Les Blancs et les Bleus – Tome II

Chapitre 28Le 7 fructidor

Laissons Cadoudal continuer sa luttedésespérée contre les républicains, et, tantôt victorieux, tantôtvaincu, rester, avec Pichegru, le seul espoir que les Bourbonsconservassent en France, jetons un regard sur Paris etarrêtons-nous au monument de Marie de Médicis, où continuentd’habiter dans les appartements que nous avons dit, les citoyensdirecteurs.

Barras avait reçu le message de Bonaparte quelui avait apporté Augereau.

La veille du départ de celui-ci, le jeunegénéral en chef, choisissant l’anniversaire du 14 Juillet, quirépondait au 26 messidor, avait donné une fête à l’armée et faitrédiger des adresses dans lesquelles les soldats d’Italieprotestaient de leur attachement pour la République et de leurdévouement à mourir, s’il le fallait, pour elle.

On avait, sur la grande place de Milan, élevéune pyramide au milieu de trophées conquis sur l’ennemi, drapeauxet canons.

Cette pyramide portait les noms de tous lessoldats et officiers morts pendant la campagne d’Italie.

Tout ce qu’il y avait de Français à Milan futconvoqué à cette fête, et plus de vingt mille hommes présentèrentles armes à ces glorieux trophées et à cette pyramide couverte denoms immortels, le nom des morts.

Pendant que vingt mille hommes formaient lecarré et présentaient à la fois les armes à leurs frères étendussur les champs de bataille d’Arcole, de Castiglione et de Rivoli,Bonaparte, la tête découverte, et montrant de la main la pyramide,disait :

– Soldats ! c’est aujourd’huil’anniversaire du 14 Juillet ; vous voyez devant vous les nomsde vos compagnons d’armes morts au champ d’honneur pour la libertéet pour la patrie ; ils vous ont donné l’exemple. Vous vousdevez tout entiers à la République, vous vous devez tout entiers aubonheur de trente millions de Français, vous vous devez toutentiers à la gloire de ce nom qui a reçu un nouvel éclat par vosvictoires.

» Soldats ! je sais que vous êtesprofondément affectés des malheurs qui menacent la patrie ;mais la patrie ne peut courir de dangers réels. Les mêmes hommesqui l’ont fait triompher de l’Europe coalisée sont là. Desmontagnes nous séparent de la France ; vous les franchiriezavec la rapidité de l’aigle, s’il le fallait pour maintenir laConstitution, défendre la liberté, et protéger lesrépublicains.

» Soldats, le gouvernement veille sur ledépôt qui lui est confié ; les royalistes, dès l’instantqu’ils se montreront, auront vécu. Soyez sans inquiétude et juronspar les mânes des héros qui sont morts près de nous pour laliberté, jurons sur nos drapeaux guerre implacable aux ennemis dela République et de la Constitution de l’an III.

Puis il y eut un banquet, des toasts furentportés.

Bonaparte porta le premier.

– Aux braves Steingel, La Harpe etDubois, morts au champ d’honneur ! Puissent leurs mânes,dit-il, veiller autour de nous, et nous garantir des embûches denos ennemis !

Masséna porta un toast à la réémigration desémigrés.

Augereau, qui devait partir le lendemain,chargé des pleins pouvoirs de Bonaparte, s’écria en levant sonverre :

– À l’union des républicainsfrançais ! À la destruction du Club de Clichy ! Que lesconspirateurs tremblent ! De l’Adige et du Rhin à la Seine, iln’y a qu’un pas. Qu’ils tremblent ! leurs iniquités sontcomptées, et le prix est au bout de nos baïonnettes.

Au dernier mot de ce toast, trompettes ettambours firent entendre le pas de charge. Chaque soldat courut àson fusil, comme si l’on eût dû partir en effet à l’instant même,et l’on eut toutes les peines du monde à faire reprendre à chacunsa place au festin.

Le Directoire avait vu arriver le messager deBonaparte avec des sentiments bien divers.

