La Revanche de Roger-La-Honte – T1

Chapitre 8

 

 

Depuis qu’elle avait fait à Raymond l’aveu deson amour, Suzanne était plus calme ; elle se montrait plusenjouée avec son père.

La saison des grands froids approchait. Despluies torrentielles persistantes, détrempèrent la terre etrendirent impossibles les longues promenades.

Suzanne tuait le temps en jouant du piano eten lisant tous les ouvrages que son père lui apportait deParis.

– Tu ne t’ennuies pas ici ? luidemanda Laroque un soir qu’il l’avait surprise s’endormant sur sabroderie.

– Mais pas du tout, et j’espère bien quenous y passerons l’hiver.

Laroque répliqua :

– Ce serait un grand plaisir pour moi quede te voir admirée dans une société de gens distingués où mafortune m’a permis d’être admis dès mon arrivée à Paris.

– Pourquoi voulez-vous qu’onm’admire ? dit la jeune fille avec tristesse. Je me suistoujours sentie mal à l’aise auprès des étrangers, et pour vousdire vrai, je ne retrouverai toute ma gaieté que lorsque nousserons retournés là-bas, en Amérique.

Rien ne pouvait faire plus de plaisir à RogerLaroque que l’idée de quitter la France ; mais il avait encoretant de choses à faire avant de reprendre la mer.

Son enquête personnelle, n’aboutissait à rien.Le moment était venu pour lui de se confier à Tristot etPivolot.

Un matin qu’il se disposait à prendre le trainde Paris pour se rendre chez Guerrier, il croisa Raymond deNoirville.

– Voulez-vous m’accompagner jusqu’à lagare ? demanda-t-il au jeune homme.

– Volontiers, monsieur Farney. Il y alongtemps que je me proposais de venir vous voir. J’ai desrenseignements à vous demander.

– Tout à votre disposition. Nouscauserons en chemin.

Laroque tenait avant tout à éloigner de samaison le fils de l’homme qui avait été sa victime. « Cegarçon-là, se disait-il, a tout pour lui ; si Suzanne seprenait à l’aimer ! »

Son instinct de père l’avertissait dudanger.

En route, Raymond lui demanda desrenseignements sur l’Amérique du Nord. Il ne cachait pas sonintention de quitter la France, malgré les succès qu’il avait déjàeus au barreau. Il voulait comparer la législation française aveccelle des États-Unis, surtout au point de vue de la procédure. Ilétait d’avis qu’il y aurait plus de gloire à faire un bon ouvrage,utile à tous, que des plaidoiries passables utiles àquelques-uns.

On sait que Laroque était doué d’une grandepénétration. Sous ces projets de philanthropie prématurée, ildevina une grande déception. Raymond de Noirville devait avoir aufond du cœur un profond chagrin : c’était pour s’étourdir etnon pas seulement pour travailler, qu’il désirait s’expatrier.

– Vous êtes bien jeune, dit WilliamFarney, pour entreprendre une excursion qui exigerait le sacrificedes plus belles années de votre jeunesse.

– L’étude m’a vieilli, Monsieur, ouplutôt elle m’a donné une expérience rare pour mon âge. Laprofession d’avocat n’est pas sans déboires. Mon père l’exerçaitavec éclat. Qui parle de lui, maintenant ? Qui se souvientd’une seule des causes célèbres auxquelles il a prêté le secours desa parole chaude et convaincante ? Il n’était pas homme àplaider l’innocence d’un scélérat dont la culpabilité ne faisaitaucun doute. Mais, il découvrait des circonstances atténuantes qui,parfois, lui permirent de sauver des têtes condamnées à l’avance.Quand il plaidait l’acquittement, c’est que sa conviction étaitfaite. Il est mort au tribunal même en demandant grâce pour unassassin qui avait été son ami et que des revers de commerceavaient poussé au vol, puis au crime, conséquence du vol. Foudroyépar l’apoplexie, il n’a même pas su que ses dernières parolesavaient encore sauvé une tête…

– Une tête de scélérat, dites-vous ?demanda Roger Laroque, dont le visage s’était couvert d’une pâleurcadavérique.

– Hélas ! oui ! Du moins, je lecrois. Du reste, ce malheureux qui s’appelait Roger Laroque et quele peuple a baptisé du nom de Roger-la-Honte, s’est échappé dubagne et, depuis, on n’a jamais plus entendu parler de lui. S’ilavait pu prouver son innocence, il n’y aurait certes pasmanqué.

Ce que Roger Laroque souffrait en entendantparler de lui par le fils de Lucien de Noirville, nous ne saurionsl’exprimer.

Comme il aurait voulu pouvoirs’écrier :

– Ne blasphémez pas, jeune homme. Leprétendu scélérat qui, hélas a hâté la mort de votre père, estinnocent. En voici la preuve.

La preuve ! À qui donc pourrait-il lafournir, la preuve ? À Raymond de Noirville, fils de Julia,encore moins qu’à tout autre.

Ah ! l’horrible situation !

Roger donna au jeune homme tous lesrenseignements dont il avait besoin et lui offrit même de luiprêter le secours de sa bourse, pour son voyage.

Raymond refusa ce concours. Il n’était pasriche, mais son intention était de vivre sans aucun luxe.

– Le travail, ajouta-t-il, est encore cequ’il y a de moins coûteux au monde.

– Et quand partez-vous ? demandaFarney.

– Le plus tôt possible : le temps depréparer ma mère à cette séparation, d’autant plus cruelle pourelle que mon frère, Pierre, est également décidé à quitter laFrance. Il a le goût des voyages et nourrit l’ambition departiciper à une mission géographique.

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