Champavert- Contes immoraux

Chapitre 3Flava

 

Vers le soir, un camarade le rencontra rueJean-Jacques-Rousseau, au moment où il sortait de la poste.

À huit heures environ, sur la hauteur deMontmartre, dans le chemin des Rosiers, il sonnait à un guichetrouge.

Une jeune fille ouvrit : ses cheveuxblonds flottaient sur sa robe blanche ; son teint pâle et sonregard soucieux, son allure langoureuse, quoique dégagée, sapoitrine rentrée et sa tête inclinée, disaient tristement que lasouffrance, comme une foudre, avait ravagé et ravageait cette bellecréature, cassée, défleurie.

En apercevant Champavert, elle jeta un cri desurprise.

– Vous, mon sauvage, à cette heure,quelle aventure !…

– Amie, si je suis venu, ce n’est pointpar aventure, c’est tout à votre intention.

– Champavert, vous me permettrez au moinsle doute.

– Mauvaise, vous voulez me blesser !– Es-tu seule ?

– Oui !

– Tout à fait seule ?

– Oui !

– Ton père ?

– Il est descendu à la ville.

– Enfin, c’est bien heureux ! Jepuis te voir et te parler à loisir, sans gros yeux qui épient etsans grandes oreilles qui espionnent.

– Qui vous change donc ainsi, monChampavert ? quel soleil a donc fondu la glace de votrecœur ? Ah ! vraiment, il vous sied bien, après deux moisd’absence, de venir jouer à l’amoureux.

– Flava, je ne joue rien ; je suispour toi ce que j’ai toujours été. J’accepte tes reproches, je saisqu’en apparence je puis en mériter ; je suis peu assidu, ilest vrai, mais tu règnes en mon cœur toujours ; tu règnescomme la patrie dans le cœur d’un proscrit ; tu règnes commela vie dans le cœur d’un condamné. L’absence ne détruit pasl’amour, tu le sais. Je suis peu assidu, c’est vrai, que veux-tuque je vienne faire ici plus souvent ? Souffrir !…Toujours gardée à vue, comme une criminelle d’État, je ne puisseulement te presser la main, te dire un mot bas à l’oreille ;à peine si nos regards peuvent s’entendre ; cela me fait tropde mal, je ne puis le supporter ! Que de fois j’ai été tentéde frapper ton père, tes geôliers, de te prendre le bras et de tedire fuyons ! Ah ! si tu étais libre, ou si du moins nouspouvions nous livrer à de douces causeries, tu ne te plaindrais pasde l’infréquence de mes visites.

– Mais, qu’importe !… puisque ta vueseule me remet tant de courage au cœur. Ah ! c’est cruel,Champavert, de haïr ainsi une femme, et puis de sortir de terrecomme un démon, deux ou trois fois l’année, pour venir lui mentir,lui dire qu’on l’aime ; ah ! c’est cruel,Champavert !

– Flava, tu me traites durement, tu metortures à plaisir ! Faudra-t-il donc toujours, comme undébutant, renouveler mes aveux d’amour ? toujours faire denouvelles protestations ? Tu devrais au moins me connaîtredepuis six ans que nous sommes liés. Si je ne suis pas assidu,suis-je pas fidèle amant ? Je sais que tu as le droit dedouter de moi ; qu’autrefois, tout enfant, j’ai été mauvais,mais ma constance n’a-t-elle pas racheté tout cela ? Jet’aime, Flava, je t’aime profondément, à tout jamais ! Veux-tuencore un serment ? je t’aime, Flava ! et te le jure surle corps…

– Silence ! Champavert,silence ! n’invoquez pas son ombre !

– Ne pleure pas, Flava ! ne pleurepas, bonne mère, tes larmes ont assez creusé tes joues, tes larmessont amères à mes lèvres ; ne pleure pas, bonne mère ! ilest plus heureux que nous, il n’est pas.

– Plus heureux que nous, il n’est pas…Champavert, tu dis vrai : que j’aime cette pensée !…Oh ! dis-moi, serais-tu prêt ?

– Non, ma toute belle, attendons encore,peut-être des jours meilleurs vont se lever pour nous ; sijeunes encore, nous avons un long avenir ! Attendons encore,nous avons bu l’absinthe avant le festin, attendons, après le deuilde la nuit, le jour et la rosée.

– Champavert, quand un arbre a étéatteint de la foudre, nul printemps ne saurait le reverdir ;il dessèche sur pied, jusqu’à ce qu’un bûcheron le renverse de sahache ; Champavert, attendrons-nous le coup de hache de lamort, tardif bûcheron ? Ce serait une lâcheté !

– Il est téméraire de préjugerl’avenir : ma belle, dépouillons-nous de cette sombreur,soyons moins élégiaques, s’il vous plaît ?

– C’est cela, à loisir, plaisantez !Vous grimacez, Champavert, votre rire n’est pas un rire qui part ducœur, c’est un rire de supplicié. Tout à l’heure vous vous êtestrahi.

Pendant ces causeries, sous la salled’ombrage, la lune était montée à l’horizon, et ses rayons, perçantau travers le feuillage vacillant des marronniers, semait le sablede nacres et l’obscurité de phalènes d’argent. Le rossignol nechantait pas encore son nocturne, et l’on n’entendait rien dansl’immensité, sinon le son amoureux de leur voix qui s’élevait commele soupir d’une gnomide.

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