Augereau convenait fort à Barras. Barras,toujours prêt à monter à cheval, toujours prêt à appeler à son aideles jacobins et le peuple des faubourgs, Barras accueillit Augereaucomme l’homme de la situation.

Mais Rewbell, mais Larevellière, caractèrescalmes, têtes sages, eussent voulu un général sage et calme commeeux. Quant à Barthélémy et à Carnot, il va sans dire qu’Augereau nepouvait leur convenir sous aucun rapport.

Et, en effet, Augereau, tel que nous leconnaissons déjà, était un auxiliaire dangereux. Brave homme,excellent soldat, cœur intrépide, mais tête vantarde et languegasconne, Augereau laissait trop voir dans quel but il avait étéenvoyé. Mais Larevellière et Rewbell parvinrent à s’emparer de luiet à lui faire comprendre qu’il fallait sauver la République par unacte énergique et sans répandre le sang.

On lui donna, pour lui faire prendre patience,le commandement de la dix-septième division militaire quecomprenait Paris.

On était arrivé au 16 fructidor.

La position des différents partis étaittellement tendue, que l’on s’attendait, d’un moment à l’autre, à uncoup d’État, soit de la part des Conseils, soit de la part desdirecteurs.

Pichegru était le chef naturel du mouvementroyaliste. Si c’était lui qui prenait l’initiative, les royalistesse rangeaient autour de lui.

Le livre que nous écrivons est loin d’être unroman, peut-être même n’est-il point assez un roman pour certainslecteurs ; nous avons déjà dit qu’il était écrit pour côtoyerpas à pas l’histoire. De même que nous avons des premiers mis dansune lumière des plus complètes les événements du 13 vendémiaire etle rôle que Bonaparte y joua, nous devons, à l’époque où noussommes arrivés, montrer sous son véritable jour Pichegru tropcalomnié.

Pichegru, après son refus au prince de Condé,refus dont nous avons détaillé les causes, était entré encorrespondance directe avec le comte de Provence, qui, depuis lamort du petit dauphin, prenait le titre de roi Louis XVIII. Or, enmême temps qu’il envoyait à Cadoudal son brevet de lieutenant duroi et le cordon rouge, ayant apprécié le désintéressement dePichegru, qui avait déclaré refuser honneurs et argent, et netenter de faire la Restauration que pour la gloire d’être un Monksans duché d’Albemarle, Louis XVIII écrivait à Pichegru :

Il me tardait beaucoup, monsieur, depouvoir vous exprimer les sentiments que vous m’inspirez depuislongtemps et l’estime que j’avais pour votre personne. Je cède à cebesoin de mon cœur, et c’en est un pour moi de vous dire quej’avais jugé, il y a dix-huit mois, que l’honneur de rétablir lamonarchie française vous serait réservé.

Je ne vous parlerai pas de l’admirationque j’ai pour vos talents et pour les grandes choses que vous avezexécutées. L’Histoire vous a déjà placé au rang des grands générauxet la postérité confirmera le jugement que l’Europe entière a portésur vos victoires et sur vos vertus.

Les capitaines les plus célèbres nedurent, pour la plupart, leurs succès qu’à une longue expérience deleur art, et vous avez été, dès le premier jour, ce que vous n’avezcessé d’être pendant tout le cours de vos campagnes. Vous avez suallier la bravoure du maréchal de Saxe au désintéressement deM. de Turenne et à la modestie deM. de Catinat. Aussi puis-je vous dire que vous n’avezpas été séparé dans mon esprit de ces noms si glorieux dans nosfastes.

Je confirme, monsieur, les pleins pouvoirsqui vous ont été transmis par M. le prince de Condé. Je n’ymets aucune borne et vous laisse entièrement le maître de faire etd’arrêter tout ce que vous jugerez nécessaire à mon service,compatible avec la dignité de ma couronne et convenable auxintérêts de l’État.

Vous connaissez, monsieur, mes sentimentspour vous, ils ne changeront jamais.

Louis.

