Champavert- Contes immoraux

Chapitre 13Golgotha

 

Etl’ensevelit en la vallée de la terre de Moab contre Phogor, et nuln’a cogneu son sépulchre jusques aujourd’hui.

LABIBLE.

 

Vers deux heures du matin, un cercueil blanc,porté par quatre hommes, et suivi d’un convoi peu nombreux,silencieusement traversait la ville.

De loin en loin, on entendait quelques châssisse hisser, le grincement des birloirs et le bruit des cadoles, etl’on voyait quelques têtes empaquetées se pencher sur la rue.

C’étaient de bons bourgeois ou des commèresqui, éveillés par le bruit des pas, accouraient aux fenêtres etjetaient des propos en l’air.

– Qu’est-ce donc, mon épouse, unenterrement d’hérétique, si je ne me trompe ? Il me semblevoir un cercueil blanc ?… – C’est à coup sûr une jeune fille,pauvre enfant, sitôt !… – Heureux ! qui meurt avantd’avoir connu le monde.

Puis ces bons bourgeois poussaient de grossoupirs, et rebaissaient leurs châssis.

– Maître Bonaventure Chastelart, n’est-cepas un convoi de huguenots qui passe ?

– Non, voisin, car il n’y a ni torches niflambeaux, et d’ailleurs ce n’est point ici la route pour aller àl’hôpital ; ce n’est rien, sinon que quelque chienne dejuiferesse qu’on traîne à la Madeleine ou àBêchevilain.

Dès que le jour poignit, on distingua, sur larive gauche du Rhône, au-delà de la plaine, une caravane quichevauchait ; un jeune homme allait en tête, accompagné dequelques fringants cavaliers ; les valets et les muletschargés de valises se tenaient à l’arrière.

Arrivés vers un champ nommé laMadeleine, sépulture des suppliciés, Golgotha desIsraélites, le cavalier qui caracolait en avant dit à un vieillardqui creusait une fosse :

– Brave homme, quelle heure peut-il êtremaintenant ?

– Trois heures environ ; vous êtesaux portes de la ville.

– Merci, mon brave ! Mais pour quidonc cette fosse que vous creusez si matin avec tant dehâte ?

– Seigneur, c’est pour enterrer une belleenfant retrouvée hier dans la Saône.

– Bien jeune ?

– Dix-sept ans, seigneur.

– Mais ce champ, brave homme, n’est pasune terre sainte ?

– Seigneur, c’est vrai, mais c’est lecimetière des meurtriers et des juifs.

– Des Israélites !… Sauriez-vous lenom de cette jeune femme ?

– Si je ne me trompe, c’est Dina, filled’un nommé Israël Judas, lapidaire.

– Dina !… enfer ! mafiancée ! ! !…

– Au reste, seigneur, voici le convoi,là-bas, qui s’avance ; voyez-vous ce cercueil blanc ?

Aymar resta un moment morne et froid !puis appelant un des cavaliers : – Carle, mon ami, lui dit-il,tout à l’heure tu prendras mon manteau, et le porteras à mon père,comme on porta la robe sanglante de Joseph à son père Jacob ;tu lui diras que tu as vu ma fiancée ; car la voici quis’avance, regardez !…

Eh ! toi, vieillard, élargis cettefosse !…, dit-il en jetant sa bourse au fossoyeur ; puisil cria contre le ciel, et d’une voix retentissante :

– Dina !… Israël !…éternité !…

Et se déchargea dans la tête les pistolets deses arçons.

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