Chapitre 5Opificina
Nous voici dans l’ouvroir ou laboratoire deVésalius : une grande salle carrée, en arc de cloître, àmurailles et dalles de pierre. Quelques tables de bois sales etgraisseuses, quelques établis, deux ou trois cuviers, un bahut etdes armoires formaient tout l’ameublement. Quelques chaudronsétaient épars à l’entour d’une cheminée, dont le manteau évasédescendait de la voûte ; à sa crémaillère, était suspendue unechaudière qui bouillonnait sur un feu ardent. Les établis étaientchargés de cadavres entamés ; on foulait aux pieds deslambeaux de chairs, des membres amputés, et sous les sandales duprofesseur se broyaient des muscles et des cartilages. Sur la porteétait appendu un squelette, qui, lorsqu’elle était agitée,bruissait comme ces bougies de bois que les chandeliers suspendentpour enseigne, quand elles sont remuées par la bise. La voûte etles parois étaient couvertes d’ossements, de râbles, de squelettes,de carcasses, quelques-uns humains, mais le plus grand nombre desinges et de porcs, animaux les plus approchants, par leurcharpente, de l’ostéologie humaine, ayant servi aux études d’AndréaVésalius, le premier, pour ainsi dire, qui fit de l’anatomie unescience réelle, qui osa disséquer des cadavres, même de chrétiensorthodoxes, et travailler sur eux publiquement. Ce n’est pas que,bien avant, vers 1315, Mundinus, professeur à Bologne, avait offertle spectacle nouveau de trois squelettes humains disséqués.L’audacieux scandale ne fut point répété, l’Église le prohibaitformellement comme un sacrilège. Effrayé lui-même de l’édit encorechaud de Boniface VII, Mundinus ne tira point grand avantage de sesrecherches. Le contact ou le simple aspect d’un cadavre, chez lesanciens, imprimait une souillure que force ablutions lustrales etautres expiations pouvaient à peine effacer. Dans le Moyen Âge, ladissection d’une créature faite à l’image de Dieu passaitpour une impiété digne de l’échafaud.