DOLÉANCE
Son joyeux, importun, d’un clavecin sonore,
Parle, que me veux-tu ?
Viens-tu dans mon grenier pour insulter encore
Àce cœur abattu ?
Son joyeux, ne viens plus ; verse à d’autresl’ivresse ;
Leur vie est un festin
Que je n’ai point troublé ; tu troubles ma détresse,
Mon râle clandestin !
Indiscret, d’où viens-tu ? Sans doute une main blanche,
Un beau doigt prisonnier
Dans de riches joyaux, a frappé sur ton anche
D’ivoire et d’ébénier ;
Accompagnerais-tu d’une enfant angélique,
La timide leçon ?
Si le rythme est bien sombre et l’air mélancolique,
Trahis-moi sa chanson.
Non : j’entends les pas sourds d’une foule ameutée,
Dans un salon étroit ;
Elle vogue en tournant, par la walse[3]exaltée,
Ébranlant mur et toit.
Au dehors bruits confus, cris, chevaux qui hennissent,
Fleurs, esclaves, flambeaux ;
Le riche épand sa joie et les pauvres gémissent,
Honteux sous leurs lambeaux !
Autour de moi ce n’est que palais, joie immonde,
Biens, somptueuses nuits,
Avenir, gloire, honneurs : au milieu de ce monde,
Pauvre et souffrant je suis
Comme entouré des grands, du roi, du saint office,
Sur le quémadero,
Tous en pompe assemblés pour humer un supplice,
Un juif au brazero !
Car tout m’accable enfin : néant, misère, envie,
Vont morcelant mes jours !
Mes amours brochaient d’or le crêpe de ma vie,
Désormais plus d’amours.
Pauvre fille ! c’est moi qui t’avais entraînée
Au sentier de douleur ;
Mais, d’un poison plus fort, avant qu’il t’eût fanée,
Tu tuas le malheur !
Eh ! moi, plus qu’une enfant, capon, flasque, gavache,
De ce fer acéré
Je ne déchire pas avec ce bras trop lâche
Mon poitrail ulcéré !
Je rumine mes maux : son ombre est poursuivie
D’un regret coutumier.
Qui donc me rend si veule et m’enchaîne à la vie ?…
Pauvre Job au fumier.