Champavert- Contes immoraux

Chapitre 2Was ist das ?

 

Neuf heures sonnaient aux Carmes, auLuxembourg, à Saint-Sulpice, à l’Abbaye-au-Bois, àSaint-Germain-des-Prés, et semblaient donner un charivari à la nuittombante.

En ce moment, rue Cassette, un homme seglissait dans une maison de riche apparence, et montait l’escalierà pas de loup ; tout en haut, il entra et s’arrêta dans uncorridor sombre ; à travers les ais d’une porte une voixs’échappait ; il appuya l’oreille contre la serrure ;cette voix douce récitait une prière du soir. Il heurta légèrementdu doigt.

– Qui est là ?

– Ouvrez, Apolline, c’est moi !

– Qui vous ?

– Bertholin !

Aussitôt elle entrouvrit sa maudite porte quicraquait comme des escarpins, et dont les gonds grinçaient commeune girouette.

– Bonsoir, mon ami.

– Bonsoir, toute belle.

– Pardon, si je vous reçois siinconvenablement, sans flambeau, c’est que, misérable, je n’ai pasde rideaux à ma croisée, et du vis-à-vis on plonge et distinguetout chez moi. Aussi, pourquoi choisir une heure siavancée ?

– Le jour j’ai la tête bourrelée par lesaffaires, et, d’ailleurs, le plein soleil prédispose peu auxépanchements ; qu’est-ce donc l’amour sans la nuit ?qu’est-ce donc l’amour sans mystère ?

– J’aurais mauvaise façon à vous blâmerde cela, car je n’aime jamais tant Dieu que la nuit, dans uneéglise bien sombre. – Vous toussez, mon ami ?

– Oui, faisant le pied de grue à la portedu ministre, j’ai maraudé un rhume et un enrouement qui mefatiguent beaucoup.

– C’est cela que je vous trouvais la voixrauque et changée. Mais causons sérieusement ; mon cher petit,à quoi bon, dis-moi, retarder plus long-temps notre union ? Sile monde venait à s’apercevoir de notre liaison, on dirait bien dumal de moi.

– Patience, ma bonne, patience !aujourd’hui, j’ai reçu ma nomination officielle à la préfecture duMont-Blanc et je dois partir demain ; sitôt mon installationfaite et mon administration réformée, je te jure que je reviendraicélébrer notre mariage clandestin ; nous quitterons Paris surl’heure, et je te présenterai là-bas à mes sujets comme uneancienne épouse.

– Ô mon ami, que je suis heureuse !…mais ton absence ne sera pas longue, n’est-ce pas ? Seule,ici, je souffrirais trop dans l’expectative.

– Petite pédante ! si tu comprenaiscombien je t’aime !

– Mais, Bertholin, quefaites-vous ?… Ne m’embrassez donc pas comme cela !…

– Amie !…

– Vous me traitez ce soir biencavalièrement, monsieur !…

– Non, amie ! je vous traite enépouse.

– En épouse… la suis-je,monsieur ?

– Quand deux êtres qui s’aiment se sontfait un serment, a-t-il besoin pour être sacré d’être visé par lemunicipal ? La loi ne fait que ratifier. Nous nous aimons àtoujours, nous nous le sommes jurés, nous sommes époux : et sinous sommes époux, à quoi bon ?…

– Toute liaison sans la sanctification deDieu est péché.

– Dieu, comme la loi, ne fait queratifier.

– Je ne puis lutter avec vous, je ne suispas subtile en controverse, je ne décline pas ma faiblesse, maissoyez généreux !

– Je le suis !

– Mais laissez-moi, Bertholin, vous êtesindigne de vous ce soir ! que me voulez-vous ?… Ah !c’est mal, une pauvre fille !… Bourreau ! pouvez-vousbien me torturer de la sorte ?…

J’appelle !…

– Appelle !

– Je frappe au plancher et fais montervos domestiques.

– Ils ne monteront pas.

– Hélas ! hélas ! c’est mal,Bertholin !

……  …  …  …  …  …  …  …

……  …  …  …  …  …  …  …

Maintenant, mon ami, tu vas me dédaigner, tuvas me repousser, tu ne voudras plus pour compagne d’une fille sipeu fidèle à son devoir, d’une fille sans honneur ?

– Ne parle pas ainsi, Apolline, tu meblesses ! Il faut que tu m’estimes bien lâche et bien bas.Moi, t’abuser ? oh ! non, jamais ! cela te rehausseencore en mon cœur.

– Tu m’aimes encore ?

– À toujours !

– Mais ta voix vient de changersubitement, ciel ! est-ce bien toi, Bertholin ? Folle queje suis… fatal pressentiment !… oh ! si j’étaistrompée !… C’est bien toi, Bertholin, réponds-moi ? jet’en prie, parle-moi, est-ce toi Bertholin ? est-cetoi ?…

Laisse-moi toucher ta figure, Bertholin n’apas de barbe ; oh ! si j’étais trompée !…

– La belle, dit alors l’énigme à pleinevoix, la morale de ceci est qu’il ne faut pas recevoir ses amantssans flambeau.

À cet accent inconnu, Apolline tomba de sahauteur sur le plancher.

Quand, revenue à son anéantissement, elle eutrecueilli ses esprits et ses forces, elle se trama sans bruitjusqu’à la croisée, un rayon de la lune glissant dans la chambreéclairait la tête de l’homme qui dormait profondément dans unfauteuil. Apolline, tremblante, le considéra : il était vêtude noir, portait baissée une tête blême, où pleuvaient des cheveuxroux ; ses yeux étaient caverneux, son nez long et en fer delance, ses joues étaient accoutrées de favoris rouges, tailléscarrément comme des sous-pieds.

– Quel est cet homme ? se disaitcette malheureuse enfant. Oh ! l’infâme Bertholin, c’est luiqui m’a fait cette abomination !… à qui croire ?ah ! c’est affreux que de tromper ainsi !…

Sur la poitrine de l’inconnu elle sentit unportefeuille ; tout au monde elle aurait donné pour pouvoir lesoustraire, espérant par là découvrir son suborneur ; maisc’était impossible, son habit était croisé et boutonné jusqu’enhaut.

En cette fatale angoisse elle maudissaitBertholin et Dieu. Enfin, accablée par le chagrin, le sommeil, elles’accroupit de nouveau et s’assoupit sur le plancher trempé de seslarmes. Quand elle s’éveilla, il faisait grand jour, le fauteuilétait vide, elle était seule, face à face avec sa honte.

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