Champavert- Contes immoraux

Chapitre 4Tiresome chapter

 

Avant d’aller plus avant, comme j’ai déjàparlé d’obi, d’obiman,et de sachetobien, il est bon que je dise à vous autres Européens ceque c’est qu’un obi.

Quant aux érudits qui croiront le savoir, ouqui auront lu ce qui suit dans le docteur Mosely, ils n’auront qu’àpasser ce chapitre pédantesque et académiquement fastidieux.

Le docteur Mosely, auquel je dois cettehistoire jamaïcaine, prétend gravement, dans son Traité duSucre, Treatise of Sugar, que l’obi et la filouterieou le jeu sont les seuls exemples qu’il ait pu découvrir chez lesnatifs de la terre d’Afrique, dans lesquels un effort decombinaisons d’idées ait jamais été démontré.

Ah ! master doctor Mosely, vous n’étiezpas négrophile !

Pauvre bon homme ! il ne se doutaitguère, en écrivant à la Jamaïque sur ses cannes à sucre, qu’il sefaisait une postérité, et qu’il serait question de lui, de sonTreatise of Sugar, et de son récit de Jack, en 1832. Ôincompréhensible encatenation des événements ! Il afallu pour en venir là qu’un montagnard alpestre naquît, descendît,et cherchant à user sa vigueur parmi les hommes de la plaine, seprît à farfouiller un bouquin anglais.

 

Généralement, le mot obi désignedoublement la magie et le magicien ; cependant, dans lescolonies anglaises, on dit un obiman. Je n’offriraid’autres probabilités étymologiques, sur l’origine et lasignification de ce mot importé d’Afrique par les noirs dans lemonde de Christophe Colomb, que celle-ci :nobi[10] en arabe, veut dire prophète, et,certes, il y a un grand rapport entre ces deux mots ;retranchez par corruption au singulier la nasale initiale comme lesArabes le pratiquent pour le pluriel, et vous aurez le motpareil ; je ne donne pas cela comme article de foi :cependant, je crois être, modestie à part, assez agréableétymologiste ; ayant fait force recherches paléographiques etpaléologiques, entre autres, à l’âge innocent de seize ans, un grosin-folio, digne des bénédictins de Saint-Maur, sur l’origine desnoms propres d’hommes et de lieux, petit puits artésien de scienceet d’érudition ; je n’avais plus que quinze années de travailpour arriver à son parachèvement, et pour éditeur, en perspective,que l’imprimerie royale qui n’imprime pas, quand je l’abandonnaipour des œuvres plus digérées et beaucoup plus en harmonie avecnotre époque vernissée, que l’étude de Pasquier, Fauchet, Ménage etP. Borel, etc., etc.

Après tout, je crois sincèrement que cetteétymologie en vaut bien d’autres, même celles de M. Arouet deVoltaire qui prétend que boulevart[11] vient dece qu’on y jouait aux boules, et que c’était vert. Voir sonDictionnaire philosophique, au mot philosophiqueBoulevart.

 

La science de l’obi est très étendue,plus étendue que la pharmacologie et la pharmacochimie, et, s’il yavait un examen à passer pour être reçu obi, plus d’un denos brillants pharmacopoles aurait le nez cassé et serait boutéhors ; je ne connais de profondément dignes, queM. Roux avec son paraguai[12],maître Guérin avec sa mixture, et le parabolainLabarraque avec son chlore ; tous trois passésmaîtres en obi, et que pourtant d’ignares envieuxvoudraient voir précipiter, pierre au cou, dans le protoxided’hydrogène séquanique.

L’obi, qui a pour butl’ensorcellement du pauvre monde, ou la consomption par desmaladies de langueur, le spleen, se fait de boue de fosse, decheveux, de dents de requins et d’autres créatures, de sang, deplumes, de coquilles d’œufs, de figures de cire, de cœursd’oiseaux, de racines puissantes, d’herbes et de ronces inconnuesencore aux Européens, que les anciens employaient aux mêmes usages.Certains mélanges de ces ingrédients sont calcinés, ou enfoncéstrès profondément dans la terre, ou appendus à la cheminée, ouplacés sous le seuil de la porte de celui qui doit subir le charme,avec accompagnement d’incantations et d’imprécations, proférées àminuit, ayant égard aux phases et aspects de la lune.

