La Revanche de Roger-La-Honte – T1

Chapitre 6

 

 

Le jour même, Mussidan arriva.

Terrenoire et lui s’enfermèrent dans uncabinet et restèrent longtemps ensemble.

Le banquier commença par lui faire le récit dudrame qui s’était passé boulevard Haussmann.

Après quoi, il aborda la questionfinancière.

Outre le vol de douze cent mille francs, il yavait la débâcle de la Bourse.

À chaque instant, des nouvelles venaient de laBourse, où l’émotion était indescriptible.

Terrenoire ne cacha rien à Mussidan.

– La situation est désespérée, dit-il,car, outre les pertes énormes que je prévois et qui sont lerésultat de la situation de la Bourse, il y a le vol dont je suisvictime et le million en caisse était destiné à des remboursementsqui devaient se faire aujourd’hui. La faillite pour moi sembleinévitable, si tu ne me viens en aide, car, demain, dès que mesbureaux seront rouverts, je m’attends à des retraits de dépôtsnombreux, arrivant de tous côtés, auxquels il me sera impossible defaire face, et qui aggraveront encore mes embarras.

Mussidan était assis et l’écoutaitdistraitement.

Il ne l’avait pas interrompu une seulefois.

Terrenoire, malgré ses efforts pour garder sonsang-froid et son calme, était fiévreux et agité.

Il regardait son ami, attendant, de ce qu’ilallait dire, un arrêt de vie ou de mort.

– Cela est fort triste et fortinattendu !

– Voilà tout ce que tu trouves pour meplaindre ? fit Terrenoire, surpris. Je sais que peu t’importela perte que je fais et que cependant tu partages, car tu es riche…mais je n’ai pas la même fortune que toi… c’est moi qui suisfrappé, et non toi, car si nous sommes associés de fait, puisquec’est avec tes ressources que j’ai fondé notre banque, je suis seulen nom, et supporterai seul le déshonneur de la faillite…

– Tu étais trop heureux, vois-tu, ditMussidan d’un air étrange, tu as tenté Dieu… Oui, trop heureux… tut’es laissé enivrer… Tout te réussissait… La fortune te souriait…Ta femme, belle, fière, triomphante, qui te faisait envier de toustes amis, a mis la paix dans ton foyer domestique… Ta fille est unange de grâce et de beauté… Qui ne l’adorerait ? Toi, tu esgai, heureux et bien portant… Tu te laissais vivre… Un seul hommen’est pas capable de supporter tant de bonheur !…

Terrenoire l’écoutait saisi.

Jamais Mussidan ne lui avait parlé de lasorte.

Que se passait-il donc dans cetteâme ?

D’où venait cette ironie ?

– Ainsi, tu me refuses ?

– Tous mes capitaux sont engagés, dit lecomte – pâle et détournant les yeux – je ne puis disposer, àl’heure présente, que de quelque cent mille francs. Cela ne peutsuffire. Je le regrette. Je suis au désespoir. Mais ce coup est siinattendu…

– C’est bien, fit Terrenoire, très bas,c’est bien, Mussidan, tu es libre. Je ne t’en veux pas. Je teremercie de m’avoir parlé comme tu viens de le faire. Adieu. Jevais retrouver ma fille et ma femme. Je leur avais dit que tu nevoudrais pas, sans doute, que la honte entrât dans notre maison,qui est un peu la tienne… Je vais leur apprendre – oh ! sansrancune – que, malgré ton désir, tu ne peux nous sauver.

Mussidan s’était levé brusquement.

Sa fille ! Un instant, la jalousie luiavait tout fait oublier.

Sa fille ! Mais c’était Diane qui seraitla première atteinte par ce déshonneur !

Sa fille !… qu’il aimait tant, et quijustement lui inspirait sa jalousie du bonheur deTerrenoire !

Sa fille allait pleurer, et vivre pauvre, dansla gêne, le travail de tous les jours, la misère, pendant que lui,Mussidan, continuerait de traîner sa vie ennuyée à travers sesmillions !…

« Malheureux ! se disait-il, à quoipenses-tu ? La honte entrerait par toi dans cette maison ett’en chasserait ! Et jamais plus tu ne pourrais revoir cetteenfant que tu adores et qui emplit ta pensée ! »

Terrenoire s’en allait digne et triste.

Mussidan l’arrêta.

– Pardonne-moi, mon ami, dit-il. Depuisquelque temps, je vis un peu comme un fou, ne sachant trop ni ceque je dis, ni ce que je fais.

Et il lui tendit la main.

Terrenoire hésitait.

– Puisque je te demande pardon ? fitMussidan.

Ce dernier mot vainquit Terrenoire. Toutefois,il lui dit :

– Tu m’avais refusé si durement, mon ami,que s’il ne s’agissait que de moi, et non de ma femme, et de mafille, je refuserais à mon tour.

Ils s’assirent de nouveau l’un en face del’autre. Ils causèrent, et leur entretien – longtemps après – finitsur ce mot, dit par le comte :

– Tu peux disposer de ma fortune. Voicimes pleins pouvoirs. Sauve-toi d’abord, sauve ta femme, sauve tafille. Nous compterons ensuite.

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