La Revanche de Roger-La-Honte – T1

Chapitre 7

 

 

Pendant que le banquier, allégé d’un poidsénorme, renaissant à la vie, sortait pour se rendre à la Bourse etfaire face à l’orage, Mussidan se faisait annoncer chezMme de Terrenoire.

Bien que celle-ci fût souffrante, elle lereçut.

Mussidan s’avança vers elle et lui baisa lamain.

– Vous semblez tout joyeux, dit-elle,votre visage paraît comme éclairé. Qu’avez-vous ? Vous nesavez donc pas ce qui se passe ?

– Je le sais.

– Et voilà ce qui vous rendgai ?

– Assurément.

– Je ne comprends pas, dit-ellesèchement.

Elle se leva et fit quelques pas pours’éloigner.

– Vous avez la mémoire courte. Ne vousai-je pas dit, l’autre soir, tenez, le soir même où vous donniezcette magnifique fête japonaise qui a fait courir tout Paris :« J’en suis presque à souhaiter une catastrophe afin qu’on aitbesoin de moi, afin que la vie de Diane, de ma fille, dépende demoi, afin de lui venir en aide à ce point qu’elle soit forcée dem’aimer à égal de Terrenoire ! » Ne vous disais-je pasque j’étais jaloux de l’affection que cette enfant, qui est mafille, portait à cet homme, qui n’est pas son père…

– Plus bas, malheureux, ditMme de Terrenoire, effrayée – car Mussidan ence moment d’exaltation, avait élevé la voix –, on pourrait nousentendre !…

Elle regardait autour d’elle, effarée.

– Aujourd’hui, continuait Mussidan, jesuis moins jaloux, parce que je viens d’acquérir un droit à sonaffection, un droit à sa reconnaissance. Il faut plus de deuxmillions pour sauver Terrenoire de la honte, du déshonneur, d’unefaillite, du suicide. Ces deux millions, je les donne, je les donneà ma fille, je te les donne, Andréa… Je suis heureux aujourd’hui…Ah ! cela me pesait de ne rien faire pour elle, de n’avoirjamais rien fait… J’aurais voulu autre chose qu’un sacrificed’argent… J’aurais voulu qu’elle eût besoin de ma vie, de mon sang…Qui sait ? Cela viendra peut-être…

Il avait de nouveau élevé la voix, joyeux,délirant, malgré les gestes d’Andréa… mais, tout à coup, il pâlitet Andréa, effarée, demi-morte, tomba sur un fauteuil.

Ils avaient entendu du bruit dans un salonvoisin. Assurément, quelqu’un était là, qui avait écouté ce qu’ilsdisaient !…

Mussidan fit quelques pas dans la direction dusalon et allait soulever la portière, quand il recula foudroyé.

Diane écartait cette portière et apparaissaitsoudain devant lui. D’une pâleur étrange et se soutenant à peine,elle fut obligée de s’arrêter et de s’appuyer. Elle chancelait. Uninstant, une seconde – moins peut-être – il y eut entre elle et lesdeux autres une inexprimable horreur.

Mais elle montra un courage d’homme, cetteenfant ; elle eut la sublime énergie d’essayer de sourire àMussidan et à Mme de Terrenoire, et deparaître gaie, quand elle avait le cœur dévoré de honte, de colère,de dégoût…

Eux baissaient la tête devant la jeune fille,ainsi que des coupables attendant l’arrêt du juge. Ils ne vivaientplus.

– Eh bien ! dit Diane, pourquoi meregardez-vous de la sorte ?… Vous êtes gentils !… Vousvoyez que je suis toute défaite et vous ne me demandez même pasquel est le motif de mon émotion…

Mme de Terrenoirerespira.

Quant à Mussidan, il se contenta, surpris,d’observer sa fille.

– C’est vrai, dit Andréa, tu es pâle…

– Je me suis trouvée mal dans le salonvoisin, cela n’a duré qu’un instant ; j’ai eu un éblouissementet, si je ne m’étais retenue à un fauteuil, je serais tombée…Toutes ces mauvaises nouvelles… arrivant coup sur coup, m’onttroublé un peu la tête… Cela va mieux…

Et elle essayait de nouveau de sourire, maisune étrange fatigue s’était répandue sur ses traits, avec lacouleur jaune terreuse des gens malades.

Mme de Terrenoire eut lafolle espérance que Diane ne savait rien, n’avait rien entendu.

– Ma pauvre enfant ! dit-elle tout àcoup avec élan, n’aie plus de craintes. Ton père est sauvé !…Monsieur de Mussidan, avec une énergie vraiment royale, lui alaissé la libre disposition de sa fortune pour lui permettre defaire face à tous les remboursements… Remercie-le !… C’est àlui que nous devons de garder notre rang dans le monde, notrefortune – et c’est à lui que ton père devra de garder son honneursauf…

– Vous avez fait cela, monsieur deMussidan ? dit la jeune fille, dont la voix était profondémentaltérée.

– Et je suis heureux, dit-il lentement,sans cesser de l’observer, de cette nouvelle occasion qui m’estofferte de vous prouver combien je vous aime, moi qui cependant nesuis rien pour vous, si ce n’est l’ami de votre père.

– L’ami de mon père, oui, fit-elle, etelle répéta plus bas : l’ami de mon père ! C’est pour luique je vous remercie, Monsieur, et pour ma mère !…

– Et aussi pour vous, n’est-ce pas monenfant ?

Elle hésita. Elle semblait défaillirencore.

– Oui et aussi pour moi, dit-ellefaiblement. Je suis heureuse, très heureuse de ce que vousfaites !…

Et, n’y tenant plus, elle éclata en sanglots,s’affaissa sur le parquet avant que Mussidan eût pu la retenir enproie à une violente crise de nerfs, mordant son mouchoir pourétouffer ses cris, se tordant les membres contractés, la gorgeétranglée.

Mussidan, égaré, fou, se précipita sur elle,la prit dans ses bras, pendant queMme de Terrenoire, terrifiée, n’avait même pasla force de bouger. Il répéta : « Elle sait tout. Elle atout compris ! »

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer