Les Blancs et les Bleus – Tome II

Chapitre 23Le combat

Cadoudal échangea quelques paroles avec sescompagnons, et quatre de ceux-ci qui n’avaient pas de chevaux,faisant partie des officiers qui devaient porter ses ordres dans labruyère et dans le maquis, se glissèrent aussitôt et gagnèrent, àtravers les genêts, le pied de deux chênes énormes dont lesbranches vigoureuses et le puissant feuillage faisaient un rempartcontre le soleil.

Ces deux chênes étaient placés à l’extrémitéde l’espèce d’avenue que formait, en venant de la ville au sentier,le chemin encaissé entre les deux talus.

Arrivés là, ils se tinrent prêts à exécuterune manœuvre quelconque dont eussent cherché inutilement à serendre compte ceux qui n’étaient pas dans le secret du plan debataille du général.

La voiture de Diana avait été tirée du milieude la route jusque dans le sentier, et, elle-même, à trente pas dela voiture, était montée sur une éminence couronnée de petitsarbres au milieu desquels, inaperçue, elle pouvait tout voir sansêtre vue.

Les chasseurs et les hussards avançaienttoujours au pas avec précaution. Ils avaient, les précédant detrente pas, une avant-garde de dix hommes qui marchait comme lereste du corps avec de grandes précautions.

Lorsque les derniers furent sortis de laville, un coup de fusil retentit et un des hommes del’arrière-garde tomba.

Ce fut un signal. Aussitôt les deux crêtes duravin qui formaient la route s’enflammèrent. Les bleus cherchaienten vain l’ennemi qui les frappait. Ils voyaient le feu, la fumée,ils sentaient le coup, mais ne pouvaient distinguer ni l’arme nil’homme qui la portait. Une espèce de désordre ne tarda point à semettre parmi eux lorsqu’ils se virent condamnés à ce dangerinvisible. Chacun essaya, non pas de se soustraire à la mort, maisde rendre la mort. Les uns revinrent sur leurs pas, les autresforcèrent leurs chevaux d’escalader le talus ; mais, au momentoù leur buste dépassait la crête de ce talus, frappés à boutportant en pleine poitrine, ils tombaient en arrière, renversantleurs chevaux avec eux, comme ces amazones de Rubens à la batailledu Thermodon.

D’autres enfin, et c’étaient les plusnombreux, poussèrent en avant, espérant dépasser l’embuscade etéchapper ainsi au piège où ils étaient tombés. Mais Cadoudal, quisemblait avoir prévu ce moment et l’attendre, en les voyant mettreleurs chevaux au galop, enleva son cheval, et, suivi de sesquarante hommes, s’élança à leur rencontre.

On se battit alors sur toute la longueur d’unkilomètre.

Ceux qui avaient voulu retourner en arrièreavaient trouvé le chemin fermé par les chouans, qui, presque à boutportant, déchargèrent leurs fusils sur eux et les forcèrent àreculer.

Ceux qui voulaient continuer d’escalader lestalus trouvaient la mort à leur faîte, et en retombaient avec leurschevaux coupant ou embarrassant le chemin.

Ceux enfin qui s’étaient élancés en avantavaient rencontré Cadoudal et ses hommes.

Il est vrai qu’après une lutte de quelquesinstants, ceux-ci avaient paru céder et avaient tourné bride.

Le gros de la cavalerie des bleus s’était misalors à leur poursuite ; mais à peine le dernier chouanavait-il dépassé les deux chênes gardés par les quatre hommes, queceux-ci se mirent à peser dessus de toutes leurs forces et que lesdeux géants, d’avance presque séparés de leur base par la hache,s’inclinèrent, venant au-devant l’un de l’autre, et, froissantleurs branches, tombèrent à grand bruit sur la route, qu’ilsfermèrent comme une barricade infranchissable. Les républicainssuivaient les blancs de si près, que deux des leurs furent écrasésavec leurs chevaux par la chute des deux arbres.

Même manœuvre s’accomplissait à l’autreextrémité de la gorge. Deux arbres, en tombant et en croisant leursbranchages, formaient une barrière pareille à celle qui venait declore l’autre extrémité de la route.

Dès lors, hommes et chevaux se trouvaient priscomme dans un immense cirque ; dès lors, chaque chouan putchoisir son homme, l’ajuster à son aise, et l’abattre sûrement.

Cadoudal et ses quarante cavaliers étaientdescendus de leurs chevaux devenus inutiles, et, le fusil à lamain, s’apprêtaient à prendre part au combat, lorsqueMlle de Fargas, qui suivait ce drame sanglant,avec toute l’ardeur dont sa nature léonine était capable, entendittout à coup le galop d’un cheval sur la route de Vitré à LaGuerche. Elle se retourna vivement et reconnut le cavalier aveclequel elle avait fait route.

En voyant Georges et ses compagnons près de sejeter parmi les combattants, il avait attiré leur attention par lescris de : « Arrêtez ! attendez-moi ! »

Et, en effet, à peine les eut-il rejoints aumilieu des cris qui accueillaient sa bienvenue, il sauta à bas deson cheval qu’il donna à garder à un chouan, se jeta au cou deCadoudal, prit un fusil, emplit ses poches de cartouches, et, suivide vingt hommes, Cadoudal s’étant réservé les vingt autres,s’élança dans le maquis qui s’étendait sur le côté gauche de laroute, tandis que le général et ses compagnons disparaissaient aucôté droit.

