Champavert- Contes immoraux

Chapitre 7Oustâou pairolaou

 

Disant au bois, tu es mon père, à la pierre, tu m’as engendré.

Ilmettra sa bouche en la poudre, pour voir s’il y a espoir.

LABIBLE.

 

En effet, le soir même où partit ce message,après la collation, Aymar suivit son père qui se retirait dans sachambre à coucher. Et, tremblant, parla ainsi :

– Mon père, pardon si je viens encorevous troubler, vous me voyez à vos pieds, ne vous emportezpoint ; souvenez-vous que toute sa vie, votre humble fils vousa été soumis ; une seule fois, il lui arrive d’avoir unevolonté, et cette volonté lui est fatale. Vous le savez, l’amour nese commande point, l’amour vrai ne s’arrache pas, vous le savez,car vous avez aimé ma mère, est-ce pas ?…

À ce mot, Rochegude tressaillit, comme accablépar d’affreux souvenirs, et fit d’affreuses contorsions pourrassereiner[20] sa figure.

– Est-ce ma faute, reprit Aymar, si lafemme que le ciel m’a envoyée, s’est trouvée Israélite ? sicette femme choisie, s’est trouvée du peuple choisi de Dieu ?Est-ce ma faute, si elle est du même sang que votre Christ ?…Elle est belle, elle est pure, elle est vierge, je l’adore !elle m’adore, elle vous adorerait aussi, mon père ! N’est-cedonc rien que l’amour d’une bru ? Sa joie égaierait votrevieillesse ; vous ne me répondez pas, mais dites-moi doncenfin, quelle bru voulez-vous ?…

– Jamais, monsieur Aymar, je nepermettrai que le sang chrétien des Rochegude se mêle au sang impurd’une Bohémienne ! d’une basse hérétique ! d’unebagasse !…

– D’une bagasse… Ô mon père, vous êtesbien injuste !… Tenez, lisez ce contrat, car elle est mafiancée ! Tenez, lisez ce contrat qui n’attend plus que votresignature, vous le voyez, elle n’est pas sans fortune, elle estriche, cette enfant, si c’est de l’or qu’il vous faut ?…

Rochegude lui arracha des mains.

– Damnation ! Quel pacteinfernal !…

Et, sans le regarder, il le rompit et le jetaà la face d’Aymar en lui donnant des soufflets.

– Tiens, voilà tes fiançailles !Nous verrons, infâme ! si tu déshonoreras tafamille !

– Mon père, vous me frappez, parce quevous savez que je ne vous frapperai point : pourtant, je suisjeune et fort ; pourtant, j’ai du sang qui bout ;pourtant, j’ai un cœur qui fracasse ma poitrine !… Tenez, jevous briserais, vieillard, comme je brise cette porte !…

Et la porte, effondrée, tomba sous le chocavec un bruit épouvantable. Rochegude, atterré, blêmi, se renversadans son fauteuil.

– Assez, assez, mon père ! tout celame tue ! Vous êtes de roche, je serai de fer ! jepartirai demain, adieu !

– Vous ne partirez point !entends-tu ?…

– Mon père, je partirai : mais,terre et ciel ! qu’a donc cette union de si fatal ?Dites-moi ce qui vous rend si farouche ?

– Une Bohémienne !… unedamnée !… Le sang des Rochegude est chrétien !

– Ô mon Dieu ! vous faites sonnerbien haut votre sang chrétien : que vous importe chrétien oumore ? n’êtes-vous pas si religieux, n’avez-vous pas tant defoi !… Je suis sûre que vous ne croyez pas en Dieu ;est-ce pas que vous n’y croyez pas, en Dieu ?…

Rochegude, à ce mot, se dressasubitement ; saisi d’une fureur démoniaque, il étreignit uncouteau par la lame, et, la main teinte de sang, il frappait dumanche sur la table.

– Va-t-en, va-t-en, brigand, je temaudis ! Et de l’autre main, saisissant la chevelure de sonfils, il le traîna, par terre, au long du corridor, et le précipitapar l’escalier.

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