Un nègre qui se croit ensorcelé parl’obi, s’adresse à un obiman ouobiwoman, de même qu’un malade, malade par son médecin,s’adresse à un apothicaire.

Des lois doucereuses ont été échafaudées dansles Indes occidentales pour punir de mort les pratiquesobiennes ; elles sont restées sans effet. Stupideslégislateurs ! ce ne sont pas vos lois de sang faites dans vosIndes, qui sauront anéantir l’effet d’idées, dont l’origine estdans le centre de l’Afrique où vous allez moissonner vosesclaves !

Notre vieux docteur Mosely, et toujours dansson Traité du Sucre, Treatise of Sugar, dit avoir vul’obi du fameux nègre, voleur comme il l’appelle,Three Fingered Jack, terreur de la Jamaïque en 1780 et1781, et que les marrons qui l’avaient tué, lui apportèrent. Cetobiconsistait en un bout de corne de bouc, remplie d’unecompotion de poussière de tombeau, de sang d’un chat noir et degraisse humaine, le tout broyé en manière de pâte – ce n’estqu’après une savante et longue analyse, qu’il a pu formuler ainsice programme. Un crapaud desséché, une patte de chat, égalementnoir, une queue de porc, une bande de parchemin de peau dechevreau, sur laquelle étaient tracés des caractères avec du sang,se trouvaient aussi dans son sac obien.

Ces choses, avec un sabre émoulu et deuxfusils comme Robinson Crusoé, composaient tout son obi,avec lequel et son courage, en vrai highlander,ildescendait dans les basses terres dévaster et piller, pour subvenirà ses besoins. Son habileté à se retraiter dans les fourrésdifficiles dominant le seul accès où personne n’osait le suivre,terrifia les habitants, et défia pendant deux ans le pouvoir civilet la milice des cantons voisins.

Il n’eut jamais de complice nid’associé ; dans les bois, aux environs du montLibanus, lieu de sa retraite, se trouvaient quelquesnègres fugitifs ; les ayant marqués au front avec sonobi, ils ne pouvaient le trahir. Il ne se fiait àpersonne, il dédaignait toute assistance, il volait seul, ilsoutenait seul ses combats, tuait toujours ceux qui lepoursuivaient, et le seul il grimpa plus haut que le montSpartacus.

Par sa magie, il était non seulement l’effroides noirs, mais il y avait beaucoup de blancs qui lui croyaientquelque pouvoir surnaturel. Dans les climats chauds, les femmes semarient fort jeunes et souvent avec une grande disparitéd’âge ; Jack passait pour l’auteur des discordes et destroubles ; car en ce temps, comme en tout temps, commeaujourd’hui, les unions malheureuses, l’adultère, quesais-je ? foisonnaient.

Donnez à un chien un mauvais renom, etpendez-le, dit le proverbe anglais : Give a dog an illname, and hang him. Clameurs, clameurs sur clameurss’élevèrent contre le cruel sorcier ; et presque toutes lesmésaventures conjugales étaient attribuées aux sortilèges jetés parThree Fingered Jack le jour des noces.

Dieu sait ! Ce pauvre Jack avait assez deses péchés à lui, sans le charger de ceux des autres.

Il aurait plutôt fait une chaudièremédéenne pour toute l’île, dit le docteur Mosely, et toujoursdans son Traité du Sucre, Treatise of Sugar, que troublerle bonheur d’une seule femme. J’avouerai franchement que, pour moncompte, je ne sais trop ce que c’est qu’une chaudièremédéenne ; âne en mythologie, puritain n’ayant jamaistouché, même du pied, le dictionnaire du païen Chompré. Quoi qu’ilen soit, assurément ce n’est pas l’occasion qui lui manqua, etcependant, malgré sa haine pour les blancs, jamais on n’a ouï direqu’il eût fait le moindre mal à un enfant, ou violenté unefemme.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer