Champavert- Contes immoraux

Chapitre 10Escumergamën

 

Lescheveux de ton chef sont comme la pourpre du roi.

Ôfille de prince, combien sont beaux tes pas en chaussures !Les joinctures de tes cuisses sont comme joyaux, lesquelles sontforgées de la main de l’ouvrier. Tes deux mamelles sont comme deuxbichelots gémeaux de la biche.

LABIBLE.

 

– Eh bien ! l’homme, quefaites-vous ? Restez donc à votre banc, et ramez en courant.Redescendons ; vous voyez bien qu’il est déjà tard. Nem’approchez pas !…

– Vous êtes belle, madamoiselle !

– Vous êtes fou !

– C’est vous qui m’avez mis cette folieen tête.

– Retirez-vous ; mais enfin ne metouchez pas ! Que me voulez-vous ?

– Rien, seulement ce que M. lesénéchal a voulu à ma sœur il y a trois mois.

– M. le sénéchal… vous lecalomniez.

– Je le calomnie… c’est le ventre de masœur qui le calomnie… Oh ! les douces mains ! j’en ai peutouché d’aussi douces. Quel bonheur d’être caressé par des mainsblanches et mignonnes ! le joli pied !… et la jambe,voyons !

– Au secours ! au secours !Laissez-moi donc, grossier !

– Tout beau, tout beau, la donzelle… nenous égosillons pas… Ah ! la jambe est divine !

– Au secours ! àl’assassin !…

– À l’assassin, non pas encore ;vous allez vite en besogne. Allons, calmons-nous, que je baise cesbeaux yeux ; soyons sage, la petite, on ne vous veut pas demal ; laissez donc, que je baise ce beau cou !

– Ah ! que je meure… Holà ! ausecours ! à l’assassin !

– Vous appelez en vain, personne neviendra ; et, d’ailleurs, puis-je pas vous faire taire ?J’ai là une provision de cordes et de quoi faire des bâillons.

– Traître ! lâche !tuez-moi !

– Je ne m’effraie pas pour si peu ;j’ai l’habitude de cela, moi ; ce qu’on obtient de gré pourmoi est sans valeur, c’est le viol que j’aime !… Aussi, à ladernière guerre d’Allemagne, m’étais-je enrôlé volontaire ;et, Dieu sait ! que j’y ai semé plus de Français que je n’y aitué d’Allemands. Vous avez beau vous débattre, la belle, on n’estpas forte ! Je ne m’effraie pas, vous dis-je, j’ai l’habitudede cela ; je viole une fille comme vous touchez de l’épinette,et je tue, au besoin, comme vous brodez une fraise.

– Ô mon pauvre fiancé !…

– Ah ! ah ! à ce qu’il paraît,nous sommes fiancée ?… Très bien, la nuit est sereine,causons : vous êtes fiancée, ma belle vierge ?… Votrefiancé s’en passera : ce n’est pas toujours le pêcheur quimange l’alose ; c’est ainsi qu’en ce monde, on ne peut comptersur rien ; Guillot bat, et c’est Charlot qui engraine.Oh ! que vous êtes charmante, noble dame ! que je vousaime ! Quelle joie de vous presser dans mes bras ! moi,Jean Ponthu, un passeur, un manant, une noble dame !…Oh ! si vous vouliez m’aimer !… Voyons, les bellesbagues ! jolies et de prix, n’est-ce pas ? même main quema Marion. Béni soit Dieu ! laissez donc faire, je luioffrirai de votre part…

– Vous me déchirez les doigts !…

– Souvent, quand j’étais soldat, et lanuit en védette, je réfléchissais, et je me disais : – Nousautres paysans, nos sœurs, nos filles et nos femmes sont toujourspour MM. les seigneurs, les nobles, les bourgeois ; cesont eux qui violentent nos amies, et nous autres bétas[21] nous ne faisons jamais rien à leursfemmes, à leurs filles ; cela n’est pas juste. Je me disaisaussi : – Pourquoi donc nous autres que nous sommes pauvres,et eux autres sont-ils riches ?… Ah ! par exemple, cela,je n’ai jamais pu me l’expliquer ; ce n’est pas juste, est-cepas ? Pour former un garçon et le rendre malin, il n’y a telque la guerre.

Le charmant collier, les gentilles perlesfines ! Ma Marion a juste le même cou que vous. Béni soitDieu ! cela se trouve bien. Je lui offrirai de votre part,est-ce pas ?…

Vraiment, je suis désolé de dégarnir d’aussimignonnes oreilles ; que je les baise pour la peine !Mais, ma Marion n’a pas de pendants sortables pour lavogue prochaine, et vous sentez bien… Allons, ne pleurezpas, je lui offrirai de votre part aussi. Mais avec une toiletteaussi simple, maintenant, vous ne pouvez garder ces épingles d’oren vos cheveux ; je me vois forcé de vous décoiffer… Oh !vous êtes cent fois plus belle échevelée !

Maintenant, nous n’avons plus rien à perdre, àmoins…

– Au secours ! au secours !laissez-moi, je vous en supplie, ou tuez-moi à l’instant.

– Nous nous débattrons donctoujours ?… Maudite ! donnez ces petites mains que je leslie.

– À l’assassin ! personne ne viendradonc ?…

– Vous vous tairez, voici un bandeau quivous apaisera ; allons, levez la tête, que je noue cebâillon.

– De grâce, de grâce ! laissez-moi,au nom de Dieu ! oh lâchez-moi ! Que voulez-vous, del’argent ? que voulez-vous !… vous l’aurez !…

Ah ! vous me torturez par trop,bourreau ! brigand !

Haie !… haie !… je suis perdue…

Alors, on n’entendit plus dans la barque quedes plaintes sourdes, des cris étouffés, et des râlements quis’éteignirent.

Une heure après, environ, Jean Ponthu, lebatelier, sortit de dessous la tente, traînant Dina par lescheveux ; au moment où il la jeta dans la Saône, son bâillonse défit, et, d’une voix brisée, elle appela Aymar.

Et Jean Ponthu, à la proue de sa barque, unharpon à la main, penché, refoulait et renfonçait sous l’eau lecorps de Dina, chaque fois qu’il remontait à la surface.

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