Les Blancs et les Bleus – Tome II

Chapitre 24Porcia

La journée n’avait pas eu pour Cadoudal et lessiens un résultat matériel d’une grande importance, mais lerésultat moral était immense.

Tous les grands chefs vendéens avaientdisparu : Stofflet était mort, Charette était mort. L’abbéBernier lui-même avait fait sa soumission, comme nous l’avons déjàdit. Enfin, par le génie et le courage du général Hoche, la Vendéeétait pacifiée, et nous avons vu que ce dernier, offrant des hommeset de l’argent au Directoire, avait été jusqu’au centre de l’Italieinquiéter Bonaparte.

De la Vendée et de la chouannerie, lachouannerie seule restait. Seul de tous les chefs, Cadoudal n’avaitpas voulu faire sa soumission.

Il avait publié son manifeste, il avaitannoncé sa reprise d’armes ; outre les troupes restées dans laVendée et dans la Bretagne, on envoyait contre lui six mille hommesde renfort.

Cadoudal, avec un millier d’hommes, nonseulement avait tenu tête à six mille vieux soldats aguerris parcinq ans de bataille, mais il les avait repoussés dans la villed’où ils avaient voulu sortir, il leur avait tué enfin trois ouquatre cents hommes.

La nouvelle insurrection, l’insurrectionbretonne, débutait par une victoire.

Une fois les bleus rentrés dans la ville etleurs sentinelles posées, Cadoudal, qui méditait une nouvelleexpédition pour la nuit, avait à son tour ordonné la retraite.

On voyait à travers les genêts et les ajoncsde la plaine où, des deux côtés de la route, ils marchaientmaintenant à découvert et qu’ils dépassaient de toute la tête,revenir joyeusement les chouans vainqueurs, s’appelant les uns lesautres, et se pressant derrière un des leurs qui jouait de lamusette, comme les soldats se pressent derrière les clairons durégiment.

Cette musette, c’était leur clairon à eux.

À l’extrémité de la descente, à l’endroit oùles arbres renversés avaient formé une barricade que n’avait pufranchir la cavalerie républicaine, à la place enfin où Cadoudal etd’Argentan s’étaient séparés pour aller au combat, ils serejoignirent au retour.

Ce fut pour eux une nouvelle joie de serevoir, car à peine s’étaient-ils entrevus en allant au feu.

D’Argentan, qui ne s’était pas battu depuislongtemps, y avait été de si bon cœur qu’il s’était fait donner uncoup de baïonnette à travers le bras. Il avait, en conséquence,jeté son habit sur son épaule et portait son bras en écharpe dansson mouchoir ensanglanté.

De son côté, Diana était descendue de lacolline, et marchait de son pas ferme, de son pas masculin, audevant des deux amis.

– Comment ! dit Cadoudal enl’apercevant, vous êtes restée là, ma brave amazone ?

D’Argentan jeta un cri de surprise, il venaitde reconnaître Mlle Rotrou, directrice de la posteaux lettres de Vitré.

– Permettez, continua Cadoudals’adressant toujours à Diana et lui indiquant de la main soncompagnon ; permettez que je vous présente un de mes meilleursamis.

– M. d’Argentan ? dit ensouriant Diana. J’ai l’honneur de le connaître, et c’est même unevieille connaissance de trois jours. Nous avons fait la routeensemble, depuis Paris jusqu’ici.

– Alors, ce serait à lui de me présenterà vous, mademoiselle, si je ne m’étais pas présenté tout seul.

Puis, s’adressant particulièrement àDiana :

– Vous alliez à Vitré,mademoiselle ? demanda-t-il.

– Monsieur d’Argentan, dit Diana sansrépondre à Cadoudal, vous m’aviez offert pendant la route, sij’avais quelque grâce à demander au général Cadoudal, d’être monintermédiaire près de lui.

– Je supposais alors, madame, le cas oùvous ne connaîtriez pas le général, répondit d’Argentan. Mais,quand une fois on vous a vue, vous n’avez plus besoind’intermédiaire, et je me fais garant que tout ce que vousdemanderez à mon ami, il vous l’accordera.

– Ceci, monsieur, c’est de la galanterieet une façon d’échapper aux engagements que vous avez prisvis-à-vis de moi. Je vous somme positivement de tenir votreparole.

– Parlez, madame ; je suis prêt àappuyer votre demande de tout mon pouvoir, répondit d’Argentan.

– Je désire faire partie de la troupe dugénéral, répondit tranquillement Diana.

– À quel titre ? demandad’Argentan.

– À titre de volontaire, repritfroidement Diana.

Les deux amis se regardèrent.

– Tu entends, Cadoudal ? ditd’Argentan.

Le front de Cadoudal se rembrunit et tout sonvisage prit une expression sévère.

Puis, après un moment de silence :

– Madame, dit-il, la proposition estgrave et vaut la peine que l’on y réfléchisse. Je vais vous direune chose bizarre. Ayant d’abord été destiné à l’étatecclésiastique, j’ai fait de cœur tous les vœux que l’on fait enentrant dans les ordres et je n’ai jamais manqué à aucun d’eux.J’aurais en vous, je n’en doute pas, un charmant aide de camp,d’une bravoure à toute épreuve. Je crois les femmes tout aussibraves que les hommes ; mais il existe dans nos paysreligieux, dans notre vieille Bretagne surtout, des préjugés quisouvent forcent de combattre certains dévouements. Plusieurs de mesconfrères ont eu dans leur camp des sœurs ou des filles deroyalistes assassinés. À celle-là, on leur devait l’asile et laprotection qu’elles venaient demander.

