxhallucinations de la folie ? N’accusait-il pas sa femme, sonbeau-père et son patron d’avoir causé sa perte !

Roger courut en toute hâte chezMarie-Louise.

Il la trouva seule tout en larmes.

– J’ai vu Jean, lui dit-il.

Elle poussa un cri de joie.

– Il n’est donc plus au secret ?dit-elle. Moi, sa femme, je n’ai pu encore obtenir la permission dele voir, ne fût-ce qu’une minute.

Ce n’était pas là le ton d’une femme qui acausé la perte de son mari.

Roger Laroque ne voulut pas mentir. Il racontadans ses moindres détails, la scène navrante à laquelle il venaitd’assister. Tout en parlant, il regardait attentivementMarie-Louise.

La jeune femme ne se troubla nullement. Il n’yeut pas dans ses yeux la moindre expression qui pût donner à penserà Roger qu’elle comprenait ses paroles accusatrices.

Elle éclata en sanglots, criant :

– S’il m’accuse, c’est que son désespoira perdu sa raison. Il faut qu’on me rende mon mari. Moi seule suiscapable de le guérir.

Margival rentra au même instant. Mis aucourant de l’événement de la matinée, il conclut aussi à la foliede Guerrier. Sa sincérité n’était pas plus douteuse que celle deMarie-Louise.

Le père et la fille respiraient l’honnêteté,la probité, l’honneur.

Quant à l’insinuation de Guerrier contreM. de Terrenoire, on convint de ne pas en parlerprovisoirement au banquier. Il était inutile de lui révéler desparoles que Guerrier regretterait certainement.

Le soir même, le prisonnier recevait de sonancien patron la lettre suivante dont l’écriture allongée enanglaise du plus pur style n’avait aucun rapport avec celle deRoger Laroque :

« Cher Monsieur Guerrier,

« Je n’ai pas hésité à révéler àMarie-Louise et à son père les paroles amères que vous avezprononcées contre ces deux êtres qui vous aiment tant, paroles dontle sens m’échappe absolument.

« Je vous jure que votre femme et votrebeau-père n’ont pas compris un mot de ce que vous voulez dire.

« Il y a des expressions, desexclamations qui ne trompent pas. Votre famille est tout à fait endehors de vos malheurs et le coup qui vous frappe la frappe en mêmetemps.

« Ne vous laissez pas abattre, comptezsur tous les vôtres comme sur moi.

« Votre ami,

« WILLIAM FARNEY. »

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