Un redoublement de fusillade annonça lesecours qui venait d’arriver aux blancs.

Mlle de Fargas était tropoccupée de ce qui se passait devant elle pour se rendre un comptebien exact de la conduite de M. d’Argentan. Elle comprenaitseulement que le prétendu receveur de Dinan était tout simplementun royaliste déguisé ; ce qui expliquait comment il apportaitl’argent de Paris en Bretagne au lieu d’en envoyer de Bretagne àParis.

Ce qui se fit alors d’efforts héroïques parmicette petite troupe de cinq cents hommes suffirait à tout un poèmede chevalerie.

Le courage était d’autant plus grand quechacun luttait, comme nous l’avons dit, contre un danger invisible,appelait ce danger, le défiait, hurlant de rage de ne pas le voirse dresser devant lui. Rien ne pouvait faire changer aux chouansleur homicide tactique. La mort volait en sifflant et l’on nevoyait rien autre chose que la fumée, et l’on n’entendait rienautre chose que la détonation. Seulement, un homme ouvrait lesbras, tombait à la renverse à bas de son cheval et l’animal éperducourait sans cavalier, franchissait le talus, et galopait jusqu’àce qu’une main invisible l’arrêtât et liât sa bride à quelquesouche d’arbre.

De place en place, dans la plaine, on voyaitun de ces chevaux se roidissant sur ses pieds, tirant sur sa brideet essayant de s’éloigner du maître inconnu qui venait de le faireprisonnier.

La boucherie dura une heure !

Au bout d’une heure, on entendit battre lacharge.

C’était l’infanterie républicaine qui venaitau secours de sa cavalerie.

Le vieux colonel Hulot la commandait enpersonne.

Son premier soin fut, avec le coup d’œilinfaillible du vétéran, de prendre connaissance des localités, etd’ouvrir une issue aux malheureux qui se trouvaient enfermés dansl’espèce de tunnel qui fermait la route.

Il fit dételer les chevaux des canons,l’artillerie lui devenant inutile pour l’espèce de combat qu’ilallait livrer ; il ordonna d’attacher leurs traits à la cimedes arbres, qu’il força de perdre leur position transversale, etqui, en s’alignant de chaque côté de la route, ouvrirent une voiede retraite à la cavalerie. Alors, il lança cinq cents hommes dechaque côté de la route, la baïonnette en avant, comme si l’ennemiétait en vue. Puis il ordonna aux plus habiles tireurs de faire feusur feu, c’est-à-dire aussitôt qu’apparaissait un nuage de fumée detirer immédiatement sur ce nuage qui dénonçait un homme embusqué.C’était le seul moyen de répondre à la fusillade des blancs, qui,presque toujours tirant à l’abri, ne se livraient qu’au moment oùils mettaient en joue. L’habitude et surtout la nécessité de ladéfense avaient rendu beaucoup de soldats républicains d’unehabileté extraordinaire à cette riposte subite.

Parfois l’homme à qui on ripostait ainsi étaittué raide ; parfois aussi, tiré pour ainsi dire au juger, iln’était que blessé. Alors, il ne bougeait point, d’autres coups defusil faisaient oublier le sien, et souvent l’on passait près delui sans le voir. Les chouans étaient connus pour leur merveilleuxcourage à étouffer les plaintes qu’à tout autre soldat eûtarrachées une irrésistible douleur.

Le combat dura jusqu’à ce que descendissent duciel les premières ombres de la nuit. Diana, qui ne perdait aucunépisode de la lutte, frémissait d’impatience de n’y pouvoir prendrepart. Elle eût voulu être vêtue d’un habit d’homme, être armée d’unfusil, et se ruer, elle aussi, sur ces républicains qu’elleexécrait. Mais elle était enchaînée par son costume et parl’absence d’armes.

Vers sept heures, le colonel Hulot fit battrela retraite. Le jour était dangereux dans ces sortes de combats,mais la nuit était plus que dangereuse : elle étaitmortelle !

Le son des trompettes et des tambours quiannonçaient la retraite redoubla l’ardeur des chouans. Évacuer lechamp de bataille, rentrer dans la ville, c’était s’avouervaincus.

Les républicains furent reconduits à coups defusil jusqu’aux portes de La Guerche, ignorant les pertes que leschouans avaient pu faire, et ne ramenant pas un seul prisonnier, augrand désespoir de François Goulin, qui était arrivé à faire entrersa machine dans la ville et à la conduire à l’extrémité opposée,afin de la rapprocher du champ de bataille.

Tant d’efforts avaient été inutiles, etFrançois Goulin, désespéré, avait pris son logement dans une maisond’où il pût ne pas perdre de vue son précieux instrument.

Depuis le départ de Paris, aucun officier niaucun soldat n’avait voulu loger dans la même maison que lecommissaire extraordinaire. On lui accordait une garde de douzesoldats, voilà tout. Quatre hommes gardaient la guillotine.

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