Les Blancs et les Bleus – Tome II

Chapitre 26Le chemin de l’échafaud

Vers deux heures du matin, on entendit lebruit d’une voiture.

C’était Coster de Saint-Victor qui revenaitavec ses affiches.

Comme s’il eût été certain de la réussite del’affaire, il avait chargé l’imprimeur d’en faire poser cent dansla ville de Vitré.

Elles étaient conçues en ces termes :

Vous êtes invités à assister à l’exécutionde François Goulin, commissaire extraordinaire du Directoire ;il sera exécuté demain, de huit à neuf heures du matin, sur lagrande route de Vitré à La Guerche, au lieu-dit Moutiers, avec sapropre guillotine.

Le général Cadoudal, par l’ordre de qui sefait l’exécution, offre la trêve de Dieu à quiconque voudraassister à cette justice.

De son camp de La Guerche.

Georges Cadoudal.

En passant à Étrelles, àSaint-Germain-du-Pinel et à Moutiers, Coster en avait laissé à deshabitants qu’il avait éveillés tout exprès et qu’il avait chargésde faire part à leurs compatriotes de la bonne fortune qui lesattendait le lendemain.

Pas un, en effet, ne s’était plaint d’êtreéveillé. On n’exécutait pas tous les jours un commissaire de laRépublique.

Comme on avait fait à l’autre extrémité de laroute, on attacha des chevaux aux arbres abattus pour rendre laroute praticable.

À deux heures, comme il était convenu,Cadoudal donna le signal au camp, qui alla reprendre ses postesdans les ajoncs et dans les genêts où l’on avait combattu laveille.

Une demi-heure auparavant, Branche-d’Or,Chante-en-Hiver et leurs vingt hommes habillés en hussards, étaientpartis pour rejoindre la route de Château-Giron.

Une heure se passa dans le silence le plusprofond.

D’où ils étaient, les chouans pouvaiententendre les cris des sentinelles qui s’excitaient à veiller.

Vers trois heures moins un quart, la troupe dechouans déguisés se présentait à l’extrémité de la grande rue, et,après un colloque d’un instant avec la sentinelle, était dirigéepar celle-ci vers l’Hôtel de Ville, où logeait le commandantHulot ; mais Chante-en-Hiver et Branche-d’Or n’étaient pas sisimples que de suivre les grandes artères de la ville ; ils sejetèrent dans les ruelles, où ils eurent l’air d’une patrouilleveillant au salut de la cité. Ils parvinrent ainsi jusqu’à lamaison occupée par François Goulin.

Là encore, tout se passa comme l’avait prévuCadoudal. La sentinelle de la guillotine, voyant venir la petitetroupe de l’intérieur de la ville, ne s’en inquiéta point, et eutle pistolet sur la gorge avant même de soupçonner que c’était àelle qu’on en voulait.

Les républicains, surpris à l’improviste dansla maison et au milieu de leur sommeil, ne firent aucunerésistance. François Goulin fut pris dans son lit roulé et ficelédans son drap avant d’avoir eu le temps de pousser un seul crid’alarme.

Quant au bourreau et à son aide, ils logeaientdans un petit pavillon du jardin, et, comme l’avait prévu Cadoudal,ce furent les républicains eux-mêmes qui, mis au courant du motifde l’expédition, indiquèrent aux blancs le bouge où dormaient lesdeux immondes créatures.

Les bleus se chargèrent, en outre, de colleret distribuer les affiches, promettant de demander au commandantHulot la permission d’assister à l’exécution.

À trois heures du matin, une fusée s’élança duhaut de la route et annonça à Cadoudal et à ses gars quel’entreprise avait réussi.

Et, en effet, au même instant, on entendit lebruit de la lourde voiture sur laquelle était placé un des plusbeaux spécimens de l’invention de M. Guillotin.

Voyant que ses hommes n’étaient aucunementpoursuivis, Cadoudal se rallia à eux, faisant écarter les cadavresde la route, pour que la voiture pût rouler sans interruption.C’est à moitié de la descente seulement qu’ils entendirent retentirles premières trompettes et battre les premiers tambours.

En effet, on ne s’était aucunement hâtéd’aller prévenir le commandant Hulot. Celui qui avait été chargé dece soin n’avait point oublié d’emporter avec lui un certain nombred’affiches, et, au lieu de commencer par lui annoncer l’acteaudacieux que venaient d’accomplir Cadoudal et ses hommes, il avaitdébuté par lui mettre sous les yeux les affiches qui, ne luiapprenant rien, l’avaient forcé à une suite de questions qui ne luiavaient livré la vérité que lambeau à lambeau. Il avait finicependant par tout savoir et s’était mis dans une effroyablecolère, ordonnant de poursuivre les blancs à outrance et de leurreprendre coûte que coûte le commissaire du gouvernement.

C’était alors qu’on avait battu le tambour etsonné la trompette.

Mais les officiers avaient si bien fait,avaient tant caressé leur vieux colonel, qu’ils avaient fini par ledésarmer et obtenir de lui, à leurs risques et périls, lapermission tacite d’aller voir l’exécution à laquelle il mouraitd’envie d’assister lui-même.

Mais il comprit que c’était chose impossible,et qu’il eût compromis gravement sa tête ; il se contenta doncde dire à son secrétaire, qui n’osait pas lui demander lapermission d’aller avec les autres officiers, de lui faire unrapport exact.

