Champavert- Contes immoraux

Chapitre 4Nidus adulteratus

 

Environ une olympiade après toutes ces choses,la dona Maria, qui, contre la coutume, n’avait point paru à tabledepuis quelques jours, fit appeler Vésalius, son mari. Aussitôt ilse rendit près d’elle ; blême, défaite, yeux cernés, voixéteinte, elle était étendue sur son lit. Vésalius, approchant unfauteuil, s’assit, et se pencha pour écouter. Maria, sentant unsouffle chaud glisser sur son front, souleva sa paupière plissée,reconnut Andréa Vésalius, et, soupirant, se prit à dire d’un tonagonisant :

– Vous êtes monseigneur et maîtreAndréa ! Je me sens faiblir à chaque instant ; bientôt jeserai aux pieds de Dieu, juge austère ; et je suisimpure ! j’ai tant péché contre vous ! Mais la pécheresseimplore son pardon. Ne vous emportez point ; vous êtes unhomme sage, vous êtes mon bon époux et mon maître ! laissezque je vous mette mon âme tout à jour.

– Señora, vous n’êtes pointaussi bas que vous paraissez le croire ; votre esprit s’estfrappé.

– Nul ne sent mieux son mal que lepatient. Quelque chose crie en moi, que ma fin est proche. Vousêtes mon époux et mon bon seigneur : écoutez, etpardonnez ; peut-être même serai-je excusable en quelquespoints.

Nous avions fait tous deux un serment àl’autel ; tous deux, nous y avons été infidèles ; moi,parce que j’étais jeune et surabondante de vie, et vous, parce quevos cheveux étaient blanchis par l’étude, et votre corps brisé parle travail. Malheur ! malheur ! que d’en être à maudiresa jeunesse ! Ô Vésalius, si vous saviez ce que c’est d’êtrejeune femme, si vous saviez tout ce qui se passe en elle, ôVésalius, vous me pardonneriez !

Écoutez froidement :

Or donc, je dis que je suis adultère, que jevous ai trompé lâchement. Je suis bien criminelle, Andréa !j’ai introduit dans votre demeure mes amants, je les ai enivrés devotre vin, je les ai gorgés à votre table ; et, pendant quevous étiez plongé dans l’étude ou dans le sommeil, avec eux jeriais de vous ; notre sale iniquité se jouait de votrebonhomie ; vous étiez l’aliment de nos risées, est-cepas ? c’est bien infâme !… Ce lit même, là, sur lequel jemeurs, est encore frémissant de nos lascivetés ; et Dieum’appelle à lui ! et je meurs !… Oh ! si vous merepoussiez…

Sa voix alors s’étouffa dans lessanglots ; puis, après un moment de silence, elle repritdistinctement :

– Déjà, j’ai été bien amèrement punie,bien atrocement ! Il faut qu’une femme adultère soit bienrepoussante ! il faut qu’elle traîne bien du dégoût avecelle ! J’ai eu, depuis notre alliance, trois amants ;mais, en vérité, tous trois, je ne les possédai qu’une seule fois.Quand, après de longues cours, je cédais à leur obsession ;quand je leur livrais mon corps, une part de ce lit… Oui, il fautqu’une femme coupable soit bien repoussante !… Au jour, quandje m’éveillais, j’étais seule ! et je ne les revis jamais,jamais ! Peut-on être plus sévèrement châtié ? Le crimeest lié à la peine : le crime appelle le supplice ; ets’il faut tout dire, pour obtenir rémission, vous êtesmiséricordieux, Andréa ! Le dernier, je l’ai aimé éperdument,d’un amour sans bornes, voyez-vous ! Sa perte m’a tuée,moi ; délaissée par lui, j’en meurs !… Maintenant, j’aitout dit : au nom de Nuestra Señora de Atocha, au nomde san Isidro Labrador, au nom de san Andres,votre patron, au nom de mon père, votre Tocayo, votreColombroño, pardonnez à la faible femme qui vous a tantoffensé ; que votre bénédiction la purifie ; oh !pardonnez-lui, elle meurt…

Et, lui prenant la main, elle la couvrit delarmes et de baisers ; Vésalius la retira rudement, repoussason siège, et lui dit d’une voix concentrée :

– Levez-vous, Maria ;suivez-moi.

– Je suis défaillante, et ne puis.

– Je vous ai dit de me suivre.

Maria, se dressant avec peine, s’enveloppad’un peignoir, et suivit, chancelante, Vésalius qui descendit legrand escalier, traversa le préau, ouvrit une porte basse, percéede barbacanes, qui donnait entrée dans un petit bâtiment éclairépar de grandes baies à croisées de pierre. Cette espèce de guichetse referma sur eux, et les verrous à l’intérieur grincèrent dansleurs vervelles.

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