La Revanche de Roger-La-Honte – T1

Chapitre 10

 

 

Le rétablissement de Suzanne fut prompt ;mais la jeune fille conserva sur sa physionomie une teinte demélancolie qui inspira au père les plus vives appréhensions.

« Elle aime ! se disait-il. Jereconnais bien en elle tous les signes du sentiment nouveau quiagite son âme. Aimerait-elle l’un de ces Noirville ? Oh,l’horrible fatalité, si c’était vrai ! »

Déjà Laroque songeait à quitterMaison-Blanche, à fuir ce voisinage où le passé venait le relancersi cruellement. Il annonça son projet de départ à Suzanne. Lapauvre enfant devint toute pâle.

– Sommes-nous donc condamnés, dit-elle, àerrer sur cette terre comme les parias dont personne neveut !

Ce fut au tour de Laroque à pâlir : cemot « condamnés » venait de lui tenailler le cœur.Suzanne en avait trop dit : il semblait qu’elle faisaitallusion à la terrible sentence des juges de Versailles. Mais bienvite l’enfant dissipa les affreux doutes du père. Avec sa câlineriede fille aimante, elle passa ses mains autour du cou du vieillard,l’embrassa tendrement et lui glissa à l’oreille ces mots quivalaient un ultimatum :

– Je suis si bien ici !

– Eh bien, nous resterons, répondit Rogerà la fois rassuré et vaincu.

Ses doutes lui revinrent bientôt et il résolutde hâter ses démarches pour en finir avec une situation qui d’unjour à l’autre pouvait redevenir sans issue.

Le lendemain, à une heure de l’après-midi, ilsonnait à la porte de Guerrier, qui l’attendait et ouvritaussitôt.

– Eh bien ? demanda-t-il. Le comte aparlé ?

– Pas encore ; mais je suisconvaincu qu’il parlera samedi soir, au cours de la grandesoirée.

– Qui te le fait croire ?

– Après avoir dressé avec lui ce matin laliste des invitations, il m’a dit : « Monsieur Margivalvous a annoncé que j’avais une grave communication à vous faire.Veuillez attendre jusqu’à samedi soir ; mais qu’il voussuffise de savoir qu’il s’agit de votre bonheur. » De monbonheur ! C’est Marie-Louise qui le détient dans ses beauxyeux et qui, j’espère, ne lui donnera pas la liberté de sitôt.

Roger sourit avec bonté.

– Montre-moi, dit-il, la liste de vosinvités.

Jean lui tendit un carnet sur lequel près detrois cent cinquante noms étaient inscrits.

L’un de ces noms fit pousser un ah ! aupère de Suzanne.

– Le baron de Cé ! s’écria-t-il. Lebaron de Cé ! Mais je le connais.

C’est ce baron que j’ai rencontré au cercledans la nuit qui a précédé le jour fatal. Il s’est assis auprès demoi à la table de jeu, et je vois encore sa longue tête degentilhomme usé par les veilles et les émotions du tapisvert ! Je tiens à reconstituer la société plus ou moinshonorable qui se trouvait présente à ce cercle, durant la nuit oùj’ai éprouvé toutes les angoisses de la perte d’un argent sacré etles mauvaises joies de la veine. Les billets de banque tachésd’encre me venaient-ils de cet endroit maudit ou… ?

Roger s’interrompit. Il ne pouvait pas plusconfesser à Guerrier qu’à ses juges l’affreux secret des cent millefrancs prêtés à une femme et restitués le lendemain du jour oùLarouette était tombé sous les coups d’un assassin.

– Peux-tu m’adresser une lettred’invitation ? dit-il.

– Parfaitement, et je vous présenteraimême à monsieur et madame de Terrenoire comme étant un richeAméricain dont j’aurai fait la connaissance ces temps derniers etqui se trouvera très honoré d’avoir l’accès d’un salonparisien.

– Très bien. Je verrai ce baron de Cé etj’observerai la comtesse.

– N’allez-vous pas vous compromettreinutilement ?

« Mon avis est que vous feriez mieuxd’aller trouver Tristot et Pivolot, ces policiers amateurs, quevous avez eu le malheur de connaître. Ce sont d’honnêtes gens. Ilsne vous trahiront pas. N’ayant point d’avancement à convoiter dansl’administration, travaillant selon leur bon plaisir, en hommeslibres, ils verront dans votre démarche toute spontanée la preuvede votre innocence. Vous les verrez se mettre à la besogne sansaucun retard, et si ces deux compères-là ne découvrent rien, il nevous restera plus qu’à quitter la France et à renoncer à ce travaild’hercule où vous risquez de succomber. Tristot et Pivolot habitentrue de Douai, tout près d’ici.

– J’irai, dit Laroque, mais lorsque tonbonheur sera assuré.

« Quelque chose me dit que la soirée desamedi m’apprendra du nouveau. Il n’y a pas de jour, hélas !où je ne croie trouver la piste !

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