Le jeune homme bondit de joie en apprenantqu’il était forcé de voir couper la tête au citoyen FrançoisGoulin.

Il fallait que cet homme inspirât un bienprofond dégoût, puisque blancs et bleus, soldats et citoyens,approuvaient d’un même accord un acte fort discutable au point devue du droit.

Quant au citoyen François Goulin, à moitié dela descente, et jusqu’au moment où il vit les chouans joindre soncortège et fraterniser avec lui, il n’avait pas trop su ce qu’onvoulait de lui. Pris par des hommes portant le costume républicain,lié dans son drap sans qu’on répondît à ses questions, jeté dansune voiture avec le bourreau, son ami, attaché à la suite de sachère guillotine, il était impossible, on en conviendra, que lejour se fît lui-même dans son esprit.

Mais, quand il vit les faux hussards échangerdes plaisanteries avec les chouans qui marchaient au sommet de laroute ; lorsque, ayant demandé avec insistance ce que l’oncomptait faire de lui, pourquoi cette violation de domicile et cetenlèvement de sa personne à main armée, on lui eût remis en manièrede réponse l’affiche qui annonçait son exécution et qui invitaitles populations à y assister, il comprit alors seulement tout ledanger qu’il courait et le peu de chance qu’il avait d’y échapper,soit qu’il fût secouru par les républicains, soit que les blancs selaissassent attendrir ; deux circonstances si problématiques,qu’il n’y fallait pas compter.

Sa première idée fut de s’adresser aubourreau, de lui faire comprendre qu’il n’avait d’ordres à recevoirque de lui, puisqu’il était parti de Paris avec injonction de luiobéir en tous points. Mais cet homme était tellement abattului-même, il regardait de tous côtés d’un œil si hagard, il avaitune telle conviction qu’il était condamné en même temps que celuiqui d’habitude condamnait, que le malheureux François Goulin vitbien qu’il n’y avait rien à attendre de ce côté.

Il eut alors la pensée de pousser des cris,d’appeler à son secours, de prier ; mais, sur tous lesvisages, il vit une telle couche d’insensibilité, qu’il secoua latête et se répondit à lui-même :

– Non, non, non, c’est inutile !

On arriva ainsi au bas de la côte.

Là, on fit une halte. Les chouans avaient àdépouiller leur costume d’emprunt pour reprendre leur uniforme àeux, c’est-à-dire la veste, les bragues et les guêtres du paysanbreton. Là s’était déjà amassé un grand nombre de curieux. Lesaffiches avaient fait merveille ; de deux et même quatrelieues à la ronde, on accourait. Tout le monde savait que c’étaitlà ce François Goulin, que l’on n’appelait à Nantes et dans laVendée que Goulin le Noyeur.

La curiosité allait de lui à la guillotine.L’instrument était complètement inconnu à cette extrémité de laFrance qui touche le Finistère (Finis terrae, fin de laterre) ; femmes et hommes s’interrogeaient sur la manière donton le faisait marcher, dont on plaçait le condamné, dont lecouperet glissait. Des gens, qui ne savaient pas qu’il était lehéros de la fête, s’adressaient à lui, et lui demandaient desrenseignements. L’un d’eux lui dit :

– Est-ce que vous croyez qu’on meurtaussitôt qu’on a le cou coupé ? Je ne crois pas, moi. Quand jecoupe le cou à une oie ou à un canard, il vit encore plus d’unquart d’heure après.

Et Goulin, qui, lui non plus, n’avait pas lacertitude que la mort fût instantanée, se tordait dans ses cordeset se roulait sur le bourreau en lui disant :

– Est-ce que tu ne m’as pas raconté unjour que les têtes des guillotinés rongeaient le fond de tonpanier ?

Mais le bourreau, abruti par la peur, nerépondait pas ou répondait par ces exclamations vagues quiindiquent la mortelle préoccupation de celui qui les laisseéchapper.

Après un repos d’un quart d’heure, qui donnale temps aux chouans de reprendre leurs premiers habits, on seremit en route ; mais alors on aperçut, sortant de la gauche,toute une population qui se précipitait pour avoir sa part dusupplice.

Il était curieux pour ces hommes qui, laveille, étaient menacés par l’instrument fatal et qui regardaientavec terreur celui qui le faisait jouer, il était curieux de voircet instrument, comme les chevaux de Diomède nourris de chairhumaine, se jeter sur son maître et le dévorer à son tour.

Au milieu de cette multitude, une masse noirese mouvait précédée d’un bâton au bout duquel flottait un mouchoirblanc.

C’étaient ceux des républicains quiprofitaient de la trêve de Dieu, offerte par Cadoudal, et quivenaient, précédés du signe de la paix, joindre le silence de leurmépris aux éclats de colère de la populace, qui, n’ayant rien àménager, ne respectait rien.

Cadoudal ordonna d’attendre, et, après avoircourtoisement salué ces bleus, auxquels, la veille, il donnait lamort et desquels il la recevait :

– Venez, messieurs, dit-il. Le spectacleest grand et digne d’être vu par les hommes de tous les partis. Deségorgeurs, des noyeurs, des assassins n’ont pas de drapeau, ou,s’ils ont un drapeau, c’est l’étendard de la mort, le drapeau noir.Venez, nous ne marchons ni les uns ni les autres sous cedrapeau-là.

Et il se remit en route, confondu avec lesrépublicains, ayant confiance en eux, comme ils avaient euconfiance en lui.

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