Champavert- Contes immoraux

Chapitre 1Amour é râsco, rëgardo par ountë s’atâco

 

Làoù il n’y a point de haye, l’héritage sera gastée : et là oùil n’y a point de femme, l’indigent gémit. À qui croit celuy quin’a point de nid ?

LABIBLE.

 

Le couvre-feu sonnait, les ponts-levis sehissaient, quelques bourgeois attardés s’empressaient, Lyon laRiche, assise entre ses deux fleuves s’endormait, ceinte dans sesmurailles comme un guerrier dans son armure de fer.

Par un quai étroit et désert, deux hommes, unjouvenceau, un vieillard, allaient précédés d’un laquais portant unfalot.

Quand je dis un quai, je ne suis pasexact ; car en ces vieux temps, clos par une double haie demaisons, la plupart des quais étaient semblables à des rues ;les soubassements des masures qui ourlaient la rivière trempaientdans l’eau ; suspendues sur pilotis ou fondées dans la vase,ces demeures amphibies avaient pignon sur voie et pignon se mirantaux flots, et par le bas un escalier de pierre, rampant et profond,qui descendait à l’eau comme une citerne espagnole, tantôt séparédu courant par un détroit de terre, tantôt inondé jusqu’àmi-degrés.

De combien de crimes ces pierres ont dû êtretémoin ! que de meurtres ont dû faire tressaillir cesmurailles ! Enfer ! avec quelle aisance on se délivraitd’un ennemi, d’un rival, d’une femme abusée, d’un père vivace, onle poussait du haut de la montée, on ouvrait un châssis, tout étaitfait… Au plus, on entendait le bruit d’un corps tombant dans lesflots dont le roulis étouffait le râlement. Oh ! si ces ruinesconfidentes parlaient !…

Le jeune, enveloppé d’un manteau blanchâtre,abrité sous un feutre abattu sur ses moustaches, était long etsvelte ; à son allure cavalière et minaudée, au cliquetis deses éperons, à sa flamberge retroussant l’orée de son mantelet, onflairait aisément le gentilhomme.

Le vieux, enchevêtré dans sa robe noire,coiffé d’un mortier noir, juché sur sa tignasse grisonnante, et,parchemins au poing, exhalait à une portée d’arquebuse le docteurde la loi.

Capitoul ou conseiller au parlement,procureur, juge ou tabellion, cet oiseau de proie rompitbrusquement le silence.

– Seigneur Aymar, croassa-t-il, sansindiscrétion, la mineure sur laquelle je vais instrumenter, si j’enpréjuge par votre goût exquis, est belle, est-ce pas ?

– Oh ! si elle est belle !…maître, je l’avoue. Cette question me froisse, il me semble quequiconque doit avoir la prescience de sa beauté. Ô ma Dina, on medemande si tu es belle !… maître, elle est plus belle que laplus belle Sarazine du Soudan ! C’est une tourelled’ivoire ! c’est une buire d’argent !

– Au moins, seigneur Aymar, vousn’exigerez point, j’espère, la prescience de sa richesse ;a-t-elle de l’or ?

– Vous demandez si l’or a de l’or, si lesoleil est radieux : oui ! maître, elle a assez d’or pourécraser sous le poids de sa dot la plus forte haquenée.

– Vous êtes jeune, seigneur Aymar, quipeut donc vous pousser sitôt aux épousailles ? croyez à maprud’homie, il faut user dans les guérets le feu du poulainemporté, il faut courir et beaucoup faire par le monde avant decloîtrer son amour en une femme ; c’est chose grave qued’engager foi éternelle. Tenez, moi, j’entrai dans la confrérie àquarante ans, c’est pardieu ! le bel âge ; on commence àredescendre la vie, il faut un appui, il faut au pèlerin qui sevoûte un bâton, une hôtesse qui le soigne ; on choisit alorsfemme douce et bonne, ayant un patrimoine alléchant ; c’estainsi que j’ai fait, on ne saurait mieux faire. La jeunesse,voyez-vous, doit se passer dans l’orage et le bruit ; quand jesonge à ma vie de Paris, à ma vie de vingt ans, de clerc de labasoche !… Aussi, y fis-je époque, y suis-je resté enproverbe, y sers-je d’ère pour supporter le temps : on ditencore au Palais du temps joyeux de Bonaventure Chastelart ;et, levant son mortier et s’inclinant, le joconde tabellionricanait et croassait, tout triomphant, de ces vieilles folies,peut-être de ses turpitudes.