– Et qui vous dit, monsieur, s’écriaDiana, que je ne sois pas, moi aussi, fille ou sœur de royalistesassassinés, l’une et l’autre peut-être, et que je n’aie pasdoublement, pour être reçue près de vous, les droits dont vousparliez tout à l’heure ?

– Dans ce cas, demanda d’Argentan avec unsourire railleur et se mêlant à la conversation, dans ce cas,comment se fait-il que vous soyez porteur d’un passeport signéBarras, et titulaire d’une place du gouvernement à Vitré ?

– Seriez-vous assez bon pour me fairevoir le vôtre, monsieur d’Argentan ? demanda Diana.

D’Argentan le prit en riant dans la poche dela veste suspendue à son épaule et le tendit à Diana.

Diana le déplia et lut :

Laissez circuler librement sur leterritoire de la République le citoyen Sébastien Argentan, receveurdes contributions à Dinan.

Signé : Barras, Rewbell,

Larevellière-Lépeaux.

– Et vous, monsieur, voulez-vous me dire,continua Diana, comment, étant l’ami du général Cadoudal, comment,combattant contre la République, vous avez le droit de circulerlibrement sur le territoire de la République en votre qualité dereceveur des contributions à Dinan ? Ne soulevons pas notremasque, monsieur, ôtons-le tout à fait.

– Ah ! par ma foi ! bienrépondu, s’écria Cadoudal, que ce sang-froid et cette insistance deDiana intéressaient au plus haut degré. Parle, voyons !Comment as-tu obtenu ce passeport ? Explique cela àMademoiselle ; elle daignera peut-être nous expliquer alorscomment elle a eu le sien.

– Ah ! ceci, dit d’Argentan enriant, c’est un secret que je n’ose pas révéler devant notrepudique ami Cadoudal ; cependant, si vous l’exigez,mademoiselle, au risque de le faire rougir, je vous dirai qu’ilexiste rue des Colonnes, à Paris, près du Théâtre Feydeau, unecertaine demoiselle Aurélie de Saint-Amour à qui le citoyen Barrasn’a rien à refuser, et qui n’a rien à me refuser, à moi.

– Puis, dit Cadoudal, le nom ded’Argentan, porté sur le passeport, cache un nom qui se sert àlui-même de laissez-passer à travers toutes les bandes de chouans,de Vendéens et de royalistes portant la cocarde blanche en Franceet à l’étranger. Votre compagnon de voyage, mademoiselle, qui n’aplus rien à cacher maintenant, n’ayant plus rien à craindre, etque, par conséquent, je vous présente sous son véritable nom, nes’appelle pas d’Argentan, mais bien Coster de Saint-Victor, et,n’eût-il pas donné de gages jusqu’ici, la blessure qu’il vient derecevoir en combattant pour notre sainte cause…

– S’il ne s’agit, monsieur, ditfroidement Diana, que d’une blessure pour prouver son dévouement,c’est chose facile.

– Comment cela ? demandaCadoudal.

– Voyez ! fit Diana.

Et, tirant de sa ceinture le poignard aigu quiavait donné la mort à son frère, elle s’en frappa le bras avec tantde violence à l’endroit même où Coster avait reçu sa blessure, quela lame, entrée d’un côté du bras, sortit de l’autre.

– Et, quant au nom, continua-t-elle ens’adressant aux deux jeunes gens stupéfaits, si je ne m’appelle pasCoster de Saint-Victor, je me nomme Diana de Fargas ! Mon pèrea été assassiné il y a quatre ans, et mon frère il y a huitjours.

Coster de Saint-Victor tressaillit, jeta lesyeux sur le poignard de fer qui était resté enfoncé dans le bras dela jeune fille, et, reconnaissant celui avec lequel on avait donnéen sa présence la mort à Lucien :

– Je suis témoin, dit-il solennellement,et j’atteste que cette jeune fille a dit la vérité lorsqu’elle aaffirmé qu’elle méritait autant qu’aucune orpheline, fille ou sœurde royalistes assassinés, d’être reçue au milieu de nous et defaire partie de notre sainte armée.

Cadoudal lui tendit la main.

– À partir de ce moment, mademoiselle,lui dit-il, si vous n’avez plus de père, je suis votre père ;si vous n’avez plus de frère, soyez ma sœur. Je savais bien qu’il yavait eu autrefois une Romaine qui, pour rassurer son mari,craignant sa faiblesse, s’était percé le bras droit avec la lamed’un couteau. Puisque nous vivons dans un temps où chacun estobligé de cacher son nom sous un autre nom, au lieu de vous appelerDiana de Fargas comme par le passé, vous vous appellerezPorcia ; et comme vous faites partie des nôtres, mademoiselle,et que, du premier coup, vous avez gagné votre rang de chef, quandnotre chirurgien aura pansé votre blessure, vous assisterez auconseil que je vais tenir.

– Merci, général, répondit Diana. Quantau chirurgien, il n’en est pas plus besoin pour moi qu’il n’en aété besoin pour M. Coster de Saint-Victor ; ma blessuren’est pas plus grave que la sienne.

Et, tirant de sa plaie le poignard qui y étaitresté jusque-là, elle en fendit sa manche dans toute sa longueur demanière à mettre son beau bras à découvert.

Puis, s’adressant à Coster deSaint-Victor :

– Camarade, lui dit-elle en riant, soyezassez bon pour me prêter votre cravate.

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