La Revanche de Roger-La-Honte – T1

La Revanche de Roger-La-Honte – T1

de Jules Mary

Partie 1
Premier épisode

Chapitre 1

À deux kilomètres et demi de la station de Saint-Rémy, est le village de Chevreuse, qui donne son nom à la vallée.

C’est un village assez irrégulièrement bâti,dont la moitié est éparpillée dans le fond de la vallée, dont une partie s’allonge le long de la rive de l’Yvette, et dont les autres maisons sont accrochées au flanc du coteau que dominent les ruines intéressantes du château de Chevreuse.

Il y a nombre de maisons de campagne autour du village, quelques-unes habitées l’hiver comme l’été – la plupart,l’été seulement.

Une de ces villas, très élégante, flanquée de deux tourelles au toit en éteignoir, et perdue dans un parc de haute futaie de chênes, était à vendre depuis quelque temps quand,tout au début du printemps 1884, dans le mois de mars, le bruit courut à Chevreuse, à Saint-Rémy et dans les environs que le« château » était vendu à un certain William Farney, unAméricain très riche.

Les paysans purent voir, pendant tout le moisd’avril, des ouvriers au château, puis, vers la fin du mois, desvoitures de déménagement apportant de Paris un luxueuxmobilier.

Dans les premiers jours de mai, tout étaitprêt ; les domestiques étaient installés puis les chevaux etles voitures, un landau, un coupé, un grand break et une petitecharrette anglaise pour les déplacements de chasse. On n’attendaitplus que le maître de la maison.

Un jour, descendirent à la gare de Saint-Rémy,à deux heures trente, deux personnes, un homme et une jeunefille.

L’homme était de haute taille, d’apparencetrès vigoureuse et, quoique jeune encore, il avait les cheveuxblancs ; sa barbe aussi, qu’il portait tout entière, étaitblanche ; il eût été difficile du reste, de lui assigner unâge certain sans crainte de se tromper, car, malgré les cheveuxblancs, l’allure, la façon de porter la tête, tout indiquait quecet homme n’avait guère plus de quarante-cinq ans. Le front étaitlarge, les yeux noirs semblaient doux, mais une terrible blessuredonnait je ne sais quelle physionomie étrange et dure auvisage : tout un côté de la figure, en effet, avait été brûlé,et, de ce côté, la barbe avait repoussé plus clairsemée.

La jeune fille pouvait avoir une vingtained’années. Grande, élégante, svelte, elle était fort jolie, nonpoint de cette beauté ordinaire qui consiste en des traitsréguliers. Elle avait mieux que cela : une physionomie d’unedistinction rare, des yeux magnifiques, bleus, mais d’un bleuparticulier, presque de la couleur de l’ardoise, avec des cils etdes sourcils noirs. Elle était blonde, d’un blond chaud,ardent ; sa chevelure gênante tant elle était épaisse etlongue, entourait comme d’une auréole d’or, un frais et fin visage,un peu allongé, au nez droit, aux lèvres rouges, aux tempes trèsaplaties et au menton légèrement accusé – ces deux derniers signestrahissant une grande énergie, une grande force de caractère. Elleétait vêtue simplement, – ainsi que l’homme qui l’accompagnait.

Lorsqu’ils descendirent de leur compartimentde première, le chef de gare les salua. Il reconnaissait l’hommepour l’avoir vu à la station plusieurs fois déjà ; c’étaitWilliam Farney, le nouveau propriétaire du château deMaison-Blanche ; quant à la dame, le chef pensa que c’était safille.

Sir William connaissait son chemin, sans aucundoute, car il n’hésita pas devant les sentiers qui se croisaientdevant lui.

En sortant de la gare, il laissa Saint-Rémysur la droite, tourna à gauche, longea le remblai du chemin de feret gagna une avenue plantée de marronniers superbes et quiconduisait à l’un des nombreux châteaux de la région, – le châteaude Coubertin. Au bout, commence le mur du parc.

Le père et la fille quittèrent l’avenue pourtraverser une prairie et prendre une allée de peupliers. Au bout decette avenue se voyait Maison-Blanche.

Le père et la fille s’arrêtèrent unmoment.

Il y avait un banc de pierre entre deuxpeupliers, à l’endroit où l’avenue rejoignait la route.

Ils allèrent s’y asseoir.

Puis William Farney adressa, en anglais, laparole à sa fille.

– Seras-tu heureuse ici, ma chèreenfant ?

– Je le crois, mon père : le paysest adorable.

– Du reste, Paris est à deux pas et tupenses bien que je ne t’ai pas conduite ici pour t’exiler ett’apprendre la solitude.

– Oh ! mon cher père, partout oùvous êtes, l’ennui ne vient jamais. Je me passerais du mondeaisément.

– Oui, Suzanne, je le sais, mais tu asbesoin de plaisirs et je ferai tout mon possible pour te procurerdes distractions.

– Vous êtes bon.

Le soleil éclairait ardemment le château, plusblanc à cette distance parce qu’il ressortait sur le vert sombre dela haute futaie des chênes.

– Oui, mon père, fit la jeune fille ens’appuyant sur le bras de William Farney, je serai heureuse ici,très heureuse.

William regarda sa fille tendrement, et ilétouffa un soupir.

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