Cette seconde lettre suivit la première.Toutes deux donnent une mesure exacte des sentiments de Louis XVIIIà l’égard de Pichegru, et doivent influer, non seulement sur ceuxdes contemporains, mais sur ceux de la postérité :

Vous connaissez, monsieur, les malheureuxévénements qui ont eu lieu en Italie ; la nécessité d’envoyertrente mille hommes dans cette partie a fait suspendredéfinitivement le projet de passer le Rhin. Votre attachement àma personne vous fera juger à quel point je suis affectéde ce contretemps, dans le moment surtout où je voyais les portesde mon royaume s’ouvrir devant moi. D’un autre côté, les désastresajouteraient, s’il était possible, à la confiance que vous m’avezinspirée. J’ai celle que vous rétablirez la monarchie française, etsoit que la guerre continue, soit que la paix ait lieu cet été,c’est sur vous que je compte pour le succès de ce grand ouvrage. Jedépose entre vos mains, monsieur, toute la plénitude de mapuissance et de mes droits. Faites-en l’usage que vous croireznécessaire à mon service.

Si les intelligences précieuses que vousavez à Paris et dans les provinces, si vos talents, et votrecaractère surtout, pouvaient me permettre de craindre un événementqui vous obligeât à sortir du royaume, c’est entre M. leprince de Condé et moi que vous trouveriez votre place. En vousparlant ainsi, j’ai à cœur de vous témoigner mon estime et monattachement.

Louis.

Donc, d’un côté, Augereau pressait avec leslettres de Bonaparte, et, de l’autre, Pichegru était pressé par leslettres de Louis XVIII.

La nouvelle qu’Augereau avait été mis à latête de la dix-septième division militaire, c’est-à-dire commandaitles forces de Paris, avait appris aux royalistes qu’il n’y avaitpas de temps à perdre.

Aussi Pichegru, Villot, Barbé-Marbois, Dumas,Murinais, Delarue, Rovère, Aubry, Lafon-Ladébat, tout le partiroyaliste enfin, s’était rassemblé pour prendre une délibérationchez l’adjudant général Ramel, commandant la garde du Corpslégislatif.

Ce Ramel était un brave soldat, adjudantgénéral à l’armée du Rhin, sous les ordres du général Desaix,lorsque, le 1er janvier 1797, il reçut du Directoirel’ordre de se rendre à Paris pour prendre le commandement du Corpslégislatif.

Ce corps se composait d’un bataillon de sixcents hommes, dont la plupart venaient de grenadiers de laConvention, que nous avons vus si bravement marcher au feu, le 13vendémiaire, sous le commandement de Bonaparte. Là, la situationfut clairement exposée par Pichegru. Ramel était tout entier auxdeux Conseils, prêt à obéir aux ordres qui lui seraient donnés parles présidents.

Pichegru proposa de se mettre, le soir même, àla tête de deux cents hommes, et d’arrêter Barras, Rewbell etLarevellière-Lépeaux, qu’on mettrait en accusation le lendemain.Par malheur, il avait été convenu que tout se ferait à la majorité.Les temporiseurs s’opposèrent à la proposition de Pichegru.

– La Convention suffira pour nousdéfendre, cria Lacuée.

– La Constitution ne peut rien contre lescanons, et c’est avec les canons qu’ils répondront à vos décrets,répliqua Villot.

– Les soldats ne seront pas pour eux,insista Lacuée.

– Les soldats sont à celui qui lescommande, dit Pichegru. Vous ne voulez pas vous décider, vous êtesperdus. Quant à moi, ajouta-t-il mélancoliquement, il y a longtempsque j’ai fait le sacrifice de ma vie ; je suis las de tous cesdébats qui ne mènent à rien. Quand vous aurez besoin de moi, vousviendrez me chercher.

Et, sur ces paroles, il se retira.

Au moment même où Pichegru découragé sortaitde chez Ramel, une voiture de poste s’arrêtait à la porte duLuxembourg et l’on annonçait, chez Barras, le citoyen généralMoreau.

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