Fragment de la pièce intitulée HEUR ETMALHEUR
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C’est un oiseau, le barde ! il doitrester sauvage ;
La nuit sous la ramure, il gazouille sonchant ;
Le canard tout boueux se pavane au rivage,
Saluant tout soleil, ou levant oucouchant.
C’est un oiseau, le barde ! il doitvieillir austère,
Sobre, pauvre, ignoré, farouche, soucieux,
Ne chanter pour aucun, et n’avoir rien surterre,
Qu’une cape trouée, un poignard et lescieux !
Mais le barde aujourd’hui, c’est une voix defemme,
Un habit bien collant, un minois relavé,
Un perroquet juché, chantonnant pourmadame,
Dans une cage d’or, un canari privé ;
C’est un gras merveilleux, versant de chaudeslarmes
Sur des maux obligés après un long repas,
Portant un parapluie, et jurant par sesarmes,
Et, l’élixir en main, évoquant le trépas.
Joyaux, bal, fleur, cheval, château, finemaîtresse,
Sont les matériaux de ses poëmeslourds :
Rien pour la pauvreté, rien pour l’humble endétresse ;
Toujours les souffletant de ses vers develours.
Par merci ! voilez-nous vos airsautocratiques ;
Heureux si vous cueillez les biens à pleinssillons !
Mais ne galonnez pas comme vosdomestiques,
Vos vers qui font rougir nos fronts ceints dehaillons.
Eh ! vous, de ces soleils, moutonnierparélie !
De cacher vos lambeaux ne prenez tant desoin,
Ce n’est qu’à leur abri que l’esprit sedélie ;
Le barde ne grandit qu’enivré debesoin !
J’ai caressé la mort, riant au suicide,
Souvent et volontiers, quand j’étais plusheureux ;
Maintenant je la hais, et d’elle suispeureux,
Misérable et miné par la faim homicide.