– Sans vous heurter, maître BonaventureChastelart, vous me permettrez de vous dire que vos conseils mesemblent peu nobles, mais je puis vous affirmer que quant à moi ilsne seront point pernicieux.

– Jeune homme, vous êtes péremptoire,pour cela je ne me crois point débarré et je m’en réfère à lasagesse de Pierre Charron, Parisien, docteur-ez-droicts.Le Saint Sacrement de mariage n’est pas chose valable en soi ;écoutez, voici au juste, ce qu’il en dit en un certain malicieuxchapitre de ses trois livres de sagesse, dont, vie durante, j’aifait mon oraison.

– Combien que l’état de mariage soitcomme la fontaine de la Société humaine, prima societas inconjugio est, quod principium urbis, seminarium reipublicae,si est ce qu’il est désestimé et décrié par plusieurs grandspersonnages, qui l’ont jugé indigne de gens de cœur et d’esprit etont dressé ces objets contre lui.

Son lien est une injuste et durecaptivité ; que s’il advient d’avoir mal rencontré, s’êtreméconté au choix et au marché, et qu’on ait pris plus d’or que dechair, on demeure misérable toute sa vie. Quelle iniquité pourraitêtre plus grande, que pour une heure de fol marché, pour une fautefaite sans malice et par mégarde, et bien souvent pour obéir,suivre l’avis d’autrui, l’on soit obligé à une peineperpétuelle ! Il vaudrait mieux se mettre la corde au col, etse jeter en la mer la tête la première pour finir ses joursbientôt, que de souffrir sans cesse à son côté la tempête d’unerage et manie, d’une bêtise opiniâtre et autres misérablesconditions.

Celui qui a inventé le nœud du mariage atrouvé un bel et spécieux expédient, pour se venger des humains,une chausse-trappe ou un filet pour attraper les bêtes ; etpuis les faire languir à petit feu.

Le mariage est une corruption et unabâtardissement des bons et rares esprits ; d’autant que lesmignardises de la partie que l’on aime, l’affection des enfants, lesoin de la maison et l’avancement de la famille, relâchent,détrempent, ramollissent la vigueur du plus généreux esprit quipuisse être ; témoins, Samson, Salomon, Marc-Antoine ; aupis-aller, il ne faudrait marier que ceux qui ont plus de viandeque d’âme, leur bailler la charge des choses petites et bassesselon leur portée. Mais ceux qui, faibles de corps ont l’espritgrand, est-ce pas grand dommage de les enferrer et garrotter à lachair, comme l’on fait des bestiaux à l’étable ?

L’utile peut bien être du côté du mariage,mais l’honnêteté est de l’autre.

Il empêche de voyager parmi le monde, soitpour apprendre à se faire sage ou pour enseigner les autres àl’être, et publier ce qu’on sait ; il apoltronit et accroupitles bons esprits au giron d’une femme et autour des petitsenfants.

– Assez, assez, maître Chastelart, assez,s’il vous plaît !

– C’est du tout un grand mal…

– Assez, assez, vous dis-je, maîtreChastelart, vous m’étourdissez !… finissez cettecapucinade !

– Humeurs débauchées, âmes turbulentes etdétraquées, ne sont point propres à ce marché…

– Assez, assez, maître, je vous prie.Maudite loquacité !

– Ne vous emportez point, beaucavalier ; au moins vous ne m’accuserez pas, moi, tabellion,moi, notaire royal, de prêcher pour mon saint.

– Cela est bel et bon, peut-être mêmeorthodoxe, maître Bonaventure Chastelart, mais non pas de règleabsolue. Vous disiez tantôt qu’il faut jeter son feu,d’accord : mais celui dont l’âme est vive, chaleureuse,aimante, qui fuit les tavernes, qui hait les dez et les ribaudes,pour celui-là, une femme aimée, avenante, un intérieur paisible,une troupe d’enfantelets, c’est le bonheur ! Je suisbouillant, mais pur, mon cœur ardent a besoin d’étreindre quelqueêtre de son amour chaste et tranquille. J’avais d’abord donné cetamour aux arts libéraux, je voulais dépenser avec eux mon activité,leur consacrer ma vigueur, mais mon père, qui tranche du châtelain,qui nomme les artistes gueux et les artisans gueusards ! abrisé mon chevalet et brûlé mes études sur Philibert Delorme.Oisive, ennuyée, mon âme est sortie errante comme la colombe del’arche, cherchant un rameau vert pour se poser ; elle atrouvé un myrte fleurissant, elle s’y pose… S’il est des Dalila quitondent la force de leurs amants et les vendent, il en est d’autresaussi qui les réconfortent, et qui épandent autour d’eux un aromatede bonheur et qui versent du benjoin sur leurs maux.

– Ah ! ah ! seigneur Aymar, quede roses paraboles ! l’amour vous met en délire et nousbattons la campagne. Or, voilà un long-temps que nous cheminons,n’adviendrons-nous pas bientôt ? Par saint Polycarpe ! oùdiantre me conduisez-vous ?

– À votre tour ne vous impatientez point,Chastelart, nous approchons fort, la Juiverie doit être peuéloignée maintenant.

– La Juiverie !

– Oui ! la Juiverie où nous sommesattendus.

– Votre future est donc unehérétique ? une juiferesse ?

– Une Israélite, maître.

– Jésus-Dieu ! la mesure est comble,j’espère !… et vous voudriez m’entraîner, à cette heure, chezces mécréants, merci !… Voudriez-vous me faire présider unsanhédrin ou chômer un sabbat ? merci !… Je n’ai nulleenvie de faire commerce avec ces damnés ; c’est uneconspiration, pour me faire endosser la chemise soufrée et me faireroussir en place des Terreaux, par maître Carnifex, rôtisseur debrucolaques ! merci !…

– Que craignez-vous, Bonaventure ?vous êtes en la compagnie d’un féal gentilhomme. Il ne s’agit icini de sabbat, ni de sanhédrin, il s’agit simplement de dresser uncontrat.

– Enfant ! me prenez-vous pour letabellion de l’enfer ?… vous pourriez, ce me semble, faire vospactes vous-même ! Bonsoir !

– Tu vas me suivre, te dis-je, ou sinon,je te pourfends et te cloue à cette porte comme unchat-huant ! Butor ! ânier en pourpoint de docteur, tuvas me suivre et faire ton devoir, puis après, je te jetterai cettebourse à la face et ma bottine en croupe, marche !

– Cavalier, je ferai tout votre bonplaisir, mais remettez votre flamberge en son lieu !

Le bon homme grelottait de peur.

– Je vous supplie, calmez-vous ; jesuis votre serviteur le plus humble.

– Cafard !…

Aymar remit son olinde au fourreau, et,silencieux, tous deux ils reprirent leur route. Après un moment demarche, Bonaventure Chastelart, licencié ès bavarderies, rompitl’abstinence pour la seconde fois.

– Vous me permettrez, seigneur Aymar deRochegude, de vous manifester mon étonnement sur votre allianceavec une hérétique ; en ma qualité de prud’homme et de robin,vous me permettrez de vous dire qu’il est messéant et dangereuxd’épouser une juiferesse.

– Juif toi-même !

– Juif moi-même !…

– Oui ! ânier que vous êtes !Qu’êtes-vous donc, sinon un pauvre juif ?

– Moi, Bonaventure Chastelart, filslégitime de Claude Chastelart, imprimeur privilégié de l’égliseprimatiale de Lyon, et de dame Anne-Pétronille-Maguelonne deSaint-Marcelin, ma mère, que Dieu les garde en son giron ! etfrère puîné de Pantaléon Chastelart, chamarier[13] duchapitre de Saint-Paul, moi ! je suis un Hébreu, unhérétique ! Allons donc, cavalier, votre têtegalope !

– Moins qu’un juif fidèle, docteur !Voyez la source ; ne sommes-nous pas tous païens ou juifsréformés, retapés, hébreux-huguenots, de la secte de Jésus deNazareth, infidèles, déserteurs, renégats de la loi mosaïque, dusabéisme, du saducéisme, du polythéisme, pour le protestantisme dupaysan de Bethléem. Monstrueux que nous sommes ! nousvoudrions raser la roche d’où découle notre torrent. Bâtards !nous voudrions égorger notre aïeul. Nous brûlons les Hébreux, etnous baisons leurs livres ; stupidité ! nous les brûlons,parce qu’ils sont fidèles à leur loi, à leur dieu, et nous chantonsautour de leurs bûchers les psaumes de leur roi David, poussantjusqu’aux cieux des Hozanna in excelsis ! Mascaradesanglante !…

– N’arriverons-nous pas bientôt, seigneurAymar ?

– Bientôt.

– Comment ? par Beelzébuth, princedes démons ! comment, diantre, avez-vous déniché cettehirondelle ?

– Le hasard.

– Le hasard ?…

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer